Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Mettre à plat la fiscalité française mais pas les citoyens !

Les vieilles lunes libérales ont la vie dure. La CSG, à peine décidée, le 28 décembre 1990 sous le Ministère de M. Rocard, que l’idée de fusionner ce nouvel impôt avec l’impôt sur le revenu était avancée. Cette proposition était aussitôt assortie d’une seconde : la mise en place de la retenue à la source (voir rapport du Conseil des impôts de 1991).

Plus de vingt ans après, c’est ce cheval de bataille qu’enfourche le Premier ministre, J.-M. Ayrault, en annonçant comme axe structurant de son projet de « remise à plat de la fiscalité française » une fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG et la retenue à la source. Pour lui, il n’est par ailleurs pas question de revenir sur les augmentations de TVA au 1er janvier 2014 qu’il juge indispensables à l’allégement des charges des entreprises en vu d’améliorer leur compétitivité.

La fusion IR/CSG, un plat qui se mange froid

Au cœur de ce projet de « remise à plat de la fiscalité » est le débat central sur le financement de la dépense publique. Dans un contexte de recherche absolue de la « baisse du coût du travail », cet objectif suppose un changement d’assiette des prélèvements fiscaux et sociaux. Pour une part importante, cette évolution concerne la nature et le mode de prélèvement des impôts. Pour le gouvernement, il s’agit de parvenir rapidement à organiser un transfert massif des financements publics et sociaux, des entreprises vers les personnes physiques.

Nous arrivons aujourd’hui en ce domaine à une sorte de point de rupture, nous sommes à la limite du basculement entre deux systèmes. Soit on conserve et on accentue les prélèvements publics et sociaux sur la richesse créée (valeur ajoutée) pour financer la dépense publique, et particulièrement tout ce qui relève de la protection sociale et des services publics. Soit on assoit l’essentiel de ces financements sur les personnes par le biais d’une fiscalité transformée à partir d’un impôt sur le revenu élargi et d’une fiscalité indirecte augmentée, dont le poids est toujours supporté par le consommateur final, à savoir le citoyen et/ou les ménages.

À ce transfert de financement s’ajoute le besoin de réduire massivement la dépense publique, conscient sque sont, même les plus libéraux, de l’impossibilité de faire supporter par les individus la totalité de ce qui est financé par les prélèvements sur la valeur ajoutée. L’objectif central des requins de la finance serait ainsi atteint. D’un côté, ils auraient à leur disposition une part de valeur ajoutée de plus en plus importante. De l’autre, ils engrangeraient de nouveaux profits, notamment par le biais d’assurances privées venant offrir leurs services en matière de retraite, de protection de la famille et de santé en lieu et place de la solidarité nationale sur laquelle est construite la Sécurité sociale.

Et c’est exactement ce type de message qu’envoie le Premier ministre lorsqu’il annonce que pour réaliser dans de bonnes conditions la remise à plat de la fiscalité française, il faudra en passer par l’économie de 50 milliards supplémentaires sur la dépense publique d’ici 2017.

C’est cela la ligne de réformes du gouvernement. Avec elle, non seulement le déficit public ne sera pas comblé, mais il risque de s’aggraver tant la contradiction entre l’obsession de la baisse du coût du travail et la hantise de la réduction du déficit public hypothèque tout espoir de relance de l’activité réelle et de l’emploi.

La proposition de fusion de l’IR et de la CSG participe de cette situation. C’est pourquoi nous ne pouvons l’accepter. Elle déboucherait dans les faits sur la création d’un nouvel impôt sur le revenu, en donnant un caractère progressif à la CSG – qui aujourd’hui n’en a pas. Or ceci aurait, contradictoirement, de lourdes conséquences :

1. La quasi-totalité des citoyens seraient alors soumis à ce nouvel impôt sur le revenu. Y compris les plus modestes, pour ne pas dire les plus démunis, puisque ne sont hors champ de la CSG que quelques allocations (1). L’objectif d’élargissement de l’assiette de l’impôt sur le revenu serait sans doute atteint, sauf que ce serait par le bas, les revenus de capitaux pouvant dormir tranquilles. Or, les personnes aux revenus modestes payent déjà beaucoup d’impôt. Ils sont soumis à la TVA, à la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, ou encore à la taxe d’habitation, un impôt local qui fait par ailleurs l’objet de nombreuses demandes de remise gracieuse dont la décision dépend pour une large part de la situation du contribuable au regard de son imposition à l’impôt sur le revenu. Enfin, il est bon de souligner, contrairement à ce que d’aucuns voudraient faire croire, que 75 % du produit de la CSG provient des revenus d’activité. La part des revenus dits du capital demeurant donc particulièrement limitée. Enfin, rappelons que le taux de la CSG sur les revenus d’activité est passé de 1,1 % en 1990 à 7,5 % en 1998 (2).

2. Cette fusion accroîtrait significativement la dérive amorcée depuis plus de vingt ans du financement de la protection sociale par la fiscalité. La fusion IR/CSG participerait en ce sens à approfondir l’œuvre de déresponsabilisation sociale des entreprises. Il faut rappeler que les prélèvements sociaux sous forme de cotisation sociale, s’ils sont calculés en fonction des salaires, s’opèrent sur la valeur ajoutée hors salaire des entreprises et, en fait, sur les profits. Les conséquences seraient considérables :

– La fusion IR/CSG, construite sur une progressivité de la CSG, amorcerait une sortie du principe : « on cotise en fonction de ses moyens et on reçoit en fonction de ses besoins ». En rendant progressive selon le revenu une part du financement de la Sécurité sociale, le risque serait d’ouvrir la voie à une progressivité du niveau de prestations en fonction du niveau de « cotisation ». Chacun recevant en fonction de sa contribution.

– Tendant à donner le change, cette progressivité de la CSG servirait surtout à faire croire que cet impôt est un impôt comme les autres. Ce qui n’est pas le cas. La CSG c’est 91milliards d’euros alors que l’impôt sur le revenu c’est à peine 70 milliards. Elle représente 24 % du financement de la Sécurité sociale et n’entre pas dans le budget de l’État, étant directement affectée au financement de la Sécurité sociale.

– Or la fusion ferait automatiquement sauter le caractère affecté à la Sécurité sociale de la CSG. Elle ferait passer cette dernière par le budget de l’État, avant d’être réorientée vers le financement de la Sécurité sociale. De sorte que le niveau de cette réaffectation serait tributaire des arbitrages de l’État sur ses comptes publics. Clairement cette fusion renforcerait le pouvoir de l’État sur le financement de la Sécurité sociale, avec un risque majeur pour cette dernière de devenir la principale variable d’ajustement de la politique de lutte contre les déficits publics et la dette de l’État. Celui-ci remplirait ainsi ses caisses à bon compte sur le dos de la Sécurité sociale qui n’aurait au final plus que le choix d’ajuster le niveau de ses prestations et de ses cotisations en fonction de cette ponction.

– Par ailleurs, la fusion travaille l’idée d’une harmonisation fiscale de type fédéraliste au sein du couple franco-allemand. En faisant passer le poids de l’impôt sur le revenu en France de 3,3 % du PIB à 7,5 %, la fusion IR/CSG permettrait un rapprochement avec la situation allemande (IR = 9,7% du PIB). Et elle permettrait de réduire le poids de la cotisation sociale dans les prélèvements obligatoires français pour le rapprocher de celui de l’Allemagne. Les cotisations sociales pèsent en France 10 % du PIB contre 6,3 % en Allemagne, pays où les salariés doivent, en contrepartie, dépenser beaucoup plus qu’en France en matière d’assurances privées. Un alignement de la France sur l’Allemagne qui entraînerait une diminution de 90 milliards d’euros de cotisations sociales à la charge des entreprises.

Un rapport des services du ministère des Finances tenu secret et révélé au cours de la première semaine de décembre 2013 corrobore sur plusieurs points d’une façon éclatante l’analyse développée ci-dessus. Au centre de la remise à plat de la fiscalité et réclamée par la majorité gouvernementale, la fusion de l’impôt sur le revenu (IR) et de la CSG a fait l’objet de nombreuses études. L’une d’elles, la plus récente, n’a jamais été publiée. Réalisée à la demande du Parlement et bouclée début 2012, elle a été menée par la direction de la législation fiscale et la direction de la Sécurité sociale. Ses conclusions sont sans appel.

Premier constat : ces deux impôts sont en tout point dissemblables. Le premier est progressif et « familialisé », sous-entendu intègre un élément clé : le quotient familial. Tandis que le second est proportionnel et individuel. Second constat : les assiettes sont également différentes. Celle de l’impôt sur le revenu est étroite et « mitée » par des niches fiscales. Tandis que celle de la CSG est large. Troisième constat : la CSG est prélevée à la source alors que l’IR est collecté a posteriori, avec un an de décalage. Trois constats qui marquent la différence de nature de ces deux modes de prélèvement obligatoire et rendent leur fusion problématique.

Mais le rapport ne s’en est pas tenu à ces seuls constats. Trois scénarios ont été testés à partir de schémas plus ou moins redistributifs (3), tous étant à produit constant et sur la base d’une assiette intermédiaire entre la CSG et l’IR. Dans tous les cas, le nombre de perdants excède 9 millions de foyers. Or 35 % à 45 % de ces perdants disposent de moins de 26 000 euros de revenus et près de 1 million de foyers perdants déclarent moins de 14 000 euros de revenus. Les familles avec enfants apparaissent également perdantes du fait qu’« une partie des sommes consacrées à la famille est dirigée vers les non-imposables. » S’ajoutent à ces inconvénients le risque d’une perte d’autonomie de la sphère sociale, financée par la CSG, ainsi que le risque d’un « mitage » de l’assiette de la CSG par celle de l’IR. Le rapport concluant logiquement sur le risque social d’une telle réforme.

Retenue à la source : la sœur de lait de la fusion IR/CSG

On comprend mieux pourquoi, cette fusion IR/CSG a besoin, pour voir le jour, de la mise en place concomitante de la retenue à la source. Trois éléments d’explications :

1. La retenue à la source ne concernerait que le seul impôt sur le revenu et, en son sein, seulement les revenus salariaux. À partir du moment où les collecteurs de l’impôt sont les entreprises et les caisses de retraite, il est aisément compréhensible que tous les revenus non connus et non maîtrisés par ces deux collecteurs n’entrent pas dans le champ de cette retenue. Il s’agit essentiellement des revenus d’activités non salariales, des revenus financiers mais aussi de la taxe foncière. Par contre, la taxe d’habitation (TH) et la redevance audiovisuelle dont le fichier, comme celui de la CSG, est étroitement lié à celui de l’impôt sur le revenu, pourraient tout à fait être concernées.

2. La retenue à la source serait par ailleurs un excellent outil pour rendre l’impôt « indolore ». Fini le casse-tête pour obtenir le consentement des citoyens à l’impôt. Et belle opportunité, quand l’objectif est d’accroître les prélèvements sur les ménages, pour en augmenter sensiblement la charge sans avoir l’air d’y toucher.

3. Devenant collecteur potentiel de l’impôt, les entreprises auraient accès à des données privées concernant la situation familiale et économique de leurs salariés qu’elles n’ont pas normalement à connaître. Les employeurs seraient alors maîtres d’informations utiles pour les négociations sociales et salariales, collectives et individuelles.

4. Que deviendraient les sommes collectées par les entreprises qui tomberaient en liquidation judiciaire ? N’y a-t-il déjà pas assez des pertes de recettes de TVA ?

5. Comment imaginer, alors que le coût de la gestion de l’impôt sur le revenu est estimé par Bercy à 1,5 milliard d’euros, que les entreprises et les caisses de retraites se contenteraient d’accomplir cette mission sans défraiement ?

Quelle alternative ?

Si l’heure est à une mise à plat de la fiscalité, le sens que compte lui réserver le Premier ministre semble une nouvelle fois loin de l’aspiration des citoyens à plus de justice et d’efficacité sociale.

Derrière un apparent manque de cohérence et de visibilité de l’action publique s’élabore, en fait, un projet homogène. Rendu flou par une sorte de thérapie du choc permanent à base de déréglementation, de précarisation, de brouillage de pistes, il s’inscrit dans l’installation d’un autre système où la société toute entière serait mise au service de la rentabilité, des actionnaires et du taux de profit contre la satisfaction des besoins humains et sociaux.

Mais au fur et à mesure que s’approchent les échéances de ce basculement – que Jean-Marc Ayrault annonce sur dix ans dans une intervention du 8 décembre 2013, c’est dire la profondeur des enjeux et le niveau des transformations à opérer –, monte la prise de conscience populaire de l’impasse que ces choix représenteraient et se construisent des contre-feux sociaux. D’où des manœuvres, des manipulations comme celles des « bonnets rouges » qui, s’appuyant sur un véritable mécontentement populaire face à une pression fiscale de plus en plus difficile à supporter, instrumentalisent ce mécontentement pour faire progresser les thèses les plus libérales et donner ainsi prétexte au gouvernement de poursuivre sur la voie des contre-réformes.

Plutôt que de sacraliser la CSG, l’heure est à engager un processus visant à sa suppression. Un plan pluriannuel de réduction de la CSG serait proposé corrélativement à la montée en charge d’une réforme du mode de financement de la protection sociale articulée autour de trois propositions :

– La suppression des exonérations de cotisations sociales patronales ;

– La taxation des revenus financiers des entreprises ;

– L’augmentation et la modulation des taux patronaux en fonction de la part des salaires dans la valeur ajoutée selon les branches professionnelles.

Au-delà, la mise à plat fiscale doit conduire à une réforme en profondeur de la fiscalité à partir du besoin de justice devant l’impôt et d’une autre répartition, mais aussi à partir d’une incitation à utiliser différent les fruits de la richesse produite pour la création de richesses utiles et la satisfaction des besoins sociaux, combinée à une pénalisation des gaspillages financiers et du capital.

Et pour cela nous faisons les propositions suivantes :

– Un impôt sur le revenu de type universel à taux et au nombre de tranches relevés ;

– Un impôt sur les sociétés progressif et modulé selon l’affectation des bénéfices ;

– Un nouvel impôt territorial des entreprises taxant leurs placements financiers ;

– Un ISF au barème rehaussé intégrant les biens professionnels modulés en fonction des efforts consentis en matière d’emplois et de formation ;

– Un recul de la pression fiscale sur la consommation (TVA, TIPP) ;

– Une réforme de la fiscalité directe locale passant par une véritable révision des bases d’imposition et le plafonnement de la taxe d’habitation.

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(1) Pour mémoire ne sont exonérés de CSG que les revenus suivants (en fait des allocations) :

• Allocation de lodgement spécial (ALS) ou familial (ALF) ou aide personnalisée au logement (APL).

• Prestations familiales : prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), allocations familiales, complément familial, allocation de soutien familial (ASF), allocation de rentrée scolaire (ARS), allocation journalière de présence parentale (AJPP).

• Revenu de solidarité active (RSA).

(2) évolution du taux de CSG sur les revenus d'activité :

– 1991 : 1,1 % (création par le gouvernement Rocard)

– 1993 : 2,4 % (gouvernement Balladur)

– 1996 : création d'une nouvelle taxe « provisoire : la CRDS » avec à peu près la même assiette que la CSG à un taux de 0,5 % et élargissement de l'assiette de la CSG aux revenus du patrimoine (gouvernement Juppé)

– 1997 : augmentation du taux de la CRDS : 3,4 %

– 1998 : 7,5 % pour la CSG (gouvernement Jospin).

(3) Les variantes portent essentiellement sur les hypothèses retenues en matière de quotient familial et de quotient conjugal et les barèmes comprennent une dizaine de tranches de 0 % jusqu’à 51 % ou 55 %.

 

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