Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Pacte de responsabilité : enjeux de la bataille

François Hollande voulait être jugé sur les faits. Ils sont là. La courbe du chômage ne s’est pas inversée en 2013. Et le premier mois de 2014 n’en prend pas le chemin, au contraire.

En un an, le nombre de chômeurs de catégorie A recensés par Pôle emploi a augmenté de +5,7 %. La France compte désormais 5,887 millions de chômeurs inscrits sur les listes de Pôle emploi. Quant à l’emploi, il n’y a désormais plus que 2 sorties de Pôle emploi sur 10 qui relèvent d’une reprise d’emploi, et pour l’essentiel précaire. 65,3 % des déclarations d’embauche en 2013 l’ont été sur des CDD de moins d’un mois, à peine 15 % ont concerné des CDI !

N’en déplaise au ministre du Travail, M. Sapin, il n’y a pas de « nette amélioration » sur le front de l’emploi…

Pourtant le gouvernement n’a pas ménagé ses efforts en direction des entreprises. Crédit d’impôt compétitivité-emploi pour alléger le « coût du travail » afin d’embaucher. Loi dite de sécurisation de l’emploi, qui intronise les accords de compétitivité-emploi permettant le chômage et le salaire partiels en cas de difficultés estimées par les entreprises, pour restaurer leur compétitivité sans licencier.

Résultat des courses : l’année 2013 aura été une année dynamique… en matière de chômage.

Résultat prévisible au demeurant. Depuis plus de 30 ans, les différents gouvernements appliquent cette recette de la baisse des charges des entreprises.

La politique d’exonération de cotisations sociales patronales menée depuis 1992 a déjà permis aux entreprises d’empocher 376,3 milliards d’euros. Le rabotage de la taxe professionnelle engagé en 1986, qui aboutit en 2010 à sa suppression, a permis un allégement cumulé de la charge fiscale des entreprises de 250 milliards d’euros. Le grignotage de l’impôt sur les sociétés (taux de 50 % en 1984 réduit à 33 % en 1999) et son mitage par les niches fiscales au bénéfice des grands groupes (qui coûte 60 milliards d’euros aux contribuables par an) ont réduit son rendement (36,2 milliards d’euros attendus en 2014) au point d’être inférieur de moitié au rendement de l’impôt sur le revenu des ménages (72 milliards d’euros en 2013).

Pour quels effets ? Ces allégements de charges des entreprises n’ont pas été réinvestis dans l’économie réelle. La manne dégagée est allée abonder les prélèvements financiers des actionnaires et des banques, renforçant la logique de domination de la finance sur l’économie réelle. Ce coût du capital imposé aux entreprises et à leurs salariés représentait en 2012 pas moins de 299 milliards d’euros, plus de deux fois ce qu’elles ont acquitté au titre des cotisations patronales.

Dès lors, l’investissement productif des entreprises n’a cessé de se réduire. Il plafonne à moins de 200 milliards d’euros. Loin derrière l’Allemagne et très loin de ce qu’il faudrait pour relancer l’activité. Le déficit commercial continue de se creuser. Il atteint 61,2 milliards d’euros en 2013 et la France continue de perdre des parts de marché. Précarité et chômage explosent, contribuant à freiner la demande intérieure…

Une situation qui pèse par ailleurs très lourd sur les comptes publics et sociaux. Attaqués dans les deux sens, par une réduction directe de leurs ressources et par un ralentissement de l’activité qui réduit la base de prélèvement et le dynamisme des recettes fiscales et sociales, les budgets publics et sociaux sont pris dans la nasse. Les déficits se creusent et l’endettement augmente. La qualité des services publics se dégrade et la Sécurité sociale prend moins bien en charge les assurés sociaux.

En résumé, présentées à chaque fois comme un « donnant-donnant », ces mesures d’allégements fiscaux et sociaux des entreprises n’ont été qu’un « donnant-perdant ».

Alors quand le président de la République annonce un « Pacte de responsabilité » pour redynamiser l’offre productive et sauver la compétitivité des entreprises par de nouveaux allégements de charges fiscales et sociales, l’interrogation est plus que légitime. Présenté comme un nouveau « donnant-donnant », ce Pacte ajouterait en effet aux nombreux cadeaux aux entreprises : l’extinction des cotisations sociales patronales à la branche famille à l’horizon 2017, une baisse de l’impôt sur les sociétés, le tout financé par une nouvelle réduction de la dépense publique et sociale.

Force est de constater qu’une fois de plus, l’objectif est de restaurer aujourd’hui les profits des entreprises pour favoriser leurs investissements de demain et les emplois d’après-demain. Privilégiant l’offre au détriment de la demande, ce Pacte renforcera les cercles vicieux de la crise systémique. La déresponsabilisation sociale et fiscale supplémentaire des entreprises servira à nouveau le siphonnage par la finance des marges dégagées contre l’emploi et les salaires, au prix d’une réduction drastique des services publics nationaux et locaux.

C’est d’ailleurs tout le sens de la refonte de la fiscalité des entreprises engagée par le gouvernement.

Alors qu’il y a urgence à instaurer avec un cercle vertueux des prélèvements fiscaux et sociaux en faisant des prélèvements sur les entreprises les instruments d’une dynamique économique et sociale centrée sur le développement de l’emploi, de la formation, des salaires et de la protection sociale, le gouvernement choisit de réduire leur part dans la valeur ajoutée et de laisser filer les prélèvements financiers et les coûts du capital.

Et pour compenser cette baisse des prélèvements fiscaux et sociaux sur le grand patronat et la finance, il organise la réduction massive de la dépense publique et sociale, en lien avec le diktat de Bruxelles et les exigences du Medef. Cibles privilégiées de ces mesures, les branches famille et maladie de la Sécurité sociale ainsi que les dépenses des collectivités locales sont dans le collimateur. Autant dire que cela va accélérer la dégradation des services publics, alors que leur développement nouveau apparaît encore plus crucial aujourd’hui.

Inscrite dans un contexte européen d’austérité, cette volonté de faire de la France un paradis fiscalo-social pour les grandes entreprises et la finance va accentuer la pression sur la demande déjà fortement touchée par une baisse historique du pouvoir d’achat. Elle va réduire les perspectives de débouchés des productions nationales et constituer un frein puissant au développement de l’offre. Alors pourquoi persévérer ?

Parce que derrière l’allégeance de l’équipe Hollande aux thèses libérales, qui confirme sa nuit de noce avec le patronat, se joue la refondation de notre modèle social.

Le Medef annonçait courant 2007, par la voix de D.Kessler, le détricotage par la droite des choix de 1945. F. Hollande associé à P. Gattaz élabore aujourd’hui le cadre d’un nouveau compromis social, avec l’ambition historique affirmée d’une intégration des organisations syndicales à sa construction. Nouveau compromis social dont le Pacte de responsabilité est le cœur, qui viserait à mettre l’ensemble des moyens de la puissance publique au service de l’objectif de profitabilité des entreprises et à reconstruire l’ordre public social autour de cet objectif.

Pas étonnant, donc, que le gouvernement privilégie sa relation au Medef dans l’élaboration de ce nouveau contrat social libéral, qu’il évacue les élus nationaux et locaux des décisions, et qu’il cherche par tous les moyens à intégrer les organisations syndicales à cet objectif. Ce que certaines, à l’instar de la CGT et FO, refusent toujours.

Pas étonnant non plus que F. Hollande travaille les conditions d’une Union sacrée du Parti socialiste avec une partie de la droite sur cet objectif, quitte à faire exploser son propre parti. Ni qu’il travaille par tous les moyens à ostraciser toute opposition de gauche.

L’enjeu est donc de taille et la bataille pour une alternative à ce Pacte de responsabilité centrale.

On mesure dans ces conditions toute l’importance du Pacte de solidarité porté par le PCF, proposant un système d’incitation-pénalisation des entreprises pour l’emploi et la croissance réelle. Et la nécessité d’en faire approprier le sens et le contenu, détaillés dans ce numéro d’Économie et Politique, afin de travailler à la construction d’un rapport de forces sociales et politiques suffisamment large et porteur d’une convergence des luttes.

Après les manifestations syndicales, la journée d’action nationale et européenne du 12 avril prochain sera l’occasion d’en faire la démonstration en remettant sur le devant de la scène la bataille contre le coût du capital et pour un pacte d’expansion sociale. Et les États généraux de la fiscalité de juin prochain, initiés par le PCF et ouverts à toute la gauche de transformation sociale et aux citoyens, permettront d’en approfondir le contenu.

Mais avant cela, les élections municipales sont un moment clé de cette bataille pour illustrer les désastres de ces choix politiques sur les capacités d’interventions des collectivités locales et pour ouvrir concrètement sur des propositions alternatives.

 

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