Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Comment accroître les prélèvements sur les ménages sans en avoir l’air ?

Dans la course acharnée à la réduction des déficits publics, diverses propositions qui avaient déjà cours pendant la campagne de la présidentielle refont surface. Il faut de ce point de vue préciser que la conception de la réduction des déficits publics qu’ont tous les gouvernements qui se sont succédé depuis vingt ans maintenant n’a pas varié d’un iota. Elle s’incarne dans une réduction massive de la dépense publique.

C’est ainsi que la Fonction publique d’État et la Fonction publique hospitalière ont été mises à rude contribution par des coupes sombres dans leurs effectifs et leurs crédits de fonctionnement, hier au nom de la RGPP, aujourd’hui en celui de la MAP. Comme cela ne suffisait pas c’est vers les dépenses des collectivités territoriales et donc vers la Fonction publique territoriale que les feux de l’austérité se sont tournés. Et comme chacun sait parfaitement que cela ne suffira encore pas sauf à faire disparaître tout le maillage administratif et l’ensemble des outils d’évaluation et de maîtrise de la politique nationale, l’heure est maintenant à s’attaquer au noyau dur que représente le financement de la protection sociale et à inventer de nouveaux prélèvements fiscaux qui ne veulent pas s’afficher comme tels.

Il s’agit d’une part de changer la nature du financement de la protection sociale en en basculant une partie, par le biais d’une fiscalisation des recettes, dans le budget de l’État. De l’autre un processus de captation du financement populaire (part salariale) est à l’œuvre qui se matérialise de deux manières :

  • par une baisse des prestations offertes ;
  • par une augmentation des prélèvements.

L’objectif de ces thèses libérales est de gonfler les recettes budgétaires de l’État afin de donner à la France les moyens de se mettre en situation d’afficher une réduction tangible de son déficit public et de s’inscrire ainsi dans le dogme maastrichtien du déficit zéro à l’horizon 2017. C’est aussi fournir à l’État un pouvoir de contrôle supplémentaire sur les dépenses de santé et donc leur limitation.

Enfin, il s’agit de poursuivre et d’accroître le désengagement social des entreprises françaises avec le secret espoir de ramener leur taux de prélèvements au niveau de celui des entreprises allemandes. Sauf que, s’agissant du volet retraite par exemple, celui-ci relève en Allemagne plus largement d’assurances privées complémentaires, ce qui rend viciée toute comparaison globale entre le taux de prélèvements des entreprises françaises et des entreprises allemandes. Naturellement, ce que les entreprises ne financent pas ce sont les citoyens qui se le payent au plus grand bonheur des fonds de pensions et autres compagnies d’assurances.

Relève de cette démarche de perversion du mode de financement de la protection sociale la proposition de rendre la CSG progressive.

Le principe de progressivité de la CSG tend à donner le change et surtout à faire croire que cet impôt est un impôt comme les autres. Mais ce n’est pas le cas. Avec ses 86 milliards d’euros, la CSG représente 24 % du financement de la Sécurité sociale. Impôt différent des autres, elle n’entre pas dans le budget de l’État mais est directement affecté au financement de la Sécurité sociale. Considérer qu’elle doit être progressive, a une double conséquence :

  • Cela revient à considérer que le financement de la Sécurité sociale doit être construit de manière progressive en fonction des revenus. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, il y a un plafonnement de la cotisation sociale. Même si les réformes successives ont tenté de supprimer le principe de ce plafonnement. De plus cela peut amorcer une sortie du principe : « on cotise en fonction de ses moyens et on reçoit en fonction de ses besoins » (possibilité d’introduction d’une progressivité du niveau de prestations en fonction du niveau de « cotisation »).
  • Mais surtout, l’instauration de la progressivité de la CSG prépare sa fusion avec l’impôt sur le revenu. Or cette fusion ferait automatiquement sauter le caractère affecté à la Sécurité sociale de la CSG. Celle-ci passerait par le budget de l’État, avant d’être réorientée vers le financement de la Sécurité sociale. De sorte que le niveau de cette réaffectation serait tributaire des arbitrages de l’État sur ses comptes publics. Comme le disait déjà le candidat à la présidentielle F. Hollande : « une part de ce nouvel impôt serait affectée à la Sécurité sociale », sans préciser laquelle.

De fait cette fusion, en renforçant le contrôle de l’État sur le financement de la Sécurité sociale, comporterait le risque pour cette dernière de devenir une variable d’ajustement de la politique de lutte contre les déficits publics et la dette de l’État. L’État remplirait ainsi ses caisses à bon compte ; la Sécurité sociale devant ajuster le niveau de ses prestations et de ses recettes de cotisation sociale en fonction de cette ponction.

Ce nouvel impôt sur le revenu fusionné aurait en outre pour fonction d’y soumettre l’ensemble des citoyens, la CSG étant acquittée par chacun quasiment au premier euro perçu. Ce serait le moyen d’élargir l’assiette de l’impôt sur le revenu aux revenus les plus faibles. Une fusion sous-tendrait également à terme la mise en place de la retenue à la source, autre moyen d’alourdir la pression fiscale sur les salariés. Pour mémoire nous rappellerons que ne sont exonérés de CSG que les revenus suivants (en fait des allocations) :

  • Allocation de logement spécial (ALS) ou familial (ALF) ou aide personnalisée au logement (APL).
  •  Prestations familiales : prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), allocations familiales, complément familial, allocation de soutien familial (ASF), allocation de rentrée scolaire (ARS), allocation journalière de présence parentale (AJPP).
  • Revenu de solidarité active (RSA).

Enfin cette proposition fait écho à l’esprit du rapport Moreau sur le financement des retraites, lorsqu’il propose un comité de pilotage composé d’experts pour un ajustement automatique du niveau des pensions en fonction de l’état des comptes de la branche !

D’autres propositions visent sans le dire à accroître les prélèvements fiscaux sur les couches populaires. Il en irait ainsi d’une modération des hausses de TVA destinées à financer le Crédit impôt compétitivité emploi (CICE). Rappelons que le CICE, c’est 20 milliards d’euros financés par 10 milliards de fiscalité nouvelle (TVA et fiscalité verte) et 10 milliards de réduction de la dépense publique au titre de laquelle figurent la baisse des dotations aux collectivités territoriales et la poursuite du laminage des services publics. Une telle disposition serait mauvaise et inappropriée. D’une part, parce que, in fine, le mode de financement du CICE acté par le gouvernement impactera inéluctablement les ménages. Soit par une perte de pouvoir d’achat, soit par une réduction de l’offre de services publics rendus locaux ou nationaux. De l’autre, parce que le CICE représente un cadeau fiscal supplémentaire, qui plus est assorti d’aucun dispositif de contrôle, venant s’ajouter aux 172 milliards de niches fiscales et sociales dont les entreprises bénéficient déjà et qui dans les faits jouent contre l’emploi, les salaires et la formation. En réalité, les tenants de cette « grande réforme fiscale », loin de remettre en cause le principe fondateur de cette nouvelle niche fiscale aux entreprises, participent à valider l’idée d’une nécessaire baisse « du coût du travail ». Ils cherchent seulement à laisser croire qu’il faut en atténuer les effets.

D’autres projets concerneraient la promotion de la fiscalité verte. Au-delà du débat sur son affectation, c’est la création d’un nouvel impôt, en fait d’une nouvelle taxe sur la consommation qui serait envisagée. Ce serait la confirmation d’un type de réforme fiscale mettant à contribution les ménages et cela à partir des revenus les plus modestes (harmonisation de la taxe sur le gazole et suppression de niches anti-écologiques) et renonçant à imposer les entreprises et le capital. Les entreprises continueraient, quant à elles, à être exemptées de toute contribution à la préservation de l’environnement. Au final, cette taxe écologique alourdirait la pression fiscale sur l’ensemble des ménages et ce n’est pas le gain fiscal de 76 euros pour un couple avec 2 enfants, rémunéré au SMIC, que permettrait l’introduction d’une progressivité de la CSG, qui viendrait changer fondamentalement quelque chose à l’affaire.

Si certains à gauche ambitionnent réellement de sortir du matraquage fiscal, alors il est grand temps d’ouvrir le chantier d’une réforme radicale des fiscalités nationale et locale pour les rendre socialement et économiquement efficaces car utiles au développement de l’emploi, des salaires, à la préservation de l’environnement et à la croissance réelle.

Cela passe par les mesures suivantes :

  • un impôt sur le revenu de type universel à taux et au nombre de tranches relevés ;
  • un impôt sur les sociétés progressif et modulé selon l’affectation des bénéfices ;
  • un nouvel impôt territorial des entreprises taxant leurs placements financiers ;
  • un ISF au barème rehaussé intégrant les biens professionnels modulés en fonction des efforts consentis en matière d’emplois et de formation ;
  • un recul de la pression fiscale sur la consommation (TVA, TIPP) ;
  • une réforme de la fiscalité directe locale passant par une véritable révision des bases d’imposition et le plafonnement de la taxe d’habitation ;
  •  un plan pluriannuel d’abandon de la CSG en même temps qu’une réforme du mode de financement de la protection sociale (taxation des revenus financiers des entreprises, hausse modulée des taux patronaux en fonction de la part des salaires dans la valeur ajoutée en tenant compte des branches professionnelles).

 

Jean-Marc Durand

Frédéric Rauch

 

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