Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Du droit à la formation au pacte d’irresponsabilité patronale

Suite à l’ANI du 14 décembre 2013, ratifié par 8 organisations syndicales et patronales, sauf la CGT et la CGPME, une réforme de la formation professionnelle présentée par le gouvernement a été actée par le Parlement.

Réforme très attendue dans un contexte de chômage de masse et de mobilité professionnelle accentuée, elle aurait pu être consensuelle compte tenu des enjeux qu’elle porte. Elle ne l’a pas été. Les dispositions du texte soumis au débat parlementaire n’ont pas été à la hauteur des enjeux. Le droit d’opposabilité a été marginalisé. Le rythme d’acquisition des droits à formation est resté collé au temps effectif de travail des salariés, réduisant d’autant les droits réels des travailleurs précaires et à temps partiel. Le temps de formation maximum est resté de 150 heures, largement en deçà de la réalité des besoins. Enfin, le texte législatif entérine une réduction de 2,5 milliards d’euros de la contribution patronale au financement de la formation professionnelle et ouvre la possibilité d’y déroger en cas d’accord dentreprise.

Fondamentalement régressive parce qu’arrimée à la recherche de compétitivité par la réduction du coût du travail, cette réforme de la formation professionnelle contribue au mouvement de déresponsabilisation sociale des entreprises en la matière engagées depuis le début des années 2000. Elle ne répond pas aux défis de l’adaptation des capacités humaines face à la révolution informationnelle et technique à l’œuvre, et ne dessine donc pas de voies pour une sortie de crise.

Partie I : Le droit à la formation, entre employabilité et citoyenneté

Ce droit est rattaché au 13e alinéa du préambule de la Constitution de 1946 : « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à la formation professionnelle ».

C’est pourquoi il a vocation à soutenir des objectifs diversifiés : insertion, réinsertion et maintien dans l’emploi, mais aussi développement de compétences, promotion, reconversion ainsi que le développement économique et culturel, la lutte contre l’illettrisme et l’apprentissage de la langue française, les formations des bénévoles et service civique des coopératives, mutuelles et associations ou encore, selon le projet de loi de 2014 sur l’égalité professionnelle, la promotion de la mixité, la sensibilisation à la lutte contre les stéréotypes sexistes et pour l’égalité professionnelle.

Il est donc à l’origine moins conçu dans une perspective de fonctionnement du marché de l’emploi que dans une optique de progrès social associé au développement spirituel des membres de la société. Aujourd’hui, il faut bien reconnaître que l’intérêt des salariés à la formation tend plutôt à être absorbé par la sécurisation de l’emploi, moins marchande mais moins citoyenne aussi.

L’édification du système, de l’obligation de financer à celle de mutualiser

Il faudra attendre l’accord national interprofessionnel (ANI) du 9 juillet 1970 et sa transcription dans la loi du 16 juillet 1971 pour que cette ambition soit traduite dans un droit, déjà à la fois négocié et légiféré, de la formation professionnelle à partir d’une obligation de financement patronal.

La gestion du financement a d’abord été confiée à l’employeur pour organiser des formations à son initiative (plan de formation), sous la menace d’une obligation fiscale si un plancher légal de dépenses n’est pas atteint.

Il a évolué avec l’avenant du 21 septembre 1982 créant le congé individuel de formation (CIF). Réservé aux formations à l’initiative du salarié, son financement, patronal, est mutualisé au sein d’un organisme paritaire collecteur agréé (OPCA), de manière analogue à celle des assurances sociales, en une nouvelle fraction de salaire socialisé. L’ANI du 26 octobre 1983 confirmait la démarche avec la création de formations des jeunes en alternance, ensuite étendues aux demandeurs d’emploi (aujourd’hui contrats et périodes de professionnalisation).

Aussi, la contribution est ventilée en même temps qu’elle augmente. Des fractions sont différenciées par dispositif, qui sont autant de voies alternatives d’accès à la formation en fonction de l’initiative du projet et soumises à des conditions et modalités différentes. Elles sont aussi différenciées par leurs modalités de gestion, soit par l’employeur, soit dans le cadre de la mutualisation et du paritarisme. L’intervention de l’OPCA peut être obligatoire (CIF), ou au choix de l’employeur (plan de formation). La contribution peut être répartie entre plusieurs organismes car chaque OPCA est agréé pour un ou plusieurs dispositifs spécifiques. Ils peuvent ainsi prendre une dénomination différente (OPCA, FAF, FONGECIF, etc.) et être constitués sur une base interprofessionnelle et régionale ou par secteur d’activité. Par exemple, l’entreprise est souvent affiliée à la fois à un FONGECIF régional interprofessionnel pour la gestion du CIF et à un OPCA de branche pour la gestion des autres fonds. Enfin, le taux de la contribution varie selon l’effectif de l’entreprise – une obligation de mutualisation totale sera créée pour les entreprises de moins de 10 salariés (ANI du 3 juillet 1991) – et selon la nature du contrat, une contribution spécifique étant dédiée à la formation des CDD.

Une dernière étape parachèvera l’effort de mutualisation avec la création par l’ANI du 7 janvier 2009 du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), qui succède au fonds unique de péréquation, dont les missions principales sont la péréquation entre organismes collecteurs des contributions en fonction de leurs besoins de financement et le soutien financier à leurs actions sur des priorités déterminées (par exemple l’insertion des jeunes par les contrats de professionnalisation, la qualification des salariés en chômage partiel, la lutte contre l’illettrisme, etc.), par appel d’offres.

En outre, de nombreux autres financeurs interviennent, en complément, pour assurer des prestations gratuites ou pour des publics et politiques spécifiques : l’État, les Régions, le Fonds social européen ainsi que Pôle emploi, l’AGEFIPH, le Fonds national de l’emploi, etc.

La formation au service de la promotion : une œuvre inachevée

La loi du 4 juillet 1990 relative au crédit-formation a consacré le droit à la qualification professionnelle : « Tout travailleur engagé dans la vie active ou toute personne qui s’y engage a droit à la qualification professionnelle et doit pouvoir suivre, à son initiative, une formation lui permettant, quel que soit son statut, d’acquérir une telle qualification. » La loi du 24 novembre 2009 a renforcé cette proclamation en y ajoutant le droit de « progresser au cours de sa vie professionnelle d’au moins un niveau ».

La qualification évoquée s’entend de compétences attestées, c’est-à-dire reconnue par un titre inscrit au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), dans une grille de classification de conventionscollectives ou par un certificat de qualification professionnelle (CQP) établi par les commissions paritaires nationales de l’emploi de branche et compilé par la Commission nationale de la certification professionnelle. Toutefois, aucune modalité ni sanction ne sont jamais véritablement venues le garantir de manière générale, ce qui aurait permis de donner une assise à un droit d’accéder effectivement à une formation consistante.

Une obligation de former en quête de consistance

Le droit français a mis longtemps à entreprendre cette mutation. Seul existe, depuis 1983, un droit spécifique après le retour d’un congé parental. C’est la Cour de cassation qui s’engagera, en 1992, sur cette voie, en découvrant dans l’obligation civiliste d’exécuter le contrat de bonne foi une obligation de l’employeur d’assurer « l’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois ». Elle sera légalisée par la loi du 19 janvier 2000 sous deux formes : des obligations spéciales liées au droit au reclassement et une obligation générale autonome. La loi du 4 mai 2004 a modifié l’objet de cette obligation en une adaptation « des salariés à leur poste de travail », complétée par l’obligation, plus large, de veiller « au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations ».

Cette rédaction a produit ses effets progressivement à compter de 2007 jusqu’à permettre, en 2013, de sanctionner judiciairement non seulement l’absence de formation à l’occasion d’une évolution affectant le poste, mais encore à affirmer que tout salarié doit bénéficier d’au moins une « formation permettant de maintenir sa capacité à occuper un emploi au regard de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations ». Elle doit être réalisée dans le cadre du plan de formation, indépendamment de l’utilisation par le salarié de ses droits au DIF ou au CIF, et à l’initiative de l’employeur, sans qu’il puisse être reproché au salarié de ne pas l’avoir réclamé. L’absence de toute formation sur une longue période, de 12 à 20 ans dans ces affaires, permet ipso facto de constater la faute de l’employeur. Utilisée de manière indemnitaire, cette règle a aussi vocation à être mobilisée en vue d’une injonction de former.

Le cheminement d’une épargne individuelle collectivement garantie

Le Droit individuel à la formation : première tentative

Le Droit individuel à la formation (DIF) a été créé par la loi du 4 mai 2004 à la suite de l’ANI du 5 décembre 2003. En même temps étaient également créées les périodes de professionnalisation, en faveur du maintien de l’emploi des salariés en CDI relevant de catégories considérées comme fragiles, et les contrats de professionnalisation, CDD aidés réservés aux jeunes et aux demandeurs d’emploi.

Nouveau dispositif d’accès à la formation, aux côtés du plan de formation (à l’initiative de l’employeur) et du CIF (à l’initiative du salarié), le DIF se voulait destiné aux formations « à l’initiative du salarié avec l’accord de l’employeur ». Il ne s’agissait pas d’un droit individuellement opposable mais d’un crédit individuel automatiquement augmenté chaque année d’emploi (20 heures par an en base temps plein et année complète), sous réserve d’un plafond légal (120 heures). L’autre innovation viendra de l’ANI du 11 janvier 2008 et de la loi du 25 juin 2008 créant la « portabilité » ou « transférabilité » : ce crédit peut être utilisé à l’occasion de la rupture du contrat (en préavis, à Pôle emploi ou auprès du nouvel employeur). Ces règles restaient assorties de nombreuses limites malgré le renforcement de la portabilité par l’ANI du 7 janvier 2009 transcrit dans la loi du 24 novembre 2009.

Mais le DIF n’a pas eu l’effet escompté : seuls 5,2 % des salariés ont utilisé leur crédit en 2011, pour une durée moyenne d’une vingtaine d’heures et sans effet de réduction des inégalités d’accès (CEREQ, 2013).

Le jugement n’est pas meilleur sur l’ensemble de la formation continue : si l’objectif de financement est satisfait, un nombre important d’employeurs dépassant leur obligation fiscale (volontairement ou par le biais d’accords de branche), l’objectif d’accès à la formation souffre de carences en termes de volume, de qualité et de répartition – notamment à l’égard des salariés les moins qualifiés, des jeunes sortis du système scolaire sans diplôme, des demandeurs d’emploi et des salariés employés dans les plus petites entreprises.

Les piliers d’un Compte personnel de formation

C’est dans ce contexte qu’intervient la création d’un Compte Personnel de Formation (CPF), avec l’ambition affichée de proposer une version améliorée du DIF, qu’il remplacerait. Elle a été posée dans le cadre de l’ANI du 11 janvier 2013 et de la loi dite « de sécurisation de l’emploi » du 14 juin 2013, autour de quatre caractéristiques générales.

  •  Il est « universel ».

Entre une conception civique, par l’âge, et une conception utilitariste, par le rapport au marché de l’emploi, la loi ne tranche pas : un compte est ouvert à la double condition d’avoir 16 ans (15 en cas d’apprentissage) et une condition professionnelle entendue comme l’emploi, la recherche d’un emploi ou une démarche d’insertion. Réciproquement, il est clos au moment de la liquidation de la retraite, y compris en cas de cumul emploi-retraite dans lequel le travail est ramené à sa pure dimension pécuniaire. Par rapport au DIF, il présente l’avantage d’inclure les contrats en alternance.

  • Il est « intégralement transférable en cas de changement ou de perte d’emploi ».

Son titulaire garde le même compte, et son solde, quel que soit son parcours. Là encore, le principe est limité : il ne vise que la conservation des droits acquis, non l’acquisition de nouveaux droits strictement liée à l’emploi salarié, et leur utilisation n’est pas organisée pour la Fonction publique ni le travail indépendant. En revanche, cette utilisation est garantie en cas de chômage ou de changement d’emploi salarié.

Un autre aspect mis en avant est la comptabilisation en heures, contrairement à la « monétisation » dans le cadre de la portabilité du DIF : le crédit reste comptabilisé en heures de formation au lieu d’être traduit dans une somme allouée pour payer le prix d’une formation. Mais, en réalité, l’utilisation de ces heures fera bien l’objet d’une valorisation en euros, permettant, en plafonnant la prise en charge, de réguler les tarifs du marché de la formation.

  • Il est « individuel ».

C’est-à-dire que chaque personne bénéficie d’un compte, et qu’il doit être mobilisé à l’initiative de son titulaire ou au moins avec son accord exprès, comme le DIF.

  • Il est conçu pour être associé à des prestations de conseil et d’accompagnement qui trouvent leur place dans la relation, toujours assez faible, entre formation et évolution.

Il est en effet lié au nouveau « conseil en évolution professionnelle » qui sera délivré, dans le cadre du service public de l’orientation confié aux Régions, à toute personne par les FONGECIF, Pôle emploi, l’APEC, les Cap emploi, les Missions locales et d’autres organismes désignés par les Régions. Il est gratuit pour les usagers, sans financement dédié (il pèsera donc sur les fonds des organismes concernés). Son harmonisation doit être assurée par un cahier des charges national.

Afin de ne pas transférer entièrement ce rôle sur le service public, une obligation est aussi créée à l’égard des employeurs, à la place des différents entretiens de formation empilés sans cohérence ni mise en œuvre effective depuis 2003. L’« entretien professionnel », sans condition d’effectif, est « consacré à ses perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d’emploi » et distinct des évaluations. Il a lieu au moins tous les deux ans, et à l’issue de diverses interruptions pour raisons familiales (congé de maternité, parental d’éducation, y compris à temps partiel, de soutien familial, d’adoption), personnelles (congé sabbatique, arrêt longue maladie), professionnelles (période de mobilité volontaire sécurisée) ou syndicales (mandat syndical). Cet entretien s’inscrit même dans la perspective d’une forme primitive de droit à l’évolution professionnelle, dans les entreprises d’au moins 50 salariés : tous les 6 ans d’ancienneté, il faudra aussi dresser l’inventaire individuel des actions de formation, des augmentations de salaire et/ou progressions professionnelles et de l’acquisition d’éléments de certification (formation ou Validation des acquis de l’expérience ou VAE). Si le salarié n’a pas bénéficié d’au moins deux des trois mesures, et des entretiens professionnels, une pénalité est organisée sous la forme d’un abondement au CPF, dont l’utilisation est opposable à l’employeur. La teneur de ces entretiens doit être formalisée par écrit dont une copie est remise au salarié.

Partie II : Une « réforme » ou la marche vers l’irresponsabilité patronale en matière de financement

La fixation de règles précises était renvoyée à une autre négociation nationale interprofessionnelle, en parallèle d’une concertation quadripartite incluant Etat et Régions, qui s’est conclue par la signature de l’ANI du 14 décembre 2013 (à l’exclusion de la CGT et, pour le patronat, de la CGPME).

Cette double démarche s’explique par la décentralisation de la formation, que la loi Larcher sur la procédure de loi négociée n’avait pas anticipée. Elle se retrouve dans les dispositions de la réforme relatives à la gouvernance : la formation devient un sujet transversal de législation et de réglementation, de gestion paritaire et/ou négociée, de tripartisme (état-négociation) et de quadripartisme – si ce n’est de multilatéralisme, engageant d’autres acteurs tels que Pôle emploi, l’AGEFIPH, etc. Les procédures articulent ainsi souvent les légitimités (publique et négociée) et les niveaux (central et décentralisé ; de branche et interprofessionnel).

Une loi « relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale » du 5 mars 2014 transcrit cet ANI, au terme d’une procédure accélérée. Les décrets nécessaires devraient être rapidement adoptés. Seules seront présentées ici les dispositions relatives au CPF et au financement de la formation, qui doivent entrer en application au 1er janvier 2015.

Les principales critiques, du point de vue de l’intérêt des salariés, portent sur la diminution de la participation des grandes entreprises à l’effort national de formation, critiquable en soi mais aussi au regard de ses conséquences sur l’accès à la formation des salariés des TPE-PME, et sur la consécration de droits essentiellement virtuels, faute d’un financement garanti ; la principale déception porterait, elle, sur le rendez-vous qu’on pressent manqué avec la mise en œuvre d’un droit à la qualification et à la promotion opposable aux employeurs ainsi que sur l’éviction du lien avec le salaire. Ainsi, le caractère intégralement transférable sur toute la carrière du CPF ne doit pas tromper : nombre de mécanismes manquent pour qu’il puisse être regardé comme un outil de sécurité sociale professionnelle. Enfin, il faut encore noter que l’équilibre des changements opérés n’est pas satisfaisant : la montée en puissance du droit d’initiative du salarié par le CPF s’accompagne d’un recul de la responsabilité des employeurs en matière d’employabilité au travers de la liberté conquise par le patronat sur le plan de formation. Si l’obligation de dépenser est sérieusement atténuée, l’obligation de former, elle, n’est toujours pas franchement d’actualité.

Les conceptions du CPF à la table des négociations

Le dispositif négocié s’est forgé à partir de trois conceptions que l’on peut résumer ainsi :

1. Une répartition entre les trois dispositifs à raison de leur objet (Medef) : l’adaptation aux évolutions du poste et le maintien de la capacité à occuper un emploi incombant à l’employeur (plan de formation) ; l’évolution et la promotion professionnelle dévolue au salarié dans le cadre du CIF ou, lorsqu’elle tend à une qualification correspondant en outre aux besoins de l’économie prévisibles à court ou moyen terme ou à l’acquisition du socle de compétences, dans le cadre de son CPF.

2. Une différenciation du CPF par ses modalités d’utilisation (CGT) : il serait l’instrument de la formation autonome, libre pour le salarié, contrairement au plan de formation laissé entre les mains de l’employeur et au CIF qui dépend des fonds et priorités de l’organisme paritaire. Un fléchage ne pourrait intervenir dans l’utilisation du CPF que comme condition d’un abondement par un tiers co-financeur (Pôle emploi, Région, employeur, etc.). Cette conception a été rapidement écartée.

3. Un CPF dont le champ dépendrait des résultats de l’action de formation (CGT-FO). Le CPF serait réservé à l’acquisition d’une qualification soit supérieure (promotion) soit différente (reconversion) sanctionnées par un titre dans une logique de « compétences attestées » ; l’utilisation du CPF serait réciproquement conditionné par un engagement de l’employeur de reconnaissance de cette qualification dans l’emploi.

Le dispositif retenu résulte du rapprochement de cette dernière avec la première.

Les modalités retenues : plus de droits, moins d’initiative

Un crédit réservé à l’acquisition de compétences attestées et/ou prioritaires

Si le compte est personnel et individuel, il n’est pas pour autant d’utilisation libre. La conception retenue s’oppose à ce que le compte soit un outil de formation autonome mais aussi à ce qu’il soit orienté par les financeurs et employeurs vers des actions peu pertinentes ou non attestées. Cette conception se traduit par une logique de fléchage (conception utilitariste de la formation au regard du « marché » et de « l’emploi »). Mais ce fléchage est défini dans un cadre collectif et négocié, et non par l’employeur, ni par le financeur.

Dans la logique du droit à la qualification, sont d’abord éligibles les actions sanctionnées par un titre reconnu. La sélection diffère toutefois sensiblement de celle du droit à la qualification. Elle est limitée au RNCP et aux CQP, sans inclure les grilles de classification des conventions collectives ; sont en revanche incluses d’autres certifications inscrites à l’inventaire de la Commission nationale de la certification professionnelle. Dans une logique différente, sont aussi admises, sans référence à la sanction de la formation, celles concourant à l’accès à la qualification des personnes à la recherche d’un emploi et financées par les Régions et Pôle Emploi et l’AGEFIPH.

Mais les formations répondant à ces conditions ne sont pas automatiquement éligibles. Elles doivent aussi avoir été sélectionnées, sur la base d’une exigence légale de correspondance avec les évolutions prévisionnelle du marché de l’emploi, sous forme de listes établies par des organismes déterminés :

‒ par branches, pour les salariés en emploi (Commission paritaire nationale de l’emploi de la branche de l’entreprise ou, à défaut, par un accord collectif conclu dans le cadre de l’OPCA de l’entreprise) ;

‒ par régions (Comité paritaire régional de la formation professionnelle et de l’emploi de la région où travaille le salarié, s’il est en emploi, ou de celle dans laquelle il est domicilié, dans le cas contraire) ;

‒ et nationales (Comité paritaire national de la formation professionnelle et de l’emploi).

Enfin, il y a été ajouté des actions éligibles en raison de l’objectif de formation, et non de leur sanction ni de leur lien avec le marché de l’emploi : celles donnant accès au socle de connaissances et de compétences (évoqué par l’ANI de 2009, à définir par décret) et celles permettant l’accompagnement à la VAE créé au cours des débats parlementaires pour la préparation du dossier et de l’entretien.

L’alimentation du compte : plus, plus vite et plus transversale

L’amélioration du système d’épargne

Le CPF améliore le DIF à deux titres. Les confédérations syndicales ont arraché l’augmentation du plafond de 120 à 150 heures, selon un rythme décroissant. Les débats parlementaires ont permis d’accélérer le rythme d’accumulation : 24 heures par an en base temps plein/année complète jusqu’à 120 heures puis 12 heures par an jusqu’à 150 heures.

Puisque le CPF remplace le DIF, le solde du crédit de ce dernier acquis au 31 décembre 2014 restera utilisable sur une période transitoire de 6 ans, dans le cadre des règles du CPF, seules ou en complément des heures de CPF que le salarié aura commencé à accumuler dès le 1er janvier 2015.

La diversification des sources d’approvisionnement

Il est paradoxal de réserver le CPF à des formations répondant à des objectifs plus exigeants tout en conservant un plafond, même porté à 150 heures – la CGT évalue à 600 heures en moyenne la durée d’une formation qualifiante. C’est pourquoi dès l’origine a été prévu un mécanisme d’abondement, ou plus exactement trois, qui permettent tous de dépasser ce plafond.

Les deux premiers obéissent à une logique de contractualisation qui renforce le fléchage. Elle peut résulter d’une négociation individuelle : le bénéficiaire doit convaincre un financeur ‒ employeur, OPCA, FONGECIF, FPSPP, Pôle emploi, AGEFIPH, Régions ou état – d’abonder un projet de formation déterminé, sauf à abonder lui-même son compte, y compris par tirage sur son compte de prévention de la pénibilité. La contractualisation peut aussi prendre la forme d’un accord d’entreprise, de branche ou conclu dans le cadre d’un OPCA définissant les formations éligibles et publics prioritaires, « en particulier » ceux concernés par une qualification insuffisante, des facteurs de pénibilité, des emplois menacés ou à temps partiel.

L’abondement par l’employeur est favorisé par la prise en compte des sommes ainsi utilisées au titre de sa contribution à la formation, ainsi que, pour les personnes concernées, de la contribution à l’AGEFIPH. De plus, ce sujet devient obligatoire dans le cadre des négociations de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences pour les entreprises et groupes qui y sont soumis (seuil de 300 salariés).

Le troisième abondement, réservé aux entreprises de 50 salariés et plus, est différent : l’abondement, de 100 heures pour les temps plein et 130 pour les temps partiels, lié à l’entretien professionnel répond à une logique de pénalité.

La transversalité des usages du crédit

Une autre évolution permet de réaliser une action plus ambitieuse que ne le permet le plafond : l’articulation du CPF avec un autre dispositif de formation.

Déjà, avec le droit à la formation initiale différée, sous la forme d’un retour en formation initiale sous statut scolaire, consacré par la loi du 8 juillet 2013 « pour la refondation de l’école de la République ». Cette durée de formation sera « mentionnée » au CPF des jeunes de 16 ans sortis du système éducatif sans diplôme d’un niveau au moins CAP-BEP, et pourra être utilisée dans le cadre du CPF. Un décret est attendu au printemps.

Ensuite, le CPF est articulé avec les périodes de professionnalisation qui peuvent « abonder » le CPF du salarié. Pour ce faire, ces dernières sont refondues : elles sont désormais ouvertes à toute personne en CDI, en CDD lié aux politiques de l’emploi ou de formation et en contrat unique d’insertion, et non plus limitées à certains publics fragiles déterminés ; les formations éligibles sont plus ou moins mises en adéquation avec celles du CPF.

Enfin, plus largement, il est inscrit que « peuvent être mobilisés en complément du compte les autres dispositifs de formation auxquels son titulaire peut prétendre ».

La controverse sur cette question porte essentiellement sur le risque d’absorption du CIF par le CPF. Le malaise est attesté par le fait de ne pas avoir, contrairement à la professionnalisation, organisé l’articulation du CIF avec le CPF ; pourtant, cette possibilité est posée de manière indirecte dans le texte relatif au financement des heures mobilisées par les salariés en emploi, assuré de manière dérogatoire par le FPSPP lorsque « le salarié mobilise son compte personnel de formation à l’occasion d’un congé individuel de formation ». De surcroît, l’articulation des différents dispositifs est également modifiée : elle revient à celle de 1982, avec une distinction binaire entre formations à l’initiative de l’employeur (plan de formation) ou à l’initiative du salarié (CIF et CPF) – outre les périodes et contrats de professionnalisation. Certes, les modalités d’utilisation du CPF renforcent l’initiative du salarié, par rapport au DIF. Mais elles sont loin d’être garanties, en particulier pour les salariés en emploi à l’égard de leur employeur. C’est l’inverse du CIF, dont la réalisation ne dépend en définitive que du financement du FONGECIF. De plus, on a beau jeu d’évoquer l’initiative du salarié dès lors que celle-ci s’inscrit dans une conception utilitariste de la formation, dont le fléchage lui échappe. Ainsi, le CIF demeure plus proche du modèle du « droit de tirage », dans une conception émancipatrice, tandis que le CPF est lié au modèle de la contractualisation, d’un compromis entre souhaits d’évolution et demande sur le marché du travail.

Enfin, quant au plan de formation, il est exclu que le CPF puisse être articulé avec les formations correspondant à l’obligation de former. Restent les formations facultatives que l’employeur peut inscrire au plan, de développement des compétences ou de lutte contre l’illettrisme. Le salarié y trouverait une contrepartie à l’engagement de son crédit individuel : la loi a étendu l’obligation de l’employeur de prendre, pour ce type de formations, un engagement de reconnaissance dans l’emploi, simple obligation de moyen, auparavant limitée au cas où l’action était réalisée hors temps de travail.

L’utilisation du crédit : un premier pas timoré vers un droit opposable

Pour un titulaire en emploi, un choix lui est proposé : soit obtenir l’accord de l’employeur, soit réaliser son projet entièrement en dehors de son temps de travail sans rémunération. Par rapport au DIF, la réalisation du projet outre l’accord de l’employeur est mieux assurée (elle était conditionnée par un refus sur deux exercices consécutifs et l’accord du FONGECIF sur le financement de l’action, assujetti à un simple droit de priorité) mais le salarié perd le droit à une allocation de formation. Des améliorations sont toutefois prévues en termes d’opposabilité à l’employeur, pour les formations liées à l’acquisition du socle de connaissances et de compétences, à l’accompagnement à la VAE ainsi que pour l’utilisation des heures issues de l’abondement de pénalité lié à l’entretien professionnel. Enfin, les accords de branche, d’entreprise ou de groupe pourront prévoir d’autres cas d’opposabilité.

Pour un demandeur d’emploi, à l’inverse, l’utilisation du compte est opposable car « réputé validé au titre du projet personnalisé d’accès à l’emploi ». Dans la limite des formations éligibles et de son crédit, le travailleur recouvre ici une certaine autonomie. Seule l’insuffisance des heures du compte, rendant nécessaire un abondement, suppose l’accord de Pôle emploi ou du conseil en évolution professionnelle.

La prise en charge des frais de formation, à hauteur du nombre d’heures acquises, varie aussi. En emploi, elle sera assurée en principe par l’OPCA ou, à condition de conclusion d’un accord d’entreprise, par l’employeur, et sauf utilisation au soutien d’un CIF : c’est alors le FPSPP qui le finance. En recherche d’emploi, c’est dans tous les cas le FPSPP qui finance.

Précisément, ces différentes améliorations en termes de droits ne peuvent être appréciées qu’à l’aune de leur financement.

La réforme du financement patronal, révélatrice d’un marché de dupes

C’est un autre aspect important et indissociable de la réforme. L’organisation en trois contributions dédiées, à taux variable selon trois classes d’effectif et collectées par deux organismes collecteurs (sauf pour les plus petites entreprises) est simplifiée par une contribution unique à un unique OPCA, variable selon un seuil unique. En définitive, le changement ne concerne que les entreprises d’au moins 10 salariés – si ce n’est que, en échange de la réduction de la participation des plus grandes entreprises, le champ de la mutualisation entre TPE est passé d’une gestion par branche à une gestion au niveau national interprofessionnel. Par ailleurs, le FPSPP ne sera plus financé par un prélèvement sur les fonds des OPCA mais directement par une fraction dédiée de la contribution unique de l’employeur. Des simulations contradictoires ont animé les séances de négociations. En tout état de cause, on peut observer une diminution du taux global de la contribution obligatoire.

De manière originale, les conflits sur ce point se sont cristallisés au sein de la délégation patronale. Si l’UPA s’est finalement ralliée au Medef, après avoir obtenu une mutualisation interprofessionnelle pour les TPE, la CGPME a refusé de signer l’accord, après avoir mené une guerre ouverte au sujet de la suppression de la contribution dédiée au plan de formation dans les entreprises de 10 salariés et plus : elle considère que les entreprises qu’elle représente ne sont pas outillées pour mener une politique de formation autonome et ont besoin de la mutualisation, horizontalement (entre PME) comme verticalement (par les transferts opérés des grandes entreprises vers les PME au sein des OPCA).

En effet, un affaiblissement de la participation à la mutualisation des entreprises d’au moins 10 salariés peut être observé et résulte de deux facteurs.

Le CPF fait l’objet dans ces entreprises d’un financement dédié de 0,20 %, en principe mutualisé. Un système équivalent à celui qui s’appliquait au plan de formation est toutefois institué : l’employeur peut gérer ces fonds, sous réserve de respecter un volume minimal légal. Mais avec une différence de taille : l’usage de cette faculté d’échapper à la mutualisation est conditionné par la conclusion d’un accord d’entreprise. Cette condition ouvre, pour ceux dont l’employeur souhaite cette gestion directe, la possibilité d’une négociation donnant-donnant en contrepartie de dispositions favorables sur le taux de la contribution, les abondements, leur fléchage et l’opposabilité de l’utilisation du compte. Mais si cette équation peut être profitable aux salariés de l’entreprise concernée, elle se fait au détriment de la mutualisation, en particulier du financement du CPF des autres salariés, notamment des TPE-PME. On est assez loin de la proposition de la CGT d’une gestion non seulement paritaire mais encore interprofessionnelle et nationale.

Le reste de la contribution (0,80 %) doit être versé à l’OPCA, qui la ventilera entre les dispositifs et organismes, en fonction du cadre fixé par la loi et son futur décret.

La ventilation négociée montre la diminution drastique de la part dédiée au plan de formation pour les entreprises d’au moins 10 salariés. L’objectif mis en avant par le gouvernement, conformément aux vœux du Medef, est de faire sortir ce dispositif de l’obligation fiscale, c’est-à-dire du volume minimum légal. Mais contrairement à l’ambition affichée, aucune règle ne vient garantir une obligation de former. Il est donc misé sur le volontariat des entreprises, dans un esprit « d’investissement » et de « gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ». Seules garanties collectives : une obligation nouvelle de négocier, à partir de 300 salariés (sans obligation de conclure) et l’ancienne obligation de saisir les élus du personnel (à titre consultatif). Les employeurs ont donc conquis ici un nouvel espace de liberté et d’autonomie, entreprise par entreprise.

Comme pour la loi de sécurisation de l’emploi, il est difficile de formuler une appréciation sur les changements à venir. à la liberté des acteurs est sacrifiée la prévisibilité des effets de la loi, ce qui n’est pas sans soulever des difficultés lorsque cette liberté est située dans une relation de pouvoir et que les conditions d’une négociation à armes égales ne paraissent toujours pas assurées. Quant à la volonté des employeurs de sacrifier les contingences économiques immédiates au progrès social par la formation, qu’on nous permette d’y accorder autant de crédit qu’à celle de promouvoir la « démocratie sociale » sur les décisions de gestion. Si les modalités du DIF évoluent incontestablement dans un sens positif, la progression de la formation à l’initiative du salarié est corrélative de la déréglementation de la formation à l’initiative de l’employeur. Au sein des dispositifs à l’initiative du salarié, le CPF traduit en outre une progression sensible de la conception utilitariste de la formation, qui apparaît liée au processus de re-marchandisation du travail déjà dénoncé au sujet de la loi de sécurisation de l’emploi. En tout état de cause, l’objectif d’un droit à la formation universel, individuel, garanti collectivement et émancipateur ne paraît pas encore à même d’être atteint, y compris en faisant abstraction de la problématique du financement. Même plus modestement, l’œuvre jurisprudentielle de progression d’une obligation de former n’a pas été jugée digne d’être poursuivie, pas plus que l’organisation des modalités de mise en œuvre effective d’un droit à la promotion professionnelle. Enfin, la réforme du financement qui s’est imposée en échange de la mise en œuvre des nouveaux dispositifs convenus en 2013 laisse penser que l’objectif de réduction du coût du travail n’est pas loin, quoiqu’elle soit radicalement antinomique des ambitions affichées.

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