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Rencontre de l'économie sociale et solidaire - Intervention de Pierre Laurent

Le 22 janvier 2014, le Parti communiste français organisait une rencontre autour de l'économie sociale et solidaire - Citoyens, Militants, Candidats, Élus locaux : comment agir ensemble pour la transformation sociale et solidaire de nos territoires ?

Après un travail en atelier autour des thèmes du de la santé, des associations, du travail, des financements, de l'agriculture et de l'arc solidaire, Pierre Laurent, secrétaire national du PCF a ouvert la plénière. Vous retrouverez son discours ci-dessous ( seul le prononcé fait foi )

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Rencontre économie sociale et solidaire... par CN-PCF

 

"Cette initiative pilotée en transversalité par plusieurs secteurs de travail du Parti communiste est de pleine actualité : au mois d’avril sera votée à l’Assemblée nationale la loi-cadre sur l’économie sociale et solidaire que nombre d’entre vous attendaient. Mais elle ne nous semble pas à la hauteur de ces attentes, j’y reviendrai.

Cette année est celle de deux échéances électorales, les élections municipales dont on sait l’importance pour les territoires, et les européennes dont les résultats auront des conséquences économiques, écologiques et sociales très sérieuses.

Face aux crises qui affectent durement les territoires de notre pays, l’économie sociale et solidaire organise des ilots de résistance, de solidarité. Avec les coopératives, les mutuelles, les associations, même si elle n’est pas sans défauts ni dérives, elle offre des solutions innovantes, construit des entreprises pérennes, organise la solidarité avec les plus fragiles, crée du lien social. Elle grandit, et les sociétés coopératives participatives, les Scop, comme les SCIC, créent de nouveaux emplois, contrairement à l’économie capitaliste. 
Depuis quelques années, nous avons été plus attentifs à son développement, et nous souhaitons contribuer à ce qu’elle soit plus encore un pilier d’une véritable alternative. 
Une personne égale une voix, c’est dans cet esprit démocratique que nous souhaitons coconstruire avec vous des propositions qui fassent front à la crise globale, aux graves dérives du capitalisme financier. Nous pouvons le faire en nous appuyant sur toutes les expériences d’actions citoyennes solidaires, innovantes, participant à la relocalisation des activités économiques dans un esprit éthique, préservant l’environnement et donnant toute leur place aux aspirations des citoyennes et des citoyens.

Du local au global, du territoire de la commune à la France et à l’Europe, il y a des réponses concrètes à apporter aux difficultés toujours plus grandes que connaissent les populations, et l’économie sociale et solidaire y contribue largement. Mais elle a besoin d’une volonté politique. 
Cette volonté, elle est déjà présente chez les élus municipaux communistes et du Front de gauche, et se traduit par de multiples initiatives concrètes, je pense à quelques lieux symboliques de ce point de vue : Tarnos, Toulouse, Barjac, Chevilly Larue…mais la campagne des municipales, l’élaboration des programmes municipaux peut- avec votre participation y contribuer encore plus. 
- Organiser la veille pour que plus une entreprise saine ne ferme faute de repreneur, et que les salariés soient associés à leur devenir 
- Etre attentifs à l’utilisation de l’argent déposé dans les agences des banques locales à des projets de développement utiles au territoire local 
- Soutenir toutes les initiatives de circuits courts alimentaires et être à l’initiative pour ce qui est du ressort de la commune et de l’intercommunalité, maison de retraite, écoles, repas des personnes âgées, restaurants interentreprises 
- Veiller aux clauses sociales et environnementales des appels d’offres 
- Soutenir les initiatives citoyennes en matière de logement, notamment d’habitat coopératif 
- développer et soutenir tout ce qui peut contribuer aux solidarités intergénérationnelles 
- Revenir à une politique de subventions pluriannuelles aux associations, plutôt qu’à la course aux appels à projet 
- Créer avec les citoyens et les entreprises sociales et solidaires des monnaies locales qui contribuent au développement économique local 
- Revenir à une gestion démocratique de l’eau 
- Soutenir les associations de solidarité internationale 
- Et associer les habitants à toutes les décisions qui les concernent, à la gestion de leur commune, de ses équipements…

Voilà quelques une des pistes qui peuvent non seulement contribuer à une meilleure vie de nos concitoyens, à leur plus grande insertion dans la vie civique et sociale de leur lieu d’habitation, mais aussi à élargir leurs droits, en tant que citoyens, en tant que salariés. 
Toutes ces pistes, et toutes celles que nous pouvons construire ensemble, sont évidemment complémentaires, je dirai même parties prenantes des luttes que nous menons pour des changements radicaux. _ Ainsi, nous voulons, sous de multiples formes, engager un grand mouvement d’appropriation sociale. Tout à la fois, des nationalisations doivent être opérées dans plusieurs secteurs stratégiques et pour reconquérir la gestion de biens communs, un pôle public financier doit être créé auquel les banques coopératives seront associées, et le secteur coopératif doit être développé pour « entreprendre autrement ».

Dans ce cadre d’exigences, que peut apporter la loi sur l’économie sociale et solidaire ?

Tout d’abord elle présente des ambiguïtés que nombre des acteurs de l’économie sociale ont souligné. 
En ouvrant le périmètre de l’ESS à de nouveaux entrepreneurs dits « sociaux » dont l’activité répond à certains critères d’utilité sociale avec une « lucrativité limitée », sans pour autant adopter le statut qui caractérise l’économie sociale, notamment « une personne = une voix » et l’impartageabilité des réserves, la loi peut devenir une aubaine pour donner à des entreprises capitalistes une image sociale. Après le green washing, le social washing ? Attention aux dangers d’une pollinisation qui pourrait se muer en pollution du secteur de l’économie sociale et solidaire… 
Dans le même temps, la loi offre peu de possibilités de lutter contre les dérives que connaissent certaines structures de l’économie sociale. Les entreprises de l’économie sociale, si leurs statuts les distinguent nettement des sociétés d’actionnaires sont loin d’être toutes vertueuses en matière de gouvernance, de transparence et de parité dans les organes de direction. Nous sommes satisfaits du renforcement de la révision coopérative, mais il y a besoin aussi, de renforcer les contre-pouvoirs des salariés et des sociétaires, notamment dans les banques coopératives, les très grandes mutuelles, les grandes coopératives agricoles, les grandes associations de santé. 
Il faut contribuer à la réappropriation de l’Economie sociale par ses mutualistes, ses sociétaires, ses bénévoles et adhérents associatifs.

Ensuite, le présent texte, s’il est adopté, ne garantira pas que lors de cession d’une entreprise, le projet des salariés soit retenu en priorité, même s’il maintient davantage d’emplois. Ce texte ne garantit en aucune manière la localisation des emplois et de l’activité économique, la protection de tout ce qui permet à l’entreprise de vivre, et notamment les titres de propriété intellectuelle, les brevets, les marques. L’exemple de Fralib luttant pour récupérer la marque Eléphant montre où cela mène. En 2012, près de 3000 entreprises, avec 130000 salariés dont 90 000 dans des entreprises de moins de 250 salariés ont mis la clé sous la porte, faute de repreneurs ! 
D’autres emplois- 100 000 en 2012- sont détruits, à l’occasion des fermetures judiciaires, au nom de la rentabilité financière. Dans de nombreux cas, des salariés se sont engagés dans des luttes intégrant la reprise coopérative. Des succès ont été remportés, les imprimeurs d’Hélio Corbeil, les marins de MyFerryLink les salariés d’Arféo (mobilier), et d’autres sont encore en lutte comme les emblématiques Fralib ou les glaciers de Pilpa. Il est temps de donner aux salariés qui le souhaitent les outils leur permettant de reprendre leur entreprise et de défendre leurs emplois. Les entreprises européennes ont accumulé 346 milliards d’euros de trésorerie de 2007 à 2013. A l’heure où la croissance via des productions utiles stagne, à l’heure où les banques refusent aux TPE, PME, PMI les fonds nécessaires pour investir, créer de l’emploi et produire pour répondre aux besoins, cet argent serait bien utile à toutes ces entreprises de l’économie sociale qui ne cherchent pas le profit pour des actionnaires mais des bénéfices pour améliorer leurs productions, les salaires des ouvriers et assurer la pérennité de leur entreprise. 
Ainsi, nous souhaitons, comme le préconisait d’ailleurs le Conseil économique, social et environnemental, instaurer un droit de reprise dans un délai raisonnable, prévoir un véritable droit de préférence au profit des salariés, renforcer le rôle des banques coopératives et ouvrir l’épargne salariale pour l’octroi des prêts et garanties en appui aux projets de ces derniers. Là encore Le gouvernement doit cesser de céder au patronat qui refuse ce droit de reprise, alors qu’il est incapable d’assurer cette reprise des entreprises. Non que ce droit porte atteinte au droit de propriété comme le clame le ministre en charge de l’ESS, mais parce les dirigeants du MEDEF et de la CGPME sont bien conscients que la reprise en coopérative change la structure de la propriété, et donne des droits nouveaux aux salariés.

En ce qui concerne les mutuelles, il reste aujourd’hui, 623 mutuelles d’assurance, il y en avait 6 000 dans les années 1990. Elles ont longtemps joué un véritable rôle solidaire en matière de couverture des risques santé et accident. Aujourd’hui, ce mouvement issu de plus d’un siècle de conquêtes syndicales, déjà attaqué par les directives européennes, est à nouveau menacé par la loi Hamon. Parmi elles, 550 sont des mutuelles territoriales ou professionnelles à taille humaine, qui gardent un lien direct avec leurs adhérents. Seules une vingtaine de mutuelles font aujourd’hui un chiffre d’affaires supérieur à 120 millions d’euros. Les articles de la loi concernant directement la mutualité, sont rédigés pour que ces grandes mutuelles qui, pour certaines, aspirent à devenir de «  grands opérateurs de marché  » puissent être assimilées aux assurances. Parmi les dispositions prévues pour cela ; il en est une qui me parait particulièrement grave au regard du fonctionnement démocratique qui caractérise le mutualisme : 
La modification de l’article L. 114-17 qui suspend le rôle de l’assemblée générale dans la fixation des montants des cotisations et des prestations au profit du conseil d’administration, voire, dans le cadre d’une délégation, du seul président. Ceci supprime de fait ce qui constitue la base de la vie mutualiste  : décider démocratiquement de la nature et du niveau des prestations, c’est-à-dire décider des solidarités. Pour le reste, chaque article est conçu pour permettre l’entrée des assurances privées dans le champ mutualiste. 
Au bout du compte, ce projet de loi s’il reste en l’état conduira, comme l’écrivait Jean Sammut dans, dans l’encart 4 pages consacré chaque mois à l’économie sociale et solidaire par l’Humanité, « à insérer un peu mieux, voire un peu plus, l’ESS dans le marché ». 
Si le Pcf et le Front de gauche portent la proposition d’une sécurité sociale solidaire qui prenne en charge à 100% les soins prescrits ce qui modifie sensiblement les réponses et les rôles dans la protection sociale, nous sommes convaincus que les mutuelles continueront de jouer un rôle significatif en matière de prévention, de protection, d’éducation à la santé. Elles ont aussi une place à tenir dans une démocratie sanitaire réelle en étant des représentantes des ayants-droit à la santé. Les outils médicaux et paramédicaux, cliniques, centres de santé, maisons de retraites et de convalescence, dont les mutuelles se sont dotées devront être préservés et développés.

Nos sénateurs ont défendu des amendements à la loi-cadre sur ces différents aspects de la loi. Ils n’ont pas été entendus, nos députés à leur tour défendront des amendements pour modifier la loi en profondeur. Mais nous savons que c’est dans les luttes et les constructions de terrain que nous pourrons contribuer à la défense d’une économie sociale et solidaire qui contribue réellement à démocratiser l’économie.

Nos concitoyens sont aujourd’hui taxés d’individualisme. C’est faire peu de cas des millions de bénévoles associatifs, qui font vivre les associations solidaires, les associations d’éducation populaire, les associations sportives qui dimanche après dimanche accompagnent des enfants dans les stades et les gymnases, les associations qui se dévouent souvent sans les moyens nécessaires à l’aide aux devoirs ou au maintien à domicile de nos anciens. 
La vie associative subit durement la crise et la politique actuelle : l’état se désengage, incite les associations à recourir aux appels à projet, voire au financement privé au détriment de la subvention. Il veut un engagement plus important des collectivités territoriales au moment où il leur impose l’austérité. L’emploi associatif diminue et se précarise. La baisse du pouvoir d’achat aboutit à une baisse des dons. Si la redéfinition de la subvention peut conduire nos élus à refaire du lien avec ces associations, les économies drastiques imposées par le gouvernement ne permettront pas réellement un nouveau développement de la vie associative. Trop d’associations mettent aujourd’hui la clé sous la porte faute des moyens nécessaires à leur fonctionnement. Tout cela contribue au recul de la vie démocratique, de l’engagement citoyen, malgré le dévouement des bénévoles. Le recul de la démocratie très préoccupant dans notre pays n’épargne pas la vie associative. 
La vie associative et le bénévolat constituent une richesse de notre pays. Imaginons un seul instant une grève de tous ces bénévoles. Pas besoin de commentaire !

Vous avez discuté dans l’un des ateliers, de la constitution d’un Arc solidaire, à l’initiative de Maurice Décaillot, économiste communiste, auteur d’ouvrages sur l’économie équitable. J’espère que cette expérimentation innovante, destinée à renforcer la solidarité entre acteurs de l’économie solidaire au moyen de lieux d’échanges équitables, à créer de nouvelles coopérations, à inventer de nouveaux modes socialisés, mutualisés, de financements, à établir de nouveaux rapports entre acteurs de l’économie sociale et collectivités locales va prendre corps, et contribuer à changer les rapports sociaux, à changer le travail, de sorte que les travailleurs en soient les maîtres.

Nous entamons un processus d’élaboration devant mener dans quelques mois, à une convention sur un nouvel essor de l’industrie dans un modèle productif transformé. 
Vous êtes bien sur invités, car vous avez toute votre place dans cette co-construction, avec vos compétences, votre expérience et vos convictions. 
J’espère que ce dialogue qui n’est pas le premier va se poursuivre sur le long terme, pour que nous puissions construire ensemble une Economie sociale et solidaire de changement social, dans un esprit mutualiste, associatif et coopératif qui contribue à refaire de notre pays une terre de solidarité, d’égalité et de fraternité.

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Rencontre de l'économie sociale et solidaire - Intervention de Pierre Laurent

Par Pierre Laurent, le 28 January 2014

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