Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Pour une alternative au « Pacte de responsabilité »

Le « pacte de responsabilité » présenté par F. Hollande témoigne d’un enkystement hyper-libéral de l’orientation de sa politique économique. C’est une nette accentuation du tournant engagé avec le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), la loi dite de « sécurisation de l’emploi », la réforme des retraites, sans parler de l’acharnement à réduire les dépenses publiques et sociales.

Prétendant se préoccuper du redressement de l’offre productive française et de faire, ainsi, de l’emploi la « priorité des priorités », ce pacte annonce un « donnant-donnant » qui consiste à donner toujours plus aux patrons et, en réalité, au Medef, confondus avec « les entreprises », en acceptant, en contrepartie, de vagues promesses en matière d’emploi.

C’est un formidable défi que nous nous devons de relever avec, au cœur, le double enjeu de maîtrise des coûts de production et du financement d’une relance des dépenses de développement pour un redressement durable de l’emploi et de la production nationale.

Cette bataille s’annonce certes de longue haleine mais, tout de suite, elle croise les enjeux des campagnes pour les élections municipales et européennes à venir.

Un « nouveau compromis social » : donner toujours plus aux profits…

Avec ce pacte de responsabilité il s’agit rien moins que de construire un « nouveau compromis social » a assuré F. Hollande.

 Son objectif ? Pour l’emploi, permettre à l’économie nationale de s’émanciper de la contrainte structurelle sur laquelle elle buterait aujourd’hui : la faiblesse de l’investissement réel des entreprises qui, accentuant l’obsolescence des équipements, engendrerait une perte d’efficacité et de compétitivité des productions françaises.

F. Hollande justifie ainsi sa démarche : « parce que le temps est venu de régler le principal problème de la France : sa production [...] il nous faut produire plus, il nous faut produire mieux. C’est donc sur l’offre qu’il faut agir. Sur l’offre ! ». Et d’ajouter : « Ce n’est pas contradictoire avec la demande », car « l’offre crée même la demande. » (1)

De fait, depuis le deuxième trimestre 2011, la contribution de l’investissement matériel des entreprises à la croissance du PIB est négative. Et le taux d’investissement des seules sociétés non financières, qui était de 31,5 % en 2008 et 30 % en 2010, est tombé à 29,1 % en 2011 et 28,4 % en 2012.

Cela tient fondamentalement à l’extrême faiblesse de la demande en France et en Europe, écrasée par le chômage. Elle se conjugue avec une ampleur devenue asphyxiante des prélèvements financiers sur les profits (intérêts et dividendes versés) et un rationnement persistant du crédit bancaire, pour les PME en particulier.

Mais pour F. Hollande, qui avoue avoir « sous-estimé la gravité de la crise », cela tient essentiellement au fait que « le taux de marge » (2) des entreprises en France est « le plus bas de son histoire ». Il faudrait donc absolument impulser une remontée rapide des profits.

Cela revient à reprendre une idée éculée, connue sous le nom de « théorème de Schmidt » qui postule que « les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain ». Au nom de quoi, pour créer de l’emploi, il faudrait, avant tout, que l’État aide les entreprises à accroître leurs profits disponibles. Pour cela, dans un contexte de concurrence internationale intense, il s’agirait de faire reculer leurs coûts de production en les aidant à baisser… le « coût du travail ». Car il va de soi que, dans ce cas, on ignore le coût du capital et, en particulier, du capital financier (intérêts et dividendes) réputé intouchable.

Le pacte que F. Hollande entend passer avec le patronat vise une triple diminution :

Une baisse massive du « coût du travail » avec l’ extinction du financement par les entreprises de la branche famille de la protection sociale

Ce processus, qui prendra fin en 2017, entraînera une diminution de 5,25 % des « charges sociales » sur l’ensemble des salaires, quel que soit leur niveau. Cela coûtera 30 milliards d’euros en perte de recettes publiques et, en fait, 35 milliards d’euros en comptant les employeurs publics. Cette somme reprendrait les 20 milliards d’euros déjà accordés au titre du CICE. C’est une revendication défendue depuis 1965 par le grand patronat qui, ainsi, serait satisfaite.

Une nouvelle diminution de l’impôt sur les sociétés (IS)

Cette extinction des cotisations patronales pour la branche famille va directement augmenter les profits disponibles des entreprises et, donc, leurs bénéfices réalisés en France. On devrait en attendre, mécaniquement, une augmentation des recettes de l’IS payé. Pour empêcher cela, il est envisagé de baisser le taux de l’ IS.

Une nouvelle diminution de 53 milliards d’euros des dépenses de service public d’ici à 2017

F. Hollande a assuré que le financement de ces nouveaux allègements de « charges sociales » ne sera pas assuré par l’impôt mais par de « nouvelles économies » de dépenses publiques. D’où le nouveau montant annoncé de 53 milliards d’euros (18 en 2015 et 2016, 17 en 2017). Cela signifie un objectif de croissance nulle des dépenses publiques en volume d’ici à 2017. Cela concernerait toutes les dépenses publiques.

…en acceptant un jeu de dupes !

F. Hollande promet qu’il y aura des contreparties en emplois créés à tous ces nouveaux cadeaux.

Certes, il ne s’est guère étendu dessus. Elles « doivent être définies au niveau national et déclinées par branches professionnelles ». Elles porteront sur « des objectifs chiffrés d’embauches, d’insertion des jeunes, de travail des seniors, de qualité de l’emploi, de formation, d’ouvertures de négociations sur les rémunérations et la modernisation du dialogue social ».

Ces objectifs bien flous ne seront accompagnés d’aucune sanction en cas de non réalisation, puisqu’il serait seulement mis en place un « Observatoire des contreparties ».

Le Medef en a d’ailleurs accepté le principe, pour peu que soit proscrit tout engagement chiffré contractuel et « à condition qu’il ne se transforme pas en tribunal » !

En réalité, les gestionnaires des entreprises vont utiliser les profits supplémentaires rendus disponibles par le pacte pour payer des intérêts aux créanciers, verser des dividendes, racheter leurs propres actions, et, dans le cas de nombre de PME-TPE, redresser leur trésorerie. D’autant que le violent coup de frein donné sur les dépenses publiques va raréfier la demande intérieure.

Bref, comme l’a relevé R. Soubie (3), ancien conseiller social du président Sarkozy, qui salue le principe du pacte, il faudra pas mal de temps avant que l’on puisse constater les éventuels effets pour l’emploi.

Le PDG d’Axa, H. de Castries, a salué « les propos du chef de l’État [qui] traduisent une prise de conscience salutaire et bienvenue ». Mais il ajoute, à propos des prétendues contreparties : « On ne peut pas demander plus d’emplois avant la reprise des investissements qui, eux-mêmes, ne se décident que lorsque les marges se redressent ». Toujours ce bon vieux « théorème de Schmidt » !

Quant à J.-P. Agon, le PDG de L’Oréal, base de l’immense fortune des Bettencourt, il affirme : «je jouerai le jeu et les entreprises ne souhaitent que jouer le jeu [...]J’en prends l’engagement: ces économies de coûts qui vont venir, nous allons intégralement les réinvestir au service de l’entreprise et de ses salariés»… mais pas un mot sur l’emploi!

On est donc très loin du million d’emplois verbalement promis par P. Gattaz avant la conférence de presse élyséenne…

Au Medef on parle de mobiliser les entreprises sur les 300 000 à 400 000 emplois à pourvoir dans les « secteurs en tensions » (services à la personne, hôtellerie, tourisme…), sur les contrats d’apprentissage et les contrats de génération !

En réalité, les patrons savent bien qu’il y a une contradiction majeure entre le fait d’ accorder la priorité à la baisse du coût du travail et à la relance des profits, d’un côté, et de l’autre, la prise d’engagements sur des objectifs chiffrés et contrôlables de création d’emplois.

Mais si F. Hollande accepte de jouer aux dupes avec le MEDEF sur les contreparties en emploi, il s’engage personnellement à réaliser un objectif chiffré de réduction de la dépense publique.

Il annonce la mise en place d’un Conseil stratégique de la dépense qui, autour de lui et du Premier ministre, sera chargé d’impulser une super RGPP !

Cela ralentira encore plus la demande intérieure, incitant les entreprises à réduire l’emploi privé tandis que l’État ratatinera l’emploi public.

Ni social, ni démocrate : ultra-libéral et hyper-présidentiel

Le Medef est ainsi sollicité comme partenaire privilégié de l’État, pour ne pas dire exclusif, pour tout ce qui touche aux enjeux économiques, à la production nationale, aux entreprises.

Les syndicats de salariés se trouvent évincés. Le Parlement est relégué comme jamais au statut de « chambre d’enregistrement » quand il n ‘est pas, tout simplement, court-circuité avec la perspective d’ordonnances explicitement annoncée par F. Hollande.

Dans cette démarche, l’État n’est plus là pour corriger les excès du marché en veillant à ce que se réalise un compromis « capital/travail ». Il est désormais pleinement impliqué dans la réalisation des conditions pour que s’exerce sans entrave la domination des marchés. Et il veille, pour cela, à intégrer le monde et les forces du travail, de même que les élus, au strict respect de ces conditions.

Et tout cela au nom de la priorité à l’emploi et au redressement national, lesquels dépendraient fondamentalement de la compétitivité des entreprises et, singulièrement, d’une compétitivité construite sur la baisse du « coût du travail ». C’est à ce titre que F. Hollande se proclame « patriote » et que le ministre Montebourg le déclare même « social-patriote » !

C’est là un formidable défi de conciliation avec les exigences des marchés financiers et de la rentabilité financière qui en arrive, soit à séduire des dirigeants de la droite, soit à les inquiéter. Il pourrait, ultérieurement, ouvrir la porte à des rapprochements d’union sacrée, alors que, de partout en Europe, se multiplient les grandes coalitions gouvernementales entre ultra-libéraux et sociaux-libéraux.

En même temps, un nouveau pas est franchi par F. Hollande pour obliger le PS à faire un « aggiornamento » du type de celui qui fut fait, en 1959, en congrès à « Bad Godesberg », par le Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD) avec l’abandon, alors, de la référence au marxisme et le ralliement à l’économie de marché capitaliste.

Il s’agit d’aller beaucoup plus loin, désormais, avec l’adhésion à un mixte d’ultra-libéralisme et d’ordo-libéralisme à l’allemande cher au chancelier G. Schroeder (4), en forçant le PS à se transformer en parti démocrate à l’américaine.

Cette tentative se heurte à des résistances, jusque dans le PS. Elle intervient dans une situation où l’opinion publique apparaît en détresse, dans le salariat et dans l’électorat de gauche en particulier, comme tendent à l’indiquer nombre de sondages.

On parle de « dépression collective », on met en exergue la recherche accrue de boucs-émissaires, du côté des immigrés notamment, mais aussi du côté de ceux que l’on cherche à stigmatiser comme des « assistés » ou des « profiteurs » de la Sécu, pointés du doigt par F. Hollande lui-même.

Mais on insiste aussi sur le sentiment général d’approbation de la démarche du « pacte de responsabilité » à gauche comme à droite.

Et un sondage commandité par la Fondation nationale de sciences politiques indique, de son côté, que, sur fond de défiance généralisée très accrue envers tous les partis politiques, la perception de la compétitivité française est très mauvaise : les entreprises françaises apparaissent compétitives pour 29 % des sondés (-7 points par rapport à décembre 2013) et non compétitives pour 69 % (+6 points)… avec, au bout du compte, la peur de la fragilisation de l’emploi.

Ainsi, derrière la thématique ressassée de la compétitivité tend à se dresser la volonté, par la culpabilisation des salariés et du « coût du travail », de faire se conjuguer plus systématiquement deux consensus :

1. Un consensus social sur les gestions d’entreprises, avec au cœur la rentabilité financière, la baisse du coût du travail et, autour des entreprises, sur les territoires voués à devenir plus « attractifs » pour les capitaux financiers ;

2. Un consensus politique d’union nationale au nom d’un redressement de l’offre productive nationale et de l’emploi et au nom, prétendument, d’une reconquête de souveraineté nationale vis-à-vis des marchés financiers, grâce, dit-on, à la baisse des dépenses publiques et sociales.

Cette tentative de rassemblement censée « apaiser » la France est engagée sur la base de deux grandes angoisses qui minent les salariés et leurs familles :

1. L’angoisse face au chômage, à la précarité et au risque de déclassement, avec l’idée martelée que l’emploi dépend de la compétitivité des entreprises par la baisse du coût du travail ;

2. L’angoisse à propos de la viabilité du modèle social français, à partir des préoccupations sur les services publics et la protection sociale, avec l’idée martelée que ce modèle est en péril parce que « les Français vivent au-dessus de leurs moyens » avec des déficits et dette publics placés sous surveillance de l’Allemagne, de Bruxelles et des agences de notation.

F. Hollande adopte la posture hyper-présidentielle qu’il avait critiquée naguère chez son prédécesseur.

Il lui donne même de nouveaux développements, au service de ces choix pro-capital, en affirmant qu’il s’impliquera personnellement dans le suivi de la réalisation du pacte et qu’il se tient prêt à gouverner par ordonnances s’il le juge nécessaire.

Mais tout cela il le fait, non par souci de propagande et de saturation du champ médiatique quotidien qui caractérisait Sarkozy, mais parce que son obsession, nous dit-il, c’est la santé des entreprises et le redressement de l’offre productive nationale dont dépendrait crucialement la création d’emplois.

Cette démarche prétend rompre avec l’image traditionnelle des socialistes, redistributive et insuffisamment soucieuse de l’état de l’appareil productif. Elle porte le projecteur sur l’offre et l’entreprise.

Du coup, l’entreprise apparaît comme un enjeu décisif du rassemblement national pour l’emploi, dans un contexte de concurrence exaspérée pour les débouchés et les financements.

Mais tout cela suggère aussi que, pour l’heure, l’entreprise n’est pas suffisamment responsabilisée pour l’emploi. Aussi, avec son pacte, F. Hollande entend-il démontrer que, lui, est capable de créer les conditions, tout à la fois, du dynamisme des entreprises et de leur responsabilisation pour l’emploi… sans toucher à l’exigence exacerbée de rentabilité financière qui aujourd’hui les structure.

Bref, à la différence des socialistes traditionnels et de la droite, lui se dit capable de concilier compétitivité et emploi ! Ce serait en cela, affirme-t-il, qu’il serait « social démocrate ».

La présentation en terme de « donnant-donnant » est là pour entretenir l’illusion qu’il suffirait d’obtenir des promesses des patrons sur l’emploi, en contrepartie des avantages financiers et juridiques permettant de baisser les coûts de production. Et cela, sans avoir à se préoccuper de la nature de ces avantages et du fait qu’ils puissent être, avec la baisse du « coût du travail », antagonistes à la création d’emplois de qualité, en quantité, et totalement contradictoire, avec un réel redressement de l’offre productive.

La droite est en difficulté comme jamais, car F. Hollande occupe ouvertement son terrain traditionnel de crédibilité et de prédilection.

La réaction au PS a été, dans l’immédiat, plutôt embarrassée. Des doutes se sont exprimés sur un spectre assez large, jusqu’à des critiques à haute voix à sa gauche.

Cependant, celles-ci demeurent sur une ligne de dénonciation, sans contre-proposition, sans l’esquisse d’une cohérence alternative sur les enjeux précis que prétend traiter F. Hollande avec son pacte, dont celui, si décisif, d’inciter les entreprises à créer des emplois tout en étant « compétitives ».

De même, il manque la visée d’une alternative à la méthode Hollande de traitement de l’enjeu de faire reculer le poids de la dette publique relativement au PIB, tout en sécurisant et promouvant le modèle social français.

Riposter au « Pacte de responsabilité » en rassemblant pour un autre « donnant-donnant »

Il faut le dire et le répéter en s’appuyant sur l’expérience passée : depuis 1992 que cette politique est systématiquement mise en œuvre, la  baisse des « charges sociales » prétendant inciter les entreprises à créer des emplois, à ne pas délocaliser, en restant compétitives est un véritable fiasco.

Au total, sur la période 1992-2013 ce sont plus de 250 milliards d’euros cumulés qu’il en aura coûté aux contribuables pour permettre à l’État de compenser la perte de recettes engendrée pour les comptes sociaux par ces allègements de cotisations patronales.

On sait le résultat : chômage massif, précarité énorme, déficits extérieurs explosifs, sorties massives de capitaux, désindustrialisation, croissance ralentie...

Cependant, il ne suffira pas de constater et de dénoncer ce fiasco. L’idée d’inciter les entreprises et de les responsabiliser sur l’emploi est juste.

Mais si, pour cela, il faut leur donner quelque chose, alors que doit-on leur donner pour un résultat effectif socialement efficace ?

C’est tout l’enjeu du « donnant-donnant ».

Cette question est tout à fait fondamentale pour la période qui s’ouvre, afin de pouvoir rassembler largement à gauche :

– Pour construire une alternative de progrès ;

– Pour faire obstacle aux tentatives et tentations d’union sacrée pour les profits qui vont se faire jour ;

– Pour empêcher la droite et son extrême de ramasser la mise quand, au final, on découvrira à quel point le « pacte de responsabilité » conduit la France dans l’impasse.

Tout cela renvoie au bras de fer à engager à gauche avec les sociaux-libéraux sur une dimension essentielle de la politique économique : le système d’incitations-pénalisations des entreprises pour l’emploi et la croissance réelle.

Bref, il s’agit de faire prévaloir l’exigence d’un pacte alternatif à celui de F. Hollande, comme l’a suggéré P. Laurent en avançant l’idée d’un « pacte de solidarité ».

Comment avancer, en pratique, pour ne pas en rester au stade des intentions générales ?

Le préalable, c’est de mener campagne sans désemparer contre l’idée que la France va mal à cause d’un « coût du travail trop élevé ». Et il s’agit de riposter, coup pour coup, en montrant, au contraire combien c’est le « coût du capital » qui est à l’origine des difficultés, de même que l’insuffisance des dépenses pour développer toutes les capacités humaines (emploi, formation, salaires, protection sociale, services publics).

Sur cette base, on peut faire irruption dans le débat d’alternative à partir de quatre grandes portes d’entrée.

La fiscalité : inciter et pénaliser les entreprises

Elle est inscrite dans l’actualité immédiate avec les « Assises de la fiscalité » du gouvernement et avec les « États généraux pour la justice fiscale » décidés par le PCF.

Que faut-il exiger en terme de « donnant-donnant » avec les entreprises ?

Pour lutter contre les profits spéculatifs ou la croissance financière des capitaux, on peut se saisir de la proposition du PCF, reprise dans le programme du Front de gauche « L’humain d’abord », de modulation de l’impôt sur les sociétés.

Le principe de modulation est un « donnant donnant » : on encourage les comportements vertueux pour l’emploi (baisse du taux) et on pénalise ceux qui ne les sont pas (hausse du taux).

Il s’agirait, en l’espèce, d’encourager d’autant plus les entreprises à réinvestir leurs profits que ce réinvestissement dans la production réelle est assorti de créations d’emplois stables et correctement rémunérés et d’efforts nouveaux de formation qualifiante correctement rémunérée. Par contre, la contribution à l’impôt sur les sociétés (IS) serait d’autant plus alourdie que les entreprises distribueraient leurs bénéfices en dividendes ou l’utiliseraient contre l’emploi et la croissance réelle.

Cette réforme de l’IS viserait explicitement à accroître les recettes totales d’impôts grâce aux cercles vertueux qu’elle permettrait d’enclencher : la création d’emplois qualifiés ainsi encouragée brocherait sur un nouveau type de croissance réelle durable, facteur d’essor des recettes fiscales et sociales.

Qu’est-ce qui est de gauche, cette proposition ou la décision de F. Hollande d’augmenter la TVA et de baisser uniformément le taux de l’IS ?

Il s’agirait aussi de revisiter toutes les niches fiscales accordées aux entreprises car, si l’IS rapporte chaque année quelque 36 milliards d’euros, les mesures dérogatoires dont il fait l’objet coûtent chaque année 60 milliards d’euros à l’État.

On pourrait aussi avancer la proposition de créer un impôt décentralisé sur le capital des entreprises. Perçu au niveau local, il associerait au mécanisme de l’ancienne taxe professionnelle, à restaurer, la mise à contribution à faible taux, à l’échelle nationale, des actifs financiers accumulés par les entreprises.

Avec cette assiette très large, de plusieurs dizaines de milliers de milliards d’euros (5), un taux faible rapporterait beaucoup et concernerait surtout les grandes entreprises.

Elles seraient incitées à adopter des comportements plus favorables à la croissance réelle et à l’emploi sur les territoires. Les recettes de cette contribution seraient alors péréquatées entre les localités selon les besoins de leurs populations.

Cela contribuerait à accroître les ressources propres des collectivités locales dont le rationnement, organisé en alternance depuis vingt ans, mine leur autonomie financière, pourtant inscrite dans la Constitution, et dynamite les services publics locaux.

Une alternative pourrait alors être envisagée aux regroupements forcés de collectivités, au nom prétendu de la coopération, qui cherchent à organiser la pénurie pour les populations et l’écrémage des ressources humaines, matérielles et financières territoriales par les grands groupes.

C’est d’une brûlante actualité avec la campagne pour les élections municipales.

Les cotisations sociales patronales : sécuriser l’emploi et la protection sociale

Au lieu de baisser les cotisations sociales des entreprises au prétexte que ce prélèvement « pénalise le travail », un autre pacte serait construit sur une double réforme incitative à l’emploi et à la croissance réelle.

Dans l’immédiat, il s’agirait de faire cotiser les revenus financiers des entreprises et des banques au même taux que les cotisations sociales payées par les salariés, alors qu’il sont exemptés de toute contribution sociale aujourd’hui.

Cela rapporterait beaucoup aux comptes sociaux et inciterait les entreprises et les banques à se détourner des placements financiers. Cette contre-incitation entraînerait bien évidemment un recul de la place des revenus financiers dans les comptes de résultat des entreprises et des banques. à terme, cette contribution est appelée à se tarir.

Aussi, il s’agirait d’engager, en même temps, une réforme structurelle du financement par les entreprises de la protection sociale. Demeurant assise sur les salaires versés, les taux de cotisations sociales patronales seraient modulés selon un ratio rapportant, pour chaque entreprise, les salaires versés à la valeur ajoutée produite.

Ainsi, autre « donnant-donnant », plus une entreprise chercherait à réaliser des profits contre l’emploi, l’essor des qualifications et des salaires, par le biais d’investissements réels ou financiers, et plus elle serait pénalisée par une augmentation du taux de sa cotisation patronale. Dans le cas contraire, elle serait encouragée par une modulation révisable à la baisse du taux de cotisation.

Au total, cette réforme, contribuant de façon cohérente à l’essor de l’emploi, des qualifications et des salaires permettrait d’accroître considérablement la masse des cotisations sociales patronales versées, puisqu’elles sont calculées sur les salaires. Les déficits structurels pourraient alors diminuer.

Le crédit et les banques : baisser les charges financières des entreprises et non les « charges sociales »

Alors qu’a été créée la Banque publique d’investissement (BPI), le crédit bancaire continue de se raréfier en France. Cela pèse de façon dramatique sur le renouvellement des équipements, pour les PME-TPE particulièrement, tandis que les dépenses de recherche & développement sont gravement freinées et que les efforts de formation demeurent très insuffisants.

Un pacte alternatif à celui proposé par F. Hollande devrait conditionner par un tout autre « donnant-donnant » l’accès au crédit pour les investissements matériels et de recherche des entreprises.

Il s’agit, en effet, d’en finir avec cette pratique si funeste des « allègements de charges sociales » qui, depuis quelques années, coûtent une trentaine de milliards d’euros en moyenne par an à l’État.

L’enjeu d’un autre pacte serait d’alléger plutôt les charges financières pesant sur les entreprises.

C’est précisément ce que permettrait de faire la mise en œuvre d’un nouveau crédit pour les investissements matériels et de recherche des entreprises en France. Son taux d’intérêt serait modulé selon les engagements chiffrés et contrôlables d’emplois et de formations des entreprises bénéficiaires : plus celles-ci programmeraient d’emplois et de formations correctement rémunérés en investissant et plus le taux d’intérêt des crédits qui leur seraient accordés par les banques serait abaissé jusqu’à 0 %, voire en dessous (non remboursement d’une partie des prêts).

Tout de suite, la trentaine de milliards d’euros annuels de financement public dévolu aux allègements de cotisations sociales pourraient servir à doter un Fonds national qui les utiliserait pour amorcer ce nouveau crédit, via des bonifications sélectives des taux d’intérêt.

Ce Fonds serait décentralisé dans les régions. Il pourrait être saisi par les salariés et leurs organisations, le mouvement associatif, les élus et les employeurs. Il formerait avec la BPI, la Caisse des dépôts, la Banque postale, les banques mutualistes et coopératives dans le respect de leurs statuts, ainsi que des banques nationalisées, un pôle public bancaire et financier.

Ce pôle entraînerait tout le système bancaire dans le développement de ce nouveau crédit sélectif, y compris dans le cadre de coopérations avec des banques étrangères.

Simultanément, il pourrait faire refinancer une masse critique de ces nouveaux crédits par la BCE (6).

Ce serait là une puissante base pour contester le rôle et les missions actuelles de la BCE et rassembler en Europe, à l’appui des luttes, pour une réorientation radicale des principes de politique monétaire de cette institution qui doit être contrôlée par les parlements européen et nationaux.

Cet enjeu va être d’une brûlante actualité avec les prochaines élections européennes.

Il s’agirait, ainsi, que le taux pratiqué par la BCE pour refinancer les crédits des banques aux entreprises pour leurs investissements matériels et de recherche soit d’autant plus abaissé, jusqu’à 0 %, voire en dessous, que ces investissements programmeraient plus d’emplois et de formations correctement rémunérés et contrôlables.

Et pour que les arbitrages sur le refinancement se fassent au plus près des populations et des territoires nationaux, il s’agirait que la BCE accorde chaque année aux banques centrales nationales des enveloppes de monnaie centrale, leur déléguant un pouvoir de refinancement sur ces enveloppes selon la même règle de sélectivité et de modulation des taux.

Ainsi, le «donnant-donnant» pourrait, y compris, se faire avec les banques et influencerait le sens des relations banques-entreprises si mal orientées aujourd’hui en France.

Les services publics : soutenir l’offre et la demande à la fois

Une dimension essentielle d’un pacte alternatif à celui de F. Hollande consisterait à inclure dans le « donnant-donnant » avec les entreprises le développement de tous les services publics.

En effet, un pacte qui se contente d’encourager les gains de productivité du côté de l’offre, sans soutenir la demande, comme le fait le « pacte de responsabilité », ne peut conduire qu’à aggraver fortement le chômage.

En effet, avec les technologies de la révolution informationnelle, les économies de travail direct et indirect sont telles que, si la demande n’augmente pas de façon conséquente, cela fait un chômage énorme. Celui-ci, en pesant encore plus sur les taux de salaires, accentue l’insuffisance des débouchés et la guerre concurrentielle.

Une dimension décisive du «donnant-donnant» avec les entreprises doit donc porter sur la demande intérieure dont l’insuffisance criante aujourd’hui pénalise gravement les ETI et les PME-TPE.

Il s’agirait donc, certes, d’encourager les gains de productivité par la diminution du coût du capital et non celle du coût du travail, mais il s’agirait aussi que les entreprises soutiennent un essor des services publics, au lieu de leur rationnement que consacre le pacte de Hollande.

En effet, seules les dépenses de services publics ont la vertu de contribuer, à la fois, à diminuer les coûts et à accroître la demande solvable. Les dépenses de santé non gâchées, par exemple, accroissent la productivité globale grâce au traitement et à la prévention des maladies qui dépriment tant l’efficacité productive. En même temps, elles contribuent à accroître la demande via, par exemple, la construction d’hôpitaux, l’emploi, la formation et les salaires des personnels de santé. On pourrait en dire autant des dépenses d’éducation, de formation, de transports, de recherche, de logements sociaux, de culture…

Cela confirme l’importance d’une fiscalité efficace qui permette, non seulement, de faire progresser la justice sociale, mais aussi d’accroître les recettes nécessaires au financement des services publics et d’orienter de façon vertueuse, en ce sens, les comportements de gestion des entreprises.

Cela confirme aussi combien il est nécessaire de rassembler en France et en Europe pour que la BCE finance directement, par création monétaire, un allègement des dettes publiques certes, mais, surtout, un grand essor concerté des services publics en Europe.

Pour cela, on mesure l’importance de la proposition avancée par le PCF, reprise par le Front de gauche et le PGE, de la création d’un « Fonds social, solidaire et écologique de développement européen ». Il recueillerait la monnaie créée par la BCE à l’occasion des achats de titres publics émis par chaque pays pour le financement de ses services publics. Démocratisé, il redistribuerait alors cette monnaie à chaque État selon les besoins sociaux et culturels propres de son peuple. n

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(1) Il reprend ainsi, sans rougir, ce que le père des économistes ultra-libéraux et même libertariens, Jean-Baptiste Say, appelait « la loi des débouchés » selon laquelle « toute offre crée sa propre demande » et que Marx et Keynes ont radicalement critiqué.

(2) C’est le rapport entre l’excédent brut d’exploitation (bénéfice) qu’elles dégagent et les richesses nouvelles (valeur ajoutée) qu’elles produisent.

(3) Le Monde du 15/01/2014.

(4) Courant de pensée libérale, apparu outre-Rhin dès les années 1930, selon lequel la mission économique de l’État est de créer et maintenir un cadre normatif permettant la « concurrence libre et non faussée » entre les entreprises.  Il se rattache à l’école de Fribourg avec notamment Walter Eucken et Wilhelm Rôpke.

(5) On pourra se reporter aux comptes de patrimoine des entreprises non financières de la comptabilité nationale.

(6) L’article 123-2 du traité de Lisbonne précise que le paragraphe 1 de cet article (interdiction à la BCE de financer monétairement les déficits publics) « ne s’applique pas aux établissements publics de crédit qui, dans le cadre de la mise à disposition de liquidités par les banques centrales, bénéficient, de la part des banques centrales nationales et de la Banque centrale européenne, du même traitement que les établissements privés de crédit ».

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