Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Égalité des retraites entre les femmes et les hommes : un enjeu de civilisation !

La question des retraites constitue un véritable enjeu de société et illustre la nature du projet que l’on porte.
Vivre plus longtemps est un progrès de civilisation qui doit permettre de libérer les individus en libérant du temps pour s’adonner à des loisirs, à des activités sociales choisies…
Envisager cette question sous l’angle du vécu des femmes permettrait d’inverser totalement les analyses sur lesquelles s’appuient les réformes successives et donc d’améliorer considérablement la situation de l’ensemble des retraités.

Un envol des inégalités

C’est la cinquième réforme en dix ans justifiée par le fait qu’il faudrait revenir à un équilibre financier et que l’espérance de vie étant meilleure, il serait normal de travailler plus longtemps.
Missionnée par le Premier ministre, Yannick Moreau a rendu un rapport dans la logique des précédentes réformes et a fait des préconisations qui vont aggraver les conditions de vie des retraités et singulièrement des retraitées.
En effet, au fil des réformes, on a pu constater une amplification des inégalités entre les femmes et les hommes, notamment avec le recul de l’âge de la retraite ou bien encore l’allongement des cotisations.
Si les pistes du rapport Moreau étaient retenues dans le projet de loi du gouvernement, on assisterait à un nouvel envol des inégalités et à l’augmentation de la pauvreté des femmes.

La situation que vivent les femmes à l’âge de la retraite est la conséquence de leurs parcours professionnels.

En France, la retraite moyenne des femmes est de 850 € tandis que celle des hommes est de 1 450 €. Ainsi, une retraitée sur 3 vit sous le seuil de pauvreté (prise en compte des pensions de droit direct sans les éventuels dispositifs familiaux).
« Le système de retraite a été conçu il y a 70 ans sur le modèle de l’homme soutien de famille, travaillant à temps plein, sans interruption de carrière: le calcul de la pension a été basé sur une “norme” de carrière entière. Ce modèle n’est donc pas adapté à celle des femmes, ni plus généralement à l’évolution actuelle qui voit se multiplier les périodes d’interruption du fait du chômage et de la précarité croissante de l’emploi.» (1)
Les femmes subissent la double peine alors qu’elles sont plus diplômées, elles occupent des postes moins qualifiés donc moins rémunérés (le salaire moyen des femmes représente 75 % de celui des hommes).
C’est le résultat du rôle social attribué aux femmes, à savoir s’occuper du foyer, de la garde et de l’éducation des enfants puis de l’accompagnement des anciens (parents et/ou beaux parents). N’ayant pas de carrière complète, elles touchent des pensions considérablement amputées.
Dans les filières, commerce, services à la personne, les salaires sont les plus bas, les possibilités de carrières et d’évolutions professionnelles plus réduites que dans les filières à prédominance masculine. Même dans les filières relativement mixtes, la discrimination se manifeste quant aux emplois occupés : « adjointes », « assistantes »…
Tant que les emplois occupés par les femmes seront sous-évalués par rapport aux filières occupées par les hommes, la discrimination de genre empêchera toute égalité professionnelle. Il faut savoir que les femmes sont cantonnées dans 10 familles professionnelles.
Depuis la reconnaissance du principe de l’égalité de rémunération de 1972 à la loi Roudy sur l’égalité professionnelle de 1983 en passant par la loi Génisson de 2001, sans oublier celle sur l’égalité professionnelle, plusieurs lois ont été votées pour tenter d’obtenir l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes mais il n’y a toujours pas de volonté politique pour les faire appliquer.
De nombreux rapports en attestent, les femmes forment le plus gros contingent de personnes en situation de précarité ou au seuil de la pauvreté.

Travail partiel, salaire partiel, retraite partielle

Le développement accéléré du temps partiel en France qui explose littéralement depuis ces dernières années illustre les changements actuels du monde du travail.
En 1982, moins de 10 % des actifs travaillaient à temps partiel. En 1995 cette proportion atteignait 16 %. Et on nous annonce que dorénavant l’essentiel des créations d’emploi se fera sous cette forme.
Contraint ou soi-disant choisi, le temps partiel touche principalement les femmes et est le principal responsable de l’accroissement de la pauvreté parmi elles ainsi que parmi les jeunes.
L’accord national interprofessionnel (ANI), que seuls les parlementaires communistes/Front de gauche ont combattu à l’Assemblée nationale et au Sénat, entérine mobilité contrainte, précarité et temps partiel.
Toutes les projections montrent que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à subir la décote. Le recul de l’âge, celui auquel s’obtient automatiquement le taux plein, va à nouveau frapper les femmes de plein fouet. Rappelons qu’elles forment déjà la majorité des allocataires du minimum vieillesse et du minimum contributif.
Aujourd’hui, 34 % des femmes ont validé moins de 25 trimestres pour 4 % des hommes, un quart d’entre elles part en retraite à 65 ans. Preuve s’il en était besoin que tout allongement de la durée de cotisations est un coup supplémentaire porté aux femmes.

Autre regard sur la question des retraites

Au fil des réformes, on le voit, c’est la même logique qui prévaut, celle de suivre le diktat de l’ultra libéralisme qui dicte ses lois en France, en Europe et dans le monde.
Mais on y voit également le sceau de la domination sexiste et une conception de la société réactionnaire et rétrograde.
Faire partager cette analyse, peser pour obtenir la suppression des discriminations sexistes permet de révolutionner les conditions de vie des femmes et des hommes en période d’activité professionnelle comme de retraite.
Aujourd’hui, le modèle de référence, comme je l’ai souligné précédemment en citant Christiane Marty, est « l’homme, soutien de famille », mais quelles conséquences tirer aujourd’hui de l’explosion des familles monoparentales, c’est-à-dire, majoritairement, des femmes élevant seules leurs enfants ?
Comment ne pas inverser la tendance en réfléchissant à un modèle permettant à égalité de se partager l’éducation des enfants, ce qui conduit à une réduction du temps de travail pour toutes et tous ?
Il est grand temps de reconnaître que les emplois occupés par les femmes sont socialement utiles et d’en tirer toutes les conséquences sur leur rémunération, leur formation, leur qualification, leur promotion et leur retraite.
Le projet de société que nous portons n’est pas basé sur plus d’équité mais sur l’égalité ; les mots ont un sens qui est perverti par les tenants des pouvoirs économiques et politiques.
Il n’est pas anodin de constater que lorsqu’on parle de retraites des femmes, on parle de droits dérivés (dispositifs familiaux avec les pensions de réversion). Si on se place sur ce terrain-là, on reste sur le modèle patriarcal et les mesures préconisées ne sont que des compensations à la marge.
Les femmes doivent être reconnues en tant que telles et bénéficier des mêmes droits. C’est une condition indispensable à toute avancée de civilisation et à toute transformation de la société.
Il est donc nécessaire non seulement d’avancer des propositions immédiates, mais également de penser une réforme des retraites du point de vue de l’émancipation des femmes, ce qui permettrait un bond en avant sans précédent.

Des propositions immédiates en direction des femmes

Outre les propositions génériques comme :

  •  Abroger les réformes Balladur et Fillon avec suppression des décotes et retour aux dix meilleures années comme référence pour les salariés du secteur privé et aux six derniers mois pour le secteur public. Validation des années d’études dans les trimestres de cotisation.
  •  Améliorer la prévention et les conditions de travail afin d’arriver à la retraite en bonne santé.
  •  Développer des services publics en direction des personnes âgées afin de leur permettre d’avoir une vie sociale dans la dignité.

Voici quelques propositions concernant plus spécifiquement les femmes :

  •  Bannir la précarité, le temps partiel imposé, exiger l’augmentation des salaires, et l’égalité des salaires entre les femmes et les hommes. Une telle mesure apporterait un solde positif de 5 milliards d’euros dès 2015 et près de 10 milliards d’euros en 2020 pour la branche retraites (52 milliards toutes branches confondues).
  • Poser le problème de la titularisation dans la Fonction publique.
  • Une retraite par répartition avec une indexation des pensions sur les salaires, et non sur les prix, aucune pension n’étant inférieure au SMIC.
  • Prise en compte de la pénibilité du travail et de l’entrée précoce au travail (avant 18 ans) par un départ anticipé en retraite.

Plus largement et à plus long terme, une réforme juste doit s’appuyer sur la sécurisation de l’emploi et de la formation, de la naissance à la mort.
Dans cette logique, il faut penser séquences de vie : emploi salarié, non travail avec sécurisation des parcours professionnels, validation des périodes d’études, de formation (allocation d’autonomie et de formation de la jeunesse).
Bien entendu, tout ceci en permettant à chacune et chacun de pouvoir arrêter son activité professionnelle à partir de 60 ans avec une pension à taux plein correspondant à une période de 18 à 60 ans.
Bernard Friot (2) propose : « Il faut proclamer un droit universel à la qualification de la personne, c’est-à-dire à la reconnaissance de sa contribution à la définition, à la mesure, à la production et à la répartition de la valeur économique. »Il faut avancer parallèlement des propositions pour combattre les inégalités entre les femmes et les hommes en amont afin de parvenir à l’égalité professionnelle.
Imposer des sanctions financières aux entreprises contrevenantes pour non respect de l’égalité salariale femmes/hommes en leur imposant non pas une obligation de moyens, mais une obligation de résultats. Augmentation de 10 % de ces pénalités qui, rappelons-le, s’élèvent aujourd’hui à 1 % de la masse salariale, ainsi que la suppression automatique des subventions et des aides publiques.
Revaloriser les salaires des métiers féminisés avec prise en compte de leur pénibilité.
Favoriser la mixité des métiers à tous les niveaux.
Supprimer toutes pénalités dans le déroulement de carrière et le calcul des retraites, les congés de maternité n’étant plus considérés comme des moments de « rupture » dans le parcours professionnel, de même que les périodes consacrées à élever les enfants.
Créer, dans chaque entreprise, une commission avec obligation de résultat, chargée de contrôler l’égalité véritable des femmes face à l’embauche, aux salaires, à la promotion, au temps de travail et à la formation. Mise en place d’un corps d’inspecteurs pour le suivi de la mise en œuvre de l’égalité.

Toutes ces mesures appellent à mobiliser d’autres financements que ceux mis en œuvre aujourd’hui, mais ce n’est pas l’objet du présent article.

Ce que la gauche a su faire il y a 30 ans en instaurant le droit à la retraite à 60 ans doit pouvoir être amplifié et amélioré à l’aune des progrès scientifiques et technologiques d’aujourd’hui.

La dégradation ou l’amélioration des conditions de travail et de retraite de chacune et de chacun dépend de choix politiques et par conséquent de l’ampleur de l’intervention populaire que nous contribuerons à initier pour modifier les rapports de force. n

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(1) Christiane Marty, syndicaliste, militante altermondialiste et féministe (Attac).

(2) Bernard Friot, sociologue et économiste français, dans la brochure de la Fondation Gabriel Péri, Et si les femmes révolutionnaient le travail ?.

 

L’emploi des femmes selon les familles professionnelles (Fap)

 

Femmes et précarité

• 30% des actives occupent un emploi à temps partiel. La moyenne de leur temps de travail est de 23 heures par semaine.

• 60% des emplois aidés ou en CDD.

• 80% des salariés payés en dessous du SMIC.

• 57% des emplois du secteur public et sont majoritaires parmi les précaires de la Fonction publique.

Ces éléments placent les femmes dans une très grande précarité. 7 travailleurs pauvres sur 10 sont des femmes, 40% ont moins de 30 ans, 20% sont des femmes chef de familles monoparentales.

Comparaison en pourcentages des salaires des femmes et des hommes

• 78% des femmes sont dans les catégories de bas salaires pour 22% des hommes.

• 80% des femmes sont dans les catégories à très bas salaires pour 20% des hommes.

• Femmes cadres : salaire inférieur de 22% à celui des hommes.

• Professions intermédiaires : salaire inférieur de 12%.

• Ouvrières : salaire inférieur  de 16%.

Employées : salaire  inférieur  de 13%.

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