La convention que le PCF va tenir les 22 et 23 novembre prochains sur le thème de l’industrie revêt une importance toute particulière dans le contexte économique social et politique actuel.
La question de l’industrie oblige en effet à aborder de front plusieurs enjeux de grande ampleur.
Ces enjeux sont économiques bien sûr. Notre pays va-t-il continuer à s’enliser dans la stagnation voire dans la quasi-récession qui le caractérise depuis 2008 ? Allons-nous stopper enfin la prolifération des opérations financières parasitaires qui spécifient la phase contemporaine du capitalisme et inverser la tendance afin de rendre l’argent utile ? Allons-nous contribuer à transformer les règles actuelles des échanges internationaux qui portent en avant les logiques de régression sociale ?
Ces enjeux sont aussi d’ordre social. Allons-nous lutter enfin contre le cancer du chômage en créant les centaines de milliers d’emplois nécessaires grâce à l’investissement dans les activités répondant aux besoins, grâce à la relance des services publics, grâce au soutien à la demande permettant de surmonter le manque de débouchés actuels ? Allons-nous ainsi créer les conditions d’une transformation du travail répondant aux attentes des salariés tout en permettant une efficacité accrue du fonctionnement des entreprises ? Allons-nous enfin briser la spirale des politiques austéritaires en enclenchant un cercle vertueux de relance permettant de financer les systèmes de protection sociale et en alimentant de ce fait la demande comme l’activité ? Allons-nous nous donner les moyens réels pour intégrer pleinement la dimension écologique à tous les choix structurants ?
Ces enjeux sont également d’ordre politique. Allons-nous ouvrir des perspectives de sortie de crise et de mieux-être ou allons-nous continuer à alimenter la désespérance, la peur de l’avenir et le repli sur soi qui sont tout à la fois le fondement de la résignation ambiante et le terreau de l’expansion de l’extrême droite ?
Dans ce contexte, notre initiative peut, si nous lui donnons la force nécessaire, influer positivement sur le débat politique.
Notre convention met en avant l’idée qu’une nouvelle industrialisation constitue un enjeu majeur pour la France en Europe.
C’est bien par cet angle-là qu’il faut, à notre sens, attaquer la question.
Il s’agit d’un objectif déterminant de nature à marquer l’ensemble de la vie économique, sociale et politique et non le sous-produit d’une politique favorable aux propriétaires du capital dont on attendrait des contreparties.
Par ailleurs, le choix de l’expression « nouvelle industrialisation » n’est pas anodin.
Parler de réindustrialisation ou de redressement productif serait inadéquat. Cela laisserait planer l’idée que notre vision consisterait à attendre de la mise en œuvre d’approches anciennes des résultats valides dans le réel d’aujourd’hui.
Plus profondément, nous avons conscience que l’industrie contemporaine est très différente de l’industrie des années 1980 par la nature des technologies développées comme par les organisations du travail et les qualifications.
Enfin, mais ce n’est pas le moins important, les enjeux écologiques doivent désormais être partie intégrante de tout développement industriel.
Ces phénomènes sont si importants que certains auteurs parlent à leur propos de nouveau paradigme industriel.
Depuis plusieurs années, la nécessité de renforcer la capacité industrielle du pays a repris droit de cité. Des États généraux de l’industrie sous N. Sarkozy au discours gouvernemental actuel sur le redressement productif et le produire français, les grandes déclarations ne manquent pas. Mais la réalité des faits démontre que la rhétorique ne suffit pas pour combattre le véritable effondrement industriel que connaît la France.
Le bilan de l’année 2013 établi par le Conseil national de l’industrie est accusateur. 4 736 fermetures d’usines, 61 900 emplois supprimés. Quant à l’investissement productif, il chute de 7 %, ce qui démontre de manière éloquente ce que signifie l’esprit de « responsabilité » du patronat…
Les derniers chiffres de l’Insee marquent clairement que la régression industrielle n’est en rien freinée. Sur un an, de mai 2013 à mai 2014, la production manufacturière diminue de 0,7 %.
Sur une plus longue période, alors que la production industrielle représentait encore 14 % du PIB en 2002, elle n’en constitue plus que 10 % en 2012. En d’autres termes elle chute de plus de 28 % dans la composition de la richesse nationale.
Les données sont comparables en matière d’emploi. 14 % de l’emploi total en 2002, 10,8 % en 2012. Quant au solde de la balance commerciale, il passe dans la même période d’un excédent de 18,2 milliards d’euros à un déficit de 33 milliards.
Face à cette situation le cap de F. Hollande consiste à enfourcher les dogmes du Medef. Le problème principal résiderait dans le manque de compétitivité-coût de l’industrie française.
Le coupable est tout désigné : trop de « charges » pèsent sur les entreprises. Sont visées d’abord les « charges sociales » mais aussi les « charges fiscales » sans oublier un droit du travail trop contraignant qu’il serait urgent d’assouplir. Telle serait la voie pour rétablir les taux de marge et permettre ainsi au patronat d’investir en France dans l’appareil productif.
Ce cahier revendicatif que le Medef répète à l’envie depuis des années est devenu avec le « pacte de responsabilité » la feuille de route du gouvernement.
Il comporte bien les trois volets : nouvelles exonérations de cotisations sociales, allégements de la fiscalité des entreprises, « simplification » du droit du travail (en fait dégradation des garanties collectives des salariés et nouvelle vague de précarisation de leur situation).
Sur ce dernier point, l’offensive contre les « seuils sociaux » déclenchée par le ministre du Travail est illustrative. C’est un rideau de fumée. Car derrière les seuils, ce qui est, de fait, en cause c’est la réalité des droits sociaux qu’ils déclenchent.
Ce pacte vient s’ajouter aux dispositions déjà prises l’an dernier avec le crédit d’impôt compétitivité et la transposition législative du pitoyable accord interprofessionnel du 11 janvier 2013.
Le pacte de responsabilité devrait se traduire d’ici 2017 par plus de 50 milliards d’euros supplémentaires qui seront ponctionnés des revenus du travail vers les revenus du capital.
Cette logique, portée à un niveau inédit, a pourtant déjà fait la démonstration de son inefficacité totale en matière de créations d’emplois malgré les centaines de milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales consenties depuis les années 1990.
Qui plus est, son caractère récessif du fait du niveau de diminution des dépenses publiques qu’elle implique rend fort probable un scénario catastrophique pour la croissance du pays et donc pour l’activité productive.
Quant à la fable des contreparties patronales (qui ne figurent désormais même plus dans le discours officiel du Medef), seuls les F. Hollande, M. Valls et leurs ministres font semblant d’y croire. Car les gestionnaires des entreprises utiliseront les profits supplémentaires rendus disponibles pour payer des intérêts aux créanciers, verser des dividendes, racheter leurs propres actions ou encore spéculer.
En réalité, les causes de la désindustrialisation du pays sont bien plus profondes et bien plus structurelles que celles qui nous sont ressassées constamment depuis deux ans.
Elles remontent loin dans le temps. Dès la fin des années 1970, la « restructuration » de la sidérurgie, l’abandon de l’industrie textile, le déclin consenti de la machine-outil (qui a empêché la France de rester en lice dans le développement ultérieur de l’industrie des biens d’équipements) ont marqué le démarrage du processus. Derrière cette politique de désertion industrielle, s’exprime la volonté du capital, et notamment des plus grands groupes, de se désengager de la France pour se redéployer dans la financiarisation mondialisée.
Ce mouvement a été soutenu par une bataille idéologique de grande ampleur.
Nous étions paraît-il entrés dans l’ère de la société postindustrielle. L’industrie était vouée à un déclin inéluctable dans les pays développés. Elle devait devenir l’apanage des pays « en développement » notamment pour les activités considérées comme banales. Les services devaient prendre le relais dans la création d’activités et d’emplois. C’était incontournable, gravé dans le marbre par les prospectivistes les plus en vue.
Et tous ceux qui s’insurgeaient contre cette vision n’étaient que passéistes indécrottables que l’on regardait avec un mépris non dissimulé.
Progressivement tous les instruments de politique industrielle ont donc été détruits : des prêts bonifiés du FDES pour les investissements publics aux moyens d’intervention du CIRI pour le soutien de l’État à des activités considérées comme stratégiques, jusqu’au ministère de l’Industrie lui-même…
La domination du paradigme libéral à l’échelle de l’Union européenne n’a fait qu’accélérer le processus. La concurrence libre et non faussée érigée en dogme a conduit à bannir toute velléité de politiques industrielles qu’elles soient sectorielles ou plus globale. L’expression « politique industrielle » a d’ailleurs été interdite pendant plus de vingt ans dans les instances communautaires. Cette notion y était assimilée à celle de distorsion de concurrence puisque, dans un grand projet industriel, plusieurs entreprises devaient coopérer. Horreur suprême !
Tout juste fut-il concédé que nous devions garder les activités « nobles » de recherche et d’ingénierie, les pays émergents se voyant attribuer, dans la nouvelle répartition mondiale du travail, les activités à faible valeur ajoutée grâce à leurs bas coûts de main-d’œuvre.
Le PDG d’un grand groupe français avançait même, dans cette logique, le concept d’entreprise sans usine.
Tout cela a permis de lever un écran de fumée sur l’essentiel : la diminution drastique de l’investissement industriel sur notre territoire, la course à la financiarisation et la réorientation des créations de capacités de production dans une logique de dumping social, fiscal et environnemental.
Aujourd’hui, ces arguments ont explosé les uns après les autres.
Les services ne suffisent pas à compenser la perte de substance induite par la désindustrialisation. Pire encore, la démonstration est faite chaque jour que lorsque l’industrie s’effondre de nombreux emplois de services meurent avec elle.
Il est désormais patent que la division mondiale du travail entre les « têtes pensantes » que nous devions êtres et les « petites mains » que devaient rester les pays émergents n’est qu’une baliverne. La Chine, le Brésil, l’Inde et bien d’autres nations veulent se développer – et ils ont raison – sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Ils le font avec réussite. Il est d’ailleurs démontré aujourd’hui qu’il est impossible de préserver nos compétences si nous n’avons plus l’expérience de la production. Les savoirs, les savoir-faire et le faire sont inséparables.
L’industrie nous est de surcroît indispensable pour relever les défis de l’emploi et plus encore de l’emploi qualifié. Il est désormais vital d’interrompre la spirale du déclin actuel avec son cortège sinistre de plans « sociaux » qui plongent des milliers de salariés et de nombreux bassins d’emplois dans la désespérance. Il est urgent de prendre le chemin d’un nouvel essor de l’industrie créateur de milliers et de milliers d’emplois couplé à un immense effort de formation des jeunes, comme des adultes. Nous avons besoin d’ouvriers de hautes qualifications, de techniciens, d’ingénieurs, de chercheurs, de designers… Ce sont des conditions essentielles pour redonner espoir à notre peuple en ouvrant des perspectives de développement renouvelé.
Il faut enfin souligner qu’aucun des problèmes économiques et sociaux structurels (financement des retraites et de l’assurance maladie, besoin de financement de l’État et des collectivités territoriales, pouvoir d’achat des actifs comme des retraités) ne peut être résolu sans une vigoureuse politique de développement industriel et de l’emploi.
Pour toutes ces raisons, notre pays doit, dans les conditions de la période contemporaine, redevenir une grande nation industrielle. La nouvelle phase d’industrialisation dont nous parlons est donc indispensable pour répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés.
Pour que la nouvelle industrialisation réponde à ces problématiques, il est indispensable de desserrer le carcan des coûts du capital qui asphyxient la gestion des entreprises.
Rappelons qu’en 2012 les dividendes et intérêts versés par les entreprises (non financières) aux actionnaires et créanciers représentaient 30 % de leur valeur ajoutée (près de 300 milliards d’euros). C’est pratiquement le double de leurs cotisations sociales (158 milliards) alors que le Medef clame sur tous les tons que ces dernières sont à l’origine de tous les problèmes !
Rappelons également, en nous appuyant sur l’article de Frédéric Boccara dans le numéro d’Économie et Politique de décembre 2013, que sur les 2 800 milliards de coûts totaux des entreprises, les coûts globaux dits du travail représentent 23,9 %, ceux du capital 19,3 %, les 56,8 % restants étant les consommations intermédiaires. Or, les prétendus coûts du travail recouvrent des dépenses nécessaires à la production de richesses nouvelles et, dans le même temps, ils constituent les revenus des salariés du pays c’est-à-dire ce qui permet l’existence de la demande et des débouchés des productions. Rien à voir avec l’alimentation de la sphère spéculative parasitaire par la suraccumulation des capitaux !
La réalité de cette suraccumulation peut être illustrée par la reprise des OPA dont le rachat de la partie énergétique d’Alstom par General Electric est emblématique. De même, l’envolée de la cotation des actifs boursiers fait craindre à de nombreux analystes l’explosion d’une nouvelle bulle spéculative qui relancerait une phase encore plus sévère de la crise.
Il est donc indispensable d’abaisser les coûts du capital par des mesures fiscales (modulation de l’impôt sur les sociétés plus lourd pour les dividendes, taxation des actifs financiers des entreprises), par la modulation des cotisations sociales de type bonus/malus, par la suppression des exonérations de cotisations sociales remplacées par l’instauration de mécanismes de crédit sélectif, par la relance des services publics.
Il est important d’insister sur cette question tant elle est essentielle pour le développement voire l’émergence des entreprises de haut niveau technologique comme pour la modernisation des entreprises considérées comme obsolètes afin de leur donner des perspectives. (Ce qui se relie à l’enjeu de la sécurité d’emploi ou de formation comme alternative de société face à la flexisécurité prônée par la doxa libérale).
Mais la lutte contre le carcan des coûts du capital n’est pas uniquement de nature macro-économique. Elle doit s’ancrer au quotidien dans la transformation en profondeur des critères de gestion qui président au fonctionnement des entreprises et surdéterminent leurs stratégies.
Contester le taux de rentabilité maximum des capitaux investis comme objectif cardinal de la gestion, se battre pour faire prévaloir de nouveaux critères d’efficacité économique sociale et environnementale, intégrer la préoccupation du long terme pour donner un véritable sens à la notion de durabilité sont autant de combats déterminants afin de favoriser l’émergence du nouveau mode de développement indispensable pour ouvrir d’autres perspectives à l’humanité.
La nouvelle approche des questions industrielles joue alors un rôle majeur dans cette logique transformatrice. En effet,
– la production utile n’est pas le productivisme d’hier, la réponse aux besoins ne passe pas obligatoirement par l’exacerbation du consumérisme mais par de nouveaux modes de consommation ;
– la production et les services ne doivent pas être considérés comme des univers s’opposant. Bien au contraire, ils sont de plus en plus imbriqués, et dans certains cas inséparables ;
– la croissance des activités productives peut ne pas être synonyme d’épuisement des ressources naturelles et des écosystèmes.
À ces fins, un renouvellement structurel est nécessaire à toutes les étapes de la production :
– Le modèle de l’obsolescence programmée doit être combattu. Les nouveaux impératifs prioritaires doivent devenir ceux de la durabilité, de la qualité et de la modularité (afin d’intégrer les avancées scientifiques et technologiques sans être obligés d’acheter un nouveau produit).
– L’éco-conception doit devenir la règle. Elle consiste à intégrer dès l’amont les préoccupations de gestion économes des matières premières, des matériaux et des ressources naturelles ; le souci de leur substituabilité pour éviter les ruptures écologiques (exemple de la chimie végétale) ; la lutte contre les pollutions de toutes sortes, les économies d’énergie et d’efficacité énergétique ; et bien évidemment la gestion et le recyclage des matériaux, des composants et des déchets (avec un objectif anti gaspillage mais également avec la préoccupation de la raréfaction de certaines matières premières), et enfin la création de filières de réparation et de maintenance.
Comme on le voit, le cahier des charges de la nouvelle conception industrielle est exigeant, mais il est désormais impératif. Dans une logique d’« économie circulaire », conçue de manière ouverte (car le cycle ne peut rester fermé sur lui-même au risque de se transformer en spirale de décroissance), il faut développer les mises en réseaux pour organiser la complémentarité des besoins et les coopérations mutuellement profitables, car les déchets des uns peuvent et doivent devenir les matières premières des autres. De même la création d’écosystèmes industriels rapprochant sur un même site ou sur des sites proches des entreprises intégrées à un tel cycle permet de minimiser les contraintes de transports et de créer des synergies en matière énergétique ou dans les consommations de fluides.
L’imbrication croissante de l’industrie et des services est une caractéristique majeure de la période actuelle.
Des fonctions telles que la recherche développement, l’ingénierie, en amont, mais aussi la logistique ou le recyclage en aval sont d’ores et déjà partie intégrante du cycle industriel. Les stratégies d’externalisation – visant notamment à tirer vers le bas les garanties collectives des salariés et à fragiliser l’emploi – ont conduit à classer statistiquement dans les services des fonctions telles que les services informatiques, la maintenance ou le nettoiement précédemment intégrées aux entreprises industrielles.
Mais ce qui est le plus nouveau est l’émergence de « l’économie de la fonctionnalité ». De plus en plus, les produits sont le support matériel de la vente d’un service. Ce dernier devient le moteur essentiel du débouché industriel. Les services du numérique (internet, téléphonie mobile, télévision, applications, etc.) « tirent » l’achat des matériels, l’automobile est de plus en plus adossée au développement de services de mobilité qui deviendront déterminants si le véhicule électrique se développe, etc. Dans ce modèle en expansion la location prend une importance croissante.
Notre réflexion ne peut mésestimer ces réalités nouvelles.
Nous vivons l’émergence d’un nouveau modèle productif, d’un nouveau paradigme industriel.
C’est dans ce contexte en mouvement, avec des objectifs ambitieux pour les intérêts du pays et le développement des capacités humaines, que devrait prendre corps la politique industrielle active indispensable pour sortir la France de l’ornière.
Elle devrait être adossée à un renouveau de la réflexion sur le long terme permettant de favoriser la mobilisation des moyens et des intelligences sur un certain nombre d’objectifs considérés tout à la fois comme prioritaires, atteignables et générateurs de développement humain durable (emplois, formation, progrès écologique, etc.).
Pour ce faire des outils publics de prospective et de planification doivent être mis en place dans une conception rénovée. Ils doivent permettre de réfléchir collectivement aux meilleures stratégies de développement de l’industrie et des services, aux grandes stratégies de recherche, d’équipement, de définition des infrastructures, d’essor des services publics, de politique énergétique. Conçus dans une optique de participation de toutes les composantes de la société impliquées par ces problématiques, ils doivent travailler à l’intégration de l’économique, du social, de l’écologique, du territorial dans les processus de décisions sur lesquels ils doivent déboucher. Ils doivent également articuler en permanence les dimensions nationales européennes et internationales.
Articulés à de nouveaux instruments de financement de l’économie (pôle public du crédit, fonds régionaux et européens, participations publiques dans les grandes entreprises…), ils stimuleraient la définition de politiques publiques de soutien au développement d’initiatives créatrices d’emplois.
Ces dernières devraient tenir compte de l’existence de filières stratégiques pour le devenir du pays ; filières dont le champ est évolutif (une vingtaine de l’aéronautique au big data en passant par l’agro-alimentaire, l’automobile, les transports urbains et ferroviaires, la navale, les richesses marines, le bâtiment, l’énergie etc.). Elles devraient également s’appuyer sur l’existence de nœuds technologiques porteurs (biotechnologies, nanotechnologies, nouveaux matériaux, technologies énergétiques, chimie végétale, biomimétisme, production additive improprement désignée sous l’expression imprimantes 3D, etc.).
Insistons sur le fait que la démarche de soutien au développement industriel rénové ne se limite pas à la réanimation d’une vision étatiste. L’État a certes des responsabilités. Mais celles-ci doivent s’exercer dans un processus d’épanouissement démocratique à tous les niveaux : nouveaux pouvoirs des salariés dans les entreprises, capacités de décisions au niveau des territoires (y compris sur les financements et le contrôle de l’utilisation des fonds publics), développement de l’économie sociale et solidaire…
Les nouveaux pouvoirs des salariés impliquent des mesures très concrètes. On peut citer notamment : l’avis obligatoire du CE ou des représentants du personnel pour les décisions stratégiques, la participation de représentants des salariés dans les conseils d’administration, le droit de veto suspensif des élus du personnel en cas de fermeture ou de délocalisation, et l’obligation pour l’employeur d’examiner les propositions des salariés, le droit de reprise de l’activité par les salariés en coopérative s’ils le souhaitent. Dans une période où les salariés s’interrogent, individuellement et collectivement, sur le sens comme sur la finalité de leur travail, ces nouveaux pouvoirs doivent inclure également des droits d’intervention directe sur la définition de l’organisation du travail et des conditions de travail.
Ces droits nouveaux sont fondés sur un principe majeur. Il est impératif de rompre avec la conception actuelle de l’entreprise réduite à une société d’actionnaires ou de porteurs de parts. C’est ce qu’entérine pourtant l’actuel droit des sociétés. L’entreprise devrait devenir une communauté humaine créatrice de richesses afin de répondre aux besoins. De fait, elle inclut pleinement les salariés, de même qu’elle ne peut s’abstraire de ses liens avec les territoires. La notion de responsabilité sociale et sociétale de l’entreprise (RSE) est profondément liée à cette réalité. Ce n’est d’ailleurs pas le fait du hasard si la bataille idéologique du capital tente d’édulcorer par tous les moyens cette notion.
À l’inverse, se battre pour développer de multiples outils de maîtrise sociale des entreprises permet de donner un contenu transformateur à la notion de RSE. Cette bataille doit évidemment être menée au plan national. Elle a, bien sûr, une dimension européenne. Mais elle prend tout son sens et toute son efficacité si elle est ancrée dans les entreprises et tient compte de leurs caractéristiques spécifiques.
Des pôles publics devraient être constitués dans les filières stratégiques pour orienter les politiques d’investissements, de développement et de recherche. Leur forme ne pourrait être identique dans tous les secteurs puisque leur conception et leur organisation doivent coller au plus près de réalités diversifiées (caractéristiques de l’activité concernée, ampleur des participations publiques dans les principales entreprises, nature des liens avec les territoires, insertion dans les processus actuels de mondialisation, etc.). On ne peut, par exemple, raisonner de la même manière pour l’énergie, le ferroviaire, l’aérospatial, l’agro-alimentaire, la pharmacie ou la recherche. La palette des moyens qu’il est possible de mobiliser est vaste, on peut en dresser une liste indicative : nationalisations (tout particulièrement dans les services publics et certains grands secteurs stratégiques), prises de participations décisives, voire majoritaires, golden share (action décisive) dans des entreprises sensibles, créations de groupements d’intérêt économique (GIE) permettant aux entreprises de coopérer sur des projets ambitieux, constitution de coopératives par les salariés notamment parmi les PME ou les ETI (entreprises de taille intermédiaire) d’une filière, mobilisation de crédits bonifiés toujours conditionnés à la définition d’objectifs sociaux et environnementaux, etc.
La révolution numérique tend à bouleverser la logique-même des échanges, avec le partage possible des « coûts informationnels ».
Comme nous le disons depuis des années, nous n’en sommes qu’à ses débuts. Avec l’émergence du big data et de la production additive, elle est en train de connaître de nouveaux développements porteurs de nouvelles contradictions.
D’un côté, un nouveau modèle économique est en gestation, qui permettrait de partager les coûts de production de ces informations sur une échelle étendue tout en développant les capacités humaines.
À l’inverse, dans la mondialisation capitaliste et sous la pression des capitaux financiers transnationaux, ce processus est récupéré par les multinationales pour la maîtrise des marchés et la protection de leurs surprofits. En mettant en concurrence les salariés du monde entier et en saccageant l’emploi, elles développent la guerre économique mondiale, tout en accentuant l’insuffisance des débouchés. Elles sont ainsi à l’origine de la crise systémique.
D’où le défi de faire émerger une organisation nouvelle de partages des coûts à l’échelle mondiale, en établissant des coopérations étroites entre entreprises publiques au plan international, et cela dans la perspective de services et biens communs de l’humanité.
C’est dans cette logique d’ensemble que s’intègre l’objectif de relocalisation en coopération des productions. Il n’est pas anodin que cette question marque de plus en plus le débat économique et politique même si, dans la réalité, c’est encore la tendance aux délocalisations qui domine.
Cette approche ouvre des perspectives nouvelles pour un modèle productif rapprochant les lieux de production des lieux de consommation au plus grand bénéfice de la planète, des territoires et des populations concernés.
Si elle concerne les petites productions locales en favorisant les circuits courts pour limiter le poids des intermédiaires, elle est également pertinente pour les grands secteurs économiques. Si nous sommes capables de mener victorieusement la bataille pour la prise en compte des externalités négatives du modèle productif actuel la démonstration de son caractère néfaste peut être faite. Émissions de CO2 dues aux transports parasitaires, dumping social catastrophique, développement distordu des nouveaux pays producteurs, les dégâts que ce modèle provoque sont gigantesques.
Pas de contresens cependant, la relocalisation doit être conjuguée avec une vision ambitieuse des échanges internationaux pour un co-développement de toute l’humanité. Ils sont bien sûr irremplaçables pour tout ce qui ne peut être produit localement et qui est pourtant considéré comme utile. Mais cela va au-delà. Ils sont un lien entre les différents peuples de la planète. Ils doivent évoluer dans le sens de la coopération et non dans celui des règles actuelles de l’OMC. L’obligation de respecter des clauses sociales et environnementales pour réguler les échanges internationaux irait dans ce sens. Elle serait assortie de grands programmes de coopérations pour que tous les pays puissent se porter au niveau des clauses sociales et environnementales à respecter. Cette question est une revendication majeure du mouvement syndical mondial. Le non-respect de ces clauses devrait entraîner soit une interdiction d’entrée sur le territoire soit l’application d’une taxe anti dumping.
La réorientation et la refondation de la construction européenne qui sont au cœur de notre action pourraient permettre à cette dernière de devenir un acteur de dimension pertinente pour développer ce processus tellement nécessaire. Plus largement, l’Europe pourrait devenir un des vecteurs privilégiés du nouvel essor industriel indispensable.
Or, depuis 10 ans, la polarisation s’est accentuée entre l’Allemagne (ainsi que sa zone d’influence privilégiée) et les pays du Sud auxquels la France peut être désormais assimilée. Ce phénomène de polarisation menace l’Europe de désintégration, mine sa légitimité aux yeux des populations et affecte l’efficacité globale du système productif européen.
Il est donc essentiel de changer de logique pour mobiliser l’énergie, la créativité et les moyens des différents pays membres afin de faire converger les efforts pour répondre aux besoins des populations et faire face aux défis qui nous sont posés. Il y a urgence, car l’Europe toute entière risque de décrocher dans de multiples domaines décisifs pour son avenir (c’est notamment le cas dans la recherche et les technologies nouvelles).
Mais le nouvel essor industriel implique une rupture avec les dogmes étriqués de la « concurrence libre et non faussée », de la compétitivité par la baisse du coût du travail, de la rentabilité maximale des capitaux et des politiques austéritaires de la BCE qui constituent le socle de l’orientation économique et sociale de l’Union européenne.
La question des grands projets structurants reste plus que jamais d’actualité. Réussir la transition écologique dans une perspective de progrès humain, engager un effort majeur d’équipements pour se doter des réseaux interconnectés indispensables dans des domaines tels que le ferroviaire, le transport d’énergie, les télécommunications, la fibre optique, les nouvelles générations d’internet, le big data… sont autant d’objectifs qui répondent à des besoins massifs. Il en va de même en ce qui concerne les projets de motorisation propre des véhicules (notamment les bornes de rechargement rapides).
Face à ces enjeux il est donc vital de mettre enfin en chantier une politique industrielle européenne permettant de définir de grandes priorités en matière de recherche, de stratégies d’investissements, de soutien à des initiatives communes fondées sur une vision de long terme. Il est nécessaire que les firmes européennes puissent coopérer alors qu’aujourd’hui cette démarche est passible de sanctions pour « distorsion de concurrence ». Il est indispensable de refonder les traités aujourd’hui formatés par la logique du libre marché sans entraves.
L’ensemble des analyses et propositions que nous venons d’exposer sont autant d’outils pour l’action. Dans leur cohérence, elles constituent un projet. Mais c’est l’intervention des salariés, l’intervention populaire qui permettront de faire évoluer les rapports de force et de faire progresser la perspective de leur mise en œuvre.
Si cette bataille concerne bien sûr les syndicats, elle revêt une dimension proprement politique qui ne peut, pour l’essentiel, relever de leur fonction.
Les approches que nous défendons ici impliquent une orientation des pouvoirs publics, définissent des politiques économiques, sociales et environnementales, étayent une définition du pouvoir des territoires et impliquent d’instaurer des droits nouveaux pour les salariés. Elles sont également sous-tendues par une vision différente des relations économiques internationales et du rôle que devrait jouer l’Europe.
Dans tous ces domaines, des décisions politiques (législatives, réglementaires ou relevant de traités internationaux) sont indispensables.
Il y a donc besoin d’un PCF à même de porter à la hauteur de ces enjeux la bataille politique dans les entreprises.
La convention du mois de novembre nous fournira l’occasion de revenir sur l’importance de cette question. n
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Content de voir qu'on avance
Si le texte de la convention de novembre - manifestement co-écrit par de trop nombreuses mains pour rester cohérent - est trop flou et ronronnant pour aider vraiment à avancer, avec ce genre d'articles en revanche on voit vraiment que nous sommes en train d'avancer vers une nouvelle vision de notre avenir industriel, claire, entraînante et ancrée dans la réalité de notre temps.
Merci Alain !
Par Sébastien Elka, le 27 octobre 2014 à 07:15.