Alors que le scandaleux accord du 22 mars résultant de la non moins scandaleuse renégociation de la convention d’assurance chômage a été agréée par le gouvernement, les intermittents du spectacle et leurs organisations syndicales ont décidé d’amplifier la lutte à partir de propositions alternatives. Des propositions que ni les médias, ni le gouvernement n’ont choisi d’examiner sérieusement.
Économie et Politique propose donc de revenir sur ce conflit et de présenter ces propositions en donnant la parole Claude Michel de la Fédération nationale des syndicats du spectacle, de l’audiovisuel et de l’action culturelle-CGT.
Économie et Politique : Le mouvement des intermittents du spectacle occupe le devant de la scène depuis les négociations de la convention Unedic. Quelles sont les raisons de ce conflit ?
Claude Michel : Pour bien les comprendre, il faut faire un petit détour par l’histoire de ces négociations.
La CGT spectacle et ses syndicats militent depuis de nombreuses années pour une réforme en profondeur du système spécifique d’assurance chômage des salariés intermittents du spectacle, du cinéma et de l’audiovisuel (les annexes 8 et 10). Nous avons élaboré des propositions alternatives dont les premières remontent à 1993. Au terme de longues négociations avec la Fédération des Entreprises du spectacle vivant, de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma (Fesac), a été conclu en 2000 un accord professionnel inter-branches sur le dispositif spécifique d’assurance chômage des salariés intermittents du spectacle vivant et enregistré, qui devait contribuer aux discussions paritaires au sein de l’Unedic.
Mais sans autre forme de procès, le Medef a refusé d’en débattre. Le 26 juin 2003, après un simulacre de négociations et malgré le rejet quasi unanime des salariés concernés, le patronat (Medef, Cgpme et Upa) et 3 centrales syndicales minoritaires ont signé un protocole d’accord modifiant les annexes 8 et 10 qui a pris effet le 1er janvier 2004. Le 12 octobre 2006, la proposition de loi (PPL) sur l’assurance chômage des artistes du spectacle, du cinéma et de l’audiovisuel, initiée par « le Comité de suivi » pour remédier à la réforme calamiteuse des annexes cinéma-spectacle de juin 2003, n’a finalement pas été soumise au vote des députés à la suite d’un artifice du Président du groupe UMP, alors que les signataires de la PPL étaient très largement majoritaires dans l’hémicycle. Puis le 21 décembre 2006, le patronat et les 3 mêmes syndicats de salariés signataires du protocole de juin 2003 (Cfdt, Cftc et Cgc) signaient un nouveau protocole d’accord dont la déclinaison sous forme d’annexes 8 et 10 a reçu un agrément ministériel en avril 2007. Depuis lors, celles-ci ont été pour l’essentiel reconduites lors des conventions Unedic de février 2009 et de mai 2011.
C’est dans le cadre de cette offensive patronale sur la branche que la renégociation de la convention générale d’assurance chômage, son règlement et ses annexes (dont les annexes 8 et 10) s’est engagée en 2014. Et dans un contexte social marqué par l’aggravation des déficits de l’Unedic imputable à l’explosion de la précarité et du chômage.
Cette renégociation a donc atterri sur le protocole d’accord du 22 mars, ratifié par la CFDT, la CFTC, et il faut le noter par FO, avec les contenus que l’ont connait. Pour le régime général, une baisse du niveau d’indemnisation, un allongement des délais de carence avant indemnisation, une augmentation des cotisations salariales au régime d’assurance chômage. Pour le régime spécifique des intermittents du spectacle, un allongement du différé d’indemnisation, une hausse supplémentaire des cotisations sociales salariales (+2,4 %), un plafonnement du cumul revenu d’activité en cours d’indemnisation/indemnités de chômage et une application du principe des droits rechargeables qui pourrait rapidement enfermer les intermittents du spectacle dans le régime général.
Au total, si le patronat n’a pas atteint son objectif initial de 1 milliard d’économies sur les dépenses de l’Unedic, ces mesures se traduisent par une réduction de la dépense d’indemnisation des chômeurs de 635 millions d’euros, dont 135 millions seront imputables aux seuls intermittents, et une hausse des cotisations salariales de 170 millions d’euros, dont 55 millions pour les seuls intermittents. Lorsque l’on sait que les intermittents ne représentent que 4,9 % des chômeurs indemnisés et ne perçoivent que 3,6 % des indemnités, on mesure à quel point cet accord les a pris pour cible.
Ce protocole d’accord du 22 mars 2014 est donc bien un instrument de régression des droits à indemnisation des chômeurs, qui touche singulièrement les intermittents du spectacle. Ce qui est inacceptable.
écoPo : Votre lutte dure maintenant depuis plus de 4 mois. Or, le gouvernement a donné son agrément à la nouvelle convention chômage le 26 juin dernier. Ou en êtes-vous aujourd’hui ?
CM : Bien que le gouvernement ait validé l’accord du 22 mars, les intermittents restent mobilisés. Notre lutte monte en puissance et la période estivale va être un point d’orgue. D’autant que, si on est encore très loin de la victoire, la bataille que nous menons commence à donner quelques fruits.
D’abord, il faut souligner que beaucoup de personnalités de la culture, des directeurs de théâtres publics, de festivals, des élus locaux appuient notre démarche et nos revendications, et se sont positionnés contre cet accord du 22 mars.
Ensuite, il faut voir que, confronté à la pression, le gouvernement s’est vu contraint de bouger, et d’une certaine manière, de s’engager sur la possibilité d’une autre réforme de l’indemnisation chômage des intermittents. S’il a effectivement confirmé son agrément au nom du respect des « partenaires sociaux », il a été obligé de proposer la mise en place d’un groupe de concertation autour de « 3 sages » pour évaluer la pertinence et la portée des propositions alternatives de la plate-forme syndicale. Ce groupe de concertation piloté par H Archambault, J.-P. Gille et J.-D. Combrexelle pourrait alors faire évaluer par l’Unedic la solidité de nos propositions, ce que l’organisme a toujours refusé de faire, et les mettre au cœur d’une renégociation. Il s’agit donc d’une opportunité qui s’ouvre pour remettre en cause les régressions de l’accord du 22 mars et crédibiliser nos alternatives.
Enfin, il ne faut pas le bouder. Grâce à notre bataille, certaines dispositions de l’accord, comme l’allongement du délai de carence avant indemnisation, ne seront pas applicables avant la fin de la concertation. Et, cerise sur le gâteau, le Premier ministre a annoncé la sanctuarisation sur les 3 prochaines années des dépenses de l’État pour le spectacle vivant.
Mais promesse plus concertation ne valent pas négociation et remise en cause de l’accord du 22 mars et de l’agrément qui l’accompagne. C’est pourquoi nous avons introduit un recours au TGI de Paris pour négociation déloyale afin d’invalider l’accord et que nous irons si besoin est jusqu’au Conseil d’État. Et surtout que nous appelons les professionnels à utiliser toutes les formes de mobilisation jusqu’à la fin de la concertation en décembre 2014.
Reste que ces reculs montrent que la lutte est payante et qu’elle doit s’amplifier pour devenir gagnante. Ce qui suppose de maintenir l’unité du mouvement des intermittents, de ne pas se couper des spectateurs et du public et au contraire de les intégrer à notre combat, et enfin d’élargir notre lutte à tous les salariés du pays, qui sont aussi des chômeurs potentiels.
écoPo : Je voudrais revenir sur un point qui me semble pouvoir servir de base d’élargissement de la lutte. Ne peut-on pas considérer que le régime d’indemnisation des intermittents du spectacle constitue un point d’entrée pour la mise en œuvre d’une sécurité d’emploi ou de formation ?
CM : Dans leur principe, les annexes 8 et 10 permettent aujourd’hui aux salariés du spectacle de bénéficier d’une rémunération durant leur période de chômage entre deux contrats de travail, qui est aussi pour eux le moment où ils travaillent à des projets artistiques nouveaux. De ce point de vue, le mode d’indemnisation du chômage des intermittents est un outil qui permet d’assurer une phase de rotation active entre un emploi et un autre emploi avec maintien du revenu, ce qui constitue la base de ce que pourrait être une sécurité sociale professionnelle.
Mais on en est encore loin dans la pratique. D’abord, et c’est essentiel, parce que les contrats de travail des intermittents sont des contrats précaires. Or pour que la sécurité sociale professionnelle soit effective, il faudrait que ces contrats soient des CDI, c’est-à-dire que l’intermittence ne soit plus le socle de nos contrats. Ensuite, parce qu’il faudrait garantir un maintien des droits individuels et leur transférabilité entre deux emplois du salarié. Enfin, parce que cela supposerait la création d’un véritable service public de l’emploi et de la formation rénové et accessible à tous.
Reste que les propositions que nous portons pour une vraie réforme des annexes 8 et 10 de la convention d’assurance chômage vont dans ce sens.
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