Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Le pôle financier public pour une relance industrielle

La relance de l’industrie française devient un enjeu incontournable pour l’avenir ; reste maintenant à en décider du contenu et pour quels objectifs.
Face au bilan du quinquennat Sarkozy et aux exigences à mettre en œuvre pour une réelle sortie de crise, notre proposition d’un pôle public de financement pose de façon cohérente et offensive la question du retour à une maîtrise publique des orientations stratégiques industrielles et du mode de financement.
Une stratégie qui doit nous donner les moyens de sortir du carcan imposé par les marchés financiers et obliger les banques à rouvrir les robinets du crédit aux industries.
Une stratégie qui rompe aussi avec un étatisme-béquille du capital et fasse toute sa place à l’intervention des citoyens et salariés pour que l’argent injecté serve les investissements et la recherche, créateurs d’emplois utiles et qualifiés, répondant aux besoins sociaux du pays.

L’industrie est bien le moteur principal du processus de création de richesses du pays. Le leurre de « la civilisation post-industrielle » appelée à accompagner le dépérissement de nos industries décrétées obsolètes et sans avenir a fait son temps.

La prédiction d’un eldorado des activités de services est d’autant plus en échec qu’il a été perverti par des financements spéculatifs et qu’il s’est substitué à l’industrie au lieu de l’accompagner.

Les services n’ont d’avenir que s’ils s’appuient sur une industrie performante et innovante. Hors de cette logique de complémentarité, il en résulte une industrie réduite à son squelette « haut de gamme » et des emplois de services faiblement qualifiés et rémunérés.

Le cœur de cible d’une politique de relance économique passe donc par la redynamisation de notre industrie ; reste à en maîtriser les enjeux et les objectifs.

Accroître les financements publics aux industries ne suffit pas !

Les PME ne sont pas les seules à réclamer des financements publics. Les grands groupes font de même mais pour orienter de l’argent frais sur des projets ultra profitables et poursuivre leur logique sur trois volets : privilégier le tout à l’exportation avec une forte profitabilité, délocaliser et accentuer la pression sur les « coûts » salariaux.

Le critère essentiel reste la compétitivité-coût, l’emploi et les salaires n’étant que des valeurs d’ajustement.

On voit d’autre part que ce choix industriel privilégie le projet plutôt qu’une stratégie industrielle de filières définie sur du long terme. Cette politique du créneau d’opportunité entraîne un processus de spécialisation, les donneurs d’ordres imposant aux PME des contraintes d’investissements allant jusqu’à des engagements financiers pour donner droit au ticket d’entrée dans le programme, sans garantie de retour et de pérennisation contractuelle.

Ce volet financier s’accompagne souvent d’une incitation forte à délocaliser en partie leurs activités pour répondre aux exigences de réductions de coûts imposées par les donneurs d’ordres. Cette dichotomie entre les activités de R&D et la production est un facteur supplémentaire d’affaiblissement de notre potentiel industriel, de sa maîtrise à réaliser des produits de qualité, de nos savoir-faire. Toutes ces pressions accentuent la spécialisation des PME, accroissent leur dépendance vis-à-vis des donneurs d’ordres et des banques qu’elles doivent solliciter toujours plus.

D’ailleurs, une filière largement excédentaire comme l’aéronautique est aujourd’hui confrontée à un paradoxe plein de risques à venir : des carnets de commandes remplis mais de plus en plus de difficultés pour livrer les équipements à temps et avec la qualité requise.

D’autre part, l’accroissement considérable du chiffre d’affaires, confronté à cette pression à la délocalisation, ne génère pas proportionnellement les créations d’emplois espérées sur le sol national et obère les capacités des PME à investir, former, innover.

Face à ces dérives et aux dangers qu’elles engendrent, c’est une véritable refonte des relations qu’il faut opérer dans les filières industrielles, soustraire les sous-traitants à leur soumission aux grands donneurs d’ordres et leur permettre une réelle autonomie, tant financière qu’industrielle.

Les pôles de compétitivité facteurs de spécialisation industrielle

Cette recherche du créneau rentable en grande partie porté vers l’exportation s’appuie sur des outils trop souvent présentés comme des innovations structurelles d’avenir.

Les pôles de compétitivité portent dans leur conception et leurs visées l’ensemble des travers déjà cités à partir des critères qui les définissent : compétitivité, concurrence, exclusion.

Des moyens considérables leur sont attribués, à la fois financiers mais aussi humains, avec une forte implication des pouvoirs publics, en particulier la mise à disposition des organismes de recherche publique et universités utilisés en supports.

Les choix sont pilotés par les industriels privés sur des créneaux étroits, susceptibles de générer de hauts niveaux de valeur ajoutée.

La recherche publique est ainsi mise sous tutelle et en partie dévoyée d’une de ses vocations premières : la recherche fondamentale avec le risque d’induire des retards aux conséquences inestimables sur des concepts futurs indispensables pour l’industrie elle-même.

Ce processus court termiste accélère un double mouvement : un désengagement financier progressif de l’État dans les budgets de fonctionnement des organismes de recherche publique et, par voie de conséquence, une chasse au subventionnement privé qui les prive de leur autonomie nécessaire et pervertit leur vocation publique. L’interview dans Les Échos de Jean Chambaz, président de l’université P. et M. Curie, est édifiante à ce titre : « C’est à moi de rencontrer les grands patrons ou grandes fortunes, d’exposer la vision que nous avons de l’université et de les séduire. Nous aimerions ainsi créer une fondation au niveau de Sorbonne Université avec un grand patron emblématique. Pour moi, Françoise Bettencourt-Meyers est un cœur à prendre ». Un commentaire n’est pas utile !

On le voit, la loi LRU porte en elle un dévoiement épouvantable du rôle dédié aux universités. Là aussi, c’est la concurrence exacerbée qui est appelée à conduire les choix au risque de créer des déserts universitaires et scientifiques irréversibles.

D’autres outils devront être réévalués, voire désactivés ; c’est le cas de l’agence nationale de la recherche qui cible, finance et pilote les investissements définis comme étant d’avenir, avec des critères de choix sélectifs libéraux dictés par le pacte de Lisbonne.

Les pôles de compétitivité et la loi LRU sont adaptés aux grands groupes pour favoriser la recomposition industrielle en France sur des créneaux ultra profitables, orientés largement sur l’exportation. Cet objectif est pervers et nourrit l’exclusion d’entreprises jugées « hors sujet ». C’est la porte ouverte à une spécialisation dangereuse pour notre indépendance industrielle et économique, c’est la voie ouverte à de nouveaux abandons, sans doute massifs, de pans entiers de nos filières industrielles en lien avec une recomposition de notre industrie sur quelques technologies nouvelles générant une forte valeur ajoutée. Maintenir ces dispositifs en l’état, c’est assurément accroître encore la pression compétitivité-coût, avec des baisses de salaires et le chantage continu aux délocalisations.

L’innovation ne doit pas s’opposer à la diversification !

L’innovation telle qu’elle a été orientée lors du quinquennat Sarkozy s’est accompagnée d’un phénomène « peau de chagrin » générant à la fois de la spécialisation et de l’exclusion, particulièrement à l’égard des PME pourtant riches en capacité à créer de la valeur ajoutée (40 % de la VA des grands groupes est issue des PME), des emplois et de la stabilité industrielle en régions.

Il faut donc sortir de l’unique vecteur d’innovation incarné par les pôles de compétitivité et orienter les financements publics et la coopération public-privé en impliquant davantage l’esprit d’innovation des PME, non pas pour les « forcer » dans des objectifs définis en dehors d’eux et qui tendent à fixer leurs activités uniquement sur des projets qui spécialisent et bloquent leur champ de compétences et de diversification, mais aussi pour répondre à leurs besoins de développement en régions, aux produits qu’ils réalisent et aux efforts d’innovation qu’ils veulent affirmer.

La diversification industrielle et la capacité d’innovation doivent aller de pair pour orienter le redressement industriel vers la création de richesses utiles au pays et aux populations, à l’emploi, aux qualifications et à la pérennisation de notre système de protection sociale.

Des financements publics associés à des critères d’efficacité sociale

Il s’agit donc bien d’inverser le cours des choses en associant à la relance industrielle deux volets intimement liés : une stratégie nationale qui réponde aux besoins économiques et sociaux du pays, une déclinaison vers les régions avec l’impératif d’une reconquête industrielle génératrice d’emplois et de nouveaux équilibres interrégionaux.

Ce lien est d’autant plus nécessaire qu’il ne va pas de soi dans le nouveau contexte politique au lendemain des législatives, avec une tendance déjà affirmée par certains présidents de région à privilégier le rôle stratégique des régions en pointant ce qu’ils appellent l’obsolescence du « centralisme français ».

Un autre dévoiement de l’intervention publique est donc un risque bien réel, avec une accentuation de la concurrence entre régions qui poursuivraient une course à l’Europe libérale fédéraliste des régions, sur le modèle allemand.

Il y a au contraire de l’espace pour la construction d’un nouveau modèle impulsé par l’État et qui inciterait à des coopérations à tous niveaux, entre régions, entre grands groupes et PME et en lien avec le développement des services publics. C’est cette novation liante qui a de l’avenir parce qu’elle porte les prises de décisions en termes de coopérations et non plus en termes de concurrence restrictive, sur des projets ciblés essentiellement vers l’exportation.

Attention donc à un financement accru de l’État avec une décentralisation des financements et des prises de décisions stratégiques qui se feraient au prix de l’effacement de l’État lui-même, ce qui placerait de plus belle les régions en chevaliers Bayard d’une concurrence mondialisée exacerbée et acceptée comme telle. C’est bien l’alternative au modèle libéral qu’il faut impulser et non une batterie de mesures destinées à redonner du souffle à un modèle économique et social en échec. On le voit, la différence entre une banque publique d’investissement et le pôle public de financement que nous proposons n’est pas du simple domaine de la phraséologie !

Une politique industrielle à reconstruire

C’est un enjeu majeur auquel nous sommes confrontés et qui ne pourra pas faire l’impasse d’une profonde remise en cause des réformes du quinquennat Sarkozy totalement vouées à la libre concurrence et à la compétitivité-coût.

Il en est ainsi des États généraux de l’industrie déclinés depuis un an dans toutes les filières industrielles et soumises à la tutelle et aux orientations du MEDEF et de ses branches. La conférence nationale pour l’industrie est ainsi devenue un véritable laboratoire d’intégration autour du projet de contrat emploi-compétitivité permettant de flexibiliser le salaire et le temps de travail en contrepartie d’un hypothétique maintien de l’emploi.

Alors que le crédit impôt recherche est largement happé par les grands groupes et coûte en 2011 près de 5 milliards d’euros, le MEDEF souhaite en complément l’instauration d’un crédit impôt innovation pour le lancement de prototypes ou les dépenses de conception. Notons au passage que le patronat veut étendre les crédits publics pour accélérer la mise en œuvre du Lean dans les PME travaillant en sous-traitance des groupes.

Ce débat tel qu’il a été mené sous l’impulsion de Sarkozy et avec le cahier revendicatif du MEDEF ne peut pas se poursuivre en l’état, et il ne serait pas compréhensible que la politique de relance industrielle voulue par le gouvernement Ayrault se satisfasse de recueillir le contenu des mesures en cours de finalisation, exigées et dictées par le patronat.

En finir avec la compétitivité-coût, ouvrir la voie aux coopérations

Le mode de subventionnement public de l’industrie est donc entièrement à inverser pour substituer aux critères de compétitivité des critères de coopération.

Il en est ainsi pour les pôles de compétitivité qui sont institués à partir de principes élitistes qui accaparent les financements et les moyens et deviennent in fine des accélérateurs de la désindustrialisation.

Ce n’est pas la mise en commun qui est néfaste mais l’objectif élitiste qui lui est assigné. Il s’agit donc de mettre en œuvre une autre logique qui associe les complémentarités, les capacités d’échanges et de partages des savoir-faire avec l’ambition de rendre possible la connexion entre l’innovation technologique et la satisfaction des besoins humains.

Inverser la finalité des pôles de compétitivité et tous les modes de financements publics n’est pas opérer une coupure entre la recherche publique et les entreprises ; c’est au contraire renforcer des liens de coopération pour dynamiser une démarche efficace de réponse aux besoins de la société, renforcer la responsabilité sociale des entreprises.

On le sait également, poser ainsi l’alternative pour une grande politique industrielle utile et ambitieuse en France, c’est mettre un terme à la « stratégie de Lisbonne » qui s’avère un échec patent dans son ambition d’être « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde d’ici 2010 », c’est aussi montrer une voie nouvelle aux peuples d’Europe.

 

Partir des besoins humains, redonner toute sa latitude et des budgets pérennes à la recherche publique, transformer les rapports actuels de concurrence et d’élitisme en coopérations librement consenties avec des moyens mutualisés, moduler les financements et la fiscalité des entreprises selon leur orientation vers les besoins humains, voilà la dynamique alternative pour une réelle relance industrielle qu’il est grand temps d’impulser avec la nécessaire intervention des salariés et des citoyens, de la définition des objectifs à viser, jusqu’au contrôle de leur réalisation.

 

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