Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Retraite : pour une autre approche

Il y a une constante en matière de retraite : depuis 25 ans, cette question est abordée en évitant soigneusement tout débat de fond pour privilégier une approche comptable. Or la retraite est d’abord et avant tout affaire de choix de société. Quelle place les plus de 60 ans doivent-ils occuper ? sont-ils des improductifs et, à ce titre, constituent-ils un poids, voire un fardeau ? Au contraire, jouent-ils un rôle irremplaçable qui profite à toute la collectivité ?
Engager un véritable débat sur les retraites, c’est d’abord répondre à ces questions.

La retraite, un choix de société

Il y a une constante en matière de retraite : depuis 25 ans, cette question est abordée en évitant soigneusement tout débat de fond pour privilégier une approche comptable, plutôt même d’épicier (je n’ai rien contre les épiciers).
Or la retraite est d’abord et avant tout affaire de choix de société. Quelle place les plus de 60 ans doivent-ils occuper ? Sont-ils des improductifs et, à ce titre, constituent-ils un poids, voire un fardeau ? Au contraire, jouent-ils un rôle irremplaçable qui profite à toute la collectivité ?
Engager un véritable débat sur les retraites, c’est d’abord répondre à ces questions.
Les retraités sont aujourd’hui plus de 15 millions dans notre pays. Autant dire qu’ils ne constituent pas une catégorie homogène. Il y a des retraités pauvres et des très riches, il y a des jeunes retraités et des très âgés, des bien portants et des très malades…
Cette diversité, ces disparités n’empêchent pourtant pas que les retraités, dans leur ensemble, apportent une contribution inestimable au fonctionnement de la société. Si cette contribution est le plus souvent non marchande, ne représente pas une valeur d’échange, elle est néanmoins indispensable. On peut citer l’investissement de nombreux retraités dans le tissu associatif qui parfois ne tient que par cet engagement. On peut citer la participation des retraités dans les conseils municipaux ou autres assemblées territoriales. Naturellement, on connaît la place qu’occupent les retraités dans les familles qui permet dans bien des cas de suppléer aux carences en matière d’accueil de la petite enfance ou de l’enfance.
Ces quelques exemples qui ne prétendent pas à l’exhaustivité montrent que la société ne pourrait pas fonctionner sans les retraités.
Partant de ce constat, nous considérons que les retraités participent de la croissance du pays et qu’à ce titre, ils doivent en bénéficier. Au passage, je note qu’une position contraire pourrait conduire à des inepties, par exemple que les enfants ne devraient pas bénéficier des fruits de la croissance, au motif qu’ils ne sont pas impliqués dans la production des richesses.

La retraite, un droit

Originellement créée pour couvrir un risque, la retraite est devenue un droit. Le risque était celui de ne plus être en état de travailler et donc de se retrouver sans ressources. L’amélioration des conditions sociales d’une manière générale et les progrès réalisés dans le domaine de la médecine ont permis à l’espérance de vie de progresser significativement. N’oublions pas l’importance des conditions sociales car leur dégradation pourrait provoquer une inversion quant à l’évolution de l’espérance de vie, au même titre d’ailleurs qu’une dégradation des conditions d’accès aux soins et à la prévention en matière de santé. N’oublions pas non plus que ces évolutions sont toujours le produit d’un rapport de force, fait notamment de luttes et de mobilisations.
Toujours est-il que nous sommes passés de la « retraite des morts » de la première moitié du xxe siècle à une phase de vie durant en moyenne plus de vingt ans.
Cette évolution oblige à considérer la retraite d’une manière complètement différente. Le passage du risque au droit doit conduire notamment à revisiter la question du revenu des retraités. Il ne s’agit plus d’assurer à chaque retraité un revenu de subsistance. Il s’agit de permettre, par la pension de retraite, à chacun de vivre pleinement cette nouvelle phase de la vie, de faire des projets, d’être en mesure de s’investir et de jouer un rôle social… Le constat est à ce titre sans appel. Les retraités qui s’investissent le plus ne sont pas les plus pauvres. Pour ces derniers, comme pour les plus jeunes, l’insécurité sociale empêche toute approche autre que celle au jour le jour : comment vais-je manger demain, comment vais-je payer mon loyer, mes factures d’électricité… ?
Pour pouvoir faire des projets, se consacrer aux autres, il faut avoir un niveau de vie convenable et ne pas être contraint de compter en permanence pour atteindre la fin du mois.

Une retraite en bonne santé

La retraite étant devenue un droit, la question posée n’est pas seulement celle de l’espérance de vie, qui jusqu’à présent a progressé, mais bien celle de l’espérance de vie en bonne santé.
Dire cela revient bien à considérer que ce n’est pas l’altération de la santé qui doit déterminer le moment du départ à la retraite, comme le voudrait le patronat. Il est d’ailleurs significatif que le patronat et les gouvernements qui se suivent, et se ressemblent en cette matière, ne sortent pas d’une approche de la pénibilité par l’incapacité, donc par un état de santé dégradé.
Les dernières études confirment que l’augmentation de l’espérance de vie ne s’accompagne pas automatiquement d’une augmentation de l’espérance de vie en bonne santé. Ainsi, l’espérance de vie sans incapacité des femmes est passée de 64,3 ans à 63,6 ans entre 2004 et 2011 (1). Il faut souligné que dans le même temps, l’espérance de vie des femmes a augmenté de 2 ans et que les deux années gagnées le sont donc avec une santé altérée.
Ce constat bouscule sérieusement l’idée selon laquelle on vit plus longtemps, donc on doit travailler plus longtemps. Ce n’est pas parce qu’elle paraît de bon sens et qu’elle est martelée depuis des années qu’elle est devenue vérité.
Le fait que l’espérance de vie soit étroitement liée aux conditions sociales devrait d’ailleurs conduire à beaucoup plus de prudence. Le recul de l’âge légal de la retraite à 62 ans, la dégradation des conditions de travail, l’intensification du travail mais aussi l’augmentation de la précarité pourraient avoir de ce point de vue un impact négatif. Les espérances de vie annoncées aujourd’hui pour justifier de nouveaux allongements de la durée d’activité, ne constituent en aucun cas une garantie de durée de vie pour les générations qui atteignent l’âge de la retraite. Il s’agit tout au plus d’un constat de la mortalité pour une année donnée.

Une durée d’activité, sur une vie, qui tend à diminuer

Depuis le début de l’industrialisation (1830-1840) les gens travaillent sur une période de leur vie de plus en plus courte (2). Aujourd’hui, on tend vers 35 années de travail sur une vie (3). Il s’agit ici d’une moyenne, mais il n’est pas compliqué d’imaginer que l’allongement continu de la durée exigée pour une retraite à taux plein est tel que de moins en moins de salariés réuniront ces conditions de durée.

Conscient de ce paradoxe, le gouvernement parie sur une future augmentation de la durée de travail sur une vie (4), ce qui va clairement à l’encontre du progrès social. On reste néanmoins perplexe sur une telle évolution, compte tenu de la situation de l’emploi. On observe d’ailleurs que le recul de l’âge contenu dans la réforme de 2010 a surtout eu pour effet de faire croître le chômage des « seniors ».

Le véritable objectif de l’allongement de la durée de cotisation: faire baisser les pensions

Si la durée exigée pour une retraite à taux plein poursuit son évolution à la hausse, mais que par ailleurs la durée réelle d’activité sur une vie se maintient autour des 35 années, la baisse des pensions est inévitable. Si on prend la durée validée à 30 ans, elle est inférieure de 10 trimestres (5) pour les générations 1974 par rapport à la génération 1950. La génération 1974 a validé 30 trimestres à 30 ans. Si on lui applique les préconisations du rapport de la Commission pour l’avenir des retraites, soit une durée de 44 ans ou 176 trimestres, il reste à valider pour cette génération 146 trimestres, soit 36,5 ans. Autrement dit, en supposant que l’on puisse travailler jusqu’à cet âge, pas de retraite convenable avant 66,5 ans. En réalité, la cessation d’activité interviendra probablement bien avant cet âge. Encore une fois, ce qui importe, c’est de pouvoir abaisser les pensions et pas de faire travailler les gens plus longtemps.

Emploi et salaires au cœur du débat sur les retraites

On ne peut sérieusement aborder le dossier retraite sans affronter les questions de l’emploi et des salaires.
Au risque d’énoncer des évidences, pour faire une bonne retraite, il faut un emploi convenablement rémunéré (et de bonnes conditions de travail).
Pour une part, les difficultés actuelles des régimes de retraite tiennent au déficit d’emploi des personnes en âge de travailler et à la baisse relative des salaires. La crise n’a fait qu’amplifier ce constat. Ainsi, l’activité est concentrée entre les âges de 30 et 50 ans. Avant, il est de plus en plus difficile d’accéder à un premier emploi, qui plus est un emploi stable. Après, on est considéré comme moins productif et trop cher. Il est urgent de s’attaquer à cette réalité, et pas seulement pour financer les régimes de retraite. Cela dit, on comprend aisément que la baisse du chômage et de la précarité, ces deux fléaux concernant au bas mot cinq millions de personnes, aurait un impact particulièrement positif sur deux plans : d’une part pour les salariés qui pourraient ainsi se constituer de meilleurs droits, d’autre part pour les régimes de retraite qui verraient leurs ressources augmenter.

L’égalité salariale entre les hommes et les femmes: un exemple édifiant

Il est bien connu que les écarts de pensions sont énormes entre les femmes et les hommes. Pour une part, cela tient à des carrières en moyenne plus courtes. Mais cela tient surtout aux inégalités de salaires (et de carrières). Nous avons demandé à la Cnav (Caisse nationale d’assurance vieillesse) de chiffrer les conséquences pour ses comptes de l’atteinte de l’objectif d’égalité.
La Cnav a pris pour hypothèse que l’égalité serait atteinte, de manière progressive, en… 2023.
Dans ce cadre, l’incidence est plus que significative. Dès 2015, le solde (entre cotisations supplémentaires et meilleures retraites pour les femmes) s’élèverait à cinq milliards d’euros chaque année pour passer à dix milliards d’euros dès 2020, soit la moitié du déficit annoncé pour cette même année pour l’ensemble du système de retraite.
Cela ne peut que nous conforter dans la lutte pour l’égalité salariale. C’est un combat incontournable et essentiel pour aller vers la suppression des inégalités de pension entre les femmes et les hommes.

La question du travail en filigrane

Les conditions de travail sont un des éléments qui pèse également sur la retraite. Pour une bonne retraite, implicitement en bonne santé, il faut œuvrer à leur amélioration. De ce point de vue, la tendance actuelle à la dégradation doit devenir une préoccupation majeure. Avec le chômage et la précarité, elle montre à quel point le travail est aujourd’hui maltraité. Cette maltraitance est une calamité pour la retraite, et pas simplement d’un point de vue comptable. La CGT a décidé lors de son dernier congrès d’investir en grand le travail. Cela signifie qu’elle prend des dispositions concrètes pour aller à la rencontre des salariés et les interpeller sur leur travail, son sens, ses finalités, sa reconnaissance, les conditions dans lesquelles il s’accomplit… Le pari de la CGT, c’est que l’immense majorité des salariés aspire à faire du bon travail, utile à la collectivité, à s’y épanouir. C’est sur cette base que la CGT entend redynamiser l’activité revendicative.
Il me semble que c’est là une manière efficace de préparer de meilleures retraites pour demain tant il n’est plus à démontrer que pour connaître une bonne retraite, il faut être bien dans son travail.

Reconnaissance de la pénibilité, tout de suite…

J’ai, de par mes responsabilités à la Fédération CGT de la construction, du bois et de l’ameublement une sensibilité particulière sur cette question de la reconnaissance de la pénibilité. C’est pourquoi je souhaite conclure mon propos par ce point. Des dizaines de milliers de salariés qui ont aujourd’hui passé la cinquantaine doivent impérativement bénéficier d’un départ anticipé. Ce que propose le rapport de la Commission pour l’avenir des retraites ne répond en rien au problème. Je le prends même comme une véritable provocation. C’est la raison pour laquelle nous défendons avec force des dispositions qui permettent réellement aux salariés concernés de partir en retraite avant de connaître une dégradation de leur santé, dès 55 ans, avec le plein de leurs droits.

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(1) Jean-Marie Robine : Inserm.

(2) Claude Thélot, L'évolution du travail: durée, efficacité, activités.

(3) Eurostat.

(4) Programme de qualité et d’efficience 2012 « Retraite ».

(5) Drees : Les durées d’assurance validées par les actifs pour leur retraite.

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Par Aubin Eric , le 01 août 2013

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