Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Courbe du chômage : le déni de François Hollande

À chaque trimestre, on attend les chiffres du chômage avec impatience en espérant qu’une inflexion s’opère. Or, rien n’y change et rien ne changera, tant que la politique libérale du gouvernement restera identique.

3,3 millions ou 5 millions de chômeurs ? Une question de classification retenue

Le ministère du Travail vient d’annoncer les chiffres pour le dernier trimestre 2013. On compte 3,3 millions de demandeurs d’emploi de catégorie A en France. Les chômeurs de catégorie A correspondent aux demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi, tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, et qui sont sans emploi.

Cependant, cette classification retenue évacue d’autres catégories, notamment les catégories B et C. Ces dernières regroupent les demandeurs d’emploi tenus d’effectuer des actes positifs de recherche d’emploi en activité réduite courte (catégorie B) ou en activité réduite longue (catégorie C). Si l’on rajoute la catégorie B, on comptabilise alors non plus 3,3 millions de chômeurs, mais quasiment 4 millions de chômeurs. Si on comptabilise aussi la catégorie C, ceux qui effectuent une activité réduite longue, on monte à près de 5 millions de chômeurs.

Une autre catégorie importante est oubliée dans les annonces officielles : ce sont les demandeurs d’emploi sans emploi mais non tenus d’effectuer des actes positifs de recherche d’emploi. On trouve, dans cette catégorie D, ceux qui effectuent un stage, une formation ou souffrent d’une maladie, si bien qu’ils n’ont pas l’obligation de justifier de leur recherche d’emploi. On se retrouve dans des situations où un chômeur se retrouve accepter un stage proposé par Pôle emploi, sortir de la case « chômeur » de cette fameuse catégorie A. Cette catégorie D regroupe en décembre 2013 environ 400 000 chômeurs. Au final, on peut tristement dire que l’on compte environ 5 millions de chômeurs en France. En outre, il faut souligner une très forte augmentation du nombre des demandeurs d’emploi inscrits depuis plus d’un an à Pôle emploi, ce que l’on appelle les chômeurs de longue durée. Entre décembre 2012 et 2013, ce nombre a augmenté de près de 13 %.

Une baisse du chômage des jeunes ? Mon œil !

Michel Sapin a déclaré que, certes, il n’y avait pas eu d’inversion de la courbe du chômage pour l’ensemble des demandeurs d’emploi, mais que le chômage des jeunes avait baissé.

A-t-on vraiment assisté à une inversion de la courbe du chômage des jeunes ? Cette déclaration ne traduit encore qu’une partie de la réalité. En effet, le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans, mais seulement de la catégorie A, a connu une baisse entre 2013 et 2014 de l’ordre de 0,3 %, baisse plus marquée pour les jeunes hommes que pour les jeunes femmes. Les premiers ayant été davantage touchés par la crise. Si l’on prend en compte, non seulement la catégorie A, mais aussi les catégories B et C (chômeurs ayant effectué une activité réduite), le taux de chômage n’a pas baissé mais augmenté de 0,8 % entre 2013 et 2014.

Afin de rendre compte de la réalité du chômage des jeunes en France, il convient de s’intéresser avant tout à la proportion de jeunes au chômage ou encore au NEET (Neither in Employment nor in Education and Training ; la part des jeunes ni en emploi et ni en formation, initiale ou continue). Ainsi, en France, chez les 15-29 ans, on compte 9,7 % de chômeurs en France au sens du BIT, et 15,1 % de jeunes ni en emploi et ni en formation (NEET) en 2012, ce qui nous met à un niveau légèrement inférieur à la moyenne européenne. Rappelons que le taux de chômage représente le nombre de chômeurs sur le nombre d’actifs, ici les actifs de 15 à 24 ans ou de 15 à 29 ans. Or, la grande majorité des jeunes ne sont pas des actifs.

Hausse du chômage et négociations de la convention Unedic

Cette augmentation du chômage a a fortiori fait augmenter de plus de 5 % en un an le nombre de chômeurs indemnisés. Ce qui a certes accru les dépenses de l’Unedic, mais a permis à l’assurance chômage de maintenir la demande et la consommation des ménages.

En période de négociation de la convention Unedic, il est bon de rappeler certains éléments souvent oubliés du débat. Aujourd’hui, seuls 48,3 % des demandeurs d’emploi (toutes catégories confondues) perçoivent une indemnisation au titre de l’allocation d’Aide au retour à l’emploi (ARE), plus communément appelée allocation-chômage, ou d’une indemnisation au titre du régime de solidarité nationale (l’Allocation de solidarité spécifique [ASS] versée aux demandeurs d’emploi en fin de droit de l’assurance chômage, par exemple). La première indemnisation relève du régime assurantiel, autrement dit vous avez cotisé, vous percevez en retour une indemnisation si vous faites face à ce risque. La part des demandeurs d’emploi relevant de ce régime est seulement de 40 % en novembre 2013. Pour percevoir une allocation d’aide au retour à l’emploi, si vous avez moins de 50 ans, il faut avoir travaillé au moins 4 mois ou plus durant les 28 derniers mois, ce qui vous donne la possibilité de percevoir une indemnisation égale à la durée travaillée, cette durée ne pouvant excéder 24 mois. Si vous avez plus de 50 ans, il faut avoir travaillé au moins 4 mois ou plus durant les 36 dernier mois, ce qui vous permet d’obtenir une durée d’indemnisation pouvant aller jusqu’à 36 mois. Avant 2008, les demandeurs d’emploi de 55 ans ou plus ne devaient pas nécessairement justifier d’actes positifs de recherche d’emploi car ils bénéficiaient de la dispense de recherche d’emploi. L’accès à la dispense de recherche d’emploi a été depuis de plus en plus restreint. Cette restriction émane d’une recommandation de la Commission et du Conseil européen, cette dispense étant jugée par eux comme une dés-incitation au travail des seniors. Or, n’oublions pas que l’âge moyen de cessation d’activité en France est de l’ordre de 58,8 ans et que six salariés sur dix sont hors emploi (chômage, invalidité, inactivité ou dispense de recherche d’emploi) au moment de liquider leur retraite.

Aujourd’hui, on voit apparaître des pressions en vue de réduire la durée d’indemnisation, ou encore de la rendre dégressive. Nous sommes souvent frappés d’amnésie en ce qui concerne les politiques passées. La dégressivité des allocations chômage a déjà été mise en place, tout d’abord, en 1992. Une allocation unique dégressive (AUD) avait été introduite, rendant l’allocation-chômage dégressive tous les 4 mois de 8 à 25 % selon les cas. En 1996, l’allocation-chômage devient dégressive par palier tous les 6 mois. La mise en place du PARE (Plan d’aide au retour à l’emploi) en 2001 met fin à neuf années de dégressivité des allocations chômage. La mise en place de la dégressivité a eu pour principales conséquences un transfert du régime assurantiel au régime fondé sur la solidarité nationale, en entraînant une forte baisse de la part des demandeurs d’emploi indemnisés par l’assurance chômage et une réduction du taux d’indemnisation. Ainsi, cette réforme a eu pour résultat une dégradation des conditions de vie des chômeurs.

Le Medef, par la voix de son président Pierre Gattaz, plaide aujourd’hui pour une réduction de la durée d’indemnisation, le relèvement de 50 à 52 ans de l’âge à partir duquel un chômeur peut prétendre bénéficier jusqu’à 36 mois d’allocation-chômage, et la réintroduction d’une forme de dégressivité de l’indemnisation chômage. Ces propositions n’ont qu’un but : inciter les chômeurs à retrouver un emploi. Le supposé théorique repose sur l’idée que seules les incitations financières ou des sanctions permettraient d’améliorer le retour à l’emploi des chômeurs. Le chômage, pour eux, n’est pas lié à une conjoncture économique dégradée, aux conséquences de la crise économique qui entraîne une détérioration du marché du travail. Selon eux, toute forme de politique sociale, toute forme de revenu de remplacement constituerait un découragement à la reprise d’un emploi. On est alors passé d’une responsabilité collective du chômage à une responsabilité individuelle de ce risque. Les individus seraient alors responsables de leur situation. Or, la mise en place de la dégressivité des allocations chômage au début des années 1990 n’a eu aucun effet incitatif sur le retour à l’emploi des chômeurs.

Si les individus sont au chômage, c’est que la conjoncture ne leur permet pas de retrouver un emploi ; s’ils n’ont qu’un seul désir, c’est retrouver une existence sociale, qui passe le plus souvent par le travail. Mais les médias et les politiques ne cessent de les stigmatiser. S’ils perçoivent une allocation d’aide au retour à l’emploi, c’est un droit, un droit assurantiel, car ils ont cotisé afin d’être pris en charge lorsqu’ils font face à ce risque social qu’est le chômage. Ce droit permet de maintenir la demande intérieure et de ne pas accroître les effets de la crise. Qu’ils perçoivent une assurance chômage ou une prestation sociale comme l’ASS, ou encore le RSA, ils dépenseront ces revenus. Un bénéficiaire de l’ASS ou du RSA ne perçoit qu’environ 480 euros par mois, lorsqu’il est célibataire sans enfant. Que va-t-il faire de ces quelques centaines d’euros ? Eh bien, il va intégralement les dépenser ! Certains journalistes et certains politiques véhiculent l’idée que les chômeurs ou les bénéficiaires du RSA profiteraient du système. Comment penser que quelqu’un qui touche moins de 500 euros par mois soit un privilégié ? Qu’il puisse thésauriser ? En cause la fraude aux prestations sociales, or celle-ci dans la réalité est mineure, contrairement au taux de non recours aux prestations sociales. à titre d’exemple, le taux de non recours au RSA socle, autrement dit la proportion d’individus qui ne demandent pas le RSA alors qu’il y sont éligibles, est de l’ordre de 36 %.

L’impasse du pacte de responsabilité pour résoudre le chômage

La solution du président Hollande afin de résoudre le chômage est la mise en place de ce fameux « Pacte de responsabilité ». Il vise à fournir de nouvelles exonérations de cotisations sociales patronales par la suppression des cotisations familiales. Cette mesure ayant pour objectif de remplacer le CICE, le Crédit impôt compétitivité emploi. Cette politique repose sur l’idée que les entreprises n’embauchent pas en raison d’un coût du travail trop élevé. Étant donné que nous avons un salaire minimum, c’est donc par des allègements ou des exonérations de cotisations sociales que cette politique se traduit. Oublié le fait que les cotisations sociales servent à financer des prestations sociales, que cela constitue un salaire socialisé, autrement dit un élément de la demande. Ces cotisations sont réduites au nom de charges sociales, un fardeau, « burden », pour les entreprises. Exit leur utilité sociale. Pourtant, les dépenses publiques pour l’emploi qui visent à alléger ou à exonérer les entreprises de cotisations sociales sont mises en œuvre depuis des années : les dispositifs d’allègements généraux de cotisations sociales sur les bas salaires, introduites depuis 1993, de plus de 22 milliards d’euros ; les dépenses spécifiques pour l’emploi d’incitations à l’embauche (allègements de cotisations sociales des contrats aidés du secteur marchand notamment) de 2 milliards d’euros ; les 20 milliards d’euros du CICE remplacés par les 35 milliards d’exonérations des cotisations patronales familiales ; etc. Pourtant, même si l’histoire bégaye, les résultats sont loin d’être là. Le gouvernement français continue d’appuyer sur le tube de dentifrice comme si, miraculeusement, cette politique allait enfin marcher.

La courbe est loin de s’inverser avec de telles politiques, politiques qui ont montré leur échec en matière de lutte contre le chômage au cours des dernières décennies.

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