Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Pôle public financier : des leviers concrets

Quelles transformations radicales mettre en œuvre pour sortir de la crise en mettant en cause graduellement les fondements du capitalisme ? Dans la nouvelle situation politique, cette question prend une forme extrêmement concrète mais angoissante : l’élection de François Hollande va-t-elle déboucher sur un échec ou bien réussirons-nous à conquérir de nouveaux pouvoirs des citoyens contre les marchés financiers, pour imposer de nouveaux objectifs sociaux ?
Poser la question en ces termes, c’est rechercher les terrains sur lesquels nous pouvons ouvrir une confrontation entre les conceptions qui inspirent le nouveau gouvernement et celles qui seraient à même d’ouvrir la voie à des solutions à la crise. Dans ce cadre, la question des moyens financiers pour faire face à la crise apparaît alors stratégique. Et la proposition de Pôle financier public comme une solution.

Nous sommes en pleine crise de l’euro, la CGT annonce 45 000 suppressions d’emplois, des rencontres entre le gouvernement et les syndicats préparent une conférence sociale. Quelles transformations radicales mettre en œuvre pour sortir de la crise en mettant en cause graduellement les fondements du capitalisme ? Dans la nouvelle situation politique, cette question prend une forme extrêmement concrète mais angoissante : l’élection de François Hollande va-t-elle déboucher sur un échec, sur une nouvelle déception historique et sur la perspective d’une arrivée de l’extrême droite, sous une forme ou une autre, au pouvoir, ou bien réussirons-nous à conquérir de nouveaux pouvoirs des citoyens contre les marchés financiers, pour imposer de nouveaux objectifs sociaux ? Poser la question en ces termes, c’est rechercher les terrains sur lesquels nous pouvons ouvrir une confrontation entre les conceptions qui inspirent le nouveau gouvernement et celles qui seraient à même d’ouvrir la voie à des solutions à la crise.

La question des moyens financiers pour faire face à la crise apparaît alors stratégique :

  • moyens budgétaires, pris dans la contradiction insurmontable entre engagement de réduire le déficit à 0 en 2017, et politiques d’austérité qui entravent la capacité de notre économie à créer des richesses ;
  •  moyens privés : les investissements (et, parfois même, le fonctionnement) des entreprises et des collectivités publiques sont paralysés par le blocage de l’accès au crédit. Après avoir fortement reculé en 2009 et 2010, les crédits aux entreprises ont progressé très modérément en 2011, et stagnent depuis le début 2012, en France.

Cela veut dire que les projets qui ne sont pas considérés comme porteurs de perspectives suffisantes de rentabilité – dans les PME ou dans les collectivités territoriales par exemple – se heurtent de plus en plus souvent à un refus pur et simple de la part du système bancaire.

Dans ce contexte, la proposition de créer un pôle financier public recueille un écho tel qu’on oublie souvent qu’elle a été formulée pour la première fois par les économistes communistes dès 1996.

Enjeux politiques autour du pôle financier public

Pourquoi il faut un pôle financier public

Nous ne concevons pas cette proposition comme un moyen magique de résoudre les problèmes de financement. C’est une pièce dans un dispositif plus vaste qui vise à instaurer un pouvoir des salariés et des citoyens, « du local au mondial », sur l’argent, sa création, son utilisation. C’est pourquoi

  • un aspect central de l’organisation et du fonctionnement du pôle financier public est l’exercice de pouvoirs en son sein par les salariés des institutions qui le composent, et aussi de ses usagers – c’est-à-dire, en particulier, de tous les citoyens dont l’emploi dépend du financement de la création de richesses sur le territoire où ils vivent ;
  •  l’objet des fonds publics régionaux pour l’emploi et la formation (FREF) – qui constituent un ensemble cohérent avec le pôle financier public – est précisément de mettre des instruments institutionnels entre les mains des citoyens pour exercer ce pouvoir ;
  • mais ce pouvoir est conçu pour s’exercer à tous les niveaux de décision qui importent en matière de financement, et donc aussi à celui qui est le plus puissant dans l’ordre institutionnel actuel : celui de la Banque centrale européenne. Nous proposons que les projets « labellisés » par la population via les FREF et le pôle financier public bénéficient d’un refinancement préférentiel par la BCE et les 17 banques centrales nationales qui, avec elle, forment l’Eurosystème. Ce serait là une base pour une politique monétaire sélective au service de l’emploi, de la formation, de la création de richesses et de la préservation de l’environnement dans les territoires. Cela pourrait aussi être l’une des utilisations du Fonds social et écologique européen pour lequel le Parti de la gauche européenne va lancer une campagne d’initiative citoyenne à l’échelle de l’UE ;
  •  l’usage de critères économiques, sociaux et écologiques donne sa cohérence à cette construction institutionnelle.

Ces caractéristiques distinguent notre conception de deux autres, avec lesquelles il est nécessaire de mener un dialogue :

  •  une conception étatique qui vise un retour à des circuits de financement administrés, comme dans les années soixante ;
  • une conception, présente dans le mouvement syndical, qui distingue une collection d’institutions spécialisées exerçant des missions d’« intérêt général » dans différents domaines (financement du logement, des collectivités territoriales, collecte de l’épargne…) mais sans que l’accent soit mis sur le principe de cohérence apporté par de nouveaux critères de gestion et de financement.

Crédits aux sociétés non financières (source : Banque de France)

Les projets gouvernementaux

Au Conseil des ministres du 6 juin, Pierre Moscovici a confirmé un des projets principaux inscrits dans le programme électoral de François Hollande : la création d’une Banque publique d’investissement.

Cette institution, a-t-il précisé, aura trois missions principales : « Elle palliera les défaillances de marché qui handicapent le financement des entreprises, en particulier des PME. Elle investira dans le développement des secteurs stratégiques d’avenir, comme la conversion numérique, écologique et énergétique de l’industrie, et l’économie sociale et solidaire. Elle constituera un levier d’intervention puissant pour le développement des territoires, en lien avec les régions.

La Banque publique d’investissement reposera sur trois volets. Le premier sera la constitution de points d’entrée uniques pour les financements publics à destination des très petites entreprises (TPE), des PME, des ETI et des acteurs de l’économie sociale et solidaire, afin de faciliter la réalisation de leurs projets de développement et leur accès aux financements, en articulation avec les régions. Le deuxième sera une nouvelle organisation du financement public des entreprises en France assurant au moins deux fonctions : les opérations en fonds propres et quasi-fonds propres et les instruments de prêt et garanties aux PME. Le troisième sera la création d’une “structure faîtière” dotant l’État d’une nouvelle capacité de pilotage stratégique. Cet organe aura pour missions de déterminer les grandes orientations stratégiques du groupe, de proposer à chaque région la conclusion d’un partenariat définissant les priorités pour son territoire, d’assurer le pilotage du réseau unifié et de garantir la cohérence des produits offerts. »

Il est prévu que la création de la Banque publique d’investissement s’articule avec deux autres réformes : le doublement du plafond du livret A et du livret de développement durable (qui serait transformé en « livret épargne industrie », vocabulaire emprunté à la CGT), et l’adoption d’une nouvelle loi bancaire instaurant une séparation entre les activités bancaires de détail et les opérations de marchés.

Le gouvernement insiste sur la participation des régions à la définition et au fonctionnement du nouveau dispositif (le programme de François Hollande indiquait que la BPI serait dotée de « fonds régionaux »). De fait, les présidents de régions, avec à leur tête Alain Rousset, se sont beaucoup exprimés sur ce sujet. Le président de l’Association des Régions de France indiquait ainsi, quelques jours avant la formation du gouvernement : « On espère doter la BPI de 20 milliards d’euros de capitaux propres. […] [En outre,]  il faut régionaliser la distribution des fonds. Le centralisme français dessert l’industrie. En Allemagne, les Länder sont actionnaires des caisses d’épargne, qui sont elles-mêmes actionnaires des ETI. […] Les dépôts issus du livret d’épargne industrie seraient centralisés à la Caisse des dépôts et consignations (CDC). […] La banque publique pourrait s’appuyer sur le savoir-faire de la CDC, qui a déjà pour mission le financement en fonds propres des PME via sa filiale CDC Entreprises (5,2 milliards d’euros sous gestion au 30 juin 2011). […] Je ne suis pas sûr qu’il faille tout fusionner. On peut très bien avoir plusieurs structures de financement. »

Toute la question est désormais de savoir si les mobilisations sociales et politiques, appuyées sur l’action du PCF et du Front de gauche, seront en mesure de faire évoluer ce projet pour qu’il puisse être à la hauteur des enjeux.

Pôle financier public et « Banque publique d’investissement »

Les mesures annoncées par le gouvernement présentent trois faiblesses. La première est leur caractère étatique, qui ne prévoit pas l’intervention directe des citoyens dans le choix des projets à financer ; la seconde est l’accent mis sur le seul recyclage de l’épargne et non pas sur la mobilisation du crédit et de la création monétaire qui l’accompagne ; la troisième est l’imprécision et l’ambiguïté des critères qui guideraient l’action de la nouvelle institution.

Quelle architecture pour le pôle financier public ? Bras armé de l’État ou instrument de conquête de nouveaux pouvoirs par les travailleurs et les citoyens ?

À sa première mention, l’évocation d’une « banque publique d’investissement » pouvait faire craindre la résurgence d’un vieux projet étatique consistant à mettre en place un organisme unique piloté par Bercy.

Il semble que les projets gouvernementaux soient plus complexes. Le scénario le plus vraisemblable ne prévoit pas de fusionner les outils existants (Oséo, Fonds stratégique d’investissement, CDC entreprises) mais de les intégrer au sein d’un guichet unique sous l’égide de la Caisse des dépôts et consignations.

La nouvelle banque conserverait deux branches distinctes, l’une pour les investissements en fonds propres (FSI, CDC entreprises), l’autre pour les crédits (Oséo).

Selon François Drouin, président d’Oséo, « François Hollande veut rapprocher deux métiers sous la même gouvernance. Ce n’est pas une fusion. Ce serait dangereux de tout mélanger ». François Hollande a également pris soin de préciser que cette Banque publique d’investissement disposerait de « fonds régionaux » ou plutôt d’antennes régionales qui seraient institutionnellement liées aux conseils régionaux.

Un débat est également ouvert sur la structure financière du dispositif et sur la place de l’État actionnaire, alternativement ou en complément de montages financiers associant la Caisse des dépôts ou d’autres organismes.

Tout cela peut laisser place à un fonctionnement administratif et à la poursuite d’une politique de concurrence entre les territoires au nom de la « compétitivité ».

Mais cela peut aussi ouvrir le champ d’une bataille pour faire de ces nouveaux instruments institutionnels des outils de conquête de pouvoirs pour les salariés et les citoyens. Concrètement, la réponse au déferlement des plans sociaux mobilise l’attention de la population, et a justifié la création du ministère du Redressement productif. La réponse de Jean-Marc Ayrault à la lettre de Pierre Laurent et Nicole Borvo demandant un moratoire sur les plans sociaux et faisant référence à la proposition de loi du Front de gauche sur le sujet doit avoir pour suite une bataille pour un droit de veto suspensif des salariés, assorti d’une obligation pour les directions d’entreprises et pour les pouvoirs publics de prendre en considération les contre-propositions des salariés et de leurs représentants, avec un droit de saisine du système bancaire pour la mise en place des financements nécessaires.

Ajoutons à ces observations sur la Banque publique d’investissement, principalement destinée au financement des entreprises, que le problème du remplacement de Dexia dans le financement des collectivités territoriales n’est toujours pas réglé : on y reviendra dans la suite de cet article.

Au-delà du recyclage de l’épargne financière, le besoin d’une nouvelle maîtrise du crédit

La Banque publique d’investissement serait dotée de ressources obtenues grâce au doublement du plafond du livret A et du LDD. On reconnaît là un des aspects les plus insuffisants de la politique du nouveau gouvernement. Non pas que la gestion et l’utilisation de l’épargne financière soient une question sans importance. La transformation du livret pour le développement durable en livret pour l’industrie, avec un doublement de son plafond, répond à une proposition de la CGT. La préférence marquée par le nouveau gouvernement en faveur d’une centralisation des fonds collectés à la Caisse des dépôts peut indiquer une tentative de changement d’orientation après dix ans de banalisation de l’épargne défiscalisée et de canalisation de l’épargne populaire vers les marchés financiers.

Les limites d’une simple réorientation de l’épargne

Cependant, il faut avoir présents à l’esprit les ordres de grandeur. À fin mars 2012, les LDD totalisaient 70,9 milliards d’euros. Le total des livrets A et des livrets bleus atteignait 221,9 milliards. En y ajoutant les livrets d’épargne populaire et les livrets jeunes, on arrive à 351,4 milliards. Le montant des ressources supplémentaires attendues du doublement du plafond du livret A et des LDD ne peut être évalué qu’approximativement, sachant qu’actuellement un livret sur 5 ou 6 seulement atteint le plafond. Les estimations varient entre 20 et 40 milliards d’euros mais on ne sait pas à quel rythme ces ressources deviendraient disponibles : le gouvernement a semblé indiquer que la réforme pourrait n’entrer en vigueur que très progressivement. On ne sait pas non plus très clairement quel montant serait destiné à la BPI et quel montant serait réservé au financement du logement social. Cela pose, en outre, le problème très vaste de l’équilibre du marché de l’assurance-vie, d’où proviendra probablement l’essentiel des ressources supplémentaires captées par les livrets défiscalisés.

En tout état de cause, ces estimations doivent être mises en regard de l’ampleur des montants qui caractérisent le financement de l’économie française. En décembre 2010, selon les comptes nationaux, le total des placements des ménages atteignait près de 4 000 milliards d’euros, dont plus de 1 100 milliards de dépôts, 1 026 milliards d’actions et 1 189 milliards d’euros comptabilisés au titre de l’assurance-vie.

Il y a bien un enjeu d’orientation de cette épargne afin de la dégager autant que possible des marchés financiers. Ce pourrait être une des fonctions du pôle financier public : ses composantes pourraient tirer une partie de leurs ressources de l’émission de titres d’un type nouveau (par exemple des bons à moyen terme négociables assortis d’un engagement contractuel du souscripteur de les conserver jusqu’à l’échéance) émis à un taux déconnecté de celui du marché. De tels titres pourraient être souscrits par les organismes de retraites qui ont des liquidités à gérer et qui souhaitent les placer dans des emplois qui maximisent l’assiette de leurs cotisations, c’est-à-dire les salaires, donc la valeur ajoutée et l’emploi. Ils pourraient également servir à la Banque postale pour placer les fonds des chèques postaux, et à la Caisse des dépôts.

Resterait alors à traiter le problème de l’orientation des placements financiers des entreprises : Le Monde a cité le chiffre de 283 milliards d’euros pour la trésorerie des groupes du CAC 40.

Mais il y a plus important encore. Le système financier ne se contente pas de canaliser une épargne préexistante, il permet d’anticiper la création de valeur ajoutée, et donc la création d’épargne.

Le caractère essentiel d’une réorientation du crédit

L’impulsion majeure que la finance donne à l’activité économique passe par le crédit et la création monétaire qui l’accompagne. Les crédits au secteur non financier représentaient 1 928,4 milliards d’euros à fin mars 2012, dont 819,9 milliards pour les crédits aux entreprises. Les crédits nouveaux aux entreprises (hors découverts) ont atteint 246,8 milliards entre avril 2011 et mars 2012 – à comparer à la formation brute de capital fixe des entreprises non financières : 213,4 milliards d’euros en 2011. Des études antérieures avaient pu avancer que la création de 3 millions d’emplois supplémentaires nécessitait de doubler à peu près le volume de la formation brute de capital fixe des entreprises en une législature. Cela donne une idée de l’ordre de grandeur des changements qu’il conviendrait d’apporter dans le domaine du crédit aux entreprises. Il ne s’agirait pas simplement de doubler ces crédits, mais d’augmenter considérablement le flux des crédits permettant la réalisation de projets favorables à l’emploi, à la formation, à l’élévation du potentiel de création de richesses des territoires dans le respect de l’environnement – tout en réduisant le flux des crédits qui viennent contribuer au gonflement des prix des actifs financiers (et immobiliers).

« Je n’ai pas de reproches à faire à Oséo. Elle a de bonnes actions, mais elle ne peut suppléer au retrait des banques, imposé par Bâle III », notait Alain Rousset dans la déclaration citée plus haut. La doctrine du gouvernement semble donc bien de s’accommoder du tarissement des crédits bancaires, attribué au durcissement des normes bancaires internationales (Bâle III). En réalité, face à la montée des risques bancaires, ce serait une grave erreur de croire qu’il n’y a que deux réponses possibles – le recours direct aux marchés financiers pour les projets qui répondent à leurs critères, ou la reconstitution de circuits de financement administrés. Il y a avant tout la réorientation du crédit bancaire : que les banques assument leurs responsabilités sociales !

Cette réorientation ne peut venir que d’une pression populaire. Elle existe jusqu’à un certain point, du moins les critiques contre le comportement des banques sont-elles fortes. Le gouvernement en tient compte lorsqu’il prévoit une surtaxe de 15 % sur les bénéfices des banques. La question est de savoir comment le pôle financier public peut contribuer à permettre à ces mobilisations populaires de se traduire dans les faits.

Il peut le faire en aidant à identifier et à soutenir efficacement les projets les plus favorables répondant aux critères qui traduisent, dans le domaine économique, le slogan « l’humain d’abord ! » : économiser les dépenses en capital matériel et financier pour pouvoir maximiser les dépenses pour les êtres humains. En pratique :

1. Le pôle financier public participerait au financement de ces projets ;

2. Cette participation serait en soi une incitation au secteur privé pour y participer aussi ;

3. La BCE devrait refinancer à des conditions privilégiées ces crédits, dans le cadre de la nouvelle sélectivité de la politique monétaire que nous préconisons. Même si elle ne le fait pas pour tous les crédits ainsi « labellisés », l’existence du label serait une incitation réelle, pour les banques, à sélectionner de préférence les projets qui en bénéficieraient.

Les critères de financement, moyens d’une cohérence d’ensemble

La mise en œuvre de nouveaux critères de gestion, et donc de financement, des entreprises est une condition essentielle à la cohérence des luttes et des instruments pour libérer l’économie de la dictature des marchés financiers.

On a pu montrer statistiquement l’inefficacité de la création monétaire en France et dans le monde : la création de valeur ajoutée augmente beaucoup moins vite que les crédits bancaires. La différence alimente principalement la hausse des prix des actifs financiers et immobiliers. Ce qui est nouveau dans le paysage politique, c’est que le débat sur les critères d’attribution du crédit prend de l’ampleur : depuis les Économistes atterrés jusqu’au commissaire européen Michel Barnier qui demande maintenant des comptes sur l’usage des 1 000 milliards prêtés aux banques par la BCE en décembre et en février !

Ce débat peut trouver des applications immédiates. Ainsi, lorsqu’elles choisissent les bénéficiaires de leurs crédits, les banques prêtent une grande attention à la cotation que la Banque de France attribue aux entreprises. Les critères qui guident la banque centrale dans ce domaine obéissent traditionnellement à la plus pure orthodoxie financière, c’est-à-dire à la recherche de la rentabilité maximale. Ainsi, il peut tout à fait arriver qu’une entreprise qui place ses profits à Wall Street soit mieux notée à la Banque de France qu’une PME qui choisirait d’investir et d’embaucher dans son bassin d’emploi. Or, une contestation publique de ces critères de cotation commence à se faire entendre : on peut mener le débat pour une nouvelle sélectivité de la politique monétaire influençant l’ensemble du système bancaire (1).

Cette approche permet de traiter plusieurs questions relatives au pôle financier public qui, sans elle, seraient épineuses.

La cohérence géographique

Le nouveau pouvoir veut relancer la décentralisation en donnant un pouvoir accru aux régions. Cela suscite parfois la crainte d’un morcellement du financement de l’économie nationale (et européenne), les régions riches pouvant être tentées de capter les moyens financiers au détriment des régions pauvres. Plus que dans l’intervention autoritaire d’un État niveleur, c’est la bataille pour imposer des critères cohérents de sélection des projets qui permettra d’orienter les crédits là où ils sont les plus efficaces pour développer les dépenses destinées au développement des êtres humains : emploi, salaires, formation, protection sociale, services publics, préservation de l’environnement.

Vers des prises de participations de la BPI dans le capital des entreprises ?

Les politiques d’« aides aux entreprises » sont friandes d’apports de fonds publics dans le capital des entreprises privées (« capital-risque », soutien aux « business angels »…). Ces opérations sont critiquables en ce qu’elles s’inscrivent généralement dans une logique de rentabilité et incitent les entreprises à s’y enfermer alors que le développement des nouvelles technologies, par exemple, exigerait au contraire de lever la pression du taux de profit sur les dépenses de formation, de recherche.

Il en irait tout différemment si le gouvernement choisissait, comme contrepartie de prises de participations publiques dans des entreprises, d’exiger des choix de gestion des entreprises répondant à de nouveaux critères d’efficacité économique, sociale et écologique.

Des terrains concrets d’action et d’expérimentation

La crise va mettre à l’épreuve la capacité du gouvernement à répondre aux attentes de la population. Les élections présidentielle et législatives ont montré que si les solutions conduisant à une transformation radicale de l’économie et de la société éveillent davantage d’intérêt, deux conditions sont indispensables pour qu’elles s’imposent progressivement : la poursuite des débats d’idées, et l’investissement de champs concrets de luttes et de transformations institutionnelles qui permettent aux travailleurs et aux citoyens de les faire leurs. Au-delà du débat qui va se poursuivre dans le milieu des économistes professionnels, avec les syndicats, et avec les mouvements rassemblés dans le « collectif pour un pôle financier public au service des droits », cinq terrains d’action et d’expérimentation s’ouvrent dans les prochains mois.

Le financement des PME

Face aux menaces qui pèsent partout sur la conjoncture économique et sur l’emploi, et sans attendre que les plans de licenciements déferlent, nous avons les moyens d’intervenir pour interpeller les banques sur leur responsabilité sociale dans le financement des PME. Des dizaines de cas se présentent dans les régions : à nous d’engager le combat aux côtés des salariés et des populations à partir de situations concrètes, comme celle, par exemple, de la fonderie de Fumel qui a été traitée en détail dans cette revue (voir n° 676-677, novembre-décembre 2010).

Le financement des collectivités territoriales

Une grande inquiétude règne chez les élus après la faillite de Dexia et devant le tarissement des crédits bancaires. D’après le directeur général actuel de Dexia, il manque 13 milliards pour financer les investissements des collectivités territoriales en 2012.

Se développent en parallèle un projet du gouvernement précédent visant à la création d’une nouvelle entité à partir des compétences de la Caisse des dépôts et des dépôts de La Poste, et un projet d’Agence de financement porté par l’Association des Régions de France. La question d’un nouvel établissement dont l’État serait actionnaire est posée mais pendant ce temps-là l’incertitude persistante pousse au pire : des collectivités territoriales d’un côté, des hôpitaux de l’autre, constituent des groupements pour faire appel directement aux marchés financiers.

Le projet d’ensemble que nous défendons comporte une gamme de réponses à ces questions urgentes :

  • rien ne justifie que les banques – qui n’ont pas hésité, ces dernières années, à nourrir villes, régions et départements d’« emprunts toxiques » – se dérobent à leurs responsabilités dans le financement des collectivités territoriales. Le rôle du pôle financier public est de donner des impulsions dans ce sens, dès lors qu’il s’agit de financer des projets répondant aux critères qui donnent sa cohérence à son action, et non de se substituer aux banques dans le financement des collectivités territoriales ;
  • ce financement pourrait être complété par l’émission de nouveaux types de titres répondant aux caractéristiques décrites plus haut dans cet article ;
  •  la Banque de France pourrait apporter une contribution plus active à l’évaluation de la situation financière des collectivités territoriales et à l’amélioration de leurs relations avec le système bancaire, comme elle le fait déjà pour les entreprises : c’est l’une des propositions des syndicats de la Banque de France.

Des chantiers législatifs : réforme bancaire, taxe sur les transactions financières

Pour justifier le repli de leur activité de financement de l’économie, les banques se retranchent derrière les normes bancaires internationales définies par le comité de Bâle, qui doivent entrer juridiquement en vigueur en 2013 sous la forme d’une directive européenne, et produire tous leurs effets à partir de 2019. Cet argument cache probablement une difficulté plus profonde : l’insuffisante capacité des banques françaises à affronter la dégradation de la conjoncture nationale et internationale (les banques françaises, très internationalisées, sont très exposées au risque grec, par exemple). La véritable réponse à ces difficultés serait l’amorce d’un cercle vertueux dans lequel les crédits bancaires contribueraient à une sécurisation de l’emploi, base d’une création plus forte de richesses et d’une restauration de la solvabilité des emprunteurs – ménages, entreprises ou entités publiques – aujourd’hui rendus fragiles par la crise. C’est dans cette perspective qu’il y a lieu d’affirmer

  • qu’en effet les règles dites de Bâle III reposent sur un principe critiquable et que la France devrait plaider pour les remettre en cause ;
  • qu’en tout état de cause des marges de manœuvre existent pour en aménager ou en différer l’application, comme c’est le cas aux États-Unis (où, par exemple, les normes bancaires internationales ne s’appliquent pas aux banques qui n’exercent leur activité que sur le territoire américain) ;
  • que s’il y a un besoin de recapitaliser les banques, cette opération, dès lors qu’elle prendrait la forme d’une nationalisation totale ou partielle, devrait avoir pour contrepartie (contrairement aux pratiques observées après la faillite de Lehman Brothers en 2008) la mise en œuvre de nouveaux critères d’attribution des crédits bancaires.

François Hollande a annoncé une nouvelle loi bancaire. Selon sa conseillère économique Karine Berger, il s’agirait d’aller plus loin que la « règle Volcker », qui interdit aux banques américaines de mener des opérations financières pour leur compte propre : l’interdiction s’appliquerait aussi à certaines opérations spéculatives menées pour le compte de la clientèle. Mais il ne s’agirait pas non plus de transposer la réforme Vickers qui instaure une séparation des activités de marchés et des activités de clientèle en Grande-Bretagne (car cette règle, dit-elle, serait impossible à appliquer à nos réseaux mutualistes). Mais la question qui se pose est de savoir quels pouvoirs d’interventions, avec quels objectifs, les citoyens pourraient disposer pour influencer le comportement des banques.

Ce débat est lié à celui de la taxation des transactions financières. François Hollande a annoncé une taxe sur les transactions financières à assiette large. Il faudrait aller plus loin : Barry Eichengreen et Charles Wyplosz avaient prouvé dans les années 1990 qu’en ce qui concerne le marché des changes la mesure efficace est de dissuader les banques de prêter aux non-résidents via un système de réserves obligatoires dissuasives (2).

Tous ces éléments de propositions devront trouver une traduction dans le débat parlementaire annoncé par le gouvernement sur la réforme bancaire.

Bataille européenne

La dimension européenne est omniprésente dans tous les sujets abordés à propos du pôle financier public.

Elle l’est par le rôle central de la BCE. C’est bien la mobilisation de son pouvoir de création monétaire – et non la poursuite des appels aux marchés financiers avec des Eurobonds régis par les critères de rentabilité capitaliste, ou même le project bonds, dont les critères d’utilisation ne sont pas précisés – qui peut desserrer l’emprise de la finance sur l’économie et le financement des administrations publiques.

Depuis l’élection de François Hollande et les contacts intenses qu’il a entretenus avec Angela Merkel et les autres dirigeants européens, le débat sur ces différents sujets évolue très vite. Le projet d’une « union bancaire » qui transférerait au niveau fédéral la responsabilité de surveiller les banques et d’agir en cas de crise peut être interprété comme un moyen d’obliger la BCE à jouer son rôle de « prêteur en dernier ressort », au-delà de la doctrine traditionnelle de la Bundesbank. L’idée, défendue par le gouvernement français, de permettre un refinancement des prêts du Mécanisme européen de solidarité (3) par la BCE exprime la nécessité, hier encore taboue, de mobiliser le pouvoir de création monétaire des banques centrales pour lever l’emprise des marchés de titres sur le financement de nos économies.

Toutes ces propositions continuent d’exprimer l’illusion que l’issue à la crise pourrait être trouvée dans une double fuite en avant : vers un fédéralisme politique étatique, rejetant toute conquête de pouvoirs décentralisée par les citoyens, et vers la poursuite des politiques d’austérité et de leur spirale déflationniste. Elles font néanmoins peu à peu apparaître le terrain sur lequel la preuve peut être faite de la pertinence de propositions plus radicales.

Ainsi de la proposition de Fonds européen social et écologique financé, précisément, par la BCE, pour laquelle le Parti de la gauche européenne a décidé de faire campagne. Une telle institution aurait un caractère de « pôle financier public européen » : elle aurait vocation à coopérer avec les pôles publics nationaux, avec deux grandes missions :

  • financer le développement des services publics ;
  • soutenir les crédits finançant les investissements, privés ou publics, répondant à des critères d’efficacité sociale, économique et écologique.

D’ores et déjà, l’Union européenne dispose d’une institution financière publique : la Banque européenne d’investissements dont le capital est possédé par les États membres. Elle a joué un rôle important, par exemple par son « Programme d’Amsterdam » de crédits bonifiés qui a permis, entre 1994 et 1997, à de nombreuses PME de passer le cap de la récession, et montré une efficacité exceptionnelle dans la création ou la préservation d’emplois. Il est question de recapitaliser la BEI. On pourrait aller plus loin et exiger qu’une partie de ses prêts soient refinancés par la BCE, à des taux d’autant plus favorables que ceux-ci se traduiraient par davantage d’emplois et d’efforts de formation. Il sera difficile d’opposer à cette proposition l’article 123 du traité européen, qui interdit les prêts directs des banques centrales aux États, puisque cet article fait une exception à ces interdictions pour les institutions financières publiques – dont la BEI fait partie.

 

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On parle depuis longtemps de pôle financier public mais le débat à ce sujet ne fait que commencer. Les projets du nouveau gouvernement appellent à l’intensifier et à l’approfondir.

 

 

 

(1) Voir le compte rendu paru dans nos colonnes (n° 658-659, mai-juin 2009 ; n° 662-663, septembre-octobre 2009) du colloque sur le financement des PME organisé par la fédération des Finances CGT à Montreuil en juin 2009.

(2) Eichengreen (Barry) et Wyplosz (Charles) : « The Unstable EMS », Brookings Papers on Economic Activity, 1993, n° 1.

(3) Voir Florence Louis, « Le mécanisme européen de solidarité (MES) », Économie et politique n° 690-691, février-mars 2012.

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