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La réforme du contrat de travail : précarisation ou sécurisation

le 29 November 2007

La réforme du contrat de travail : précarisation ou sécurisation

Dossier : « Modernisation du marché du travail » - Economie&Politique septembre/octobre 2007 Après l'échec du contrat première embauche (CPE) et face à la mise en cause très sérieuse du contrat nouvelle embauche (CNE) (notamment au plan juridique), Nicolas Sarkozy a fait de la « modernisation du marché du travail », une « condition impérative pour atteindre le plein emploi ». Il a défendu l'idée d'aller vers la création d'un « contrat unique » fusionnant tous les contrats existants dans le but affiché de lutter contre la segmentation du marché du travail. Sommaire

Ce « contrat unique » devait être un contrat à durée indéterminée (CDI) assorti de droits progressifs avec l'ancienneté (c'est-à-dire en réalité très faibles au début) et de procédures de rupture très allégées. Bref, cela revenait à généraliser le principe du Contrat nouvelle embauche (CNE). N. Sarkozy reprenait ainsi une idée mise en avant par Cahuc et Kramarz en 2004 dans leur rapport intitulé : « De la précarité à la mobilité : vers une sécurité sociale professionnelle ». Ce rapport tendait à donner un contenu social-libéral au mot d'ordre de « sécurité sociale professionnelle » de la CGT dont on sait qu'il est aussi influencé par l'idée de sécurité d'emploi ou de formation née dans les rangs du PCF. Cependant, le projet de « contrat unique » a soulevé de nombreuses protestations, largement dans les rangs syndicaux, mais aussi dans les rangs patronaux où l'on ne tient pas à voir disparaître brutalement la palette si variée des contrats précaires jusqu'au CNE. Habilement, Sarkozy n'a pas repris cette idée le 18 septembre devant l'Association des journalistes de la formation (AJIS), mais il a, par contre, beaucoup insisté sur l'idée de « rupture négociée », chère à Laurence Parisot. Il n'a pas hésité à faire part de son accord avec le principe de réexaminer la période d'essai à propos de la réforme du contrat. Du côté du patronat – MEDEF, CGPME, et UPA rassemblés – on se sent donc très fort pour avancer des propositions précises censées tout à la fois « répondre aux besoins des entreprises » et faciliter l'entrée dans l'emploi. Cela recouvre trois propositions : 1) L'allongement de la période d'essai avec un « CDI aménagé » : Actuellement le CDI est assorti d'une période d'essai de 1 à 6 mois. Le patronat propose de la porter de 3 à 6 mois. Elle serait, de plus suivie d'une « période de validation économique répondant à l'incertitude des entreprises ». Cette seconde période pourrait durer jusqu'à 18 mois, selon la CGPME, et permettrait à l'employeur de faire valoir des perspectives d'activité incertaines pour se séparer d'un salarié. Au total, la période probatoire imposée au salarié, avant de pouvoir bénéficier du droit commun, pourrait aller jusqu'à deux ans. On sait que c'est là la caractéristique du CNE, aujourd'hui réservé aux entreprises de moins de 20 salariés et très contesté jusqu'à l'Organisation Internationale du Travail (OIT) qui l'a déclaré, en quelque sorte, « hors la loi » eu égard aux règles du droit international. Seule différence : pendant les deux ans de mise à l'essai du CNE, le patron peut licencier le salarié dont il veut se séparer sans avoir à invoquer de motifs. 2) La mise en place d'un CDI « conclu pour la réalisation d'un projet précis » : Laurence Parisot dans son livre « Besoin d'air » l'avait déjà annoncé en parlant d'un « CDI de mission à rupture précausée ». Ce CDI « comporterait une clause prévoyant l'expiration du contrat lors de la survenance d'un événement précisément défini (réalisation de l'objet pour lequel il a été conclu) ». Ce contrat serait donc automatiquement rompu à la fin du projet ou de la mission, sans que cette issue soit datée à l'avance, le motif étant préalablement défini dans le contrat de travail, par accord des parties. Cette proposition vise à systématiser les dispositions aujourd'hui réservées au « contrat emploi export » prétendant « favoriser le développement des missions à l'exportation ». C'est un CDI d'au moins six mois soustrayant l'employeur aux règles du licenciement économique quand il doit licencier un de ses titulaires. C'est le cas aussi du contrat dit « de chantier » par lequel un employeur peut engager un salarié en lui indiquant, dès l'embauche, que le louage de services est exclusivement lié à la réalisation d'un ouvrage ou de travaux précis mais dont la durée ne peut être préalablement définie avec certitude. Le licenciement du titulaire d'un tel contrat est, dans tous les cas, un « licenciement pour motif personnel, et non économique ». La proposition de généralisation d'un tel CDI permettrait une flexibilité maximum pour l'employeur et le licenciement deviendrait beaucoup plus difficilement contestable devant un juge. 3) Le MEDEF propose enfin – sans le préciser – de simplifier les clauses obligatoires à faire figurer dans les CDD, lesquelles, comme on le sait, sont soumises à une réglementation rigoureuse. Notamment, ils ne peuvent être conclus que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire et doivent comporter des mentions obligatoires spécifiques dont l'omission donne droit à la requalification en CDI. Ces propositions du MEDEF, largement appuyées par l'Élysée, visent à placer les syndicats sur la défensive. La CGT a dénoncé dans un communiqué daté du 5 octobre le fait que le MEDEF « ne tient aucun compte des désaccords exprimés par les organisations syndicales sur la création d'un « CDI aménagé » et d'un « CDI conclu pour un objet précis ». Elle réaffirme le principe que la norme doit être le CDI et que le CNE doit être abrogé. Si on ne trouve aucune réaction précise de FO sur son site à propos de la question précise, la CFE-CGC, elle, condamne « les modalités de rupture du « CDI aménagé » et rappelle « sa profonde réserve à l'égard de cette proposition de modèle de contrat de travail dans la mesure où le modèle repose sur une notion qu'il est impossible de définir avec objectivité et de manière générique : l'étape de validation répondant aux incertitudes économiques de l'entreprise ». Et elle conclut sur le fait qu'il n'est pas question de « remettre en cause le pouvoir d'appréciation du juge prud'homal en plafonnant le montant des indemnités allouées ». La CGC dans ce communiqué n'aborde pas la question de la durée de la période d'essai ou celle du contrat de projet. Enfin, si la CFDT rappelle la nécessité d'abroger le CNE, elle se dit prête à « redéfinir la période d'essai » qui, dit-elle, doit être d'une « durée maximale raisonnable », non sans avoir précisé que cette période « n'a pas vocation à gérer l'incertitude économique des entreprises ». Mais elle ne se prononce pas de façon explicite sur la proposition du MEDEF de rajouter à la période d'essai rallongée une période de validation économique. Elle se prononce aussi pour « la rationalisation du nombre de contrats pour répondre aux besoins des entreprises » et demande qu'elle permette « de les rendre compréhensibles par les salariés ». Le gouvernement a donc été, en quelque sorte, obligé de reculer sur l'idée de « contrat unique » défendu par Nicolas Sarkozy pendant sa campagne présidentielle. Il cherche à contourner les oppositions en avançant de nouvelles propositions de précarisation du contrat de travail au nom, prétendt- il, des impératifs de la concurrence dans une économie de moins en moins prévisible. Cependant, avec le Medef, il se heurte à une convergence entre les syndicats pour refuser de nouvelles précarisations. Ceux-ci affirment ensemble, au contraire, l'exigence de principe de sécurisation et confirment leur attachement au CDI. Car c'est bien, pour l'heure, le besoin de sécurisation des salariés, enfermés dans une relation si asymétrique avec les patrons « donneurs d'emploi » qui semble constituer le principal ciment de ces convergences face aux tentatives d'intégration et de division. C'est ce ciment qu'il faut absolument aider à consolider en tentant d'apporter un appui politique à cette résistance syndicale face à la ligue des intérêts patronaux et de l'État qui prétendent qu'aucune alternative à leurs propositions n'est envisageable, alors même que le statu quo n'est plus tenable. Pour aider à relever ce défi, la maquette pour une proposition de loi de sécurisation de l'emploi et de la formation (Économie et Politique numéro 630 – 631) avance quatre pistes de contre-propositions : Première piste : convertir les contrats précaires en CDI Le CDI est d'autant plus menacé qu'il est cerné par la multiplication de formules de plus en plus précaires. Comment se solidariser dans les luttes pour l'emploi pour faire refluer ces formules précaires ? On mesure ici l'importance particulière d'aider à une véritable mobilisation publique pour l'abrogation du CNE et du « contrat senior ». Au-delà, c'est bien l'exigence d'une transformation graduelle en CDI de tous les autres contrats de travail qui devrait être avancée en écho à la critique par Sarkozy, lui-même, de la trop grande segmentation du marché du travail. Comment arriver à faire prendre en main l'idée de pourcentages de conversion obligatoire, selon les branches, tous les ans ou encore celle de pénalisation, par accroissement des prélèvements d'indemnisation chômage et du prélèvement formation continue pour les contrats précaires et atypiques ? Des jonctions nouvelles sont à chercher avec le mouvement syndical sur ces questions. Lors de la réunion au cours de laquelle le patronat a présenté ses options sur le contrat de travail, les syndicats auraient proposé : l'abrogation du CNE (mais pas du « contrat senior ») l'instauration d'un bonus - malus sur les allégements de cotisations sociales consentis aux entreprises en fonction de leurs pratiques plus ou moins vertueuses en matière de la précarité. Deuxième piste : le CDI, lui-même, doit être renforcé Le moment est opportun et l'espace existe pour faire grandir l'exigence d'une extension considérable des protections qui entourent le CDI, en particulier celles concernant les licenciements, et cela dès les premières années. Dans quelle mesure la question de la période d'essai ne devrait-elle pas être traitée en relation étroite avec la nécessité d'insérer le CDI dans un processus de sécurisation comme l'avance la maquette pour une proposition de loi de sécurisation de l'emploi et de la formation ? Cela concerne plus particulièrement : l'affiliation automatique de chaque résident, après l'âge de fin d'obligation scolaire, à un service public et social de sécurisation de l'emploi et de la formation. le soutien par ce service d'un statut de sécurisation et de promotion des travailleurs. Troisième piste : la sous-traitance, les discriminations à l'emploi La colère face au traitement scandaleux des salariés de la soustraitance, comme à propos du plan Power 8 avec Airbus, de la construction navale, ou encore de l'industrie automobile, comme la protestation grandissante contre les discriminations à l'emploi (de genre, de génération, d'origine ethnique ou géographique) constitueraient aussi des points d'appui pour la bataille de réforme du contrat. Quatrième piste : l'hypothèse de « contrats de pluri-activité » Le contexte actuel pourrait être propice à l'avancée de l'idée d'expérimenter un nouveau contrat de pluriactivité et de sécurisation emploi-formation avec l'appel à de nouveaux types de groupements d'employeurs. De tels contrats, qui seraient maintenus avec le passage des travailleurs concernés d'une entreprise à une autre, d'une entreprise à une institution de formation continue jusqu'à un retour à un nouvel emploi, ne seraient-ils pas la bonne riposte à l'expérimentation en cours des contrats de transition professionnelle (CTP) ? Ceux-ci sont conçus pour ouvrir la voie aux principes de séparabilité avancés par le patronat, moyennant une sécurisation misérable et ne conduisant pas nécessairement à l'emploi et à l'essor des qualifications, mais ouvrent grande la voie au déclassement et à la dévalorisation salariale. Yves Dimicoli Membre du Comité Exécutif National