Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Réforme des retraites : choisir les profits ou l’intérêt général ?

Le gouvernement a choisi d’engager une réforme des retraites qui s’inscrit en contradiction avec l’esprit des créateurs de la Sécurité sociale et le principe de la cotisation sociale qui constitue le socle de l’universalité et de la solidarité contenue dans la sécurité sociale à la française. Les mesures avancées contribueront une fois de plus à plumer les salariés actuels, futurs retraités demain, ainsi que les retraités auxquels on ne cesse de retirer du pouvoir d’achat, mais se gardent de mettre à contribution les entreprises.

Le gouvernement a mis à son ordre du jour de la rentrée le devenir de notre système de retraite.

 à noter que les systèmes de retraite des salariés et des non salariés sont divers dans notre pays.

Faut-il rappeler qu’en 1946 Ambroise Croizat a fait voter par le parlement la loi de Sécurité sociale généralisant à l’ensemble des Français la Sécurité sociale ?

Ce système universel n’a pu voir le jour, notamment pour les retraites, du fait de l’opposition des professions libérales et des régimes particuliers tels les commerçants, artisans, exploitants agricoles qui s’y refusèrent.

Une réforme de fond s’impose aujourd’hui plus que jamais et l’universalité de la retraite préconisée par Ambroise Croizat est toujours d’actualité.

Cependant Croizat n’envisageait pas cette universalité pour réduire les droits des retraités mais au contraire pour créer et développer des droits à la retraite pour tous, à travers la cotisation sociale de tous les Français et celle des entreprises, ces cotisations sociales étant assises sur le travail.

Le travail est créateur de richesses et ces richesses doivent revenir à l’intérêt général. Et la part prise sur celles-ci à travers la cotisation sociale n’est pas une charge mais un élément important du vivre ensemble favorisant le bien-être, la croissance et l’emploi.

Le coût du capital (dividendes, stock-options, taux d’intérêt, agios, etc.) par contre grève l’économie et les moyens de satisfaire les besoins sociaux des Français.

Le capital, c’est clair, n’a jamais admis la cotisation sociale parce qu’elle constitue une prise sur ses profits. Aussi dans les moments actuels de crise systémique qu’il affronte, il est aisé de dire que son chien a la rage et d’essayer de le faire disparaître par une piqûre : celle de la CSG ou d’autres formes fiscales telle la TVA qui permettraient à l’employeur de se soustraire à l’obligation de cotisations sociales et d’engranger ainsi davantage de profits.

Il ne s’agit donc pas de réformer par l’impôt (CSG) la cotisation sociale dans notre système de retraites.

Au moment où sont écrites ces lignes, plus que des rumeurs courent sur une augmentation de la CSG de 0,5 % et l’alignement de la CSG des retraités (6,6 % et 3,8 % pour les retraités non imposables) sur celle des actifs qui est actuellement de 7,5 %.

Le gouvernement, nous dit-on, comblerait ainsi un déficit estimé à 20 milliards d’euros d’ici 2020.

Ce gouvernement accompagnerait cette élévation de la CSG d’un nouveau recul de l’âge de la retraite par le biais du nombre d’années de cotisations que le Medef exige de fixer à 44 ans – comme d’ailleurs l’expriment aussi certains experts socialistes et le rapport remis au Premier ministre à la mi-juin par la conseillère d’état Yannick Moreau qui suggère 43 ans, voire 44 ans de cotisations, contre 41,5 ans actuellement.

L’âge légal de la retraite est aussi dans le collimateur. La dernière réforme de Fillon en 2010 a fait allonger l’âge de départ à 62 ans à condition d’avoir 41,5 années de cotisations ; l’idée de passer à 65 ans est aussi évoquée, ce qui serait un déni des engagements électoraux du Parti socialiste de revenir aux 60 ans. Dans tous les cas de figure, si l’âge légal de la retraite passe à 65 ans comme le réclame le Medef ou si la durée de cotisations passe à 43 ou 44 ans, selon les hypothèses avancées, ce serait un sérieux coup porté à l’âge de départ à la retraite dans de bonnes conditions pour tous les travailleurs en activité actuellement et certainement pire encore pour ceux qui, jeunes, n’ont pas encore eu accès à la vie professionnelle.

Du fait des parcours professionnels de plus en plus précaires, le nombre de trimestres inscrits en fin de carrière amènera ces salariés précaires à une retraite pouvant dépasser les 70 ans.

Le gouvernement envisage aussi, peut-être pour adoucir la brutalité de ses mesures, d’accorder certains droits aux travailleurs ayant exercé des professions pénibles par un nombre de points suffisants pour financer des formations, permettre des temps de travail aménagés et des départs anticipés par le rachat de trimestre par des points qui donneraient des trimestres validés. Là il ne s’agira plus d’une retraite anticipée avant 60 ans mais entre 60 et 70 ans en fonction toujours des trimestres validés.

Un tel traitement ne guérira pas le malade mais plutôt l’enfoncera.

Depuis 1993, les gouvernements successifs sous la pression du Medef ont donc orienté le traitement de la question des retraites par le biais de l’allongement de la durée de cotisations et celui du recul de l’âge légal pour avoir droit à la retraite. Ils ont en même temps manœuvré pour réduire les prestations retraites en touchant au calcul de la retraite, qui est passé des 10 meilleures années aux 25 meilleures années, et en n’indexant plus les prestations retraites sur l’évolution des salaires moyens mais sur l’évolution des prix.

Ce fut et c’est encore une politique de gribouille, ou plutôt l’art et la manière de dévaliser les retraités et futurs retraités des droits qu’ils ont acquis.

Si le gouvernement décide à relever l’âge de la retraite par différents subterfuges, car il s’agit de cela, de désindexer les pensions comme l’ont fait les caisses retraites complémentaires de concert entre certaines organisations syndicales et le Medef, cette réforme ne répondra qu’à l’objectif d’une nouvelle et énième réduction des droits des salariés, qu’ils soient du secteur privé ou public, sans que cela règle le problème central du financement.

Cette politique-là est celle qui vise à coups de réformes à plumer les salariés actuels, futurs retraités demain, ainsi que les retraités auxquels on retire du pouvoir d’achat sans cesse.

Une véritable réforme des retraites impliquerait un rapport de froces exigeant de mettre tout le monde autour de la table, tous secteurs compris, pour répondre au besoin de financement nécessaire afin que les retraites soient servies, pourquoi pas, sur la base de l’universalité comme le proposait Croizat en 1946.

Croizat et le législateur de l’époque avaient rejeté l’impôt pour la Sécurité sociale et donc aussi pour le système de retraite en choisissant la cotisation sociale calculée sur l’assiette des salaires. Croizat dans l’exposé des motifs de la généralisation de la Sécurité sociale et de la retraite des vieux indiquait avec force ce qu’était la nature de cette cotisation : « Le système britannique, celui du plan Beveridge s’adresse aux contribuables : il fait appel pour plus de 50 % au budget de l’état. Notre système écarte complètement cette solution. Faire appel au budget de l’État serait subordonner l’efficacité de notre politique à des considérations purement financières qui risqueraient de la paralyser. Mais il y a une autre raison plus importante, qui tient à l’esprit même de la réforme de la Sécurité sociale : celle-ci doit être l’œuvre des intéressés eux-mêmes, elle doit reposer sur un effort véritable de leur part. C’est pourquoi, tout l’appareil de la Sécurité sociale doit être alimenté par les contributions des bénéficiaires… Lorsqu’il s’agit de salariés, l’employeur verse 10 % et le salarié lui-même 6 %. Mais si l’on va au fond des choses, il n’y a pas de différence profonde entre la contribution de l’employeur et la contribution du bénéficiaire. Celle-là n’est en réalité que la contribution de l’entreprise à la gestion de laquelle l’évolution économique et sociale tend de plus en plus à associer les travailleurs. »

Certains proposent pour ajuster les comptes un système par points qui équilibrerait recettes et dépenses en faisant jouer les valeurs de point en fonction de la situation financière des régions. Ce système invoqué serait une arnaque, il nous sortirait de la solidarité intergénérationnelle par l’individualisme où chacun définirait lui-même l’âge de sa retraite en fonction de ses points attribués selon les conditions de travail qu’il a vécues qu’elles soient précaires ou à durée indéterminée. Un système avantageux pour le patronat puisqu’il pourrait poursuivre son désengagement de la cotisation sociale qui, d’ailleurs, se réduit comme une peau de chagrin par les exonérations pour les salariés jusqu’à 1,6 Smic. Ce système de points ajusterait les prestations retraites à la situation financière des caisses, des prix de points attribués plus chers et donc moins nombreux pour une retraite ajustée à la situation financière. Ce système par point serait catastrophique si les recettes venaient à manquer ou si la crise redouble et que le chômage et la précarité des emplois et des salaires affectaient davantage les recettes.

La CGT propose une maison commune des retraites pour redonner à nos systèmes de retraites toute la puissance de solidarité et de financement nécessaire pour avoir droit à la retraite à 60 ans pour tous et avant pour les professions pénibles. C’est une base pour créer de l’universalité et progressivement réunir tous les salariés.

Pour que cette universalité soit garantie, il faut qu’elle repose plus que jamais sur les cotisations sociales et donc sur le travail créateur de richesses par la cotisation du salarié et celle de l’entreprise – et non de l’employeur comme il est souvent dit à tort.

La cotisation sociale dite patronale n’est pas un coût pour l’entreprise, elle fait partie du résultat du travail créateur de richesse, et il vaut mieux augmenter celle-ci encore pour satisfaire les besoins de retraites que de la laisser partir dans l’escarcelle des profits.

La cotisation sociale doit donc rester le support essentiel du financement de la Sécurité sociale et des retraites et une augmentation de la cotisation dite patronale est nécessaire. Qu’un impôt additionnel frappe les actionnaires est aussi indispensable. Il s’agit de lutter contre la fraude fiscale qui rapporterait 80 milliards d’euros par an. La fin des aides aux plus grandes entreprises, sans aucune contrepartie pour l’emploi, rapporterait 200 milliards d’euros. Si les femmes avaient la même rémunération que les hommes, cela rapporterait encore 60 milliards d’ici les années 2020. Une cotisation sociale additionnelle sur les revenus financiers, sur la base des taux actuels appliqués aux salariés, permettrait une rentrée financière de 80 milliards d’euros pour la caisse de Sécurité sociale, dont 30 milliards pour les caisses de retraite solidaire.

Il faut savoir donc qui l’on sert : les profits et les marchés financiers ou la protection sociale et l’intérêt général. Un gouvernement de gauche ne devrait pas hésiter à choisir la voie du progrès social. n

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