Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Europe cherche convergences fiscales pour autre politique budgétaire

L’adoption du traité sur la stabilité, la convergence et la gouvernance européenne et sa transcription dans le programme de stabilité 2012/2017contribue singulièrement à l’aggravation des politiques d’austérité budgétaires dans toute l’union européenne.

Ce programme de stabilité place sous surveillance étroite les Etats européens signataires de ce pacte, avec une mise sous tutelle de leur budget désormais soumis à l’imprimatur d’un comité de sage missionné par la commission de Bruxelles. L’objectif poursuivi est de faire respecter la « règle d’or » qui contraint les Etats à mettre en œuvre une politique d’ajustement dès lors que le déficit structurel (déficit corrigé des fluctuation de conjoncture) dépasse 0,5% du PIB.  Les deux leviers actionnés pour atteindre cette orthodoxie budgétaire sont toujours les mêmes. D’une part : réduction drastique de la dépense publique ; de l’autre : augmentation des prélèvements fiscaux.

C’est dans ce dangereux cadre  régressif et sur fond d’une zone euro en récession, qu’a été élaboré le budget de l’Union Européenne pour les sept ans à venir. Avec un budget de 960 milliards d’euros pour la période 2014-2020, il était de 975 milliards pour la période 2006-2013, l’Europe a choisi l’austérité pour une longue période. On mesure au passage quel rôle il reste à jouer pour la représentation parlementaire européenne et qui décide vraiment de la politique européenne. Divers financements utiles à l’activité humaine vont être directement frappés, par exemple : réduction de l’aide sociale, des aides aux PME innovantes alors que cela ne représentait déjà que 0,2% du budget et révision de la PAC. Pour couronner le tout, diverses affaires politico financières, dont l’affaire Cahuzac, éclatent en son sein.

Le gouvernement français et le Président de la République placés en première ligne en ont profité pour brandir un énième plan de lutte européen contre la fraude et l’évasion fiscale. S’il y a beaucoup de bluff, il y a aussi une part de vérité. En Europe comme en d’autres lieux d’ailleurs, de nombreux dirigeants et responsables commencent à s’inquiéter du peu de marges budgétaires dont ils disposent. Face à la dérive de l’évasion fiscale : 1000 milliards d’euros pour l’Europe, il est juste que la question de la fiscalité et plus particulièrement d’une harmonisation fiscale européenne vienne en débat. Mais il faut également constater que depuis 1957 (Traité de Rome), toutes les tentatives en la matière n’ont connu que l’échec. Et pourtant, au départ, seul la TVA était concernée. Plus tard en 1992, au moment de la mise en place du grand marché intérieur, le manque d’harmonisation des régimes fiscaux avait été pointé comme un handicap à la coordination des politiques économiques européennes, sans que cela ait pourtant été considéré comme une entrave rédhibitoire.

Depuis, la situation n’a cessé de se dégrader en arrivant même à ce que les échanges d’informations fiscales soient rendus très difficiles sur le territoire de l’Union. En 2003 une directive a certes instauré un échange automatique en la matière, mais des pays comme le Luxembourg, la Belgique, l’Autriche ont bénéficié d’une période de transition dont on tarde à voir la fin.

Ainsi, les candidats à l’exil fiscal n’ont pas vraiment lieu d’être inquiets sur les possibilités qui leur sont offertes d’utiliser sans risques les différentiels de fiscalité, le tout sous la bannière de la liberté de circulation des hommes et des services au sein du Marché unique. Et si l’exil fiscal des particuliers est une question, celui pratiqué par les entreprises et les grands groupes sous couvert « d’optimisation » en est une autre. Leur génie financier trouve sa quintessence dans la pratique des prix de transferts qui consiste à faire surfacturer par des filiales implantées dans des pays à fiscalité privilégiée les services qu’elles rendent à celles implantées dans les autres pays ;ce qui réduit d’autant la charge fiscale globale du groupe.

Cela ne rend que plus évident le jeu de dupes auquel se livre la pensée ultralibérale lorsqu’elle se fait le chantre de l’harmonisation fiscale européenne. Pour elle, l’harmonisation est surtout le moyen d’offrir une plus grande volatilité au capital, au profit, à la fortune et aux mouvements spéculatifs.

Cela dit, il y a besoin d’apporter une réponse à cette importante question de l’harmonisation fiscale en Europe. L’aborder exige d’apprécier les ressorts profonds de l’organisation politique et administrative des pays et plus globalement de leur vie démocratique. La construire suppose de s’accorder sur le mode de développement économique et social que l’on veut en Europe et dans chacun des pays européens. Au stade actuel du débat, il n’est en effet pas neutre que la réflexion sur l’harmonisation fiscale, porte prioritairement sur des impôts comme l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le capital ou la fortune parce que c’est précisément le poids de ces impôts que l’on veut réduire en utilisant la mise en concurrence avec les pays à bas coût fiscal.

Construire une harmonie fiscale en Europe suppose de définir l’objectif et le cadre général  fixé à la fiscalité et plus globalement à la politique fiscale, au plan européen à partir de la réalité des pays qui composent l’Union et des besoins de leurs populations.

On ne peut également ignorer que la capacité d’un pays à décider de sa politique fiscale et à lever l’impôt représente un des fondements de sa souveraineté. Une souveraineté qui est déjà particulièrement mise à mal par les dispositions découlant des divers traités en vigueur, de Maastricht au TSCG.  En arrière plan se joue soit l’évolution vers le fédéralisme fiscal, une des pierres angulaires du fédéralisme politique, soit la mise en œuvre d’une véritable convergence fiscale.

En outre, un événement devrait nous inciter à réfléchir sur le sens et la portée d’une politique d’harmonisation fiscale. Il s’est agi en France, de l’harmonisation de la taxe professionnelle avec l’instauration d’un taxe professionnelle unique (TPU) au niveau des communautés de communes ou d’agglomération. Alors qu’il devait s’agir de lutter contre la concurrence fiscale entre communes, le résultat, une quinzaine d’année plus tard,  est instructif. Premièrement, l’harmonisation des taux s’est effectuée par le bas. Ce qui, au global, s’est traduit par une baisse des recettes de taxe professionnelle une fois cet impôt unifié. Deuxièmement, jamais la concurrence entre territoires et collectivités n’a été aussi exacerbée. Face à une création de richesses au point mort, les collectivités territoriales ont multiplié les offres (exonération temporelle ou partielle, voire totale d’impôt local) pour convaincre les entreprises nouvelles de s’installer sur leur territoire, ou inciter certaines à s’y délocaliser. Troisièmement, la taxe professionnelle a fini par disparaître. C’est N. Sarkozy qui lui a porté le coup de grâce. Cet exemple donne à réfléchir, car c’est bien c’est sur un modèle de ce type que pourrait être construite l’harmonisation fiscale européenne.

Enfin en se limitant à l’observation de notre propre situation nationale, il est légitime de se demander quelle harmonisation de l’impôt sur les sociétés pourrait se travailler au plan européen alors que déjà en France, le taux réel de cet impôt bien en-deçà du taux affiché de 33,33% et non uniforme. Le taux réel de notre impôt sur les sociétés n’est en effet que de 8% pour les entreprises du CAC 40 alors qu’il est de 24% pour les PME.

Combattre le dumping fiscal en Europe passe aussi par le règlement d’une telle question au sein même de chacun des Etats européens, ce qui suppose d’engager des processus de refonte radicale de leur fiscalité en cherchant à bâtir un impôt national juste et efficace (par exemple un impôt sur les sociétés progressif et modulé), socle de la construction d’une vraie coopération fiscale en Europe.

A l’heure d’envisager la mise en place d’une harmonisation fiscale européenne il s’agit d’en définir la finalité et de travailler conjointement le contenu des politiques fiscales nationales afin de permettre l’engagement d’un véritable processus de mise en commun. Car aujourd’hui, force est de constater que l’objectif prioritaire des laudateurs officiels de l’harmonisation fiscale européenne qui ne manquent d’ailleurs pas de s’élever contre les écarts d’imposition entre les pays de l’Union européenne et d’en souligner l’aspect négatif pour le développement économique, est de réduire au plus petit dénominateur commun la fiscalité des entreprises, du capital et des plus riches. Une posture qui vise par une concurrence faussée à soumettre les populations au dogme de la rentabilité et du fédéralisme européen et à instaurer un taux unique qui serait le plus bas possible, pour tous les pays de l’Union. L’étendard de l’harmonisation n’est brandi que pour mieux faire accepter par les ménages aux revenus modestes et moyens, les cures d’austérité à répétition et l’augmentation de leur contribution sociale et fiscale. Des choix qui relèvent d’une logique mortifère pour les finances publiques et qui annihilent toute possibilité de relance d’une nouvelle croissance.

Pour une convergence fiscale en Europe.

En matière de fiscalité comme en d’autres domaines, la coopération entre Etats européens doit reposer sur des bases claires. L’objectif est de construire des coopérations mutuellement avantageuses et non d’aubaine, placées sous le contrôle démocratique des populations. Vu son caractère universel et cela malgré de fortes disparités, la fiscalité est une matière qui peut se prêter assez aisément à la construction de vraies solidarités à condition qu’elles aient pour objectif le co-développement, la mutualisation et le partage des moyens et des résultats à l’opposé de constructions technocratiques imposées à tous en dehors de toute réalité sociale et économique locale. Travailler à construire une coopération fiscale efficace suppose d’établir une vraie coordination des politiques fiscales de chaque Etat dans le respect de chacun et sur la base d’une convergence d’intérêts librement définie.

Dès lors il semblerait que le principal problème ne soit pas forcément les différentiels d’imposition qui existent entre pays, mais la manière dont on traite la situation fiscale des contribuables, personnes physiques ou personnes morales, qui utilisent ces différentiels pour pratiquer l’exil fiscal au cœur même du territoire de l’Union européenne, aux fins de se dispenser ainsi de tout ou partie de leur impôt. Il faut en effet tenir compte du fait que la politique fiscale, c’est-à-dire la législation fiscale et le taux des impôts pratiqués dans chaque pays, traduisent une histoire propre et reflètent un niveau général de développement de ces pays. Leur imposer de façon abrupte des normes hors de leur capacité pourrait contribuer à aggraver leurs difficultés au lieu de leur permettre de les résoudre. N’est-ce pas cela qui s’est produit avec la mise en place uniforme de l’Euro dont on peut aujourd’hui mesurer les conséquences dans des pays, comme la Grèce ou encore l’Italie, le Portugal, l’Espagne…

Concrètement cette coopération pourrait s’incarner dans la construction d’un serpent fiscal européen. Son mécanisme serait basé sur la mise en place de taux d’imposition plancher en dessous desquels on ne pourrait descendre notamment pour les catégories d’impôts directs et progressifs et de taux plafonds au dessus desquels on ne pourrait aller, particulièrement pour les impôts à taux proportionnels qui dans la plupart des cas, taxent la consommation et dont le plus emblématique est la TVA.

En termes stratégiques, il semblerait utile de placer l’élaboration et le contrôle d’un tel mécanisme sous la responsabilité d’une commission de la coopération et de la convergence fiscale installée dans chaque Etat et au niveau européen. Le travail de ces commissions serait placé sous le contrôle des parlements nationaux et européens. Elles seraient composées de députés, de représentants des organisations syndicales de salariés et du patronat, de responsables d’organismes de consommateurs et de spécialistes de la fiscalité. Cette commission aurait la double responsabilité :

-         De travailler à la mise en cohérence des éléments constitutifs de l’assiette des impôts directs et progressifs tels que l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le revenu et l’impôt sur la fortune ;

-         D’adosser au serpent fiscal un dispositif complémentaire qui consisterait à établir et à faire respecter une convention solidaire entre tous les pays de l’Union. Cette convention préciserait que les contribuables (personne physique ou personne morale) dont il serait avérer que l’exil fiscal est essentiellement guidé par une volonté de défiscalisation se verraient taxer sur le territoire du pays de destination au même taux que dans le pays d’origine. La recette fiscale ainsi obtenue serait répartie entre ces deux pays respectivement à hauteur de un tiers et deux tiers du montant collecté.

De tels outils en donnant les moyens de s’attaquer à la racine du mal, permettraient de lutter efficacement contre les paradis fiscaux. La restriction des possibilités d’évasion fiscale réduirait d’autant la recherche d’optimisation fiscale, c’est-à-dire, la possibilité pour les contribuables de jouer sans entrave sur les différentiels de taux et de législation entre pays de l’Union et par conséquent de créer les pistes d’atterrissage que sont les paradis fiscaux.

Lutter contre le dumping fiscal en Europe et se donner les moyens de coopérer vraiment pour dépasser cette pratique est aujourd’hui une priorité dont dépend le devenir du modèle social européen et la capacité des Etats à taxer des acteurs économiques nomades afin de les faire contribuer à leur juste mesure à la dépense commune, nationale, européenne et mondiale.

Mais au-delà ou peut être en deçà de la coopération fiscale, il y a un domaine où le besoin de convergence est tout aussi essentiel, c’est le domaine social, c’est à dire le niveau des salaires et la situation de l’emploi. Car on pourra mettre en œuvre les meilleurs outils de coopération fiscale possibles, on pourra élaborer les meilleures législations et décider des plus justes taux, si la base des prélèvements que représente la richesse créée ne fait que se réduire, l’effet fiscal de telles dispositions demeurera forcément limité.

Par ailleurs la problématique des exilés fiscaux ne se limite pas aux pays européens, elle est un enjeu international. Il n’est pas rare aujourd’hui avec le développement de l’informationnel, que l’implantation physique d’une entreprise soit située dans tel pays alors que l’exploitation réelle de son outil soit réalisée dans d’autres, là en fait où se crée la richesse, alors que l’imposition de l’ensemble se fait au lieu d’implantation physique. Il est donc nécessaire de porter ce débat au niveau mondial. Cela pourrait s’engager dans le cadre d’une conférence fiscale mondiale qui travaillerait à la création d’un organisme fiscal mondial de coopération adossé à un FMI réformé.

Enfin avancer en ces domaines nécessite la mobilisation de moyens supplémentaires et nouveaux au niveau des administrations fiscales de chaque pays ce qui suppose une évolution des conditions de travail, des outils de travail, des pratiques et des législations. Cela passe par :

-         La création d’emplois qualifiés au sein des administrations fiscales en moyens ainsi que la dotation en moyens matériels modernes et supplémentaires.

-         De nouveaux droits d’intervention pour les personnels dans la gestion des administrations financières. Ils doivent pouvoir disposer à tous moments d’une visibilité totale de la situation de leur administration, de ses objectifs et des moyens dont elle dispose pour atteindre ses objectifs avec un véritable pouvoir de contrôle et d’évaluation des outils proposés et des missions mises en œuvre. Ils doivent disposer du moyen de répondre le plus rapidement à une saisine de l’administration fiscale par les salariés d’une entreprise aux fins d’analyse et de contrôle.

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