Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Politique familiale : cherchez l’erreur

Après avoir travaillé le suspens médiatique, le gouvernement a choisi de baisser le plafond du quotient familial, au nom de la justice sociale et pour répondre aux besoins de la politique familiale et aux déficits de la Sécurité sociale.

En réalité, cette mesure ne répond à aucun de ces enjeux. En revanche, elle va permettre de mettre à contribution de manière détournée les ménages des couches moyennes de la population au renflouement des caisses de l’État.

Pendant plusieurs semaines, le suspens est demeuré entier.

Confronté à une situation difficile des comptes publics et face à ses propres choix de convergence budgétaire européens, le gouvernement a laissé l’équivoque se développer, d’une part, sur le plafonnement éventuel des allocations familiales à raison de la situation de ressources et, d’autre part, sur l’ajustement à la baisse du quotient familial, élément essentiel, aux yeux de certains, de la politique de la famille.

L’embrouille fut telle que, finalement, les mesures annoncées participent autant de la réduction des déficits publics, singulièrement de celui de l’État, dans le droit fil des contraintes européennes que Hollande a fait accepter à sa majorité parlementaire et soutenir par son opposition, que de la plus parfaite confusion des genres, la Caisse nationale d’allocations familiales ne recevant en cette affaire pas plus de moyens qu’elle n’en avait jusque-là.

Le quotient familial a certes des défauts…

La mesure d’abaissement du plafond du quotient familial à 1 500 euros par demi-part fiscale touche singulièrement les couches salariées moyennes et moyennes supérieures autant, sinon plus, que ceux des contribuables de l’impôt sur le revenu qui perçoivent des revenus élevés et confortables qui ne sont pas des revenus d’activité, dont ils font ensuite un usage immodéré dans des placements défiscalisés.

Le quotient familial a beaucoup de défauts, même si l’on semble bien n’avoir retenu pour l’heure que son « coût », soit rien moins que 14 milliards d’euros au rendement d’un impôt sur le revenu qui en apporte 50 aujourd’hui…

Il présente évidemment un caractère dégressif puisque, plus l’on se rapproche du plafond, plus son rendement relatif est grand.

Un ouvrier qualifié seul salarié du ménage, avec sa femme sans activité et un enfant, qui gagne 2 500 euros par mois et 29 250 euros annuels en net fiscal n’a qu’un faible intérêt au quotient familial, son impôt se situant à 789 euros annuels, fort loin du plafond… En revanche, un couple de cadres salariés avec un enfant percevant au total 6 500 euros sur treize mois est directement concerné avec un revenu net fiscal de 76 050 euros producteur d’un impôt de 8 899 euros avec deux parts et demie, et de 11 682 euros (écart de 2 683 euros) avec deux parts pour ce même revenu. Ce couple se retrouvera avec un rappel de 1 183 euros (il aura déjà cette année un rappel de 683 euros au regard du plafond).

Pour autant, on rappellera tout de même que ni l’un ni l’autre des deux ménages ne perçoit aujourd’hui d’allocations familiales stricto sensu.

Certains ont considéré comme faisant preuve de justice cette mesure sur le quotient familial. Oubliant même jusqu’au fait que la mesure n’aurait pas le même impact pour tout le monde, certaines « demi-parts », notamment celle des veuves ou divorcées, valant moins que celles des couples mariés. Ce qui pourrait avoir des conséquences importantes si, dans la loi de finance pour 2014, ce plafonnement à 1 500 euros devait être accompagné d’une nouvelle réduction de ce même plafond pour les autres cas (divorcées, veuves, etc.), dans la mesure où ces plafonds ont, dans un premier temps, été fixés à proportion du plafond général du quotient familial.

mais la mesure prise ne vise pas la justice sociale…

à la vérité, on peut se demander si la mesure annoncée n’est pas au fond l’amorce d’une disparition progressive du quotient familial, élément depuis 80 ans de la politique familiale du pays.

Cette disparition du quotient familial, qui ouvrirait une marge de manœuvre de 14 milliards d’euros pour le budget de l’État, soit plus que le montant des allocations familiales versées pour 2 enfants et plus, serait-elle la quintessence de la justice fiscale et sociale ?

Sauf qu’il est évident qu’elle ne peut que s’accompagner de mesures d’une autre nature en matière d’imposition des revenus et d’autres orientations en matière de politique familiale.

Faire disparaître le quotient familial, c’est tout de même prélever 14 milliards d’euros (0,7 % de PIB) dans la poche des ménages imposés à l’impôt sur le revenu, à savoir principalement des salariés.

Sans compter que la disparition du quotient rendrait sans doute plus prégnante encore la poussée en faveur de la mise en place de la retenue à la source de l’impôt. Mesure souvent présentée comme de simplification par certains, mais qui présente surtout, dans un contexte de finances publiques un peu déprimé, l’opportunité d’économies budgétaires en amont (suppression des emplois budgétaires liés à l’instruction et au traitement des déclarations de revenus) comme en aval (mensualisation forcée des contribuables facilitant le relèvement progressif et non visible immédiatement des impôts).

On notera cependant qu’une autre mesure fiscale a été prise, visant à supprimer la réduction d’impôt pour scolarisation d’enfant dans l’enseignement secondaire. Une mesure d’un coût budgétaire aujourd’hui réduit (235 millions d’euros) et dont le nombre de bénéficiaires (plus de 2,2 millions de familles) est au moins aussi important que celui des familles qui vont devoir supporter la mesure sur le quotient familial.

Pour certaines familles à revenus assez modestes ou appartenant à la « classe moyenne inférieure », cette réduction d’impôt (61 euros par enfant scolarisé en collège et 153 euros par enfant scolarisé en lycée) pouvait parfois suffire à rendre le foyer fiscal non imposable. Désormais, une famille avec trois enfants scolarisés déclarant un revenu annuel de 35 000 euros se retrouvera a priori avec un impôt brut de 421 euros. Or 35 000 euros, c’est, par exemple, le salaire d’un homme et d’une femme légèrement en dessous du salaire médian.

Ce n’est pas là le signe d’une véritable politique en direction des familles.

En lieu et place d’une politique familiale, nous avons donc pour le moment un nouveau prélèvement fiscal de près de deux milliards d’euros.

et ne répond en rien aux déficits de la branche famille de la Sécurité sociale

Le plan du gouvernement, s’agissant de la Caisse d’allocations familiales, ne porte finalement que sur un transfert interne à l’établissement, visant à durcir les conditions d’attribution de la « prime d’accueil du jeune enfant » en échange d’un « renforcement » de l’allocation de soutien familial (ASF) par exemple.

La vérité, c’est que la PAJE, sous ses différentes formules, mobilise aujourd’hui 12,7 milliards d’euros alors même que l’ASF ou le complément familial (CF) portent respectivement sur 1,3 et 1,6 milliard d’euros. Il y a donc plus de grain à moudre quant à la réduction de la PAJE que de café à servir en majorant ASF et CF.

Et, bien entendu, le plan du gouvernement oublie deux éléments fondamentaux des difficultés actuelles de la Caisse nationale d’allocations familiales, outre que celle-ci prend à sa charge des prestations sociales qui ne devraient pas forcément lui incomber.

Premier aspect, relatif aux dépenses : la moindre contribution, sans cesse plus évidente, de l’État au financement des aides au logement et aux différentes prestations familiales, devenues depuis longtemps un élément d’ajustement budgétaire, permettant une réduction du déficit en loi de finances. Depuis 2007, la part des ressources des CAF financée par l’État (et encore cela se passe-t-il entre autres avec une CSG dédiée) est restée stable à 39 % du total, se réduisant relativement en matière d’aides au logement et d’allocations familiales en général.

Second aspect, relatif aux recettes : outre l’impact de l’existence d’un grand nombre de privés d’emploi dans notre pays qui prive la CNAF comme les autres branches de la Sécurité sociale de ressources, on rappellera que cela fait au moins vingt ans (si ce n’est pas trente) que le taux de cotisation des employeurs est rivé sur 5,40 % des salaires. Le fait de porter cette cotisation à 5,70 % réglerait immédiatement le déficit de la Caisse, le point de cotisation étant d’un rendement proche de 6 milliards d’euros.

De fait, la question est posée : pourquoi, à une situation conjoncturelle délicate pour la CNAF (un déficit représentant 2,5 % des prestations servies par les Caisses), a-t-on encore proposé une réponse fiscale abondant le budget de l’État et une réponse administrative réduisant les conditions d’accès à des prestations ? 

QUOTIENT FAMILIAL

En 2009, sur 19 595 631 foyers fiscaux imposables, on comptait au total 7 042 817 foyers composés d’une personne seule et 4 560 643 foyers de contribuables mariés sans enfant.

Ce qui donne donc 7 992 171 foyers bénéficiant des effets du quotient familial, soit 40,8 %.

Parmi ceux-ci, 2 842 659 foyers avec un quotient fixé entre 1,25 et 1,75 part, 610 526 contribuables célibataires, veufs ou divorcés avec un enfant et 2 036 962 foyers comptant 2,25 à 2,75 parts ( ex : un couple marié avec un enfant en garde alternée, ou un couple marié avec un enfant issu du mariage et un enfant en garde alternée).

On comptait la même année 17 003 566 foyers fiscaux non imposables, parmi lesquels 6 687 071 foyers composés d’une seule personne et 1 776 983 foyers de contribuables mariés sans enfant.

Ce qui donne donc 8 539 512 foyers bénéficiant des effets du quotient familial, soit 50,2 % de l’ensemble des non imposables.

Dans cet ensemble, 4 178 148 foyers ont un quotient compris entre 1,25 et 1,75 part, soit, dans les faits, près de 60 % des foyers placés dans cette situation.

On trouve également 1 118 581 foyers comptant deux parts de quotient (familles monoparentales), soit, là encore, près de 65 % de cette catégorie de foyers.

Les familles recomposées (cas des quotients situés entre 2,25 et 2,75 parts) ne sont que 1 264 297 à être non imposables, soit moins de 40 % de cette catégorie de foyers.

Ceci dit, plus encore que l’application du quotient familial, c’est le niveau des revenus qui s’avère déterminant.

Parmi les foyers composés d’une personne seule (plus de 13,7 millions de foyers fiscaux), les imposables ont un revenu médian de 15 985 euros quand les non imposables ont un revenu médian de 6 255 euros.

Une situation qui les rend non imposables quasi d’office.

Pour les ménages comptant 1,25 à 1,75 part de quotient, le revenu médian des imposables est de 19 380 euros quand celui des non imposables est de 9 505 euros.

Pour les familles monoparentales (foyers fiscaux avec un célibataire et un enfant), le revenu médian des non-imposables est de 10 230 euros, celui des ménages imposables de 22 490 euros.

Pour l’heure, si l’on postule que le quotient familial « coûte » 13,9 milliards d’euros et bénéficie au total à 16 531 683 familles, on peut donc en déduire que son impact moyen est de 840 euros environ par foyer « bénéficiaire », soit 70 euros par mois de l’année civile.

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