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Vers une réforme systémique des retraites : Vers une réforme systémique des retraites La grande marche vers un nouveau modèle social-libéral

Loin d’être une réforme a minima, la réforme des retraites de 2013 est systémique. Face à l’enjeu et à ses conséquences sociales, le gouvernement a choisi d’aller très vite et de tuer le débat public. Pourtant, cette volonté de régler au plus vite ne se justifie pas, risques démographiques et financiers sur le système étant mesurés. En réalité, le gouvernement avance d’un pas supplémentaire dans une réforme en profondeur du modèle social français, qui touche notamment notre système de sécurité sociale.

Loin d’être une réforme a minima, la réforme des retraites de 2 013 est une réforme d’ordre systémique qui va restructurer l’avenir du pays. Face à l’enjeu et à ses conséquences sociales, le gouvernement a choisi d’aller très vite et de tuer le débat public. Qui pourtant monte dans le pays, y compris dans son propre camp.

Après des concertations bilatérales éclairs avec les organisations syndicales et patronales conduites au cœur de l’été, qui n’ont pas donné autre chose qu’un pas de deux médiatique du gouvernement avec le patronat chutant sur une nouvelle baisse des cotisations sociales employeurs, en particulier des cotisations familles, le gouvernement s’est empressé de rendre publics ses pseudo-arbitrages de réforme le jour même de la clôture de la concertation. Une façon de tenter de couper l’herbe sous le pied au mouvement intersyndical du 10 septembre.

Si le projet de loi sera dévoilé en Conseil des ministres le 18 septembre et déposé sur le bureau de l’Assemblée le 7 octobre, les mesures avancées sont sans surprises. Elles ne reprennent pas autre chose que les orientations initialement fixées par le président de la République dans son discours d’ouverture de la conférence sociale de juin dernier, qui trouvent leurs bases dans le rapport Moreau de juin 2 013. La concertation n’ayant servi qu’à valoriser les arbitrages du gouvernement.

Ainsi, arguant du triptyque « responsabilité, justice, équilibre » requis pour l’occasion, les grands axes de réforme proposés confirment l’allongement de la durée de cotisation à 43 ans pour une pension à taux plein en 2035, le relèvement des cotisations sociales retraite, la fiscalisation d’une partie des pensions, ainsi qu’un ensemble de semi-mesures a priori positives mais notoirement insuffisantes et non financées, et potentiellement dangereuses pour certaines. Et ils réactualisent même un des piliers de la réforme de 2003 en créant une institution nouvelle, le comité de pilotage des retraites afin d’assurer l’équilibre comptable permanent des régimes, qui va être l’instrument d’un changement de nature de notre système de retraite universel et solidaire.

Au total, la philosophie défendue par le gouvernement se coule dans celle qui a prévalu à toutes les réformes antérieures portées par la droite depuis 1993 et les amplifie. Elle participe à la réduction du niveau des pensions de base servies et du transfert de la contribution sociale des entreprises vers les ménages.

Une précipitation injustifiée

Pourtant, cette volonté de régler au plus vite cette nouvelle réforme des retraites ne se justifie pas. Les risques démographiques et financiers sur le système sont mesurés et les sommes en jeu loin d’être « abyssales ».

L’évolution démographique n’aura pas l’effet dramatique annoncé.

Le taux de fécondité en France est de 2,1 enfants par femme. Avec celui de l’Irlande, il est le plus élevé d’Europe (1,57 en moyenne dans le reste de l’Europe). L’augmentation du nombre de retraités sera donc pour une large part compensée par l’arrivée d’actifs sur le marché du travail.

Le coût des retraites ne sera pas non plus abyssal.

Tout d’abord, il faut rappeler que le déséquilibre du régime général de la branche vieillesse ne dépassera pas les 4,5 milliards d’euros cette année. Même s’il ne faut pas s’en réjouir parce que ce montant résulte des mesures régressives prises depuis 1993 qui ont fait chuté à ce jour de 2 points de PIB le niveau des pensions de base servies (1), il n’en demeure pas moins qu’il sera inférieur à celui de 2011 et largement en deçà des prévisions. Invalidant l’argument d’une urgence comptable qui obligerait à mettre en place une réforme régressive.

Mais surtout, la progression de la part des dépenses de retraite dans le PIB ne devrait pas représenter plus de 1 point d’ici à 2020 ! Même le gouvernement est obligé d’en convenir (2). D’ici à 2020, la pérennisation du financement du système ne nécessitera pas plus de 21 milliards d’euros, dont 7,6 pour le régime général.

Or, 20 milliards, c’est le coût annuel pour le budget de l’État du Crédit d’impôt compétitivité emploi, que le gouvernement a offert au patronat au titre du « choc de compétitivité » du rapport Gallois. Un allégement fiscal des entreprises au nom de la compétitivité, dont le ministre de l’Économie a bien rappelé lors des universités d’été du Medef, qu’il était octroyé « sans contreparties, ni contrôle fiscal » (3).

Enfin, le financement des retraites est assis sur la richesse produite dans les entreprises. Cette richesse double tous les 30 ans. C’est-à-dire à un rythme plus rapide que la croissance du nombre de retraités ! Il y aura donc les moyens d’assumer nos retraites futures.

Alors pourquoi forcer l’allure ?

Parce que le gouvernement voit, en premier lieu, dans cette réforme, une nouvelle occasion de remplir sans le dire les caisses de l’État sur le dos de la Sécurité sociale et de satisfaire les appétits du patronat et des marchés.

F. Hollande l’avait déclaré le 20 juin à la conférence sociale : « Nous avons deux obligations, renflouer les régimes d’ici 2020, et au-delà, les équilibrer durablement. » L’équilibre des comptes sera donc une fois encore l’alpha et l’oméga de sa stratégie. Retraités et actifs en feront les frais.

Le rapport Moreau avait envisagé l’ensemble des pistes de réforme du financement de la branche vieillesse pour un montant global de 13,6 milliards d’euros. 10,6 milliards d’euros en direction des ménages : 7 milliards devaient être imputables aux retraités, 3,6 milliards aux actifs. Et 3 milliards aux entreprises.

Destiné à jauger l’état d’esprit des Français et à préparer la grande manipulation de communication de l’été, ce rapport a alors permis au gouvernement d’apparaître magnanime et équilibré dans ses arbitrages, et à certains de prétendre avoir obtenu gain de cause.

Pourtant les faits sont là. Retraités et actifs sont les grands perdants de la réforme envisagée par le gouvernement. Les entreprises seront épargnées.

Sur la base des arbitrages du gouvernement et des calculs du rapport Moreau, les ménages seraient potentiellement ponctionnés à hauteur d’au moins 2,3 milliards d’euros dès 2014, et de 7,3 milliards en 2020.

Quant aux entreprises, elles ont fait l’objet d’un numéro de claquettes du gouvernement digne de l’ère Sarkozy. Après avoir clamé sur tous les tons un partage équitable des efforts de financement des retraites et imposé une hausse des cotisations sociales employeurs retraite, le gouvernement a annoncé dans la foulée la neutralisation dès 2014 de ce prélèvement sur les entreprises afin de ne pas peser sur le coût du travail et leur compétitivité.

Le ministre de l’Économie P. Moscovici, après sa sortie scandaleuse sur le « ras-le-bol fiscal », est même allé jusqu’à garantir aux universités d’été du Medef que cette hausse des cotisations patronales sera intégralement compensée en 2014, mais aussi sur l’ensemble du quinquennat (5). Pire, affirmant que le CICE ne refermait pas le dossier du coût du travail, il a confirmé être prêt à poursuivre la logique de baisse du coût du travail en engageant pour 2014 une réforme du financement de la protection sociale, et en particulier de la branche famille (6). Une belle perspective pour le patronat d’assouvir enfin son souhait ancien de se débarrasser du financement de la branche famille de la Sécurité sociale ! Et qui par la même occasion pourra remettre en cause aussi le nouveau financement du compte pénibilité (7) introduit dans la réforme et ouvrir la voie à une remise en cause financière et institutionnelle de la branche accident du travail et maladie professionnelle.

Pourtant, les cris d’orfraie du patronat devant la hausse de 0,3 point pour 2017 des cotisations sociales patronales retraite ne se justifient pas. Cette hausse est loin de rattraper le recul de 0,7 point de sa contribution sociale au financement de la Sécurité sociale depuis 1993 (8). Et chacun sait que l’effort demandé sera largement limité par l’exonération des cotisations sociales dont bénéficient les entreprises pour les salaires versés jusque 1,6 SMIC. De sorte qu’au final, si l’ardoise apparente des entreprises s’élèverait au maximum à 2 milliards d’euros en 2014 (1 milliard pour les cotisations + 1 milliard pour le compte pénibilité), leur contribution effective à la réforme sera nulle. Ces dernières peuvent être certaines qu’elles seront les grandes gagnantes de la réforme. Loin devant les comptes de la Sécurité sociale, et plus loin encore devant les assurés sociaux.

N’en déplaise aux communicants de l’Élysée et Matignon, il n’y aura donc pas plus de justice que d’effort partagé dans cette réforme, qu’il n’y en avait dans les précédentes. Le gouvernement fait une fois encore preuve d’une conception de « la responsabilité, de la justice et de l’équilibre » bien singulière, qui rappelle à s’y méprendre celle que nous a servi la droite depuis 10 ans.

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Vers une réforme systémique

Cependant, si elle s’arrêtait à ces mesures, la réforme ne serait qu’une réforme régressive parmi les autres. Or le gouvernement semble vouloir se distinguer de ses prédécesseurs et aller bien plus loi dans la régression, en se dotant des moyens d’en finir avec le modèle solidaire, universel et par répartition de notre système de retraite tel que construit dès 1946 au moyen de la création d’un comité de pilotage des retraites.

Composé d’experts « indépendants » (sic !), ce comité aurait pour mission d’assurer l’équilibre financier à moyen et long termes des régimes de retraite, en faisant évoluer en permanence les paramètres, les critères et les modes de calcul des pensions. Ses conclusions seraient transposées sans négociations avec les organisations syndicales, ni débat public national, dans les lois de financement de la Sécurité sociale. Ainsi, « pour éviter une réforme tous les 3 ou 4 ans » (9), durée de cotisation, âge légal ouvrant droit à pension, niveau de la pension servie, modalités d’indexation… seraient constamment évolutifs.

Une option institutionnelle peu discutée mais essentielle qui ferait alors de la réforme 2 013 des retraites une réforme systémique d’ampleur.

Cette « Règle d’or » appliquée aux régimes de retraite entérinerait en effet définitivement le plafonnement systématique des pensions servies au nom de l’équilibre des comptes, pour le plus grand bonheur des complémentaires privées. Les assurés sociaux n’ayant d’autres choix que de compléter par une épargne individuelle, s’ils le peuvent, leur pension de base structurellement insuffisante.

Sans le dire, c’est-à-dire sans réaliser le passage aux comptes notionnels ou par points, elle changerait alors la logique de notre système de retraite. D’un système à « cotisation définie-prestation définie », nous glisserions vers un système à « cotisation indéfinie-prestation indéfinie ». Chaque assuré social contribuerait toujours plus mais sans savoir ce qu’il percevra une fois à la retraite ni pendant sa retraite, condamnant chaque retraité à l’insécurité perpétuelle sur sa pension de base et à des retraites complémentaires par capitalisation.

Par ailleurs, combinée à la création d’un compte retraite unique de chaque Français conçu comme un outil de coordination entre les régimes et qui n’est rien de moins qu’un premier pas vers leur convergence, n’en déplaise aux annonces gouvernementales, la logique s’appliquera à l’ensemble des régimes de retraite.

Le gouvernement donnerait alors corps aux recommandations régressives et austéritaires de la Commission européenne (10) et au programme de réforme structurelle des retraites de la Banque mondiale (11). Toutes deux (avec le FMI et l’OCDE) revendiquant la mise en place d’un système de retraite multi-piliers : retraite obligatoire de base publique, retraite obligatoire d’entreprise par capitalisation, retraite individuelle par capitalisation.

Vers un nouveau « modèle social » ?

La création de ce comité de pilotage, avec ses conséquences institutionnelles, n’est donc pas neutre. Au-delà de la seule ambition auto-régulatrice du système, elle s’inscrit dans la démarche instituée par la conférence sociale de juillet 2012 visant la refondation d’ensemble de notre système de protection sociale par un ensemble de réformes sociales, dont certaines ont d’ores et déjà été actées, et qui donne forme au « nouveau modèle social » revendiqué par le gouvernement et le patronat, et certains syndicats.

Il est en effet frappant de constater le parallélisme entre l’option choisie de la complémentaire santé d’entreprise instituée dans le cadre de l’ANI du 11 janvier 2013 et la construction institutionnelle d’un système de retraite multi-piliers. Toutes deux institutionnalisent un système de Sécurité sociale à 3 niveaux qui restructure dans son fonctionnement et ses principes la Sécurité sociale et raffermit le pouvoir du patronat sur la protection sociale du travailleur, et cela à partir de l’entreprise ; l’employeur reprenant la main sur une part du financement de la Sécurité sociale, via la complémentaire retraite et santé obligatoire d’entreprise, directement à partir de la négociation salariale.

Cette évolution proposée est d’ailleurs parfaitement conforme à la philosophie de l’ANI du 11 janvier 2013, dont l’adoption a été qualifiée par le patronat de victoire historique. Un texte d’inspiration patronale (12) qui a opéré un renversement de logique de l’ordre public social construit par les luttes sociales depuis maintenant 130 ans : la protection du travailleur face à son employeur et aux aléas de la vie compte tenu du déséquilibre naturel en défaveur du travailleur intrinsèque au capitalisme. Cela s’est fait au moyen de la flexibilisation de l’emploi comme nouvelle norme et le renversement de la hiérarchie des normes législatives faisant de l’accord d’entreprise la norme ultime. En procédant comme ceci, l’ANI a fait glisser le droit social d’une fonction de protection du travailleur à celle de protection de l’entreprise, et notamment de sa compétitivité et de ses marges. L’introduction de la complémentaire santé et la complémentaire retraite d’entreprise complètent le dispositif en s’attaquant à la Sécurité sociale, dans une optique de baisse du coût du travail.

Ainsi, le travail de déconstruction des acquis de 1945 engagé par la droite depuis 2002, et en particulier depuis la présidence Sarkozy, trouve désormais un écho dans la construction du « nouveau modèle social » prôné par le président Hollande et son gouvernement.

En guise de conclusion

Après les annonces gouvernementales du 27 août, la presse nationale s’est dépêchée de qualifier la réforme gouvernementale de demi-mesure. Elle est tout l’inverse. Cohérente avec les réformes engagées jusqu’à présent, elle participe de la construction d’un nouveau modèle social à mille lieux de l’esprit qui a bâti celui de 1946. Elle est un des éléments du projet de civilisation porté par le patronat en France, mais aussi en Europe et dans le monde.

Dans ces conditions, la responsabilité de la gauche qui n’a pas renoncé au changement et du mouvement syndical est immense. Ils doivent impérativement réussir à mobiliser la population, les salariés, les fonctionnaires comme les retraités pour s’opposer à cette régression phénoménale. Le mouvement intersyndical du 10 septembre doit être une réussite pour donner l’élan nécessaire à une riposte sociale de grande ampleur, que la Fête de l’Humanité doit relayer de toutes ses forces. Le PCF, dans le Front de gauche, avec ses partenaires, doit s’y inscrire sans concession. n

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(1) cf. Rapport Moreau juin 2013, graphique p. 27. Qui souligne en outre que d’ici à 2040, à législation constante, le cumul des réformes engagées depuis 1993 ferait perdre 5 points de PIB supplémentaires aux retraites servies.

(2) « À l'horizon 2020, le besoin de financement est de l'ordre de 21 milliards d'euros, dont 7,6 milliards pour les régimes générales et assimilés », extrait du discours de J.-M. Ayrault du 27 août.

(3) cf. l'Humanité du 30-31- août et 1er septembre 2013.

(4) À noter que la fiscalisation des majorations de pension pour enfant ira abonder les caisses de l’État et non celles de la Sécurité sociale. De plus, si le gouvernement justifie cette fiscalisation avec l'introduction d'une mesure dite de justice visant à forfaitiser à partir de 2020 le bénéfice d'un complément familial de retraite dès le premier enfant pour les femmes, il n'oublie pas d'ajouter que ce complément se fera à budget constant. La montée en charge de ce dispositif se faisant à partir d'un plafonnement régressif avec le temps de la majoration de pension pour 3 enfants. De sorte que le gouvernement habillera Monique en déshabillant Jacqueline… Comme mesure populaire, on trouvera mieux.

(5) cf. Le Monde du samedi 31 août 2013, p. 7.

(6) cf. idem.

(7) D'après le rapport Moreau, le prélèvement envisagé pour financer ce compte pénibilité est de l'ordre de 600 millions d'euros. La presse économique, selon les déclarations du Medef, le fixe à 1 milliard d'euros.

(8) cf. Rapport du Haut Conseil au Financement de la Protection Sociale, 2 013. Qui note aussi que sur la même période la contribution des salariés a augmenté de 1,8 point.

(9) cf. Discours du 20 juin 2013 à la Conférence sociale du président de la République.

(10) cf. Livre Blanc 2012 de la Commission européenne.

(11) cf. « La réforme des retraites : approche de la Banque mondiale », R Holzmann, Banque mondiale, article publié dans la Revue internationale de sécurité sociale, 2000, vol. 53, n° 1.

(12) L'ANI reprend les grands principes posés par le Medef en 2000 dans son texte d’orientation « La refondation sociale », à l'origine duquel on retrouve Denis Kessler (alors n° 2 du Medef) et Ernest-Antoine Seillière (ex-n°1 du Medef et dirigeant de l'UNICE, syndicat patronal européen).

 

 

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