Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Contre l’austérité et pour une autre coopération en Europe, luttons pour un autre euro

La colère contre l’austérité ravageuse monte de partout en Europe, mettant en accusation la faillite des dirigeants qui ont soutenu la soumission aux exigences des marchés financiers.

On comprend le besoin d’un changement fondamental, radical.

Mais cela contribue aussi à la montée de propositions alternatives de fausse radicalité comme celle d’en finir avec l’euro.

Face aux propositions d’extrême droite et de gauche de sortir de l’euro, nous proposons au contraire la radicalité véritable d’un autre euro pour le progrès social et démocratique.

La colère contre l’austérité ravageuse monte de partout en Europe, mettant en accusation la faillite des dirigeants qui ont soutenu la soumission aux exigences des marchés financiers. Le chômage est très important et frappe de façon brutale et massive les jeunes. Le rôle actuel de l’euro et de la BCE participe évidemment aux politiques favorisant les marchés financiers contre la croissance, l’emploi et les services publics dans la zone euro.

On comprend le besoin d’un changement fondamental, radical, à cet égard. Mais cela contribue à la montée de propositions alternatives de fausse radicalité comme celle d’en finir avec l’euro.

Cependant, comme l’ont confirmé les Grecs eux-mêmes et notamment le président du parti de la gauche radicale Syriza, le refus de sortir de l’euro est majoritaire. Nous ne voulons pas rester isolés face aux marchés financiers et à la spéculation.

Face aux propositions d’extrême droite et de gauche de sortir de l’euro, comme celle d’Alberto Bagnai qui se réclame de la démocratie, nous proposons, au contraire la radicalité véritable d’un autre euro pour le progrès social et démocratique. Nous rejoignons d’ailleurs ainsi les formations politiques nationales du Parti de la gauche européenne, et notamment le président de la Syriza grecque, Alexis Tsipras, réclamant une autre politique de la Banque centrale européenne.

Cela s’oppose à la politique d’austérité de François Hollande en France prétendant par ailleurs que la crise de l’euro est finie, comme à celle des autres pays de l’Europe du Sud.

Le reniement de Hollande qui avait promis, « s’il était élu président », de « réorienter la BCE », de s’attaquer à la finance, et de « défendre la croissance » est d’autant plus nocif que la France, à la fois dominée et dominante dans l’Union européenne, occupe une place charnière pour transformer la zone euro avec les pays du Sud. Il se plie devant les exigences d’Angela Merkel et de la finance allemande.

Mais agiter l’idée de sortir de l’euro revient surtout, selon moi, à fuir devant les luttes décisives et convergentes nécessaires pour une toute autre utilisation de l’euro et de la Banque centrale européenne.

Alberto Bagnai dans son livre Il Tramonto dell’Euro de 2012 pose la question de l’éventuelle sortie de l’euro réalisée avant la parution de son livre, tout en pensant que ce ne serait pas encore le cas. Mais l’euro reste bien en place en 2014.

En réalité sortir de l’euro est largement une illusion démagogique et simpliste. Et sinon, ce serait nocif et dangereux pour plusieurs raisons importantes.

La dette publique a été largement internationalisée depuis les années 1980. Ainsi la dette publique française est détenue à environ 60 % par des opérateurs non-résidents, banques, sociétés d’assurance, fonds de pension.

Ainsi la question a été posée de savoir si le retour de l’euro aux monnaies nationales ne pourrait pas entraîner un renchérissement des dettes publiques, que certains ont même pu déjà estimer à 25 % pour les titres de dettes publiques françaises détenus hors de France.

Bien sûr, on oppose à cette augmentation éventuelle la fameuse lex monetae, dont parle aussi Alberto Bagnai, c’est-à-dire le droit d’un pays souverain de libeller les emprunts en monnaie nationale. Mais aussi, on néglige le jeu des rapports de forces économiques sur les marchés au-delà du droit, pour ne pas parler des recours éventuels auprès de tribunaux étrangers, mis en avant par certains juristes, comme Hubert de Vauplane en France. Les détenteurs de dettes publiques qui étaient conclues en euros mèneraient une grande bataille sur tous les plans.

Et, en tout cas, exprimés en monnaie nationale, les intérêts des dettes pourraient bondir sur les marchés, alors qu’ils absorbent déjà des sommes très considérables.

Et s’il y avait, en fait, au plan des marchés internationaux de change, une dévaluation des monnaies nationales par rapport aux rapports de l’euro, il y aurait un renchérissement des importations obligées comme le pétrole, alors que plusieurs pays européens souffrent de déficits du commerce extérieur comme la France. Et si l’on prétend qu’avec une dévaluation de fait les exportations augmenteraient beaucoup pour plusieurs pays, on ne voit pas que, dans ce cas, ce serait le scénario noir de la surenchère entre dévaluations compétitives et rétorsions protectionnistes qui pourrait faire s’entre-déchirer les pays européens. Ce sont les politiques d’austérité contre la croissance européenne qu’il faut mettre en cause, avec les luttes pour la relance d’une croissance de progrès social que permettraient précisément un autre euro et une autre utilisation de la BCE de façon solidaire.

C’est pourquoi la raison la plus importante de ne pas sortir de l’euro, c’est qu’en sortant de l’euro, on déserterait le terrain de la bataille pour un autre euro et pour une construction solidaire de l’Union européenne, au mépris d’une nouvelle croissance possible fondée sur le développement des peuples contre les politiques d’austérité et, notamment, sur l’aide aux pays d’Europe du Sud. On passerait à côté d’une opportunité historique pour changer la situation économique et sociale en Europe. Une nouvelle politique solidaire dans l’Union européenne s’appuierait sur la force de la monnaie que peuvent créer la BCE et le Système européen de Banques centrales, rendues plus autonomes, avec des contrôles démocratiques nouveaux. Alors que chaque pays européen dispose, isolément, d’un potentiel restreint, la création monétaire en commun, avec l’euro, offre des potentiels bien plus importants car elle est assise sur la capacité de production de richesses et la créativité de plus de 320 millions de personnes.

Appuyons-nous sur l’échec social de la construction actuelle de l’euro non pour régresser par rapport aux besoins de changements audacieux et de solidarité entre Européens, mais pour un nouveau type de croissance et de développement, avec une nouvelle création monétaire. Pourquoi se priver de ce que fait la Federal Reserve des États-Unis pour soutenir les dettes publiques et le crédit bancaire, avec sa création monétaire considérable ? Pourquoi ne pas faire mieux qu’elle et autrement sur le plan social et solidaire ?

Alberto Bagnai souligne l’opposition depuis 1980 entre la faiblesse de l’inflation et la hauteur du chômage. Mais il faut aussi souligner le contraste entre le gonflement des intérêts et des actions des entreprises, comme en France, à l’opposé de l’importance du chômage.

Alberto Bagnai, dans son livre sur la disparition de l’euro, Il Tramonto dell’Euro, p. 237, affirme : « Un autre euro n’est pas possible. » Mais comme le disait Nelson Mandela : « Cela semble toujours impossible… jusqu’à ce qu’on le fasse. »

Notre collègue Bagnai, à mon avis, met en avant pour cette impossibilité un faux dilemme entre dit-il « sauver l’euro » ou « sauver les européens de l’euro ». Cela ne répond pas à la question. Et il est question d’un autre euro précisément pour contribuer à sauver les peuples européens de l’austérité ravageuse et du chômage massif durable.

Je propose, avec d’autres économistes, deux grands axes, pour un autre euro et une autre BCE de coopération et de démocratie pour le progrès social dans la zone euro.

– Le premier axe concerne les dettes publiques.

À partir de la protestation qui enfle dans tous les peuples de l’Union contre l’austérité et le sabordage des services publics, exigeons que la BCE finance directement un très grand essor des services publics et de leur coopération en Europe. Pour cela, chaque pays émettrait un montant à définir de titres de dette publique affectés socialement, rachetés par la BCE. L’argent serait attribué à un Fonds social solidaire et écologique de développement des services publics européens, géré démocratiquement, par exemple par des délégués du Parlement européen, des parlements nationaux, des syndicats, des services publics. Ils le répartiraient entre chaque pays proportionnellement à ses besoins estimés.

Ce type de Fonds a été proposé par le Parti de la gauche européenne. Déjà, la Banque centrale européenne a été contrainte, malgré ses dogmes, de racheter des dettes publiques européennes, quoique de façon non ciblée socialement. Et en septembre 2012, Mario Draghi a dû déclarer que la BCE se porterait acquéreur de dettes souveraines de manière illimitée. Et ainsi au début de 2014, l’Espagne, l’Italie et la Grèce se financent sur les marchés à des taux considérés comme acceptables ou soutenables.

– Le deuxième axe concerne le crédit bancaire.

À partir des luttes pour l’emploi et les salaires, contre le rationnement du crédit pour les PME, exigeons que la BCE refinance des crédits bancaires à long terme nouveaux. Pour les investissements matériels et de recherche des entreprises, les taux d’intérêts des refinancements seraient très abaissés, à 0 % et en dessous, c’est-à-dire des réductions de remboursement, d’autant plus que ces investissements programmeraient plus d’emplois et de formations, dont la réalisation serait vérifiée.

Ces taux très abaissés et affectés de refinancement de la BCE ainsi qu’un Fonds contre les risques de non- remboursement, seraient accompagnés de contrôles publics nouveaux des banques, voire de certaines nationalisations, contre la spéculation, les profits bancaires excessifs et pour d’autres relations aux entreprises. Cela doit permettre que des crédits à bas taux et sélectifs socialement des banques puissent effectivement intervenir.

Bien sûr, tout cela demande des rassemblements et des mobilisations politiques, idéologiques, syndicaux importants ainsi que des luttes difficiles et percutantes.

Enfin, last but not least, sur le terrain mondial, si l’on supprime l’euro, il ne resterait plus que le dollar comme monnaie de réserve internationale. Son hégémonie mondiale en serait renforcée. La création monétaire du dollar permet d’ailleurs aux États-Unis de financer leur domination économique, culturelle et militaire. La Chine, la Russie, des pays latino-américains veulent s’émanciper de cette domination par la promotion d’une monnaie commune mondiale à partir des Droits de tirage spéciaux du FMI. Cette proposition est avancée aussi en France dans le programme du Front de gauche « l’Humain d’abord ! » pour une affectation sociale novatrice de la création monétaire dans un FMI démocratisé. Mais si l’euro disparaît, comment peser dans une négociation mondiale en alliance avec les pays émergents, contre le dominateur commun américain et pour un autre FMI ?

Ainsi, une autre utilisation de l’euro, au lieu de sa disparition, peut contribuer de façon décisive, non seulement à une autre croissance de progrès social dans l’Union européenne, mais à un changement fondamental sur le plan monétaire, économique et social dans le monde. n

 

 

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