Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Le Pacte de responsabilité, accélérateur de la fiscalisation de la politique familiale

Avec le pacte de responsabilité, qui éteindra en 3 ans la contribution des entreprises au financement de la branche famille, le gouvernement contribue à l’achèvement de la fiscalisation des ressources de la branche famille et entérine le changement de nature des prestations de la CNAF en la faisant glisser du statut d’outil de la politique familiale à celui d’instrument de la politique sociale.

Les prestations de la CNAF

Les prestations comprennent tout d’abord l’ensemble des prestations « famille » s’élevant en 2011 à 30,7milliards d’euros.

Cet ensemble recouvre les allocations familiales proprement dites, de caractère universel (12,8 milliards), l’allocation de rentrée scolaire (1,5 milliard), le complément familial (1,6 milliard), l’allocation de soutien familial (1,3 milliard), l’allocation d’accueil de l’enfant handicapé (0,8 milliard).

La PAJE (prestation d’accueil du jeune enfant) s’élève à 12,7 milliards d’euros . Elle comprend l’allocation de base , la prime à la naissance ou à l’adoption, le complément de libre choix d’activité(CLCA) et le complément de libre choix du mode de garde (CMG).

Il y a ensuite 12,7milliards de prestations « jeune enfant » dont 4,3 milliards pour l’APJE et 5,6 milliards pour l’APJE « Garde à domicile ».

Les CAF versent également des allocations liées au logement avec un total de 16,5milliards d’euros dont 7,2 pour l’APL et 5,1 pour l’ALS.

Elles sont ensuite largement engagées dans la prévention des exclusions et la politique de l’emploi, avec le versement de 7,2 milliards d’euros au titre de l’allocation adulte handicapé et 9,8 milliards au titre du RSA, soit 17milliards d’euros.

Enfin, les CAF paient 9,1 milliards d’euros de prestations sociales indirectes (majoration spéciale troisième enfant pour 4,4 milliards d’euros, allocation de vieillesse parent au foyer pour 4,3 milliards d’euros ou congé de paternité pour 300 millions) et 3,8 milliards d’euros de dépenses d’action sociale (dont 2,4 milliards d’euros d’aide aux modes de garde et d’accueil des jeunes enfants ou encore 800 millions pour le financement du « temps libre »).

L’ensemble de ces prestations (77,1 milliards d’euros) est majoré des frais de gestion des Caisses (2,6 milliards d’euros), mais aussi de la contribution de la CNAF au Fonds national d’aide au logement (4,1 milliards d’euros) et les effets des comptes de régularisation divers (pour 2 milliards d’euros en 2011 environ).

Pour faire face à ces charges, où la part des prestations soumises à condition de ressources n’a cessé de croître, la CNAF dispose de plusieurs modes de financement.

Les ressources de la CNAF

Il y a tout d’abord les cotisations qui représentent 36 959millions d’euros en 2011, soit environ 41 % des ressources mobilisées.

La participation de la CNAF au FNAL est d’un coût de 4 125 milliards d’euros, également assise sur des cotisations.

Et il y a ensuite les dotations d’État ou des départements.

L’état mobilise en effet 17 615millions d’euros de ressources fiscales dédiées, dont 9 311 millions d’euros de CSG et 7 755 millions d’euros d’autres taxes et impôts.

Il y a ensuite 5 590millions d’euros de financement des aides au logement par l’état (rappelons qu’il s’agit là du premier poste budgétaire au sein des crédits du logement) et 9 246millions d’euros au titre des minima sociaux, singulièrement de l’allocation adulte handicapé qui constitue l’élément principal du budget solidarité, insertion, égalité des chances.

Enfin, les départements, au travers d’une fiscalité dédiée (taxes sur l’essence), apportent 8 527millions d’euros au financement du RSA.

Une évolution qui marque le glissement travaillé de la politique familiale vers une politique sociale en direction des ménages assumée par l’État

Sur la durée, les Caisses d’allocations familiales ont constitué une forme de réceptacle des politiques publiques des quarante dernières années (aides au logement avec l’APL dès 1976, RMI (puis RSA) depuis 1988 par exemple).

En 1975, 75% des dépenses de la CNAF allaient aux familles, 14% au logement et 6% à la «solidarité», les 5% restants allant à l’action sociale.

Aujourd’hui, les dépenses liées aux familles pèsent pour moins de 56%, tandis que le logement est monté à 21,6% et la contribution à la solidarité à 22,6%.

Ce changement de nature de l’intervention des CAF est allé de pair avec la fiscalisation croissante des produits, dont le partage de la CSG, les taxes dédiées, la budgétisation partielle des contributions de solidarité et le partage des recettes fiscales comme la TICPE des départements.

Une telle démarche est évidemment au cœur de celle annoncée ce 14 janvier par François Hollande et visant à faire totalement basculer la contribution des entreprises sur le budget de l’État, c'est-à-dire sur les impôts des ménages.

On notera que ce processus de basculement peut être pluriannuel, c’est-à-dire qu’il est probable que, sur les lois de financement de la Sécurité sociale 2015, 2016 et 2017, nous aurons un relèvement progressif des taux actuels d’exonération des cotisations familiales s’achevant par une exonération intégrale en 2017.

Ce dispositif, si on raisonne en ensemble systémique, chevauche évidemment le crédit d’impôt compétitivité emploi qui, pour partie, intègre précisément les cotisations « allocations familiales ». Cependant celles-ci n’ont rien à voir, en termes de montants, avec les autres financements (maladie ou retraite).

En effet, en 2013, les dépenses de la CNAF représentent un sixième des dépenses du régime général de la Sécurité sociale, contre un tiers pour l’assurance vieillesse et la moitié pour la branche maladie et accidents du travail.

On peut estimer, (hors branche AT MP non concernée par le CICE) que le fameux crédit d’impôt sera impacté pour 10 à 15 % de son montant par l’opération de disparition des cotisations « famille ».

C’est-à-dire que nous verrons coexister pendant trois ans une dépense croissante liée à la prise en charge des 35 milliards d’euros de cotisations patronales et le CICE (minoré de 2 à 3 milliards d’euros), soit plus de 50milliards d’allégements au programme de 2017…

Le processus de mise en œuvre

Le processus ne peut évidemment qu’être progressif et devrait, selon toutes vraisemblances, gagner en puissance sur la période.

Son financement, contrairement aux assertions de Hollande, sera, de toutes manières, réalisé au travers d’une affectation de recettes fiscales. Tout simplement parce que cette affectation est inscrite dans le code de la Sécurité sociale (cf. article L 131-7).

C’est donc un nouveau transfert de recettes fiscales qui va s’opérer de l’État vers la Sécurité sociale pour supporter le poids de ce « cadeau » que constitue l’étatisation des cotisations famille.

La mesure va donc préempter, par principe, une bonne part de la progression des recettes fiscales induites par la relance de l’activité attendue pour les années à venir (réduisant de fait quasiment à néant toute marge de manœuvre en la matière pour d’autres types de prélèvement).

Elle va peser aussi sur les recettes de TVA (il n’est pas exclu de voir apparaître des articles d’affectation d’une partie du produit de la taxe au budget de la Sécurité sociale), de TICPE et, probablement, générer une nouvelle attaque sur le quotient familial.

Évalué par Bernard Cazeneuve au coût de 13 à 14 milliards d’euros, le quotient familial semble une victime toute désignée pour assurer une part importante du financement de la mesure. Sa disparition éventuelle, au nom de la priorité accordée aux familles les plus modestes, devrait conduire à l’instauration d’un crédit d’impôt pour charges de famille (le montant de 715 euros par enfant a été évoqué par certains lors du débat budgétaire de cette année) et, surtout, ouvrir la porte à la fusion entre l’impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée qui demeure un objectif pivot du PS et le sera probablement pour le quinquennat 2017-2022.

Il n’est d’ailleurs pas impossible que la mise en place du crédit d’impôt « abattement pour charges de famille » n’aille de pair, dans le même temps, avec la mise en cause de quelques dépenses fiscales type scolarité des enfants ou encore frais de garde ou emplois à domicile.

Enfin, de manière assez évidente, outre que les recettes fiscales ainsi affectées auront une « contrepartie » en termes de dépenses publiques (et/ou de dépenses fiscales), il n’y aura aucune mesure de grande ampleur s’agissant de la situation même des prestations familiales.

Le gouvernement escompte du Pacte de responsabilité qu’il permette de comprimer les dépenses de la branche famille.

Exercice probable compte tenu de la réalité des dépenses présentant un caractère de « filet de sécurité », de « protection sociale » (insertion dans l’emploi et logement) dans l’ensemble des dépenses des CAF. Mais exercice délicat car il faudrait une création massive d’emplois au sein des travailleurs handicapés ou une sensible amélioration de la situation de revenus des locataires HLM pour voir se réduire de manière significative les engagements budgétaires correspondants.

Il est plus que prévisible que quelques décrets bien écrits, gelant par exemple le barème des aides au logement, serviront d’expédient pour démultiplier ce freinage des dépenses.

Il est d'ores et déjà à noter que les dépenses de la branche présentant un caractère universel s’inscrivent sur une tendancielle négative, la part des familles nombreuses étant de plus en plus réduite au sein de la population de notre pays.

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