Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Fiscalité et finances locales

1- Collectivités territoriales : le besoin urgent d’une alternative fiscale

La course à la réduction des déficits publics se poursuit et s’accentue avec le projet de loi de finances 2014. Conséquence de la soumission aux marchés financiers et à la doxa de l’UE et de la BCE, cette baisse de la dépense publique conduit à une succession de cures d’austérité qui se traduisent par un rationnement sans précédent de la dépense des collectivités territoriales impactant directement et maintenant très durement leur situation budgétaire avec  des conséquences palpables que ce soit dans les dépenses de fonctionnement (missions et effectifs des services publics territoriaux) ou dans les dépenses d’investissement (freinage d’un certain nombre de programme d’aménagements).

1 Une évolution inquiétante.

La dépense des collectivités territoriales en est arrivée à constituer le cœur de cible de la politique gouvernementale de réduction du déficit public. Depuis deux exercices les dotations de l’Etat aux collectivités territoriales sont gelées. A ce gel s’ajoute l’obligation d’une réduction de leur dépense. Une baisse du concours de l’Etat de 1,5 milliards d’euros est prévue pour 2014 dont 840 millions d’euros supportés par les communes. Ce montant qui sera reconduit en 2015. Le cumul de ces baisses dépassera les 4,5 milliards d’euros sur la période 2012/2015.

Ce n’est pourtant pas l’évolution du poids de la dette des collectivités territoriales qui justifie de tels choix, celle-ci étant, au regard des critères européens, d’une remarquable stabilité : 8,7% du PIB en 1990 ; 8,3% en 2010. La dette cumulée des collectivités territoriales s’élevait ainsi à un peu moins de 200 milliards d’euros (sur 1834 milliards) fin 2012.

Ce n’est également pas une dérive de leurs dépenses qui est à incriminer. Le budget total des collectivités territoriales représente 240 milliards d’euros (60% pour le "bloc communal" - communes + intercommunalités, 29% pour les départements et 11% pour les régions).  Leurs dépenses placées sous la haute surveillance des chambres régionales des comptes et subissant des contraintes externes de plus en plus fortes doivent être financées, contrairement à celles de l’Etat, par un montant équivalent de recettes  compte tenu de l’obligation de voter le budget en équilibre global.

Le talon d’Achille des collectivités territoriales est la proportion de plus en plus importante des dotations de l’Etat dans leur budget. Aujourd’hui, les dotations de l’Etat aux collectivités locales représentent la part la plus importante de leurs budgets (1), avec plus de 45 % désormais, contre un peu plus d’un tiers au début des années 1980.  

Et cette situation est la conséquence directe des politiques publiques conduites depuis la fin des années 1990, suivies par tous les gouvernements, qui se sont traduites par la substitution de tout ou partie de la suppression d’impôts locaux par des dotations d’Etat allant jusqu’à représenter aujourd’hui 55 milliards d’euros. A ce registre on peut citer : le grignotage puis la suppression de la taxe professionnelle, la suppression de la fameuse « vignette auto » sans compensation et la baisse importante des droits d’enregistrement. Il faudrait également ajouter à ce tableau, la croissance des remises gracieuses d’impôts locaux aux ménages défavorisés, également compensées par l’Etat ainsi que l’effet du transfert des compétences Etat/Collectivités territoriales. On assiste en fait à une substitution de plus en plus importante d’impôts payés au niveau local par des dotations prises sur le budget de l’Etat.

La fiscalité locale et plus généralement le financement des collectivités territoriales ont subi au fil des années une profonde distorsion. La fiscalité locale est un excellent révélateur des contradictions entre une situation économique atone et des besoins de financements croissants, les collectivités territoriales représentant 71% de l’investissement public et jouant un rôle primordial dans l’offre de services publics de proximité.

Il convient de prendre la juste mesure de la situation. Chacun peut en effet observer le poids croissant de la fiscalité locale sur les ménages (Voir tableau joint). Sa pression alors que les salaires stagnent, que la précarité augmente et que l’emploi recule, a atteint une sorte de limite quasi infranchissable aux risques soit de jeter de nombreux petits propriétaires à la rue, soit de multiplier les dégrèvements gracieux de TH comme de TF PB (taxe foncière sur les propriétés bâties) donc de faire assurer encore un peu plus le financement des collectivités territoriales par des compensations d’Etat. Cette pression s’est considérablement accentuée depuis la suppression de la taxe professionnelle qui représente 8 milliards € de cadeaux aux entreprises dont plus de 3 milliards ont été compensés par la hausse des autres impôts locaux, essentiellement la taxe d’habitation.

C’est pourquoi il n’est honnêtement pas possible de réformer la fiscalité locale pour en améliorer le rendement sans revenir sur la mise à contribution des entreprises, leur responsabilisation sociale et territoriale. Tout comme il ne serait pas réaliste de limiter la reconquête d’autonomie  budgétaire des collectivités territoriales à la seule fiscalité.

La croissance des besoins sociaux des populations locales et l’urgence d’une réponse face à la déréglementation engagée sous la férule du taux de profit, exige de mobiliser tous les moyens de financement disponibles : fiscalité, crédit bancaire jusqu’à la création monétaire de la BCE. Le financement des collectivités territoriales n’y fait pas exception.

2- Pour une profonde rénovation de la fiscalité locale.

S’agissant du levier fiscal que représentent les impôts locaux, le rétablissement de leur efficacité économique et sociale passe par une profonde réforme. Une réforme de la fiscalité directe locale elle-même partie prenante d’une réforme structurelle de l’ensemble des prélèvements fiscaux et reposant sur les quatre principes fondamentaux suivants :

1-     Le maintien du caractère indiciaire de la fiscalité locale, ce qui s’oppose à l’idée  selon laquelle, il faudrait intégrer dans l’établissement de la base des impôts locaux une part du revenu des ménages. Cette proposition qui se veut partir du bon sens pose question car elle travaille l’idée de la mise en place d’une forme d’ impôt local sur le revenu, sorte d’impôt par capitation, avec la vision que cet impôt serait à terme, la principale, voire l’unique source de financement fiscal des collectivités territoriales ou au moins de certaines d’entre elles, par exemple les communes. Cela pourrait également ouvrir sur le transfert tant recherché de la gestion de la fiscalité locale aux collectivités territoriales elles-mêmes.

2-     L’autonomie des collectivités territoriales ce qui revient à renforcer, voire à leur redonner (pour les régions) une autonomie budgétaire. Il s’agit de confirmer leur capacité de voter leur budget (dépenses et recettes), notamment en décidant des taux d’imposition.

3-     Refuser la spécialisation de l’impôt qui induit l’idée que chaque niveau de collectivités serait alimenté par un impôt unique et affirmer pour chaque collectivité une diversité de sources de financement fiscal.

4-     Remettre en cause le principe des «taux liés» qui lie l’évolution du taux d’une taxe locale à celle des autres. Cela avait notamment pour objet d’empêcher la hausse des taux de taxe professionnelle indépendamment de ceux de la taxe d’habitation ou de la taxe foncière.

Sur cette base, seraient avancées les propositions de réforme suivantes :

 A) Création d’un nouvel impôt local des entreprises, sorte de nouvelle taxe professionnelle dont la base redéfinie serait composée des trois éléments constituant le capital des entreprises ou mis à leur disposition pour les besoins de leur activité. Ce capital est à la fois immobilier (bâtiments), mobilier matériel (équipements, machines) et mobilier financier (stock de titres : actions + obligations). Il serait proposé de retenir le mode de calcul suivant :

1-        Les actifs immobiliers (bâtiments) dans lesquels s’exerce l’activité économique et professionnelle dont le coût d’acquisition, de construction ou le coût historique se verrait appliqué un taux, constitueraient  le premier élément de la base de cette nouvelle taxe professionnelle.

2-        Les EBM (Equipements et Biens Mobiliers -matériels-) auquel serait également appliqué un taux représenteraient le second élément de  la base de cette nouvelle taxe professionnelle.

3-        Les actifs financiers des entreprises (4724,4 Mds € fin 2011 selon les comptes de patrimoines des sociétés non financières, chiffres au bilan des sociétés résidant en France) qui seraient taxés nationalement à un taux unique par exemple de 0,5%. Cela contribuerait d’une part à désintoxiquer la croissance de ses objectifs financiers et à créer un fonds de péréquation suffisamment doté, affecté intégralement au financement des communes en fonction de leur nombre d’habitants et de critères sociaux. Cela permettrait aux communes de jouer sur deux leviers. D’une part, avec ce produit supplémentaire, développer les services aux habitants, de l’autre mettre en œuvre une modulation du taux local sur le capital des entreprises (bâtiments, installations et équipements matériels) qui créent l’emploi et développent la masse salariale. Ce serait le troisième élément constitutif du produit fiscal de cette nouvelle taxe professionnelle.

 B) Réforme de la fiscalité locale des personnes (Taxe foncière, Taxe d’habitation). Elle exige une refonte profonde des bases d’imposition des immeubles soumis à la taxe foncière et à la taxe d’habitation.

Il s’agirait à cet effet de lancer une vraie révision foncière jamais pratiquée depuis 1970. Elle devrait prioritairement porter sur la redéfinition des critères de référence retenus pour établir la valeur foncière au m2 des divers immeubles bâtis et non bâtis existant dans chaque commune. Cette valeur foncière au m2 servirait à calculer un revenu cadastral pour chaque immeuble et à en établir la nouvelle valeur locative foncière à laquelle seraient ensuite appliqués les taux d’imposition votés par les collectivités territoriales. Dans l’immédiat, une telle opération supposerait de renforcer fortement les effectifs des services fonciers (cadastre) qui ces dernières années, ont fondu comme neige au soleil. Ensuite, cette révision impliquant une augmentation importante des bases, il incomberait aux collectivités territoriales d’engager une profonde révision des taux en vigueur. Cet exercice pourrait offrir une excellente porte d’entrée à un nouvel exercice de la démocratie participative locale dans des formes appropriées d’association des citoyens à la préparation effective du budget de leur commune.

Seraient ainsi établies les nouvelles bases des valeurs locatives foncières servant au calcul de la taxe foncière sur les propriétés bâties et sur les propriétés non bâties.

S’agissant de la taxe d’habitation dont la base demeurerait la valeur locative foncière, il serait proposé d’en moduler le montant par la prise en compte de la situation économique et sociale des ménages (charges de famille, revenus et revenus disponibles). Cette disposition permettrait de rendre cet impôt plus juste et d’appliquer un plafonnement situé dans une fourchette de taux allant de 18% à 25% selon le revenu disponible de chaque ménage.

Enfin, à propos de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) ou de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères (REOM), deux remarques :

-         D’une part la TEOM est calculée sur la base de la valeur locative foncière alors que la REOM est calculée sur le principe du consommateur-payeur ce qui à l’évidence n’est pas un prélèvement favorable aux populations les plus défavorisées.

-         De l’autre, on peut observer une augmentation du produit de ces taxes 5,556 Mds en 2008 et 6,492 Mds en 2011). Elle résulte certes de l’accroissement du nombre de ménages cotisants mais elle découle également de l’augmentation des coûts de traitement, notamment du fait de la  prise dans ce secteur, d’importantes parts de marchés par des grands groupes privés. La question d’une gestion totalement publique de cette mission se pose. Son cadre pourrait être celui d’un service public national décentralisé permettant de mutualiser les coûts de gestion et d’offrir ainsi le même service à des tarifs similaires pour chaque citoyen qu’il réside dans une grande ou une petite agglomération, dans une grande ville ou un petit village.      …/…

Comparatif  2008 - 2012 de la part relative des produits votés pour les 4 taxes locales.

 

               Années

Taxes

2008

2009

2010

2011

2012

Taxe d’habitation

9 800

10 498

10 912

12 865

13 291

Foncier bâti

12 083

12 961

13 583

14 237

14 759

Foncier non bâti

703

721

733

778

791

Taxes économiques (*)

28 370

30256

31 372

22 890

23 781

Source DGFiP et DGCL Rapport : les collectivités locales en chiffres. 2013.

 

(*) Il s’agit de la taxe professionnelle puis de ses remplaçantes CFE et CVAE ainsi que des IFER (taxe sur les entreprises de réseau –énergie, ferroviaire-)

 

Commentaire : entre 2008 et 2012 le poids de la taxe d’habitation a augmenté de 35% avec une nette accélération à partir de 2010alors que sur la même période le poids de la fiscalité des entreprises a diminué de 17% avec une nette décélération à partir de 2010, l’année 2010 ayant vu la taxe professionnelle disparaître. Le transfert des charges de l’impôt local es entreprises vers les ménages est ainsi particulièrement patent.

 

Cette évolution est également perceptible en ce qui concerne la taxe foncière sur les propriétés bâties, certes d’une moindre ampleur. Il est vrai que les détenteurs de certaines demeures de standing sont également ceux qui ont profité de la suppression de la taxe professionnelle. On ne pouvait dons pas leur reprendre d’une main ce qu’on leur avait accordé de l’autre. Et là encore les contribuables les plus pénalisés sont les «petits propriétaires ».

                              

                                                                                                             Jean-Marc DURAND.

 

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