Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil
 
 
 
 

Bruno Odent, Modèle allemand, une imposture. L’Europe en danger, éditions du Temps des Cerises, 2012.

L’imposture du prétendu « modèle allemand »

Dans un ouvrage qui vient de paraître : Modèle allemand, une imposture. L’Europe en danger, éditions du Temps des Cerises, Bruno Odent lève le voile sur la réalité de l’Allemagne de Schröder-Merkel, entrée elle-même en crise et éclaire le débat entre les forces politiques qui vont s’affronter à l’occasion des prochaines élections au Bundestag.

L’ouvrage de Bruno Odent, germaniste et chef de la rubrique « Monde » de l’Humanité, fait œuvre de révélation en dénonçant l’imposture de l’opération visant à présenter l’Allemagne actuelle comme un modèle qu’il faudrait dupliquer un peu partout et notamment en France.

François Hollande, le 23 mai dernier, à l’occasion du 153e anniversaire de la création du SPD allemand n’hésitait-il pas à déclarer : « Le progrès, c’est aussi de faire des réformes courageuses pour préserver l’emploi et anticiper les mutation sociales et culturelles comme l’a montré Gerhard Schröder » ? Un an auparavant, lors de son intervention télévisée du 29 janvier 2012, Nicolas Sarkozy n’avait-il pas de son côté fait référence au « modèle allemand » qu’il conviendrait de suivre pour sortir la France de la crise ? « Il n’est pas question de copier le modèle allemand mais de converger vers celui-ci », avait-il affirmé.

Mais vers quoi s’agirait-il de converger ? Aujourd’hui la réalité du « modèle » commence à apparaître plus clairement et ce livre contribue à ce travail de clarification. Loin de « surfer » sur les difficultés, l’Allemagne est aussi « rattrapée par la crise », note Bruno Odent. Au niveau économique, « même si une plongée dans la récession ne semble pas encore à l’ordre du jour, […] la perspective pour l’année 2013 est morose ».

L’Allemagne est menacée d’une quasi-stagnation. « Les principales mutations engagées au cours de la dernière décennie au service des Konzerne révèlent leurs limites, voire leur caractère empoisonné pour toute la société », souligne l’auteur. Le système économique allemand tourné vers l’exportation patine. Les purges imposées aux pays d’Europe, particulièrement ceux du sud, au nom de la réduction des dettes publiques, privent les groupes d’Outre-Rhin de débouchés, le pays réalisant « quelque 60% de ses exportations dans la zone euro ».

Au niveau social, les lois votées sous les gouvernements du chancelier Schröder et prolongées sous Merkel ont plongé nombre de seniors dans la misère, multiplié les emplois précaires, mal payés, fait grimper en flèche le taux de pauvreté… Les Allemands de 2013 vivent dans « l’une des sociétés les plus inégalitaires d’Europe, où la pauvreté touche officiellement près d’une personne sur six », rappelle Bruno Odent.

Comment en est-on arrivé là ? Pour le journaliste de l’Humanité, la réunification avec l’Allemagne de l’Est a été « le point de départ de la mutation du système rhénan ». Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, celui-ci associait des politiques salariales et des dépenses sociales élevées avec un mode de financement de l’économie fondé sur un crédit bancaire abondant et bon marché. La liaison entre la banque et l’industrie était très étroite. Cela d’autant que les salariés, organisés dans des syndicats puissants, avaient réussi à gagner des pouvoirs au sein des éléments de la chaîne.

Ce cordon ombilical va être en grande partie coupé. En effet, pour financer les investissements colossaux à réaliser dans l’ex-RDA, le chancelier Kohl fait le choix de privilégier l’appel aux marchés financiers, « ce qui impliquait des taux d’intérêt élevés et une politique très restrictive de la Bundesbank (Buba), la banque fédérale ».

Ce choix a eu des effets considérables en Allemagne et en Europe. Outre-Rhin, la mutation engagée à l’occasion de l’annexion de la RDA est notamment « utilisée pour faire sauter des verrous économiques, politiques, juridiques, syndicaux, institutionnels, tous considérés comme autant d’entraves aux ambitions des groupes les plus puissants et du nouvel État ». Les dérégulations et les bas salaires pratiqués à l’Est vont ainsi servir à attaquer les acquis sociaux de l’Ouest.

En Europe, la politique de taux d’intérêt élevés et du mark « fort » a permis à l’Allemagne de transférer vers ses partenaires de l’union économique et monétaire, et notamment vers la France, une partie du coût de la réunification. Le franc « fort », collé à la monnaie allemande, s’est traduit dans l’Hexagone par des suppressions d’emplois, des politiques salariales restrictives, un creusement des déficits budgétaires.

Cette politique monétariste, entièrement dévouée aux marchés financiers, poursuivie par Gerhard Schröder et Angela Merkel, continue de déséquilibrer l’Europe, au point, affirme Bruno Odent, de la mettre en danger. Acceptée par les partenaires de l’Allemagne, elle est à l’origine de la crise actuelle de l’euro, des politiques d’austérité qui éreintent la Grèce, l’Espagne, l’Irlande, et affaiblissent tous les autres pays, y compris l’Allemagne.

Mais il ne faut pas se tromper, « le modèle Schröder-Merkel est fragile ». Il commence à être contesté en Allemagne même. Pas toujours de la meilleure des façons, si l’on en juge par la montée des populismes, du parti anti-euro et du mouvement des « Pirates ».

D’autres voix allemandes, syndicalistes, économistes, dirigeants de Die Linke, témoignent cependant de la recherche d’une véritable alternative à la fois pour l’Allemagne et pour l’Europe. Il est d’ailleurs du mérite de Bruno Odent de les faire entendre régulièrement dans l’Humanité. Dans le livre, certaines des interviewes réalisées sont reproduites en annexe.

L’avant-dernier chapitre de l’ouvrage permettra sans aucun doute à tous ceux qui connaissent mal la nature du débat politique allemand, les controverses qui ont secoué la gauche d’Outre-Rhin, et notamment Die Linke, d’en cerner les contours et de comprendre certains des enjeux de la prochaine élection au Bundestag qui doit avoir lieu fin septembre. L’ouvrage, on le voit, devance la prochaine actualité. 

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.