Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Dossier Europe : Premier axe : De nouveaux objectifs sociaux Contre l'Europe libérale, pour une véritable Europe sociale

Rompre avec l’Europe libérale et construire par les luttes une véritable Europe sociale est désormais impératif.

Cela exige d’autres objectifs qu’un « marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » et qu’une seule compétitivité reposant sur la flexibilité à la baisse du coût du travail et des « charges » sociales fondée sur la déflation salariale et des droits sociaux.

Il faut une grande ambition pour l’Europe. Il s’agit, non de régresser par rapport à l’ancien modèle social européen, mais de progresser. C’est pourquoi nous proposons un système européen de sécurité d’emploi ou de formation, un SMIC européen, une relance des services publics en coopération.

  • Pour une charte progressiste des droits sociaux fondamentaux dans l’Union européenne

  • Vers un SMIC européen

  • Contre l’austérité, une relance des services publics

  • Pour une sécurisation de l’emploi et de la formation commune aux Européens, contre la « flexicurité »

  • Nos propositions alternatives : Vers une sécurisation de l’emploi et de la formation partout dans l’Union européenne

Pour une charte progressiste des droits sociaux fondamentaux dans l’Union européenne

Elle devrait constituer une impulsion pour une harmonisation et un développement par le haut des droits sociaux et non une régression par rapport aux législations les plus avancées.

Cela concernerait :

  • Une durée légale du travail afin de ne pas tendre à appliquer partout la durée moyenne du travail de 48 heures dans beaucoup de pays.
  • Le développement des services publics de l’emploi (formation, reclassement) et non pas un droit restrictif à l’accès à un service de placement. Le droit formel à obtenir un emploi, choisi, correctement rémunéré.
  • La fixation d’un salaire minimum dans chacun des pays de l’UE afin d’empêcher la concurrence destructrice et la fuite en avant dans la baisse des coûts salariaux. Vers un salaire minimum européen. Une augmentation générale des salaires serait fondée sur la garantie et le relèvement du salaire minimum, avec des Conférences annuelles sur les salaires et le pouvoir d’achat au plan régional, chiffrées.
  • Une autre conception de l’efficacité s’appuyant sur le développement de la formation, de la qualification, de l’implication des salariés à partir du développement des ressources humaines, des droits sociaux partout dans l’Union européenne, et non simplement renvoyer aux législations et pratiques nationales ou au droit de l’Union.
  • Le droit à la sécurité sociale c’est aussi un droit d’obtenir des moyens convenables d’existence si on est dans l’incapacité de travailler, un droit à un revenu minimum.
  • Le droit effectif à la retraite doit être reconnu avec des conditions dignes de remplacement du salaire par la retraite. Une action conjointe de tous les salariés et retraités dans l’UE, en relation avec la CES, le Comité de protection sociale, le Comité économique et social… pourrait permettre de revendiquer partout le principe de la retraite par répartition, au lieu des montages incertains et dangereux des fonds de pension.
  • Pour la santé il faut sortir du seul droit d’accéder à la prévention et aux soins médicaux mais, au contraire, garantir effectivement un niveau élevé de la santé, travailler ensemble à des convergences de progrès des systèmes de santé, sortir des réformes régressives pour des réformes permettant de développer l’efficacité sociale des systèmes de santé. Il faut refuser les dispositions du traité de Lisbonne qui organisent le démantèlement des services publics de santé ou des hôpitaux publics. L’impulsion pour un niveau élevé de la santé partout en Europe imposerait d’aller au-delà des législations et pratiques nationales, très en retard dans beaucoup de pays.
  • Le Comité de protection sociale européen devrait pouvoir impulser effectivement des convergences de progrès, il devrait être rapproché des mouvements sociaux et des élus. Le Comité économique et social devrait être branché effectivement sur les forces sociales, les élus, les citoyens.
  • Une véritable égalité hommes-femmes, en matière de formation initiale (abolition de la division sexuelle des filières scolaires et universitaires), de salaire, de formation continue, d’accès à l’emploi, de développement des salaires et de la promotion des femmes, pour une réelle conciliation vie professionnelle/vie familiale impliquant aussi les hommes.
  • Une nouvelle politique familiale en Europe réaffirmant l’importance des dispositifs démographiques permettrait d’augmenter la population active (réellement employée) et d’assurer le financement de la protection sociale et notamment des retraites. La contribution des femmes à l’augmentation de la population active est décisive.
  • On peut encore largement augmenter le taux d’activité des femmes en le rapprochant de celui des hommes, ce qui impliquera une augmentation de l’offre de formules de garde des enfants.
  • Un droit effectif à une bonne sécurité sociale. Une protection sociale développée et rénovée, une harmonisation vers le haut et non une régression. Il faut créer des compétences nouvelles pour un essor. Il faut impérativement de nouveaux financements (en relation aussi avec d’autres critères du crédit et des aides publiques).
  • Il faut avancer vers la conquête de pouvoirs d’intervention des salariés sur les gestions, depuis les entreprises et les services publics jusqu’au niveau des Comités d’entreprise européens, bien au-delà de simples droits d’information et de consultation.

*   *

Vers un SMIC européen

Il faut mettre en cause l’exigence de « concurrence libre et non faussée » sur tous les marchés, dont celui du travail, et les pratiques d’exonération des cotisations sociales patronales poussant à la baisse du coût salarial de l’emploi.

Le SMIC en Europe : une situation contrastée

L’exigence d’un salaire minimum européen progresse fortement. De nombreux États demeurent dépourvus de minimum légal : Autriche, Chypre, Finlande, Italie, mais aussi Danemark et Suède, dont ultra et sociaux-libéraux vantent le modèle de « flexicurité ». Six pays membres de l’Union européenne (France, Benelux, îles britanniques) ont un salaire minimum mensuel dépassant les 1 000 euros.

Cependant, d’énormes disparités existent entre les États membres de l’Union européenne dotés d’un minimum légal : de 1 921 euros au Luxembourg à 174 euros en Bulgarie, soit un écart de 1 à 11.

SMIC en Allemagne : le patronat et la droite contraints et forcés

Toutes les forces de gauche sont interpellées en Europe, comme en atteste le fait que le SPD, en Allemagne, se soit rallié au principe d’un salaire minimum et, poussé par les exigences populaires, en a fait une condition de sa participation à une « grande coalition » avec Merkel.

C’est précisément parce qu’il s’agit d’un compromis avec la CDU, et le patronat, que ce salaire minimum ne sera institué qu’au 1er janvier 2015  à hauteur de 8,50 euros bruts de l’heure seulement, soit, d’ici un an, à un niveau inférieur de plus de 5 % au niveau actuel du SMIC horaire français (9,43 euros). Et sa revalorisation ne sera pas annuelle, comme en France, mais pluriannuelle.

De plus, 2 millions de travailleurs pourraient ne pas en bénéficier, comme le laissent craindre les estimations de l’institut socio-économique WSI, placé auprès de la fondation allemande Hans-Böckler, proche des syndicats. En effet, le gouvernement allemand pourrait céder aux revendications d’une partie de la CDU/CSU et du patronat qui demandent que des dérogations soient appliquées pour certaines catégories d’employés et, en particulier, tous ceux qui occupent un emploi « pour améliorer leur quotidien », tels les étudiants et les retraités. Ainsi, 37% des travailleurs pauvres pourraient en être exclus.

Ainsi, si le gouvernement de grande coalition en Allemagne sociaux-libéraux du SPD comme libéraux de la CDU, attachés aux dogmes de la concurrence libre et non faussée a été néanmoins contraint d’adopter un salaire minimum en Allemagne, que, jusqu’ici, ils avaient refusé, il se prononce pour des modalités qui continueront de faire pression à la baisse des législations nationales les plus avancées.

Le Parti de la gauche européenne (PGE), qui rassemble des partis communistes comme le PCF et d’autres formations se réclamant de la transformation sociale, se prononce, lui, pour la mise en place d’un «salaire minimum européen égal à au moins 60% du salaire moyen national». Cela équivaudrait, pour la France, à 1 600 euros bruts, au lieu de 1 350 euros.

*   *

Contre l’austérité, une relance des services publics

Mettre en cause le dogme de la « concurrence libre et non faussée » et la logique du traité de Lisbonne

Il faut absolument changer de paradigme et rompre avec la logique du traité de Lisbonne.

Il maintient l’exigence de « concurrence libre et non faussée », de libre prestation de service et de libre établissement (logique Bolkestein) et ajoute (article 129 du traité consolidé sur l’Union) que les États membres agissent « dans le respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ».

Il consacre les notions de « service d’intérêt général » (SIG) et de « service d’intérêt économique général » (SIEG), ouverts aux privés, au détriment de celle de service public pris en charge par la puissance publique ou par des entreprises publiques fonctionnant selon une autre logique de gestion que la rentabilité financière. Ces notions mettent en cause l’idée même de service public et non privé. Elles traitent ce qui relève de l’intérêt général comme des exceptions au marché, la concurrence « libre et non faussée » pour le profit étant la règle.

Ces missions, dites d’intérêt général, peuvent être assumées par des entreprises privées ou privatisées avec un cahier des charges limitatif nommé « servitudes » (article 93 de la version consolidée du traité sur l’Union) compensées par des subventions. On sait que ce cahier des charges se transforme en peau de chagrin dès qu’il se trouve confronté aux exigences de rentabilité financière des capitaux privés. Et la Commission européenne persiste à vouloir libéraliser les SSIG, (services sociaux d’intérêt général) les considérant en général comme des « activités économiques » au sens des articles 43 et 49 des traités CE.

Couronnant le tout, l’article 123 du traité consolidé sur le fonctionnement de l’Union consacre la règle d’interdiction faite à la BCE et aux banques centrales nationales d’accorder des découverts aux États et d’acquérir directement des obligations d’État dès leur émission. C’est cet interdit qui oblige les États à se refinancer sur les marchés financiers, alors qu’il faudrait absolument s’émanciper de leur domination.

C’est donc une renégociation de tous les traités européens qu’il s’agit de se donner pour horizon afin que les luttes et les rassemblements pour réorienter la construction européenne arrivent à créer les rapports de force sur des idées et des propositions permettant de la refonder.

En rabougrissant ou démantelant les services publics, ce sont les ressorts mêmes de la croissance en Europe que l’on met durablement en cause. Les politiques d’austérité minent la demande. Mais, en dégradant gravement l’efficience des services publics, elles s’opposent aussi aux progrès de la productivité globale pourtant permis par la révolution informationnelle. Au total, c’est la demande publique et l’offre productive qui, ensemble, sont minées, tandis que les besoins sociaux et culturels des populations demeurent sévèrement insatisfaits.

Contre l’austérité et la mise en cause des dépenses publiques, des emplois et des services publics. Pour une relance des services publics

Depuis plus de trente ans, les cadeaux somptueux faits aux grands groupes et aux plus fortunés sous forme de remises, exonérations, allégements d’impôts et de cotisations sociales ou, encore, sous forme de subventions et transferts divers, ont fait perdre de considérables recettes publiques aux États, aux collectivités territoriales, aux systèmes de protection sociale. Ils ont aussi encouragé des comportements de gestion des entreprises et des patrimoines qui, en réduisant et précarisant l’emploi, minent sans cesse la base même des prélèvements publics et sociaux.

Simultanément, les dépenses nécessaires pour répondre aux besoins de développement des capacités humaines (santé, éducation, recherche…) n’ont cessé de croître sous la pression des exigences de la révolution informationnelle, du changement des modes de vie, des nécessités de protection de la planète et, inséparablement, sous la pression des luttes populaires.

Enfin, les dépenses servant à corriger quelque peu les dégâts sociaux engendrés par les gestions de rentabilité financières des grandes entreprises et des banques ont aussi augmenté avec l’aggravation de la crise systémique. Cette conjonction a nourri les déficits publics et l’accumulation des dettes publiques.

Les dirigeants européens se sont accordés pour limiter, dans chaque pays, déficit et dette publics annuels à 3 % et 60 % du PIB respectivement. Cela a eu pour conséquence d’accentuer les restrictions au détriment des services et de l’emploi publics. De partout a été enclenché un « effet boule de neige » des dettes avec la conjugaison d’une double tendance au ralentissement de la croissance réelle et au maintien de taux d’intérêt réels relativement élevés. C’est dans ce contexte qu’en 2008 la crise financière mondiale, partie des États-Unis, est venue choquer durement la zone euro. Au bout du compte, les dettes publiques en zone euro ont considérablement augmenté, dans le même temps où, avec le chômage massif, la croissance piquait du nez.

La part des richesses produites accaparées par les prélèvements financiers, qu’ils aient pour origine le service des dettes publiques et privées ou le versement de dividendes aux actionnaires, s’est envolée. Mais elle est venue buter rapidement sur la part des richesses produites prélevées pour financer les services publics et la protection sociale. Aussi, les dirigeants de la zone euro se sont-ils acharnés à réduire cette dernière, afin de garder la confiance des marchés financiers. Tout cela n’a fait qu’accentuer les difficultés. Le saccage des services publics, la destruction, de l’emploi public avec les privatisations, ont fait chuter la demande et freiner la croissance réelle jusqu’à la plongée, derrière la Grèce, de toute la zone en récession. Les recettes d’impôts et de cotisations sociales ont donc chuté, perpétuant en l’aggravant le poids des déficits et dettes publics (1).

Tirée par la demande internationale, la zone euro a, semble-t-il, commencé à sortir de la récession, mais très lentement et sur une trajectoire de croissance durablement ralentie, écrasée par un chômage sans précédent. Surtout, elle se présente, désormais, fragmentée avec, d’un côté, les pays les plus développés de l’ancienne zone mark, autour de l’Allemagne, et, de l’autre, les pays d’Europe du Sud dont les retards de développement et d’efficacité font saillir les besoins, au contraire, d’une forte expansion des services publics pour y faire progresser toutes les capacités humaines.

Il n’y a pas d’avenir dans ce chemin-là. De nouveaux épisodes de crise paroxysmiques sont en préparation dans l’accalmie précaire de la conjoncture actuelle de l’Europe qui s’enferme ainsi dans le statut d’homme malade du monde, accentuant l’insuffisance de la demande et la suraccumulation mondiale de capital.

Il y a à cela une raison fondamentale : la faiblesse de la demande en zone euro, notamment pour les services publics, alors que progresse fortement la productivité du travail avec les technologies informationnelles, entraîne l’explosion du chômage qui, avec le ralentissement de la demande salariale, fait redoubler l’insuffisance des débouchés et exacerbe la guerre économique. Simultanément, le surplus grandissant, engendré par les économies de travail de la révolution informationnelle, alimente la spéculation, les sorties de capitaux et les prélèvements financiers, alors qu’il pourrait servir de base pour une relance des services publics et de la protection sociale.

Il en résulte des perspectives si dégradées du point de vue de la croissance que l’investissement matériel lui-même pique du nez et n’arrive pas à se redresser : en 2012 et 2013, selon les statistiques de la BCE, il a reculé de 3,9 % et 3 % respectivement en zone euro. Simultanément, la révision en baisse des projets de recherche et développement (R&D) et des formations accentue les retards de toute la zone par rapport aux États-Unis et au Japon. Se développe ainsi une situation de surcapacités et d’obsolescence des capacités productives existantes qui rend encore plus vulnérable la zone euro et tend à la confronter à des pénuries systématiques de main-d’œuvre qualifiée dès lors que la croissance repart un peu.

Cela souligne l’absolue nécessité d’une relance massive et concertée des dépenses de services publics (santé, éducation, recherche, logement social, transports…) pour répondre aux besoins et aussi soutenir tout à la fois la croissance de la demande et celle d’une autre productivité.

Développer les services publics en coopération

Tout de suite, il faut décréter un moratoire sur toutes les suppressions d’emplois publics, ainsi que sur toutes les déréglementations engagées (santé, énergie, transports, courrier…). Cela doit permettre une évaluation générale des processus de libéralisation en cours et des besoins sociaux et culturels des populations à satisfaire, en regard des enjeux d’efficacité sociale et, aussi, des valeurs de progrès affichées par l’Union. À partir de la réponse aux urgences, il faut viser une tout autre ambition. Pour cela, il s’agit d’organiser des coopérations hardies entre services publics, multiples et intimes, afin de développer les biens communs publics de l’humanité.

L’idée de service public ne doit plus servir à caractériser des « exceptions au marché », mais des institutions modernes et coopérantes permettant, au contraire, de commencer à dépasser sa domination. Avec une nouvelle expansion des institutions publiques et sociales, les services non marchands (hôpitaux, écoles…), loin d’être sous la pression de la marchandisation et de la privatisation, devraient fonctionner dans un but d’efficience sociétale. C’est-à-dire avec, non seulement, des principes d’égalité d’accès et de péréquation, mais aussi une transformation fondamentale permettant de sortir de toutes les inégalités effectives exacerbées et visant les besoins d’épanouissement de chaque personnalité.

Cela requiert la pleine participation de leurs salariés et de leurs usagers à la définition, la réalisation et l’évaluation des missions. C’est dans ce but que toutes les « agences » créées devraient être réformées et réintroduites dans le champ des services publics ainsi conçus.

Ceux-ci seraient connectés, jusqu’au niveau européen, dans de vastes réseaux non marchands, voués au développement de chaque personne, là même où elle entend vivre avec les siens, grâce au partage des savoirs, des compétences, des coûts et de l’utilisation des recherches et des équipements.

Au-delà des missions traditionnelles de service public à revivifier, les services marchands (électricité, gaz, transports…) seraient adossés à des entreprises publiques articulées au service public, territorial et d’état, assumant une nouvelle mission d’intérêt commun de sécurisation et de promotion de l’emploi et de la formation, de la recherche.

Tout de suite, donc, il faut décider de rompre avec le pacte de stabilité afin d’engager en Europe une nouvelle grande expansion des services publics. Cela exige, en France, d’en finir avec le dogme de la croissance zéro des dépenses publiques. Au-delà, il s’agit, surtout, pour une nouvelle croissance de progrès social solidaire, d’instituer un « Fonds de développement social et écologique européen » comme le proposent le PCF, le Front de gauche, le Parti de la gauche européenne et Die Linke en Allemagne.

Une prise de dettes publiques des différents États de la zone euro par la BCE serait affectée, en alimentant ce Fonds, pour une expansion des services publics, différenciée suivant les besoins des divers pays, en vue d’une nouvelle croissance sociale, avec des coopérations de solidarité entre les services publics. Tous les services publics seraient concernés. Les classiques comme ceux d’éducation et de santé, mais aussi des services publics nouveaux, de l’écologie jusqu’aux services de la petite enfance ou des personnes âgées. Cela s’articulerait à des luttes et des mesures contre l’austérité, spécialement dans les différents pays du sud de l’Europe jusqu’à la France, ainsi qu’à des pouvoirs nouveaux d’intervention dans les gestions des services publics pour les personnels et les usagers. Cela s’appuierait enfin sur une construction politique de l’Union européenne de solidarité et de démocratie participative, sociale, internationaliste, avec notamment des coopérations de rattrapages contre les inégalités. Et cela, dans une confédération novatrice qui s’opposerait au fédéralisme d’une gouvernance européenne de domination du couple franco-allemand où dominerait d’ailleurs l’Allemagne.

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#1-1 En 2008, la dette publique de la Grèce représentait 128 % du PIB. Or, elle atteindrait 174,5 % du PIB en 2014, alors même que la troïka, a conditionné son aide à l'exigence d'un abaissement à 124 %.

Pour une sécurisation de l’emploi et de la formation commune aux Européens, contre la « flexicurité »

Une flexicurité ravageuse

Les Européens sont confrontés au chômage de masse avec, pour corollaire, une précarité grandissante de l’emploi et le risque de déclassement jusqu’à l’exclusion. Aussi, l’idée de sécurisation des parcours professionnels a beaucoup progressé au rythme des luttes et des promesses trahies sur l’emploi.

Les dirigeants européens ont cherché à la récupérer en promettant, dans un premier temps et forts des espoirs de prospérité partagée portés par l’euro, un retour au « plein-emploi » avec la « flexicurité ». Mais, loin de signifier la disparition du chômage, cette visée patronale n’ambitionnerait qu’un abaissement de son taux officiel à 5 ou 6 %.

Cet objectif, mis en avant pour tenter d’intégrer salariés et syndicats à la trajectoire choisie par les dirigeants européens, a perdu toute crédibilité avec l’exacerbation de la crise systémique depuis 2008-2010.

Cependant, les gouvernements de la zone euro redoublent dans la mise en œuvre de la « flexicurité ». Elle prétend concilier besoins prédominants de flexibilité de précarisation et de rejet de l’emploi des entreprises assoiffées de rentabilité financière et certaines aides pour les salariés. La prétendue « modernisation du marché du travail » sur de telles bases a conduit à déresponsabiliser socialement les entreprises (facilitation des licenciements, obligation d’accepter des emplois précaires et mal rémunérés, exonérations de cotisations sociales…).

Loin de rendre l’Union européenne plus créatrice d’emplois et d’activités correctement rémunérées avec un grand essor de la formation, la « flexicurité » a beaucoup accru les facteurs de chômage, tout en maintenant les pénuries de qualifications.

Aujourd’hui, les gouvernements européens encouragent le chômage partiel, multiplient les « contrats aidés » et s’en remettent à une future reprise pour que la « flexicurité » commence à donner des résultats sur le front du chômage, comme F. Hollande d’inverser la courbe du chômage dès la fin 2013… Mais leurs politiques sont profondément récessives.

Avec les luttes grandit, au contraire, l’idée que les emplois doivent être créés en masse, maintenus, modernisés, développés et que le temps non travaillé doit être utilisé pour la formation bien rémunérée, tandis que gronde la révolte contre les financements publics des banques sans résultats sur l’emploi.

En finir avec l’Europe du chômage, de la précarité et des bas coûts salariaux

En réalité, ce comportement anti-emploi des entreprises de la zone euro était inscrit dans les gènes de l’euro conçu comme monnaie unique au service de la domination des marchés financiers. Ne disposant plus des facilités de la dévaluation de la monnaie nationale pour corriger les écarts de « compétitivité-prix » avec l’économie la plus performante, l’Allemagne, les grandes entreprises et les gouvernements, dans les pays en déficit de paiements, ont cherché systématiquement à imposer aux salariés et populations des dévaluations internes. Il s’agit là de politiques visant surtout une baisse des salaires et des coûts salariaux unitaires, équivalente à une dépréciation réelle, dans le but d’améliorer la « compétitivité-coût ».

Dès lors que la conjoncture en zone euro a de nouveau rechuté avec le déchaînement des politiques d’austérité censées faire reculer le poids des dettes publiques, il n’était plus question pour les gouvernements d’essayer de faire rêver sur « le retour au plein-emploi », mais d’ajuster coûte que coûte les économies aux conditions du « modèle allemand ».

Quel modèle allemand ?

On a beaucoup mis en avant, pour caractériser les performances relatives de l’Allemagne, les réformes Schröder-Hartz du marché du travail outre-Rhin. Elles auraient permis à l’économie germanique, dit-on, de bénéficier de coûts salariaux très abaissés relativement aux autres pays de la zone euro.

En réalité, lorsque ces réformes ont été mises en œuvre, les coûts salariaux allemands étaient nettement plus élevés en niveau que celui des coûts français, par exemple. De plus, la baisse accélérée engagée, outre-Rhin, à partir de 2005, facilitée par le fait que le SMIC n’y existait pas, a concerné, pour beaucoup, le secteur des services où ont été multipliés les « jobs à un euro » si justement décriés. Et il est vrai que cette politique très agressive de l’Allemagne a contribué à accentuer les déficits de paiements des pays moins compétitifs.

Mais ce qui a fait la force dominatrice de l’industrie allemande, ce ne sont pas des coûts salariaux faibles (1), mais de bons rapports entre entreprises et banques, des stratégies d’internationalisation et de fragmentation des processus de production des groupes moins prédatrices pour la base productive nationale que celles des groupes français, des politiques de formation professionnelle débouchant plus systématiquement sur l’emploi stable, des passages de la recherche à la production beaucoup plus efficaces qu’en France où les budgets de R&D des entreprises sont relativement si insuffisants.

Bref, l’efficacité supérieure de l’industrie allemande a été acquise par la recherche de progrès de « compétitivité hors coût », en particulier par une meilleure maîtrise du coût du capital grâce à des rapports banque-industrie et groupe-PME beaucoup moins toxiques qu’en France.

Enfin, l’Allemagne présente depuis 2012 une tendance à l’augmentation plus rapide de son coût de main-d’œuvre que la France où, au contraire, le freinage est très net avec le gouvernement Ayrault. (2)

Quoi qu’il en soit, toutes les décisions de politique économique et structurelle, en zone euro, renvoient désormais l’image d’une folle course à la compétitivité, contre l’emploi, par la baisse des coûts salariaux, principalement en Europe du Sud.

Remettre en cause les réformes libérales

Les gouvernements européens encouragent le chômage partiel, multiplient les « contrats aidés » et s’en remettent à une future reprise pour que la « flexicurité » commence à donner des résultats sur le front du chômage.

Les décisions de F. Hollande en France (loi dite de « sécurisation de l’emploi » et pacte de responsabilité) s’inscrivent dans cette démarche structurée par les préconisations du « pacte Euro-plus ». Il prétend soumettre la France à un « choc de compétitivité » et construire, pour le conduire, une véritable union sacrée avec le patronat. Mais ces politiques sont profondément récessives. Les dirigeants français actuels sont frappés, avec le pacte de responsabilité notamment, par cette frénésie de baisse du coût du travail et des impôts pour les entreprises, au nom de la compétitivité. Mais ils ne sont pas les seuls.

En Espagne, le gouvernement a annoncé, le 25 février, l’instauration d’une cotisation patronale unique de 100 euros mensuels pour toute création d’un CDI d’une durée d’au moins trois ans. Selon le Premier ministre Rajoy, « cela suppose, pour un salaire brut annuel de 20 000 euros, que le montant payé par l’entreprise en cotisations sociales, par an, passera de 5 700 euros à 1 200 euros ». Dans cette folle surenchère, l’Espagne, où nombre de capitaux allemands sont investis, tient, pour l’heure, le premier rang : le coût salarial unitaire y a diminué de 9,07 % entre 2009 et 2013 (3). Cette violente chute va envenimer la guerre concurrentielle que se livrent les partenaires sud-européens de l’Allemagne, France comprise, sur un débouché européen profondément anémié. Cela ne va certainement pas contribuer à un net recul du chômage, y compris en Espagne, malgré l’expatriation croissante de jeunes Espagnols qualifiés vers l’Allemagne, ce qui prépare une aggravation des problèmes structurels de la péninsule ibérique.

En Italie, le Premier ministre Renzi a promis 10 milliards d’euros de réductions de charges sociales et/ou fiscales.

Au Portugal, le gouvernement veut réduire l’impôt sur les sociétés à 23 % en 2014 et 17 % en 2016 contre 25 % l’an dernier encore.

Simultanément, aux portes de la zone euro, la pression à la baisse des coûts salariaux s’accroît avec les dépréciations monétaires, telle celle de la livre britannique, mais aussi avec la multiplication de contrats hyper-précaires à très bas coût salarial, comme au Royaume-Uni ou dans les PECO, facteurs de dumping social. Celui-ci redouble sur celui pratiqué par les multinationales implantées dans les pays émergents d’Asie et exportant vers la zone euro.

Le chômage : des records dans l’UE

Fin 2013, le chômage officiellement recensé dans la zone euro atteignait le record de 12,1 % de la population active, soit 19,241 millions de personnes privées d’emploi. Il frôle des sommets jamais atteints dans les pays d’Europe du Sud : 27,4 % en Grèce, 25,8 % en Espagne, 17,3 % à Chypre, 12,7 % en Italie.

Au cœur de ce désastre on trouve le chômage des jeunes : 3,575 millions de moins de 25 ans officiellement recensés en zone euro. Le taux de chômage de cette catégorie sacrifiée de la population atteignait 57,7 % en Espagne et 54,8 % en Grèce en novembre dernier.

Le chômage de longue durée ne cesse de proliférer comme un cancer frappant tout le corps social européen. Son taux prévu pour 2015 est supérieur à 5,5 % en zone euro (4) touchant un nombre croissant de jeunes mais aussi de travailleurs âgés.

Ce chômage massif a pour corollaire une précarité explosive et une pression permanente à la baisse des taux de salaire. Il explique aussi l’extension sans précédent depuis la dernière guerre mondiale de la pauvreté. Selon des chiffres de décembre 2013 de l’Office ses statistiques européen, Eurostat, près d’un quart des Européens de l’Union européenne, soit 124,5 millions de personnes, était menacé de pauvreté ou d’exclusion sociale en 2012. La tendance est nettement à la hausse : 24,8 % des Européens étaient concernés en 2012, contre 23,7 % en 2008. Autant dire que sur une telle trajectoire, l’Union européenne ne pourra jamais atteindre l’un des objectifs clef de la stratégie « Europe 2020 » (5) qui est de réduire le nombre de personnes confrontées au risque de pauvreté et d’exclusion.

La fracture entre les pays

Outre le chômage massif et la pauvreté, si considérable pour une région du monde si riche, ce qui frappe, c’est la fracture entre les pays qui, autour de l’Allemagne, étaient membres de l’ancienne zone mark, comme l’Autriche, où les taux de chômage sont de l’ordre de 5-6 % de la population active, et des pays du sud comme la Grèce, l’Espagne et le Portugal. Cette fragmentation de l’Europe se retrouve aussi à l’intérieur de chaque pays, entre territoires nationaux.

Cette folle course à la compétitivité par l’acharnement à baisser le « coût du travail » se conjugue donc, sur toute la zone euro, aux politiques d’austérité pour créer une situation dont nombre d’observateurs craignent qu’elle ne finisse par plonger l’Europe dans la déflation. De fait, l’inflation des prix à la consommation, dont le maintien sous le seuil de 2 % par an demeure l’objectif principal de la BCE, a ralenti à 0,8 % en décembre dernier. Hors énergie et alimentation, la hausse des prix s’est limitée à 0,7 %. C’est du jamais vu ! Le FMI, lui-même, a alerté sur le risque pour la zone euro d’une situation prolongée d’inflation très faible pouvant faire déraper la reprise actuelle si fragile vers une situation marquée par la déflation (6). Ce que conteste le président de la BCE, M. Draghi, qui entend ne rien changer à l’orientation de sa politique monétaire, sachant combien le maintien de taux d’intérêt réel élevés, relativement à la croissance réelle, constitue une puissante incitation à la restructuration des appareils productifs, au maintien de coûts salariaux faibles, et aux placements financiers.

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(1) Si, fin 2013, le coût d’une heure travaillée dans l’industrie manufacturière s’élevait à 37,17 € en Allemagne et à 37,07 € en France (Coe-Rexecode), il était, dans l’industrie et les services marchands, de 32,68 € en Allemagne et de 35,41 € en France (Eurostat).

(2) Selon les Principaux indicateurs économiques et financiers de la Banque de France (27 février 2014), en 2011 et 2012, le coût total horaire de main d’œuvre a crû, en moyenne annuelle, de 3,4 % puis 2 %, respectivement, en France, contre 2,9 % et 3 % en Allemagne. Mais, du quatrième trimestre 2012 au troisième trimestre 2013, il a crû en moyenne annuelle de 0,55 % en France et de 2,5 % en Allemagne.

(3) Source : Eurostat et Coe-Rexecode.

(4) Creel J. et X. Timbeau : « Zone euro : une erreur de potion » - Alternatives Économiques, hors-série n° 100, 2e trimestre 2014, p. 45.

(5) Adoptée le 17 juin 2010, cette stratégie succède à la stratégie de Lisbonne « pour la croissance et l’emploi » adoptée, elle, en mars 2000, puis révisée à mi-parcours en 2005 pour, finalement, échouer. La stratégie « Europe 2020 » prétend vouloir concilier l’amélioration d’indicateurs de développement durable en matière de croissance, d’emploi et de protection de l’environnement, tout en augmentant la compétitivité (par la baisse du coût salarial de l’emploi surtout) de l’Europe au niveau mondial.

(6) La déflation se caractérise par une baisse du niveau général des prix incitant à différer les achats et provoquant une baisse cumulative de la demande et de la production. La chute des prix fait remonter le niveau des taux d’intérêt réels avec, pour conséquence, le renchérissement des prélèvements financiers. Celui-ci est d'autant plus ample que les dettes accumulées sont importantes, comme c’est le cas aujourd’hui. Cela oblige alors à des ventes de détresse de produits et d’actifs accentuant la baisse du niveau général des prix et les difficultés de remboursement. C. Lagarde, pointant la zone euro du doigt, avait déclaré, en janvier dernier, que « la déflation est un ogre quil faut combattre fermement ».

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Nos propositions alternatives : Vers une sécurisation de l’emploi et de la formation partout dans l’Union européenne 

Changer de perspective dans l’UE

La construction, à partir des mesures d’urgence, d’un système commun de sécurité d’emploi ou de formation pour chacun-e, éradiquant progressivement le chômage. Pleinement réalisé, ce système permettrait à chacun-e une mobilité d’activités choisies entre emploi stable et correctement rémunéré et formation en vue d’un meilleur emploi, avec une continuité et une sécurité de revenus et de droits.

Pour un nouveau statut des salariés

Il s’agirait, pour anticiper et engager un effort de redressement productif dans chaque pays, de permettre aux salariés de toutes les filières d’accéder massivement à des formations longues et de qualité, bien rémunérées à partir de prélèvements mutualisés, qui leur permettraient de parvenir aux nouveaux emplois et nouvelles qualifications de demain exigés par cette nouvelle industrialisation riche en services. Ce pourrait être là une exigence rassembleuse à faire valoir, contre les suppressions d’emplois et les mises en chômage technique.

Cette sécurisation de l’emploi, de la formation et du revenu des salariés de la filière, anticipant sur un nouveau statut commun à tous dans chaque pays, mais aussi en Europe, engagerait, à partir de secteurs clefs comme l’automobile, l’aéronautique ou la sidérurgie, une nouvelle révolution industrielle en coopération. Elle devrait être associée tout de suite à :

‒ Une lutte déterminée pour faire reculer les coûts en capital pénalisant toutes les filières ;

‒ Un développement de coopérations nouvelles plus intimes pour partager les coûts et les résultats des recherches jusque dans des coproductions et des coentreprises beaucoup plus nombreuses ;

‒ De nouveaux financements massifs incitatifs, avec l’accès à un nouveau crédit sélectif ;

La conquête de nouveaux pouvoirs décisionnels des salariés des entreprises de chaque filière, afin de réorienter les gestions, en coopération, pour y faire prédominer, à partir de pôles publics, des critères d’efficacité sociale contre la dictature de la rentabilité financière.

Contre les dumpings sociaux et les délocalisations

Il est légitime de vouloir introduire des clauses sociales et environnementales dans les échanges internationaux, face aux politiques de dumping social menées, surtout, par des filiales de multinationales occidentales localisées dans les pays à bas coûts salariaux. Mais il faut chercher à le faire sans pénaliser les populations de ces pays et risquer de les exclure des courants d’échanges internationaux, alors qu’il faut les développer de façon maîtrisée et mutuellement avantageuse. Il faudrait engager une politique massive de promotion de normes sociales et environnementales hardies avec nos pays partenaires du Sud, de l’Est ou d’ailleurs. Que faire pour tenter de progresser dans ce sens, au lieu de se replier ?

Il s’agirait, particulièrement, de mobiliser un nouveau crédit massif et sélectif pour les investissements dans tel ou tel secteur sensible. Ce crédit serait ainsi conçu qu’il inciterait à sélectionner les investissements porteurs de meilleurs salaires, d’emplois et de formations qualifiantes supplémentaires, aussi bien en France et en Europe que dans les pays partenaires à bas coût salarial. Le taux d’intérêt de ce crédit diminuerait d’autant plus que les investissements à financer programmeraient plus d’emplois et de formations. Il serait, par contre, relevé jusqu’à être très dissuasif pour les investissements de délocalisation à l’étranger. La prise en charge publique (bonification) de tout ou partie des intérêts de ce crédit pourrait être financée notamment par le produit de taxes douanières sur les produits ne respectant pas de telles normes sociales et environnementales.

Cette politique d’incitation-dissuasion par le crédit pour le respect de normes communes sociales et environnementales ne s’opposerait pas au développement des échanges et contribuerait, au contraire, à faire reculer les prélèvements financiers pour développer toutes les capacités humaines, par une mise à niveau progressive et progressiste des appareils productifs et des systèmes sociaux (ex : un système de SMIC européen).

Enfin, les délocalisations en vue de réimportations de productions délocalisées en France et en Europe doivent être sévèrement sanctionnées. On peut proposer qu’un prélèvement significatif soit effectué sur les productions réimportées dont le produit serait reversé à des fonds nationaux pour le co-développement. n

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