Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Allongement de la vie de retraite et activités sociales nouvelles : un enjeu de civilisation

Au-delà de l’opposition et des résistances à ladite « réforme » gouvernementale sur les retraites, répondant de façon réactionnaire aux défis démographiques objectifs et fondamentaux de notre époque, au-delà même des contre-propositions efficaces sur les financements, c’est non une défense conservatrice mais une transformation sociétale de très grande ampleur, concernant toutes les situations des personnes âgées, qui est en cause un véritable enjeu de civilisation.

Avec de bonnes retraites et au-delà d’elles, promouvoir un service public des personnes âgées face à la révolution de la longévité

La révolution de la longévité a vu passer en France l’espérance de vie à 81 ans en 2010 (contre 66 ans en 1950), tandis que les plus de 60 ans représentent 22,6 % de la population française et qu’on estime que près d’un habitant sur trois aura plus de 60 ans en 2050. Ce progrès considérable est considéré par les tenants de la domination sans limite des marchés comme une charge croissante, que l’on veut opposer aux conquêtes sur les retraites par répartition fondée sur l’emploi. On prétend ainsi justifier, à la fois, la réduction des pensions, l’allongement indéfini des durées de cotisations et de travail, voire la croissance des retraites par capitalisation fondée sur les marchés financiers. Ne peut-on, au contraire, penser que ce progrès fondamental de la révolution de la longévité converge avec les autres révolutions technico-sociales de notre temps, comme les révolutions informationnelle, monétaire et écologique, les révolutions démographique, parentale et migratoire, afin d’avancer vers une autre civilisation ?
En liaison avec de bonnes retraites pour toutes et tous, en âge et durée de cotisation, on rechercherait une maîtrise de tous les moments du cycle de vie, pour leur sécurisation et leur promotion, visant tout particulièrement l’épanouissement des activités créatrices. Il s’agirait de surmonter les pressions déchaînées des marchés pour les maîtriser. Cela concernerait l’institution de nouveaux services publics et communs, c’est-à-dire non étatistes mais avec des pouvoirs partagés entre tous les personnels et tous les usagers, avec des formations, d’autres critères et évaluations, etc.
Un service public et commun de sécurisation et de promotion des personnes âgées viserait tout le spectre des trois segments de population, liés entre eux, des seniors en emploi, des retraités en activité sociale, des autonomes du 4e âge et des dépendants. Il développerait les solidarités sociales et les apports intergénérationnels jusqu’aux enfants. On pourrait avancer vers ce service public à partir de mesures de progrès immédiat.
Sécurisation du parcours de vie et promotion des activités créatrices des seniors employables, des retraités et des dépendants.
Considérons d’abord les seniors et leur emploi. Cela se rattache à l’ensemble de la sécurisation progressive des parcours professionnels. Cela s’intègre dans la base emploi de bonnes retraites par répartition. Cela se rapporte à d’autres crédits à taux très abaissés jusqu’à zéro pour les investissements matériels et de recherche des entreprises, avec des taux d’intérêt d’autant plus abaissés que sont programmés emplois et formations. Cela concerne aussi des Fonds régionaux et une autre action de la BCE. Cela demande d’autres pouvoirs des travailleurs, depuis les entreprises et les localités, pour solliciter les nouveaux crédits pour l’emploi des seniors.
Mais l’emploi des seniors demande également des actions et institutions spécifiques. Il s’agit d’abord du faible taux d’emploi des seniors. Cela concerne plus précisément les plus de 50 ans dont le taux d’emploi est faible et le chômage élevé.
On devrait agir sur trois grands leviers d’action  : préserver la santé, développer les compétences, favoriser l’engagement au travail.
On doit pouvoir avancer contre les obstacles importants de la politique d’austérité et des réductions de dépenses publiques et des entreprises ou des insuffisances des services de formation ou de santé, contre les besoins humains des seniors. À cette fin, le service public des personnes âgées serait ouvert aux interventions des intéressés eux-mêmes et de leurs organisations, syndicats et associations.
Il peut organiser des suivis personnalisés et des actions préventives, des traitements, modifications et aménagements de postes… contre l’usure et la montée de la pénibilité au travail, qui se prépare de façon plus ou moins précoce même dès 45 ans. Il peut soutenir des actions concertées sur des formations spécifiques. Il peut développer des mesures d’accompagnement et de soutien, à l’opposé des comportements répressifs et de régression, y compris à propos de l’absentéisme. Il peut enfin susciter et encadrer diverses sortes de mi-temps, d’activités de tutorat et de transmission de compétences, de façon volontaire et concertée, à la différence de « retraites-couperet », en transition vers une retraite complète et pourtant active.
Considérons maintenant les retraités, la promotion de leurs conditions de vie et de leurs activités sociales pour leur épanouissement et pour autrui, de leur créativité. Cela concerne bien sûr le niveau des pensions (en liaison avec le relèvement du taux des cotisations et non l’allongement de la durée de cotisation). Cela vise aussi immédiatement le relèvement des petites retraites et du minimum vieillesse à partir du Fonds de solidarité vieillesse, surtout pour les femmes.
Si environ 90 % des personnes âgées de plus de 60 ans sont largement autonomes et vivent à domicile, sont aussi en cause les conditions de vie, d’aide et de soins dans les maisons de retraite, à propos des personnes plus ou moins dépendantes, mais qui comprennent aussi les établissements hospitaliers pour âgés non dépendants.
Surtout, il convient d’insister sur la montée, avec la longévité et la bonne santé de la masse des retraités, de leurs activités sociales très utiles. Cela va bien au-delà des activités traditionnelles d’entretien, de services et de transmission culturelle des grands-parents aux petits-enfants, qui elles aussi sont bien accrues.
De bonnes retraites et un service public nouveau peuvent encore considérablement les encourager, les amplifier, les enrichir pour qu’ils contribuent à construire une autre société, une autre civilisation. Déjà s’amorcent, même si les pressions financières récentes contre les retraites refoulent cette transformation sociétale, une mutation et un renversement de portée révolutionnaire du modèle culturel des retraites. À l’opposé du désengagement, du retrait, du repliement, voire de l’exclusion, tout au contraire pourrait se développer une disponibilité bien plus grande que dans la période de travail pour un employeur et d’activité professionnelle, un accroissement de l’ouverture à la société, un renforcement des relations sociales, plus choisies et créatrices.
Cela s’effectuerait, en relation avec la prolifération des clubs et associations, y compris les associations mixtes avec les non retraités, des sites d’information, de la formation continue pour le troisième âge. Cela contribuerait au développement généralisé des associations, du bénévolat, des activités extra-professionnelles, en liaison avec le projet de dépassement graduel du salariat par l’institution d’une sécurité d’emploi ou de formation. Ainsi pourrait progresser un nouveau continuum tout au long de la vie (en relation avec un parcours de formation et un parcours de santé) des activités sociales organisées  : avant la vie de travail pour les jeunes, dans la vie de travail, et au-delà d’elles, avec non seulement une continuation mais une expansion novatrice.
Il ne s’agit pas seulement de sport, de culture, de politique, mais de toutes sortes d’apports à la vie sociale, du local jusqu’au mondial, avec notamment la participation aux ONG et aux coopérations volontaires dans les pays en développement.

Considérons enfin le 4e âge et les personnes âgées dites dépendantes.

Il convient d’évoquer, en liaison avec une expansion considérable des institutions d’entretien et de soin, à l’opposé des restrictions systématiques et des inégalités, la poursuite de relations sociales et culturelles, intergénérationnelles, au lieu de la réduction aux traitements de personnels médicaux, paramédicaux et de soins physiques.
Il convient de s’opposer d’abord aux efforts de diminution des dépenses publiques et des restrictions dans le cadre de la politique d’austérité de Hollande. C’est le cas notamment du « plan Alzheimer » et les réductions systématiques des dépenses à l’hôpital, notamment pour l’APHP (Assistance publique des hôpitaux de Paris) et tous les services de gériatrie. Et on réduit les personnels partout dans les unités pour personnes âgées dépendantes.
Les maisons de retraite sont très inégales, avec les établissements haut de gamme appartenant à des groupes capitalistes privés. Pour le soutien des maisons de retraite, les budgets publics restent bien au-dessous des besoins. Trop souvent les personnels sont insuffisants. Malgré les recommandations et outils sur l’autonomie en gérontologie et les droits fondamentaux des résidents, inscrits dans le code de l’Action sociale et de la famille, y compris celui de la « participation directe au projet d’accueil et d’accompagnement », on est loin d’une participation effective et appropriée aux diverses capacités et des sollicitations possibles.
Les services aux personnes âgées à domicile, même s’ils doivent augmenter sensiblement, sont aussi marqués par de graves insuffisances, les pressions de la rentabilité et les inégalités de la privatisation, la faiblesse de la formation des aides à domicile, en dépit du diplôme d’État d’auxiliaire de vie sociale. Et cela malgré le rôle des associations, à but non lucratif, ou les services d’aide à domicile impulsés par des Conseils généraux. Il s’agirait tout particulièrement de développer les activités culturelles, la participation à la vie sociale, les relations intergénérationnelles, comme déjà les rencontres avec des enfants d’écoles primaires et de collèges, les moyens et le rôle des associations, des bénévoles, des jeunes en service civil volontaire.
En 2013, c’est la persistance et la progression des alternatives entre allongement de la durée de travail, des années de cotisations à 42 ans et au-delà, ou, au contraire leur non-allongement avec d’autres financements augmentant les cotisations patronales, et instituant de nouveaux prélèvements sur les revenus financiers, pour les luttes sur les retraites. Mais surtout, plus que jamais monte le défi fondamental des orientations alternatives sur les activités elles-mêmes, soit renforçant les activités nouvelles de travail, soit renforçant les activités libres non salariales, avec donc des motivations sociales et des accompagnements publics contradictoires.
D’un côté, c’est la croissance de cumul des retraites complémentaires et de revenus d’activités et plus encore des cumuls retraites de base et emploi salarié. De l’autre, c’est le déploiement des activités sociales non rémunérées des retraités pour un autre âge de la vie d’épanouissement. Ce sont les activités bénévoles, près d’un retraité sur deux se consacre à du bénévolat, il y a environ un million d’associations concernées avec des missions citoyennes, culturelles, sportives,  l’association France-bénévolat a déjà, quant à elle, 300 points d’accueil. C’est aussi les formations du 3e âge et les Universités du temps libre (UTL), notamment pour l’appropriation des nouvelles technologies et leur utilisation interactive.
Toutes les activités sociales utiles de retraités constitueraient une dimension fondamentale d’un service public participatif des personnes âgées depuis des comités locaux au niveau des collectivités territoriales, aux côtés des soutiens considérablement accrus nécessaires des aides à domicile, des établissements hospitaliers pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et maisons de retraite, des relations de soutiens aux ascendants et descendants.

D’un nouveau service public des personnes âgées aux enjeux d’une civilisation nouvelle

La progression du nombre des personnes âgées lance le défi d’un progrès fondamental de société. Avec de nouvelles politiques et luttes de résistance et de progrès sur les retraites, c’est donc une tout autre construction institutionnelle, en liaison avec un service public des personnes âgées, qui doit être proposée et s’articuler à la mise en place d’autres services publics.
Cela concernerait tout particulièrement un service public du crédit bancaire et de la création monétaire (avec la prise de titres de dettes publiques, affectés aux services publics, par la BCE), ainsi qu’un service public de sécurité d’emploi ou de formation. Pour le financement nouveau des services publics et de la protection sociale, outre une autre création monétaire de la BCE, il faut pouvoir compter sur une élévation des prélèvements publics et sociaux. Ils seraient modulés, qu’il s’agisse de cotisations sociales plus élevées, sur les entreprises qui font peu de salaires et d’emplois dans la valeur ajoutée, relativement à la moyenne de la branche, ou de prélèvements nouveaux sur les revenus financiers.
Cela viserait la sécurisation de tous les moments de la vie et la promotion de la formation pour les activités créatives de chacune et de chacun, non seulement dans le travail professionnel mais dans les activités extra-professionnelles, au cours de la jeunesse, de la vie de travail, après la vie de travail pour les personnes âgées.
Le progrès formidable de la productivité de la révolution informationnelle permettrait, au-delà de la réduction du temps de travail dans la semaine et dans l’année, sa réduction relative, aux deux bouts de la vie, pour l’allongement de la scolarité et pour la retraite active avec l’élévation de l’espérance de vie, dans une avancée de civilisation. Et les activités créatrices de soi et pour autrui, hors travail, favoriseraient encore la productivité nouvelle, en liaison avec un processus de dépassement du travail lui-même.
Ces avancées possibles, sur les retraites et les autres moments de la vie, renvoient au-delà de la France, aux luttes dans l’Union européenne, contre les pressions spéculatives des marchés financiers et des banques, notamment sur les dettes publiques, et contre les politiques d’austérité, contre les adaptations en régression des droits sociaux, des revenus populaires (salaires et retraites) et des services publics. Elles renvoient aux exigences d’un autre rassemblement transformateur à gauche en France et dans l’Union européenne. Tandis que la longévité progresse dans le monde entier, cela se rattache enfin à l’avancée décisive de services et biens communs publics de l’humanité, y compris sur les personnes âgées, contre la domination des entreprises multinationales privées, pour construire une autre civilisation de progrès et d’intercréativité de toute l’humanité.

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