Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil
 
 
 
 

Non à la mise en cause du financement de la politique familiale

François Hollande, lors de sa conférence de presse du 14 janvier, a annoncé la suppression des cotisations patronales aux allocations familiales et le transfert du financement sur les familles elles-mêmes. Jean-Marc Ayrault a surenchéri en osant affirmer que les allocations familiales ce n’était pas la sécurité sociale, et que ce n’était pas au patronat de payer.

Une confusion et une sous-estimation du rôle de la politique familiale sont ainsi entretenues

La politique familiale permet, d’une part, de relancer le pouvoir d’achat des familles, avec une priorité pour les familles nombreuses et modestes, ce qui contribue à développer la consommation donc la croissance. Elle vise aussi des objectifs démographiques permettant de sortir de la stagnation démographique, comme celle de l’entre-deux-guerres, ou de contrecarrer le ralentissement du taux de fécondité comme dans la 2e moitié des années 1960 qui compromettait le renouvellement des générations.

Aujourd’hui, le dynamisme démographique peut être consolidé par la politique familiale, la population active de demain contribuerait au financement de la protection sociale et des retraites. La politique familiale permet le renouvellement et la dynamique d’une future force de travail bien formée et productive. Avec la politique familiale on articule ainsi la relance de la consommation et la relance d’un autre type de progression de la productivité du travail.

La politique familiale est partie intégrante de la construction de la sécurité sociale en 1945-1946

Le principe retenu est l’universalité de la politique familiale et la compensation du coût de l’enfant. Il s’agissait ainsi de soutenir la démographie en aidant en priorité les familles nombreuses. Le quotient familial tendait à encourager la venue de l’enfant quel que soit le niveau de revenu primaire de la famille. À l’inverse, un ciblage intensif des politiques familiales sur les plus modestes peut conduire les ménages aux revenus à peine plus élevés à renoncer à la venue d’un nouvel enfant. Le principe recherché est celui d’une redistribution horizontale des célibataires aux chargés de famille et non pas d’une redistribution verticale entre les familles.

La politique familiale dans la tourmente des politiques d’austérité

La crise du financement de la protection sociale explose dans la nouvelle phase de la crise systémique, avec la stagnation économique et la remontée du chômage. En même temps, la politique familiale doit prendre en compte de nouveaux objectifs : la conciliation vie familiale et vie professionnelle, la réponse aux besoins des familles monoparentales. Tandis que les réformes de la politique familiale sont marquées par l’obsession de réaliser des économies, dans le cadre des politiques d’austérité. On cherche ainsi à soumettre les prestations familiales à conditions de ressources, en remettant en cause leur caractère universel. Après Nicolas Sarkozy, la politique de Hollande-Ayrault contient de nouvelles menaces contre le financement de la politique familiale, tandis que le Medef applaudit. Une rupture est à l’œuvre avec le modèle social français. On tend ainsi à stigmatiser la politique familiale en la présentant comme une charge insupportable et à glisser d’une politique pour les familles vers une politique fiscale et sociale. La politique familiale ne peut être assimilée à une politique de lutte contre la pauvreté et les inégalités, laquelle doit être traitée autrement et en amont.

Une rupture avec le financement de la politique familiale par des cotisations des employeurs

Cela constituait pourtant une conquête historique. Déjà à la fin du xixe siècle dans les grandes entreprises des secteurs textile, minier, métallurgique, un patronat chrétien-social cherchait à concilier des intentions sociales et le besoin de renouveler la force de travail. Ces entreprises, reprenant aussi des revendications ouvrières, avaient mis en place des prestations familiales, notamment par le concept dit du sursalaire. Tandis que la création de la Sécurité sociale, en 1946, organisait une politique familiale généralisée, le taux de cotisation patronale aux allocations familiales se situait alors à 16 % du salaire brut.

Mais en liaison avec l’évolution du rapport de forces, dès 1965, le CNPF réclamait une suppression des cotisations des employeurs aux allocations familiales, avec corrélativement la fiscalisation du financement des prestations familiales. Cette volonté de réduire les cotisations des employeurs aux allocations familiales constitue un leitmotiv des plans du patronat.

Historiquement les pouvoirs publics ont organisé la réduction des taux de cotisations patronales. Ainsi en 1970 le taux des cotisations employeurs aux allocations familiales ne représente plus que 9 % du salaire brut. Avec la création de la CSG par Michel Rocard en 1991, il n’est plus que de 5,4 %. On a aussi organisé historiquement un véritable pillage des excédents de la CNAF d’abord pour combler les déficits des autres caisses, au détriment de la politique familiale elle-même, tandis que de nouveaux objectifs mis à sa charge auraient exigé des moyens de financement supplémentaires. La réduction des taux de cotisations patronales corrélativement au processus de fiscalisation reporté sur les ménages s’accompagne du rétrécissement des recettes aggravé par la crise et conduit à une montée du déficit de la CNAF. Ce dernier s’élève en 2013 à 2 milliards d’euros. Le déficit devient alors l’alibi pour une réforme réactionnaire de la politique familiale et pour une véritable casse du modèle social français. La suppression totale des cotisations patronales famille est revendiquée de plus belle aujourd’hui par le Medef et d’autres forces libérales ou sociales-libérales.

C’est dans cette logique que se situent Hollande et Ayrault. Pour limiter les prélèvements sociaux présentés comme exorbitants, il s’agit en réalité de réduire fortement les cotisations patronales afin de faire baisser le coût du travail en prétendant redresser la compétitivité des entreprises. On va tendre en fait ici à réduire les moyens de financement des prestations familiales et à appliquer le principe : « à recettes limitées, dépenses limitées ». Ce qui va accélérer le glissement des politiques familiales vers une politique d’assistance avec une volonté de ciblage des prestations sur les plus modestes et la limitation de l’ensemble des prestations familiales, mais aussi la mise en cause des principes de la politique familiale elle-même.

Pour une réforme de progrès social de la politique familiale

Il s’agit d’ouvrir une issue de progrès à la crise systémique.

La démographie dynamique de la France est à consolider afin d’assurer le renouvellement des générations et de contribuer à financer les retraites et la protection sociale. La descendance finale des femmes nées en 1960 est environ à 2 enfants par femme, alors que le seuil de renouvellement des générations est estimé à 2,1 enfants par femme.

La politique familiale doit se transformer pour répondre aux besoins sociaux actuels ainsi qu’à l’évolution de la société et à la diversification des familles. Il s’agirait de répondre au choix des couples. Cela implique des mesures adaptées, telles qu’une aide aux jeunes ménages, pour le logement, la formation et la sécurisation de leur revenu et de leur emploi.

Il s’agirait aussi d’assurer une réelle couverture du « coût de l’enfant » en créant une allocation familiale universelle pour l’enfant de rang 1, en augmentant substantiellement les prestations pour deux enfants et en garantissant leur niveau pour le troisième enfant.

Développer les formules de garde et instituer un service public gratuit de la petite enfance

Cela contribuerait à relever le taux d’activité des femmes. Le déficit de l’accueil de la petite enfance est criant et son coût très élevé. Cette situation pénalise les femmes, notamment dans leur parcours professionnel, et les familles les plus modestes. La mise en œuvre d’un ambitieux « plan crèches » doit être financée collectivement afin d’assurer un taux d’encadrement suffisant en personnel qualifié.

Les mesures pour concilier la vie professionnelle et la vie familiale sont insuffisantes. Elles ne devraient pas seulement concerner les femmes et surtout ne pas s’effectuer au détriment de leur taux d’activité. Celui-ci est beaucoup plus élevé dans les pays scandinaves qu’en France. Les réformes tendant au retrait d’activité des mères ont fait régresser le taux d’activité des mères de deux enfants de 70 % à 50 %. Ceci constitue un point décisif de la réalisation de l’égalité hommes-femmes. On devrait viser des mesures efficaces pour résorber les inégalités par rapport à l’emploi, au salaire et à la promotion des femmes, ce qui contribuerait à relever la participation des femmes à l’augmentation de la population active occupée.

Il s’agirait aussi de prendre mieux en compte la situation des plus démunis ; cela exigerait un énorme effort en matière de logement social. Cela exige aussi la sécurisation et le développement de l’emploi, de la formation et du revenu.

La politique familiale implique aussi une politique pour la jeunesse, en développant le lien avec la formation, notamment par l’accroissement du nombre et du montant des bourses pour les enfants de familles modestes afin qu’ils réussissent leurs études. La création d’une allocation autonomie-formation pour la jeunesse est indispensable.

Le développement du financement de la politique familiale : une question décisive

Nous sommes opposés aux plans de fiscalisation de la politique familiale. En effet, ceux-ci tendent de fait à permettre la réduction des dépenses pour la politique familiale et à faire reposer le financement sur les seuls revenus des ménages, ce qui conduit à limiter le financement. À l’inverse, le financement par des cotisations sociales maintient le lien à l’entreprise, le lieu où se créent les richesses. Grâce à la politique familiale, l’entreprise bénéficie d’une force de travail accrue et qualifiée. De même, l’augmentation du pouvoir d’achat des ménages à travers les prestations familiales relance la demande effective en assurant des débouchés sur le marché intérieur. La politique familiale associée à une politique de formation et à une politique d’emploi, pour les jeunes, permet d’anticiper le financement des retraites de demain.

Mais nous portons une réforme de progrès et d’efficacité sociale des cotisations d’employeurs pour un financement dynamique de la politique familiale. Nous proposons un accroissement et une modulation des taux des cotisations employeurs de telle sorte que les entreprises qui réduisent la part des salaires, des emplois soient soumises à des taux de cotisations plus élevés Au contraire celles qui en lien avec le développement des luttes sociales augmentent la part des salaires, des emplois et les qualifications seraient assujetties à des taux relativement plus bas. Il s’agirait ainsi d’inciter au développement de la part des salaires dans la valeur ajoutée. Inversement il s’agirait de dissuader de la course aux licenciements, à la compression des salaires et à la financiarisation des entreprises. Pour ce faire nous proposons, notamment, une nouvelle cotisation sur les revenus financiers des entreprises et des banques ; celle-ci serait soumise au même taux que les cotisations employeurs sur les salaires. À partir du taux de cotisation actuelle de 5,4 %, portant sur les 300 milliards de revenus financiers des entreprises et des banques, cela rapporterait à la branche famille environ 16 milliards d’euros.

L’objectif de cette réforme moderne et efficace de la politique familiale est de participer à un nouveau type de croissance et à la marche vers une nouvelle civilisation.

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.