Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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La bataille des retraites, une question étudiante à part entière

On s’imagine parfois que la bataille des retraites ne concerne pas les étudiants, ou de très, très loin. Mais on oublie que les étudiants sont directement concernés par la question des retraites, qu’ils sont, comme l’ensemble de la société, en première ligne des choix de société à ce sujet.

Pour mener la bataille des retraites dans le milieu étudiant, il faut en finir avec les mythes construits ces dernières années. Futurs salariés en formation, et pour la plupart d’ores et déjà salariés, les étudiants ont moins besoin de réductions au cinéma que d’un véritable statut adossé à des droits salariaux. C’est bien pourquoi ils sont sensibles aux grandes questions salariales, au premier rang desquelles les retraites, pour peu qu’on s’adresse à eux pour ce qu’ils sont plutôt qu’au nom des fictions construites pour les maintenir dans la précarité.

On s’imagine parfois que la bataille des retraites ne concerne pas les étudiants, ou de très, très loin. On voudrait alors les sensibiliser, faire appel à leur cœur, invoquer l’image de ce bon grand-père qui, peut-être, serait mort sur la chaîne de montage si l’on n’avait pas conquis ce droit de haute lutte. Mais on ne convainc pas avec des « si », et leur bon grand-père n’est pas mort sur la chaîne de montage. On voudrait peut-être, plutôt qu’à leur cœur, faire appel à leur esprit de responsabilité et d’anticipation individuelle : pense à ta propre vieillesse ! Est-ce que tu ne veux pas goûter un peu au repos, après plusieurs décennies de travail ? C’est l’aspiration de tout un chacun ; mais dans un contexte où les orientations politiques des dix dernières années ont donné à la précarité étudiante un essor exceptionnel, où ils accumulent les petits jobs pour financer la licence, où le chômage des diplômés bat des records ; dans un contexte, en un mot, où ils savent rarement où ils en seront à la fin du mois… La perspective de la retraite est encore un peu lointaine.

On oublie que les étudiants sont directement concernés par la question des retraites, qu’ils le savent ou s’en doutent, et qu’ils sont, comme l’ensemble de la société, en première ligne des choix de société à ce sujet. En un mot, nul besoin de faire appel à leur imagination, contentons-nous de parler de la société dans laquelle nous vivons.

La retraite dès 60 ans avec 75 % du revenu d’activité

En effet, les étudiants ont affirmé, tout au long des années 2000, une aspiration croissante à l’emploi, stable, bien rémunéré et à la hauteur de leurs qualifications. Cette aspiration s’est exprimée avec force lors de la mobilisation contre le Contrat première embauche (CPE) en 2006, mais aussi, de manière moins tonitruante, lorsque la « masterisation » des concours de l’enseignement exigée par Valérie Pécresse est venue sabrer le statut des enseignants en 2009. Les gouvernements de droite l’avaient bien compris lorsqu’ils étaient aux manettes, puisque chaque étape dans le démantèlement du service public d’enseignement supérieur a été accomplie au nom de l’insertion professionnelle des étudiants. Cette aspiration, du reste, a gagné en profondeur à mesure qu’elle était contrariée, dans le cadre de la loi Libertés et responsabilités des universités (LRU) et de ses décrets d’application. C’est une vague de contre-réformes qui, prétendant contribuer à l’emploi des jeunes qualifiés, l’a au contraire mis à mal, tant quantitativement que qualitativement. À l’issue de sa mise en œuvre, le chômage des diplômés avait gagné trois points, et la dégradation des conditions d’embauche avait atteint un niveau inédit. De fait, les « exigences des entreprises » auxquelles elle prétendait répondre, à grands coups d’association des chefs d’entreprise à la gouvernance des établissements, de territorialisation des diplômes et d’Unités d’enseignement (UE) professionnalisantes, se sont avant tout exprimées en termes de démantèlement des cadres de protection collectifs. L’exemple de l’enseignement est encore une fois éloquent : on a créé les conditions dès la formation initiale pour que l’emploi contractuel vienne se substituer au statut de la Fonction publique, dans des conditions professionnelles et salariales inadmissibles. C’est aujourd’hui 18 416 enseignants qui sont dans cette situation, pour le seul enseignement secondaire public (1). On évoquera également la mise en œuvre et la généralisation des UE d’auto-marketing à partir de 2009. On ne parle pas, ici, de former les étudiants au métier qui les attend : on parle de les former à la situation de recherche d’emploi, c’est-à-dire d’inscrire la précarité professionnelle dans l’ADN de leurs diplômes. Or, si la question de l’emploi est bien chevillée au corps des étudiants, qui voient leur horizon professionnel s’assombrir au rythme des contre-réformes, la bataille des retraites y occupe une place de choix. En effet, l’aggravation du chômage depuis la crise des subprimes n’a pas frappé toutes les classes d’âge de manière homogène. Réforme des retraites oblige, le taux d’activité des salariés âgés a gagné 15 % depuis 2008 mais, surtout, leur taux d’emploi a également augmenté. Dans le même temps, le taux d’emploi des plus jeunes s’effondrait (2). Les réformes des retraites successives ont fait le choix de prolonger l’emploi ou la recherche d’emploi des salariés âgés, accentuant la précarité professionnelle qui précède la retraite ; mais elles ont aussi aggravé la précarité professionnelle des entrants sur le marché du travail et la pression sur leurs conditions d’embauche.

Si les jeunes et les étudiants ont fait le choix de la gauche lors des précédentes élections législatives et présidentielle, c’est aussi qu’ils ont voulu envoyer un message clair : il faut en finir avec ces mesures mortifères, il faut ouvrir la voie au progrès social et industriel de la France. Mais le gouvernement et le président de la République ne se contentent pas de faire la sourde oreille. François Hollande dit privilégier la piste de l’allongement de la durée de cotisation : c’est une orientation qui heurte de plein fouet les aspirations des étudiants, des jeunes et des salariés en général. La contradiction est d’autant plus forte que la réforme des retraites ne vient pas seule, et qu’elle est précédée de la loi Fioraso pour l’enseignement supérieur et de l’ANI pour l’ensemble du monde du travail. D’un côté on renforce la dépendance des formations initiales vis-à-vis des chefs d’entreprise et de leurs exigences antisociales, de l’autre on détricote méthodiquement le droit du travail ; l’assaut contre les retraites coule effectivement de source. Comble de l’ironie sadique, la piste de l’allongement de la durée de cotisation s’érige en dernier recours contre la fin du système de retraites par répartition. Il convient ici de tracer un parallèle « estudiantin ». Lorsque la droite sarkozyste a voulu généraliser les prêts étudiants dans le cadre d’un grand marché de la vie étudiante, l’initiative n’a guère fait d’émules : elle ne dépassait pas les 3 000 titulaires à la rentrée 2008. Il a fallu organiser l’asphyxie budgétaire des CROUS, à grands renforts de suppression de points de charge et de retard dans le versement des bourses, pour que les étudiants s’endettent en complément d’un système d’œuvres emmuré dans la crise budgétaire. Dès l’année suivante, on comptait 6 600 titulaires de prêts étudiants, et le chiffre n’a cessé de s’amplifier depuis (3). Il s’agit, concernant les retraites, d’une recette analogue. On créait en 1997 les plans épargne-retraite, dans le cadre de la loi Thomas, et on renforçait ce genre de dispositifs tout au long des années 2000. L’allongement de la durée de cotisation profite tout naturellement à ces hedge-funds à la française : de fait, confrontés à un système de retraites par répartitions que l’on rend inapte à répondre aux aspirations des salariés concernant la retraite, nombreux sont ceux qui préfèrent « jouer la sécurité » et constituer une épargne supplémentaire auprès des assureurs. L’allongement de la durée de cotisation enterre le système par répartition qu’elle prétend sauver de peu, et le problème posé est également un problème d’efficacité économique. En effet, pour espérer compenser une baisse de niveau des pensions de dix points par rapport au salaire, il faudrait épargner chaque année pendant trente ans un mois de salaire (4). C’est bel et bien une vie de précarité généralisée que le gouvernement propose aux étudiants : précarité de l’emploi, précarité dans l’emploi, et précarité en aval de l’emploi puisqu’il s’agit de se soumettre à la ponction des usuriers toute une vie durant, du remboursement du prêt étudiant à l’épargne individuelle en prévision de la retraite. Or, pour répondre à l’aspiration des étudiants à la stabilité professionnelle et personnelle, il n’y a qu’une voie, celle de la réduction de la durée de cotisation et de l’âge légal de départ à la retraite, et en premier lieu la retraite dès 60 ans avec 75 % du revenu d’activité.

La prise en compte des années d’études dans le décompte des annuités

Par ailleurs, si tous les gouvernements depuis 15 ans prétendent s’appuyer sur l’enseignement supérieur pour nourrir le monde du travail, les perspectives professionnelles que l’on nourrit pour les étudiants ne trouvent pas de traduction dans leur statut. En effet, l’ouverture d’un grand marché de la vie étudiante, exigé depuis longtemps du côté du Medef et mis en œuvre par Sarkozy, a particulièrement exposé les étudiants à la précarité. La libéralisation forcée du parc de logements sociaux, menée à grands renforts de partenariats-public-privé (PPP) et de défiscalisation au profit des entreprises privées (jusqu’à 25 % dans certains cas !) a permis de poser les bases de l’édifice. L’asphyxie budgétaire sur les bourses est venu le consolider : il manquait ainsi un mois entier de bourses au budget 2011 ! La hausse spectaculaire des tarifs en restaurant universitaire ou les attaques régulières contre les dispositifs de médecine universitaire n’arrangent rien. Ces mesures ont effectivement permis de greffer une cohorte de marchands du temple sur les campus… au premier rang desquels les banques, qui ont sauté sur l’occasion pour imposer leurs offres « révolutionnaires » de prêts étudiants. Les conséquences sont à l’avenant : 73 % des étudiants se salarient pour financer leurs études (5), et les taux d’échec en premier cycle atteignent des sommets. On sait par exemple qu’un étudiant sur deux échoue en première année de licence.

Au-delà même des situations personnelles dramatiques qu’elle peut produire, cette situation est un obstacle au développement industriel, professionnel et scientifique de la France, alors même que les étudiants aspirent à se former sérieusement pour contribuer au monde du travail. Au final, les uns n’osent même pas se lancer dans un cursus universitaire, les autres échouent, les derniers abandonnent au milieu de l’année, écœurés ou écrasés par les horaires de leurs jobs. En l’absence d’un statut protecteur pour les étudiants, à la hauteur de ce qu’on attend d’eux dans le monde du travail, nos mécanismes de formation initiale sont grippés. La question des retraites cristallise cette problématique, puisque les années d’études ne sont pas prises en compte dans le décompte des annuités. On est non seulement forcé de mutiler ses conditions de vie au quotidien, mais sa fin de carrière et sa retraite pour envisager des études supérieures ! Si la conférence sociale n’apporte pas la moindre contribution pour répondre à ce défi, les solutions existent. Il faut prendre en compte les années d’études dans le décompte des annuités ; et la piste du pré-recrutement (6), par exemple, permet de dépasser les limites de la cotisation symbolique et d’ouvrir la voie à un statut social et professionnel adossé à de véritables droits salariaux. Elle permet également de redonner vie à des viviers de travailleurs qualifiés là où les politiques gouvernementales ont détruit l’emploi, organisant la disparition d’un savoir-faire précieux. Les emplois d’avenir professeur, hélas, ne remplissent même pas ce rôle, puisqu’ils se contentent de renforcer le poids des statuts précaires dans la Fonction publique. Nous devons nous donner les moyens de la hausse générale du niveau de qualification que les uns et les autres appellent de leurs vœux depuis des années, mais que tous rendent impossible à force de mesures d’austérité. La question est d’autant plus aigüe pour le gros tiers d’étudiants qui, en stage, en apprentissage ou en alternance, suit des formations dans l’entreprise. Ils vivent au quotidien des situations de sous-salariat qu’il s’agit de ramener au droit commun, y compris pour pouvoir profiter d’une retraite pleine et entière.

L’égalité hommes-femmes

Les étudiants, enfin, aspirent à l’égalité face à l’emploi et face au diplôme. Les diplômes sont de plus en plus individuels depuis 2007, et les logiques de territorialisation, en particulier, constituent un véritable obstacle à la mise en œuvre d’un cadre collectif pour l’emploi des diplômés. La loi Fioraso réalise un pas supplémentaire dans cette direction, puisqu’il n’appartient plus à l’État d’habiliter les diplômes ; il se contente d’accréditer les établissements, qui ont toute liberté pour habiliter leurs propres diplômes. L’acte III de la décentralisation n’est pas en reste, puisque les schémas régionaux d’enseignement supérieur qu’il propose adossent unilatéralement le contenu des formations aux exigences des chefs d’entreprise locaux. Ces mesures constituent un ressort essentiel dans la dégradation de l’emploi des diplômés. En effet, libre alors aux employeurs de jouer sur l’hétérogénéité de cursus qui, pourtant, partagent un même intitulé. L’un a une certification en anglais, l’autre en bureautique : ils seront joués l’un contre l’autre, au grand détriment de leurs salaires et conditions de travail respectifs. L’exemple emblématique de ces orientations est, là aussi, l’enseignement : à l’issue de la masterisation des concours, les volumes des contractuels recrutés par les chefs d’établissement progresse considérablement, au détriment des fonctionnaires. Les femmes, évidemment, sont en première ligne des régressions consécutives à la dégradation des cadres de protection collectifs. Sans même parler des salaires ou des contrats de travail, le chômage des diplômées est de trois points supérieur à celui de leurs homologues masculins (7). C’est bien ce genre d’inégalités, organisées et permises dès le diplôme, qui contribue à un état de fait effarant : les femmes perçoivent en moyenne un pension inférieure de 42 % à celle des hommes. La conférence sociale, là aussi, passe à côté de cet enjeu et ne l’évoque que pour proposer des cache-sexe… Alors même que l’égalité salariale hommes-femmes permettrait à elle seule de payer la moitié des 20 milliards d’euros de déficit dont on nous dit que la caisse des retraites est atteinte. Pour inverser la tendance, il faut, d’abord, rétablir le cadre national des diplômes. Geneviève Fioraso se contente d’incantations vides de sens lorsqu’elle prétend cadrer les intitulés et l’organisation des formations, sans toucher à leur contenu. L’égalité face à l’emploi suppose en premier lieu le cadre national des acquis disciplinaires, des modalités de contrôle des connaissances, et des financements. Bien plus, il est indispensable d’adosser étroitement les diplômes, du brevet des collèges au doctorat en passant par le DUT, à des conditions d’emploi claires. Il s’agit de reprendre et d’unifier les dispositions les plus positives des différentes conventions collectives afin de garantir un droit égal pour tous les salariés dès leur formation. L’inégalité spectaculaire du montant des pensions entre les hommes et les femmes repose évidemment sur des mécanismes qu’il convient d’abolir, à commencer par la décote, instaurée par la réforme Balladur en 1993 ; mais elle s’inscrit surtout dans la continuité d’un monde du travail profondément inégalitaire, dont on a peu de chances de s’extraire si l’on n’encadre pas l’emploi dès la formation de manière stricte et collective.

Pour mener la bataille des retraites dans le milieu étudiant, il faut, en un mot, en finir avec les mythes construits ces dernières années. Les étudiants ne sont pas des adolescents montés en graine auxquels on propose, pour gagner leurs grâces, de l’argent de poche, des enseignants sympathiques ou des activités ludiques à mi-chemin entre la beuverie et la sortie culturelle. Les étudiants sont des salariés en formation, d’ores et déjà salariés pour la plupart. Ils entretiennent un lien étroit au monde du travail, pour lequel ils se forment et pour lequel ils nourrissent le progrès scientifique et technique de la France. Ils ont moins besoin de réductions au cinéma que d’un véritable statut, adossé à des droits salariaux. C’est le ressort qui permet de répondre aux grandes problématiques sociales auxquelles ils sont confrontés, de la question du logement avec la nationalisation du logement étudiant à la question de la santé avec le remboursement à 100 % des frais par la Sécurité sociale, en passant par la gouvernance des universités avec le renouveau démocratique des institutions universitaires. C’est bien pourquoi ils sont sensibles aux grandes questions salariales, au premier rang desquelles les retraites, pour peu qu’on s’adresse à eux pour ce qu’ils sont plutôt qu’au nom des fictions construites pour les maintenir dans la précarité.

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(1) Éducation nationale, Repères et références statistiques 2012.

(2) La Revue du projet, n° 28.

(3) Communiqué du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Eecherche, 21/10/2009.

(4) UGICT-CGT dans le cadre de la journée Construire l'avenir des retraites pour tous.

(5) UNEF, Panier de rentrée 2013.

(6) Ouverte par Brigitte Gonthier-Maurin dans son Rapport d'information du 19 juin 2012.

(7) Éducation nationale, Repères et références statistiques 2013.

 

 

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