Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Conjoncture : intox au sommet de l’Etat

L’Élysée et Matignon ont fait leurs choux gras de l’annonce par l’INSEE d’une croissance du PIB de 0,5 % au deuxième trimestre, après un recul de 0,2 % chacun des deux trimestres précédents. Cette hausse, la plus forte enregistrée depuis le premier trimestre 2011 (1,1%), permet au ministre de l’économie de proclamer que « la France est sortie de la récession ». Du coup, F. Hollande se sent plus autorisé que jamais à assurer que la courbe du chômage s’infléchirait dès la fin de l’année. Qu’en est-il vraiment ? Comment évaluer le pari sur la conjoncture fait par le président de la République qui vient d’affirmer vouloir doter la France d’une « stratégie nationale à dix ans » susceptible, a-t-il suggéré, de lui permettre de sortir de la crise ? Quels sont les enjeux pour les luttes sociales et la construction de nouveaux rapports de force politiques à gauche afin  de suivre un tout autre cap ?

Au deuxième trimestre, le PIB en volume a crû de 0,5 %, alors que les analystes s’attendaient, en moyenne, à un rattrapage de 0,2 % seulement.
Dans ces conditions, si la richesse nationale produite stagnait d’ici à la fin de l’année, l’objectif de croissance de 0,1 % pour 2013, retenu par le gouvernement dans le programme de stabilité soumis à Bruxelles, serait quand même atteint.
Rappelons que l’INSEE, dans sa note de conjoncture de juin dernier, a prévu, lui, que le PIB de la France reculerait de 0,1 % cette année. Et le FMI (1) est plus sombre encore : la décrue du PIB serait, en France, de 0,2 % cette année. L’OCDE (2), quant à elle, anticipe un recul de 0,3 %.
Quels sont les facteurs du rebond plus fort que prévu du deuxième trimestre ?
P. Moscovici insiste sur le « raffermissement de la demande intérieure ». De fait, la contribution de cette dernière à la croissance du deuxième trimestre a été positive de 0,3 point et, prenant appui notamment sur un regain de l’activité hors de la zone euro, les entreprises ont commencé à reconstituer leurs stocks (+0,2 point).
Ce ne sont guère les dépenses d’investissements qui expliquent le rebond. Au total, elles auront à nouveau diminué au deuxième trimestre quoique de façon moins prononcée qu’en début d’année (-0,5 % après -1,0 %).

Un sursaut sans lendemain ?

C’est surtout l’investissement des ménages qui continue de sombrer (-1,7 % après -1,4 %) avec, au cœur, le freinage des achats de logements dont les prix, en France, selon l’OCDE, demeurent anormalement chers comparés à d’autres pays et alors même que le loyer moyen payé par les locataires absorbe désormais quelque 23 % de leur revenu, contre un peu plus de 15 % seulement en 1990 (3).
Cela étant, l’investissement des entreprises non financières continue d’être déprimé (-0,1 % après -0,9 %) et cela pourrait durer. La faiblesse de la croissance des débouchés explique ce manque de confiance persistant des entrepreneurs. Cela se conjugue avec le freinage maintenu du crédit accordé par les banques, assoiffées de rentabilité financière, au détriment particulièrement des PME et de l’industrie.
Si, entre juin 2012 et juin 2013, les crédits mobilisés et mobilisables accordés aux entreprises ont progressé de 0,6 %, en léger recul par rapport à mai (+0,7 %), ils diminuent de 1,6 % pour les PME. Et si l’industrie manufacturière voit ses crédits diminuer de 4,9 % sur la même période, le secteur de l’information et de la communication, lui, les voit croître de 0,6 % (4).
Ce sont surtout les dépenses de consommation des ménages qui ont tiré l’activité au deuxième trimestre (+0,4 % après -0,1 %). Et cela, d’abord, du fait du maintien à haut niveau des dépenses d’énergie (+2,4 % après +2,0 %), en écho à un printemps particulièrement froid.
Mais les achats d’habillement ont de nouveau baissé (-2,4 % après -2,2 %), tandis que les dépenses en alimentation se sont nettement repliées (-1,2 % après +1,0 %).
Cependant, les achats automobiles ont enregistré aussi un net rebond (+2,1 % après -5,5 %), le premier depuis fin 2011. Enfin, on note une légère accélération de la demande de services (+0,3 % après -0,1 %).

Au total, ce frémissement de la demande de consommation pourrait bien avoir eu pour contrepartie une détérioration accrue des conditions vécues par les plus modestes et, pour les couches moyennes salariées, un tirage sur leur épargne, du fait de la faiblesse rémanente des revenus du travail et de remplacement. Car, au deuxième trimestre, ceux-ci ont continué d’être laminés par le chômage et la précarité.

En effet, le secteur privé a enregistré 27 800 suppressions nettes d’emploi, contre 8 300 le trimestre précédent, le nombre de défaillances d’entreprises ayant fortement augmenté (+9,4 % après -1,8 %) jusqu’à un niveau proche de celui si élevé du deuxième trimestre 2009, selon la société Altarés qui en assure le suivi.
Alors, le deuxième trimestre 2013 aura-t-il été celui d’un retournement vers une reprise forte et durable ou bien celui d’une reprise technique qui, dans un contexte déprimé, pourrait n’être qu’un sursaut sans lendemain ne permettant pas à la France de s’arracher à la stagnation ?
Le FMI (5) n’anticipe, pour la France, qu’une croissance de 0,8 % du PIB, comme l’OCDE (6), et de 1,5 % seulement en 2015. Le taux de chômage passerait de 11,2 % cette année à 11,6 % en 2014 et 11,4 % encore en 2015 !
L’INSEE, quant à lui, voit la demande adressée à la France accélérer à partir du deuxième trimestre grâce, surtout, à « un rebond des importations allemandes » et à « la vigueur de l’activité hors zone euro » (7).
Pour l’heure, cependant, cela demeure encore hypothétique. Il est vrai que le déficit du commerce extérieur de la France tend, de façon nouvelle, à reculer : à 30 milliards d’euros au premier semestre, il se réduit de 16 % par rapport à son niveau de l’an dernier à la même période (35,8 milliards d’euros) et il est aussi en baisse par rapport à celui du deuxième semestre 2012.
Cependant, cela s’est fait dans le cadre d’une contraction de nos échanges due, avant tout, à un vif recul de nos importations (-3,3 %) en écho à l’extrême faiblesse de la demande intérieure d’investissement sous le poids de l’austérité budgétaire et salariale. Mais elle est due aussi à un recul des exportations (-1,2 %) plus faible que celui des importations grâce, particulièrement, aux ventes d’Airbus.
Quoi qu’il en soit, l’INSEE confirme que le climat des affaires resterait dégradé et l’activité terne d’ici à la fin de 2013 : la croissance du PIB serait nulle au troisième trimestre et de +0,1 % seulement au dernier.
De fait, si la production manufacturière a vivement rebondi en avril, elle est lourdement retombée en mai (-0,9 %) et en juin (-0,4 %), tirant vers le bas l’ensemble de l’industrie (-1,4 % après -0,3 %).

Le chômage interdit tout angélisme

Que se passerait-il sur le marché du travail d’ici à la fin de l’année ?
Il y a toujours un retard des créations d’emploi par rapport à la croissance, à la hausse comme à la baisse. En cas de reprise, en effet, les employeurs, loin d’embaucher immédiatement, laissent augmenter la productivité par tête pour accroître la rentabilité plus ou moins écornée pendant la récession. Cela autorise certains observateurs à minimiser la gravité des destructions nettes d’emploi du deuxième trimestre.
Cependant, la tendance actuelle du chômage interdit tout angélisme. Fin juin dernier, en effet, on recensait dans l’Hexagone 3 279 400 inscrits à Pôle emploi et « sans emploi » (catégorie A), en croissance de 0,5 % sur un mois et 11,2 % sur un an, et 4 799 700 inscrits « tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi » (catégories A, B, C), en croissance de 0,1 % sur un mois et de 0,9 % sur un an.
Selon l’INSEE, la hausse du chômage se poursuivrait, portant son taux à 10,7 % dans l’Hexagone et à 11,1 % départements d’outre-mer inclus. On serait donc loin d’une inversion de la courbe fin 2013.
Pourtant, F. Hollande continue de la prophétiser en comptant sur une accélération de l’activité et, aussi, sur les emplois aidés qui, à nouveau, permettraient de dégonfler les statistiques officielles : 50 000 emplois d’avenir à signer d’ici fin 2013, 2 000 emplois francs et 30 000 chômeurs « mis en formation » pour des métiers en souffrance de candidats, comme la restauration dont on connaît les conditions de travail si difficiles, les salaires si peu attractifs et les déroulements de carrières inexistants.
Le niveau élevé du chômage continuerait de peser lourdement sur celui des salaires. Selon l’INSEE, la masse salariale brute ne croîtrait que de 0,9 % en 2013, après 1,9 % en 2012 et 2,6 % en 2011. Mais la baisse escomptée de l’inflation des prix à la consommation, qui serait inférieure à 1 %, du fait du marasme persistant de l’activité et d’une relative modération attendue des prix énergétiques, permettrait une stabilisation du pouvoir d’achat du revenu disponible des ménages (+0,2 % après -0,9 %).
Celui-ci inclut tous les revenus, salariaux et autres. Or, les revenus financiers perçus par les ménages, surtout ceux des plus riches d’entre eux, croîtraient, selon l’INSEE, de 1,4 % en 2013, après 0,6 % en 2012.
Bref, les salariés, les chômeurs, les retraités seraient d’autant moins à la fête que les hausses d’impôts et de cotisations de la loi de finances pour 2013 devraient ponctionner 1,1 point de revenu des ménages. Aussi, la consommation demeurerait stagnante (-0,1 %) alors qu’elle compte pour 56 % dans le PIB de la France.
Ce contexte déprimé apparaît d’autant moins propice à une augmentation des capacités productives que le taux d’utilisation des capacités de production rentables est à peine supérieur à 86 % contre 94 % fin 2008.
Aussi, l’INSEE prévoit-elle que le recul de l’investissement se poursuivrait : pour les sociétés non financières, il s’établirait à 18,8 % de leur valeur ajoutée au quatrième trimestre, bien en deçà du pic de 19,9 % atteint fin 2011 et, bien plus encore, des 20,2 % de 2008.

Bel été pour la bourse

Et pourtant, malgré cette déprime d’ensemble, on a eu droit à « un bel été » pour la bourse de Paris, comme l’ont titré bien des journaux.
Sur le seul mois de juillet son indice phare (CAC 40) a crû de 6,79 %, deux fois plus que l’indice Standard & Poor’s de Wall-Street (3,96 %) où la croissance réelle est nettement plus forte. Entre le 1er juin 2012 et le 1er août 2013, le CAC 40 est passé de 2 950,47 points à 4 042,73 points (+37 %) !
Bien sûr, tout cela renvoie aux conditions prévalant à l’international et, par exemple, au fait que les taux d’intérêt payés par la France sur ses titres de dette publique étant devenus insuffisamment rémunérateurs et beaucoup d’argent liquide étant disponible pour les investisseurs, ceux-ci se rabattent sur les actions et parient, ce faisant, sur une reprise des profits après la récession.
De fait, si énormément de PME demeurent hyper-contraintes en France, ce qui tire vers le bas le taux de marge moyen, les grands groupes, eux, s’en sortent plutôt bien.
Certes, avec la récession, les bénéfices nets des sociétés du CAC 40 ont marqué un recul de 18,1 % au premier semestre 2013 par rapport à celui de 2012, mais ils totalisent tout de même 36,72 milliards d’euros, malgré les provisions de toute sorte et la consolidation dans les comptes en France de pertes essuyées à l’étranger permettant de réduire encore plus les impôts. C’est là, à 200 millions près, le montant total des dividendes (36,5 milliards d’euros) que les sociétés du CAC-40 auront à verser cette année au titre du résultat de 2012.
Et on sait que ces grandes sociétés ont massivement restructuré en France et contraint leurs sous-traitants à détruire des emplois, fermer des sites, délocaliser. Elles vont continuer, aidées en cela par les libertés nouvelles que donne aux patrons la transcription dans la loi de l’accord national interprofessionnel (ANI) dit de « sécurisation de l’emploi ».
Cet ajustement permanent contre les capacités humaines secrète d’énormes liquidités. Les sociétés non financières du CAC 40 atteignaient, fin décembre 2012, le montant record de 161 milliards d’euros (8) (+6 % sur un an et +61 % depuis fin 2007) ! Autant d’argent qui sert quotidiennement à spéculer sur tous les marchés en attendant l’opportunité d’une grosse opération financière suffisamment profitable.
Cela marche aussi pas mal pour les actionnaires des grandes banques françaises : pour la première fois depuis de nombreux trimestres, elles ont présenté, au deuxième trimestre 2013, des résultats supérieurs au consensus des analystes (BNP-Paribas : 1,76 milliard d’euros ; Société générale : 955 millions d’euros ; Crédit agricole : 696 millions d’euros ; BPCE : 772 millions d’euros…).
C’est sur ce potentiel de reprise des profits que comptent divers observateurs de la conjoncture, notamment ceux de l’Élysée et Matignon, pour prêcher la confiance dans une prochaine sortie des difficultés, pour peu, suggèrent-ils, que rien ne vienne, au plan intérieur, mettre en cause le cap de la politique économique et des réformes structurelles conduites depuis un an.

Encore et toujours le « théorème de Schmidt »

Derrière une telle option, on retrouve la même idée reçue que celle qui a présidé à la conception et au lancement du « crédit d’impôt compétitivité-emploi » (CICE), cher au Medef et à F. Hollande, qui a apporté une aide directe de 20 milliards d’euros aux profits. Il s’agit de ce que l’on appelle le « théorème de Schmidt », du nom du chancelier allemand qui le premier en a fait l’énoncé dans les années 1970 : « Les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain. »
Ce raisonnement, largement utilisé en son temps par V. Giscard d’Estaing, a été aussi la base doctrinale de la politique dite de « désinflation compétitive » conduite sous F. Mitterrand. On sait où cela a mené la France et la gauche.
Il faudrait donc, surtout, garder sans sourciller le double cap du dit « désendettement public », en rationnant les dépenses de services publics et des politiques sociales, en augmentant les prélèvements sur les salariés et leurs familles, et de la dite « compétitivité privée », en baissant tant et plus le « coût du travail ».
Il faudrait accepter de nouveaux choix d’austérité budgétaire pour 2014 afin, en 2015, d’arriver à faire passer le déficit public sous la barre des 3 % du PIB, alors même que « l’ajustement structurel » a été déjà de 1,8 % du PIB en 2013. Cela impliquerait, notamment, une augmentation des prélèvements de 12 milliards d’euros, sans même tenir compte de l’augmentation de la TVA décidée pour financer le CICE qui n’entrera en vigueur que le 1er février 2014. Et il faudrait ajouter une «contribution climat énergie» (9), plus connue sous le nom de « taxe carbone », ainsi qu’une hausse de la CSG, avec une réforme des retraites dans le prolongement de celles de Balladur et Fillon, qui toucherait surtout les revenus du travail et de remplacement. Simultanément, il s’agirait de réduire de 10 milliards d’euros, au moins, les dépenses publiques… sans parler de la relance des privatisations.
De tels choix budgétaires vont faire obstacle à la reprise et ne permettront pas de faire reculer le poids de la dette publique : en 2014, il devrait atteindre 96 % du PIB contre 93 % en 2013 et 90 % en 2012. On peut imaginer le potentiel d’augmentation du service de cette dette en cas de remontée des taux d’intérêt, alors même que, malgré leur faible niveau relatif jusqu’ici, la charge des intérêts de la dette coûtera 47 milliards d’euros à l’État cette année.
En ligne avec les exigences de la Commission de Bruxelles et de Mme Merkel, ces choix se conjugueront à la pression accentuée sur l’emploi et les salaires de la mise en œuvre des dispositions de l’ANI, à l’instar de l’« accord de compétitivité » signé chez Renault, contre l’avis de la CGT, le 13 mars dernier (10).
Dans ces conditions, la consommation des ménages devrait rester très atone. Quant à l’investissement réel des entreprises, il devrait rester en berne et ne viser qu’à accroître la productivité apparente du travail contre l’emploi, et non les capacités productives.
Ce n’est certainement pas ainsi que la France recouvrera le potentiel perdu depuis 2009 (11). Au contraire, elle risque, ce faisant, d’accentuer ses points faibles et ses retards en regard des enjeux de réindustrialisation et de révolution informationnelle.
La comparaison avec l’Allemagne est parlante. De 2000 à 2012, il s’est acheté 175 475 robots industriels outre-Rhin, contre 38 108 seulement en France et, si les dépenses de recherche-développement privée ont représenté 1,94 % du PIB là-bas en 2011, elles n’ont représenté, ici, que 1,42 % (12).
L’acharnement encouragé par le gouvernement, sous prétexte de compétitivité, à baisser le « coût du travail » en France, alors qu’il est à peu près équivalent à celui de l’Allemagne dans l’industrie (13), fait en réalité écho à de très graves problèmes de « compétitivité hors coût » du fait d’une insuffisance persistante de l’effort de recherche-développement et de l’inefficience relative de la formation professionnelle dans les entreprises françaises.
Inséparablement, il fait écho à l’inefficacité criante des relations entre banques et entreprises, alors même que ces dernières supportent des prélèvements financiers considérables. Ainsi, selon les Comptes de la Nation pour l’année 2012, le total des intérêts et dividendes versés par les sociétés non financières a atteint 309,9 milliards d’euros l’an dernier, soit 30,41 % de leur valeur ajoutée, contre 24,83 % en 2000 et 19,37 % en 1990 (14).

L’illusion du « plein-emploi »

Pour souligner l’inanité des politiques s’acharnant à baisser les « charges sociales », au lieu de créer les conditions d’un recul des prélèvements financiers grâce à un nouveau crédit sélectif pour les investissements matériels et de recherche des entreprises, on rappellera que les cotisations sociales effectives n’ont représenté que 15,51 % de la valeur ajoutée des sociétés non financières en 2012 pour un total de 157,9 milliards d’euros (15). Un argument de plus qui vient soutenir l’appel de la CGT, de FO, de la FSU et de Solidaires à manifester à propos des retraites le 10 septembre, pour un autre financement !
Au total, on peut prendre la mesure de l’opération tentée avec le séminaire gouvernemental tenu le 19 août dernier à Paris sur « la France de 2025 ».

P. Moscovici y a promis le retour au « plein-emploi » (16), ce qui était déjà une promesse de S. Royal, la candidate du PS à l’élection présidentielle de 2007, ainsi que du candidat Sarkozy. A. Montebourg y a, lui, promis que la France allait « retrouver sa place dans le concert des grandes nations industrielles », alors que la part de l’industrie dans la valeur ajoutée nationale y est devenue inférieure à celle du Royaume-Uni. Et F. Hollande y a assuré vouloir élaborer une « stratégie nationale » à dix ans pour faire retrouver « sa souveraineté » à la France, la porter au niveau de « l’excellence » technologique et environnementale, et lui faire gagner « la bataille de la mondialisation ». Il a même cherché à donner l’impression de vouloir renouer avec quelque chose qui rappellerait la démarche planiste à la française, indicative, étatiste et centralisée, des années 1960-1970… mais tout cela sans rien changer, surtout, au cap de la politique actuelle et en continuant d’encourager la déréglementation du marché du travail (flexicurité), les privatisations et la domination des marchés financiers.
Comment ne pas parler, alors, de tentative d’intoxication des Français ?
Au final, le pari de F. Hollande sur l’amélioration des chiffres du chômage et de la croissance, sans changement de cap de sa politique française et européenne, renvoie fondamentalement à un pari très périlleux sur la capacité de l’environnement européen et mondial de la France, derrière les États-Unis, l’Allemagne et les pays émergents, à tirer l’activité rentable de notre pays d’ici à 2017, date à laquelle il est toujours officiellement question de ramener le déficit public à 0 % du PIB.
Or, la remontée des taux d’intérêt mondiaux à partir des États-Unis, du fait de la perspective que la Réserve fédérale (FED) en finisse avec les injections monétaires massives de sa politique non conventionnelle (85 milliards de dollars, soit 63,5 milliards d’euros, par mois), du fait d’une accélération anticipée durable de la croissance outre-Atlantique, commence déjà à perturber la donne.
Cela tend à répandre dans l’économie mondiale un parfum de risque de krach des marchés obligataires, comme en 1994.

Un parfum de krach

Les pays émergents se trouvent confrontés à un ralentissement de leur croissance et, pour certains d’entre eux (Brésil, Inde, Russie, Turquie…), à d’importantes sorties de capitaux, vers les États-Unis en particulier, faisant chuter leur devise et incitant à une remontée des taux d’intérêt à court terme.
Tout cela peut entraîner de sérieuses déconvenues pour l’Europe, alors que la zone euro vient péniblement de sortir de récession au deuxième trimestre du fait du frémissement de l’activité en France et, surtout, en Allemagne.
Le dispositif mis en place pour contrer la « crise des dettes publiques » a conduit à une augmentation du poids de ces dernières dans le PIB des pays d’Europe du Sud, du fait des politiques d’austérité ravageuses imposées par la troïka, Berlin et les gouvernements concernés.
Le crédit demeure très raréfié dans les pays du Sud où les systèmes bancaires sont toujours en grande difficulté. La BCE continue d’interdire toute création monétaire pour soutenir les dépenses publiques et alléger les dettes. Mais elle est désormais réputée susceptible d’intervenir massivement et « indéfiniment » contre toute spéculation, en contrepartie d’une mise sous tutelle des budgets des États du Sud (et de la France aussi) (17). Cette assurance donnée aux marchés fait que les taux d’intérêt sur les dettes publiques ont pu baisser, surtout en Allemagne et en France, tout en demeurant supérieurs aux taux de croissance réelle, notamment dans les pays du sud.
Une remontée des taux d’intérêt à partir des États-Unis pourrait contaminer la zone euro, ce qui la frapperait plus durement qu’outre-Atlantique car la croissance réelle est, là-bas, beaucoup plus forte et assurée qu’ici.
Malgré la gravité de la récente crise chypriote, pour l’heure contenue, la zone euro se trouverait, en quelque sorte, aujourd’hui dans « l’œil du cyclone » qui a commencé de souffler sur elle en 2010. Elle pourrait être à nouveau soumise à de très violentes perturbations si les taux d’intérêt venaient nettement à remonter avec le risque d’un krach sur les marchés obligataires et de nouvelles faillites bancaires sollicitant massivement la « solidarité » de l’Allemagne et de la France.

Les choix de F. Hollande, dans ces circonstances, reviennent à interdire à la France, en s’appuyant sur les demandes sociales des pays d’Europe du sud, de peser face à l’Allemagne pour une réorientation de la politique monétaire de la BCE et l’abandon des politiques d’austérité, en faveur de coopérations de co-développement en Europe et avec les pays émergents, face au dominateur commun, les États-Unis.

Ces choix sont désormais contestés au sein même du PS dont l’image s’est considérablement détériorée au sein de l’électorat socialiste et de gauche, lesquels, bien sûr, ne veulent pas, pour autant, contribuer à renforcer la droite plus que jamais contaminée par les idées du FN.

C’est dire l’importance, dans ces circonstances, des efforts de rassemblement très large à gauche dès le terrain, dans les localités et les entreprises, pour résister avec des projets locaux de soutien à l’emploi, aux services publics et à la croissance réelle, en vue d’infléchir le cap suivi au plan national, jusqu’à le faire changer radicalement. On mesure alors combien le nombre d’élus communistes, à l’appui des luttes et avec leurs propositions cohérentes articulant objectifs sociaux, financements et pouvoirs, va s’avérer décisif pour la suite

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(1) FMI : Perspectives de l’économie mondiale, mise à jour du 9 juillet 2013.

(2) OCDE : Perspectives économiques nationales, 29 mai 2013.

(3) Friggit J., Loyers et revenus depuis les années 1970, Commissariat général à l’environnement et au développement durable, juin 2013.

(4) Banque de France : Les crédits aux entreprises (encours) -France juin 2013, Statinfo, août 2013.

(5) Op. cit., ibid.

(6) Op. cit., ibid.

(7) INSEE : Note de conjoncture, juin 2013.

(8) http://www.bfinance.fr/fr/conseil-en-financement-et-solutions-de-tresore...

(9) Le Premier ministre a assuré, la main sur le cœur, qu’elle ne devrait pas augmenter le montant global des prélèvements…

(10) Il prévoit une augmentation du temps de travail de 6,5 %, un gel des salaires en 2013 et, d’ici la fin 2016, une baisse de plus de 15 % des effectifs.

(11) La croissance potentielle de la France, selon l’INSEE, pourrait se situer sur une trajectoire moyenne de 1,5 % par an d’ici 2025, alors que Natixis l’anticipe à 1,1 % seulement. Elle était estimée à 2,1 % en 2008 pour la période 2008-2015. Rappelons que ce que les économistes orthodoxes appellent la croissance potentielle, c’est la croissance susceptible de réaliser le niveau maximal de production sans accélération de l ‘inflation des prix à la consommation, compte tenu des capacités de production rentables et de la main-d’œuvre disponible, c’est-à-dire, en fait, privée d’emploi.

(12) Artus P., « Voit-on une correction du mal profond de la France et de l’Italie ?», Flash-Economie, n° 570, 16 août 2013.

(13) Entre 2000 et 2012, le salaire horaire dans l’industrie, charges sociales comprises, a été de 31,21 euros en moyenne en Allemagne, contre 30,81 euros en France et il se situe, en 2012, à 35,40 euros outre-Rhin, contre 36,60 euros en France. Cf. Artus P. et I. Gravet : « Niveau de compétitivité-coût des pays de la zone euro », Flash-Economie, n° 475, 21 juin 2013. Et si, dans les services, le salaire horaire est nettement plus faible en Allemagne qu’en France, c’est parce que, là-bas il n’existe toujours pas de SMIC, ce qui a permis, notamment, la multiplication de « jobs à un euro » (sic)…

(14) à ce propos aussi on peut imaginer le choc récessif qu’entraînerait une remontée des taux d’intérêt, alors que l’endettement privé a continué d’augmenter relativement au PIB.

(15) INSEE, Comptes de la nation de l’année 2012, Paris 2013.

(16) Le taux de chômage dit de « plein-emploi » n’a jamais signifié l’emploi pour chacun-e, mais un taux de chômage abaissé compatible avec une croissance non inflationniste. Il est, de fait, calé sur le « taux de chômage non accélérateur d’inflation » (NAIRU) qui, pour 2012, a pu être estimé à 7,8 % de la populations active en France, c’est-à-dire plus de 2,2 millions de chômeurs inscrits. Cf. Ducoudré B. : « France : la hausse du chômage conjoncturel se poursuit », le blog, OFCE, 22 avril 2013.

(17) Mario Draghi, le président de la BCE, a déclaré à Londres le 26 juillet 2012 lors d’une conférence d’investisseurs : « La BCE est prête à faire tout ce qui est nécessaire pour préserver l’euro. Et croyez-moi, ce sera suffisant!». Cette déclaration a été suivie de la mise en place de l’OMT (Outright Money Transactions ou transactions monétaires fermes), programme de rachat illimité d’obligations d’États en grandes difficultés et soumis à de strictes conditions d’austérité. Ce dispositif n’a jamais été utilisé depuis l’annonce de sa mise en place, celle-ci ayant suffi, pour l’heure, à empêcher la spéculation.

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