Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Fin mai 2013, Pôle emploi décomptait, en France métropolitaine, 4 795 600 demandeurs d’emploi « tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi » (catégories A,B,C), soit une légère décrue par rapport à avril (-0,1%), mais une augmentation de 10 % sur un an (1). Parmi ces demandeurs, on décomptait 3 264 500 « sans emploi », soit une stabilisation sur un mois (0%), mais une progression de 11,5 % sur un an. En prenant en compte les départements d’outre-mer, ce que ne font jamais les grands médias, la France totalisait, fin mai, 5 093 200 demandeurs A, B et C inscrits à Pôle emploi.

Stabilisation en trompe l’œil

Les plus de 50 ans sont les plus touchés, avec une progression de près de 15 % sur un an des demandeurs et de 0,5 % sur un mois, tandis que les moins de 25 ans affichent une légère inflexion en avril (-0,4 %) qui s’inscrit, cependant, dans une hausse de 10 % sur un an.

Bref, le chômage des seniors redouble alors qu’on leur impose de reculer l’âge de départ effectif en retraite, tandis que les jeunes continuent de « ramer » pour accéder à l’emploi. Et de quel type d’emploi s’agit-il ? Fin mai, 54,5 % des offres collectées par Pôle emploi concernaient des postes temporaires (1 à 6 mois) ou occasionnels (moins d’un mois).

Simultanément, la part des chômeurs de longue durée (plus d’1 an) ne cesse de croître, atteignant 40,2 % du total des inscrits, la durée moyenne d’inscription sur les listes de Pôle emploi des sortants étant passée de 258 jours, fin mai 2012, à 264 jours fin mai 2013.

Bref, pas de quoi se rassurer, même si le décompte officiel, largement repris par les grands médias, renvoie l’image d’une apparente stabilisation, pour la première fois depuis avril 2012.

Comme l’a souligné le Premier ministre lui-même à Fort-de-France, le 26 juin, après un premier commentaire plutôt apaisant du ministre du Travail, « nous sommes encore à un haut niveau de chômage. Il ne faut pas se leurrer! »

L’exercice, certes, n’est pas simple. F. Hollande mise, en effet, sur un trimestre de stagnation du nombre officiel de chômeurs d’ici la fin de l’année et, en même temps, il va répétant que, sans croissance, « il n’y a pas de création suffisante d’emplois » pour pouvoir inverser « durablement » la tendance du chômage.

Or, selon l’INSEE (2), l’économie française, en stagnation en 2012, devrait être en récession en 2013. Une « timide éclaircie » serait, pourtant, apparue dés le 2e trimestre, avec un petit rebond du PIB de 0,2 %, après un recul de 0,2 % par trimestre fin 2012 et début 2013. Pour la suite, l’INSEE prévoit une stagnation au 3e trimestre et une infime augmentation (0,1 %) au dernier.

Ce léger tremblement de paupière « viendrait essentiellement de l’extérieur », les ressorts intérieurs demeurant paralysés par le chômage, la précarité, l’austérité salariale et budgétaire, le rationnement du crédit.

Alors, comment, sans donner à penser que l’on minimiserait l’ampleur de la tâche, et malgré une conjoncture exécrable largement due aux plans de rigueur mis en œuvre en France et en Europe, faire patienter les gens en souffrance, désormais si nombreux et désenchantés, avec la promesse élyséenne d’une inflexion « durable » de la courbe du chômage fin 2013… sans changement de cap de la politique économique et des réformes structurelles ?

Il y a d’abord une sorte de « bourrage des urnes » de l’emploi avec les contrats d’avenir et de génération. Ils concourront, un peu, à panser des plaies et, en même temps, surtout, à tirer vers le bas le « coût salarial » de l’emploi, y compris l’emploi qualifié, ce qui sera le cas dans l’éducation nationale notamment.

Ce sont, au total, 540 000 « emplois aidés » qui devront être réalisés d’ici la fin de l’année pour ralentir le rythme du chômage par rapport à 2012, avec, notamment, une pression accentuée des préfets sur les élus locaux pour y contribuer, malgré le rationnement drastique des dotations d’État. En effet, pour l’heure, ce vaste programme de camouflage du chômage s’annonce laborieux.

Traitement statistique du chômage

En même temps, beaucoup est fait pour que les statistiques officielles du chômage amoindrissent l’ampleur et la gravité effectives du phénomène, infléchissent peu à peu les tendances.

En effet, dans le débat public, il n’est question que des demandeurs d’emploi « tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi » (catégories A, B, C). Sont ainsi laissés de côté ceux qui ne sont pas soumis à cette obligation (catégories D, E). Cela concerne 622 800 personnes. Les gens relevant de la catégorie D, « sans emploi et non immédiatement disponibles », sont au nombre de 272 200 (+3,1 % sur un mois et +10,2 % sur un an). Parmi eux, 350 600 sont « pourvus d’emploi » (+0,1 % sur un mois et -3,8 % sur un an), et voudraient, pour beaucoup, s’arracher au sous-emploi ou au mal-emploi. La prise en compte des catégories D et E, dans le chiffrage servant de base au débat politique, indiquerait que le total des demandeurs inscrits à Pôle emploi était de 5 418 400 fin mai 2013 en France métropolitaine, en croissance de 0,1 % sur un mois, soit 325 200 de plus que celui qui est médiatisé.

Mais, surtout, il faut examiner les sorties de Pôle emploi par motif. Celles dues à une « reprise d’emploi déclarée » ne représentent que 19,5 % du total et les « entrées en stage », dont on sait qu’elles ne débouchent que rarement sur l’emploi, représentent, elles, 8 %.

Le reste regroupe les « arrêts de recherche d’emploi » (maternité, maladie, retraite) (6,9 %), les « radiations administratives » (9,3 %), si utiles pour dégonfler les listes, les « autres cas » (sic) avec 11 % et, surtout, les « cessations d’inscription pour défaut d’actualisation » (re-sic). Cette dernière catégorie regroupe « les chômeurs dont les droits ont été  suspendus 1 mois parce qu’ils ne se sont pas présentés à un entretien ou fourni les preuves de leur recherche d’emploi ». Avec 219 500 personnes concernées (+20 % sur un mois et +9, 9 % sur un an) elle représente 45,2 % du total des sorties fin mai !

Pour appréhender la réalité du « stock » de chômeurs en France, il faudrait aussi pouvoir comptabiliser la masse énorme des gens qui ne cherchent plus d’emploi, notamment les jeunes des « quartiers » découragés par la galère que constitue pour eux l’accès à l’emploi et à la formation, sans parler des barrières ségrégatives liées à la couleur de peau ou à la domiciliation…

Et pour appréhender la réalité des flux de chômeurs, en quantité et qualité, il faudrait examiner toutes les formules mises en place ces dernières années pour diminuer les « licenciements pour motifs économiques ». Ils ne représentent plus désormais que 2,7 % des entrées à Pôle emploi, alors que les « autres licenciements » représentent 8,6 % et les « autres cas » 41,2 % ! On devrait, par exemple, mettre ces évolutions en relation avec l’essor rapide des « ruptures conventionnelles ». Pour les quatre premiers mois de l’année, 100 918 ont été homologuées dont 26 186 pour le seul mois d’avril.

Le bouleversement du code du travail par la transcription dans la loi de l’accord national interprofessionnel dit de « sécurisation de l’emploi » va avoir, sans doute, un impact important sur les évolutions à venir. Facilitant les licenciements, faisant reculer, pour les institutions représentatives du personnel, les possibilités pratiques de recours au juge, autorisant la révision de la durée du travail et du salaire, sans révision du contrat de travail, par simple accord majoritaire dans l’entreprise, développant de nouveaux types de contrats instables… Ce dispositif accentuera une flexibilité de précarité et contribuera, sans doute, à faire reculer encore plus les sorties pour « licenciement économique », tout en permettant aux patrons de faire encore et toujours plus de l’emploi et du « coût du travail » la variable d’ajustement aux aléas de la conjoncture et au changement permanent de la donne en matière de nouvelles technologies et de concurrence.

Ces réformes régressives, au service de la domination des marchés financiers, ne feront qu’accentuer les antagonismes et les cercles vicieux actuels. Ils résultent du fait que les fantastiques gains de productivité permis par les technologies informationnelles servent à détruire des emplois pour accroître la rentabilité financière des capitaux, ce qui pèse en permanence sur les taux de salaires et, donc, déprime les débouchés. Poursuivre dans ce sens c’est, à coup sûr, contribuer à la suraccumulation mondiale des capitaux dont un nouvel éclatement très violent pourrait alors intervenir vers 2015-2016-2017.

Rompre pour une autre logique

C’est dire le besoin de rompre pour une autre logique et, donc, de changer de cap en France et en Europe, au lieu de « sucer la roue » des patrons, de la troïka et de Mme Merkel.

Ceci suppose un nouvel essor majeur de tous les services publics, et donc des emplois publics et des formation, répondant aux immenses besoins populaires de développement et soutenant, tout à la fois, l’expansion de la demande et l’efficacité de l’offre productive.

Cela nécessite d’en finir avec le pacte de stabilité et, en s’appuyant sur les luttes, d’exiger que la Banque centrale européenne (BCE) crée massivement de la monnaie pour financer, via un Fonds de développement européen social, solidaire et écologique, une très grande expansion en coopération des services publics en Europe.

Rompre exige, d’un même pas, d’engager une logique véritable de sécurisation de l’emploi et de la formation de chacun-e. Cela passe, d’abord, par la promotion de nouveaux contrats de travail sécurisés, notamment pour les jeunes et les seniors, ancrant le CDI comme base de l’emploi pour tous et élargissant massivement l’accès à la formation tout le long de la vie.

Cela devrait s’accompagner aussi de la construction d’un grand service public de l’emploi et de la formation ouvrant pour chacun-e, dès sa majorité civile, l’accès à de nouveaux droits inaliénables lui permettant, tout le long de sa vie active, d’être soit en emploi stable et correctement rémunéré, soit en formation, rémunérée comme dans l’emploi, pour accéder à un nouvel emploi choisi. Cela exige une transformation radicale de Pôle emploi et de toutes les institutions et pratiques de la formation professionnelle. Cela exige de renforcer les droits à indemnisation des chômeurs et leur retour à un emploi choisi grâce à la formation.

Il faut aussi, pour sécuriser l’emploi et la formation, de nouveaux pouvoirs étendus des salariés et de leurs institutions représentatives sur les choix de gestion des entreprises. Ce devrait être, en particulier, un pouvoir d’opposition (veto suspensif..) et de contre-proposition face aux décisions patronales de suppression d’emplois, permettant de promouvoir, dans la recherche des solutions, la baisse du coût du capital (intérêts et dividendes) plutôt que celle du « coût du travail ». Cela irait de pair avec une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences démocratisée susceptible de s’articuler à des schémas prévisionnels territoriaux résultant de la délibération de Conférences régionales et nationale de sécurisation des emplois et des formations. Leur travail déboucherait sur l’adoption d’objectifs chiffrés de création et de transformation d’emplois, mais aussi de formations, à réaliser, avec l’appui des institutions publiques, par les entreprises et leurs banques.

Ces dernières seraient sollicitées, dès les bassins d’emploi, par des Fonds publics régionaux que les salariés et citoyens pourraient saisir dès le terrain. Ces fonds seraient alimentés par un redéploiement des aides régionales aux entreprises. Ils prendraient en charge une partie d’autant plus importante des intérêts versés aux banques sur les crédits pour les investissements matériels et de recherche des entreprises du territoire que ces investissements programmeraient plus d’emplois et de formations correctement rémunérés.

Ces Fonds publics régionaux pourraient alors servir de bases décentralisées pour la création d’un pôle public national bancaire et financier distribuant un nouveau crédit pour les investissements matériels et de recherche des entreprises.

Y contribuerait la création d’un Fonds national de sécurisation de l’emploi recyclant les 30 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales patronales en bonifications des taux d’intérêt des crédits pour l’investissement des entreprises, en fonction des emplois et formations créés. Cela permettrait d’amorcer un nouveau crédit sélectif dont le taux d’intérêt pourrait être abaissé jusqu’à zéro, voire moins (non-remboursement d’une partie des prêts).

Cet amorçage du nouveau crédit sélectif serait alors relayé par un grand service public du crédit construit autour de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), de la Banque postale, de la Banque publique d’investissements (BPI), avec les banques mutualistes, dans le respect de leurs statuts, et des banques nationalisées. Ses critères et règles permettraient de commencer à changer radicalement les relations entre banques et entreprises en France.

Cela pèserait considérablement pour exiger que la BCE change radicalement sa politique monétaire en modulant le taux d’intérêt du refinancement des banques pour les crédits aux entreprises de façon à encourager ces dernières à programmer plus d’emplois et de formations en investissant. 

(1) DARES : « Demandeurs d'emploi inscrits et offres collectées par Pôle emploi en mai 2013 ». N° 040, juin 2013.

(2) INSEE : Note de conjoncture, juin 2013.

 

 

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Par Dimicoli Yves , le 30 juillet 2013

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