Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Contre l’austérité, une autre création monétaire pour financer de nouveaux services publics

Les dégâts causés par la restriction des dépenses dans les services publics de l’éducation, de la santé, de la culture … déjà rendus fragiles par des décennies de troubles économiques constituent l’une des conséquences les plus angoissantes des politiques d’austérité. Ils sont aussi l’un des motifs les plus puissants de mobilisations populaires lorsque celles-ci trouvent la force de s’opposer à la course folle des politiques européennes vers toujours plus de soumission aux exigences des marchés financiers.

Agir contre l’austérité budgétaire, c’est être nécessairement confronté à la question d’un nouveau financement des services publics. La réponse qu’on peut lui apporter présente deux aspects : un financement sain des services publics nécessite une économie en bonne santé ; en retour, le développement des services publics est une condition du développement de l’économie.

Le financement des services publics combine, dans des proportions variables, deux types de ressources : les paiements des usagers et l’impôt. Dans les deux cas, le volume de ces ressources dépend des revenus perçus par les agents économiques. Les particuliers et les entreprises seront d’autant plus à même de consacrer une part de leur budget au paiement direct de leur accès à l’eau, à l’énergie, aux transports… qu’ils disposeront de revenus stables et d’un montant suffisant ; de leur côté, l’État, les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale pourront asseoir leurs prélèvements sur une assiette d’autant plus large que les richesses disponibles pour la consommation, les salaires, les bénéfices des entreprises connaîtront une évolution dynamique. En d’autres termes, plus la société dispose de travailleurs efficaces pour créer de la valeur ajoutée, plus il y a d’espace pour y prélever les ressources nécessaires au fonctionnement des services publics.

Une politique économique favorable aux services publics encouragera donc tout ce qui peut contribuer au développement des emplois qualifiés et à leur mise en œuvre efficace dans la production de biens, de services, d’informations répondant aux besoins sociaux dans le respect de l’environnement. Voilà un premier chemin par lequel l’objectif d’un développement de nouveaux services publics rejoint celui de la sécurisation de l’emploi et de la formation.

Un deuxième chemin est celui par lequel le développement des services publics exerce un effet sur la marche de l’économie. Cet effet s’exerce sur ce que les économistes appellent l’« offre » : des services publics efficaces et dynamiques (de bonnes infrastructures de transport et de communication, un système efficace de formation et de recherche…) améliorent l’efficacité d’ensemble du système productif.

Mais le développement des services publics est tout autant nécessaire pour soutenir la « demande » et compenser la tendance des nouvelles technologies à réduire les besoins en emplois et en moyens matériels de production.

En effet, le capitalisme financiarisé en crise manifeste une tendance permanente à la déflation. Les nouvelles techniques de traitement et de partage des informations permettent de réaliser une production donnée avec moins de travail et moins de moyens matériels. Les multinationales s’emploient à capter les gains d’efficacité ainsi réalisés en réduisant les emplois et en faisant pression sur les salaires. Pour combattre cette tendance, il faudrait développer d’autres activités répondant, non à l’exigence d’une rentabilité maximale du capital, mais au développement des capacités humaines et à la préservation des ressources naturelles. Seule l’expansion de nouveaux services publics permettrait de revitaliser durablement la demande, au-delà des limites de la consommation marchande et de l’investissement privé, tout en tirant tout le parti possible des gains d’efficacité liés à la révolution informationnelle.

Ce type de développement des services publics peut être assimilé à de véritables investissements. Par exemple, dépenser aujourd’hui pour rénover une école et embaucher des enseignants, c’est créer les conditions d’une plus grande création de richesses, avec des travailleurs bien formés, pour de longues années dans le futur. Ce type de projet justifie donc un financement à crédit, permettant de disposer immédiatement de moyens de paiement en anticipation de la création de richesses futures.

Mais où trouver les financements alors que les politiques publiques sont sous la pression permanente des marchés ? S’en remettre aux décisions des compagnies d’assurances, des fonds de placement, des fonds de pension, des multinationales et des banques qui souscrivent aux emprunts d’Etat, c’est demeurer sous l’emprise du seul critère qui guide les apporteurs de capitaux sur les marchés de titres financiers : la rentabilité capitaliste. La construction d’une nouvelle civilisation, axée sur le développement des capacités de tous les habitants de la planète, exige un nouveau mode de financement des activités économiques, particulièrement en ce qui concerne les services publics.

Il convient, dans ce domaine, de tirer parti d’une autre mutation dont toutes les conséquences sur le fonctionnement de nos sociétés n’ont pas encore été tirées : une révolution monétaire a commencé. La monnaie qui circule dans les économies modernes est purement symbolique : des billets en papier ou de simples écritures dans les comptes des banques. Jusqu’à une période récente, les banques et les banques centrales qui émettent ces signes monétaires étaient obligées de prouver à chaque instant qu’elles étaient capables de rembourser cette monnaie en or. Ce n’est plus le cas aujourd’hui ; la rupture ultime a eu lieu lorsque les Etats-Unis ont mis fin à la convertibilité du dollar en or, en 1971. Désormais, la création de moyens de paiement peut donc obéir entièrement aux critères décidés par les banques sous l’autorité des banques centrales. Aujourd’hui, ces critères sont ceux des multinationales et des marchés financiers, et ils sont au cœur des mécanismes de la crise. C’est bien pourquoi le moment est venu de les remplacer par de nouveaux critères d’efficacité économique, sociale et écologique. C’est précisément ainsi qu’on peut imaginer de rendre possible une nouvelle façon de créer des richesses et, corrélativement, un développement inédit des services publics.

Ainsi, plutôt que de lancer des emprunts sur les marchés de capitaux, les États et les collectivités publiques doivent pouvoir financer le développement des services publics en empruntant directement auprès de la banque centrale. Les nécessités de la crise ont conduit les grandes banques centrales du monde – Etats-Unis, Japon, Grande-Bretagne – à recourir à cette technique mais dans le seul but de sauver la mise des financiers, et non de développer les services publics. La Banque centrale européenne s’y refuse encore aujourd’hui, arguant de ce que les traités européens le lui interdisent ; mais elle pourrait, dès à présent, financer un fonds de développement économique, social et écologique européen moyennant l’intermédiation d’une institution financière publique comme la Banque européenne d’investissement.

De même, la politique monétaire devrait contribuer à réorienter le crédit bancaire. Les fonds prêtés par les banques centrales aux banques commerciales devraient l’être de façon sélective : si les crédits distribués par les banques servent à alimenter la croissance des marchés financiers, la banque centrale doit refuser de les refinancer. S’ils au contraire à l’appui de projets démocratiquement élaborés et contrôlés, favorables à la sécurisation de l’emploi, de la formation, de la recherche, à l’économie de ressources naturelles, ils doivent bénéficier d’un refinancement favorable, à un taux de 0 % par exemple.

La réorientation des crédits et, à travers eux, de l’ensemble des moyens financiers, vers des objectifs sociaux reposant sur le développement de nouveaux services publics est inséparable de l’exercice direct, par les citoyens, de nouveaux pouvoirs sur les décisions qui président aux investissements, publics et privés, et sur leur financement. Cela va du renforcement des pouvoirs des représentants des salariés dans l’entreprise à une nouvelle organisation du système monétaire international, mettant fin à l’hégémonie du dollar, en passant par le développement de nouvelles institutions au niveau régional (fonds régionaux pour l’emploi et la formation), au niveau national (développement d’un pôle financier public) et au niveau européen.

Le Fonds de développement économique, social et écologique européen précédemment cité, qui figure en bonne place dans le programme du Front de gauche et du Parti de la gauche européenne en constitue un exemple. Sa « gouvernance » décentralisée, donnant une place prépondérante aux Parlements nationaux, au Parlement européen, et à une faculté de saisine par les syndicats ou les élus locaux pour lui soumettre des projets concrets d’investissements et de développement des services publics, est un bon exemple de ce que pourrait être une refondation de l’Union européenne sous forme d’une confédération d’Etats nationaux et de peuples librement associés.

Concluons sur une dernière observation : ce fonds européen, les pôles financiers publics nationaux qui pourraient agir en liaison avec lui et avec des fonds régionaux, donnent une idée de ce que serait un nouveau service public du financement, indispensable au financement de nouveaux services publics…

Article publié dans la Lettre du réseau Ecole.

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