Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Sommet européen : petits arrangements mais fuite en avant

F. Hollande assure que le sommet européen des 28 et 29 juin à Bruxelles « a permis d’aboutir à la renégociation » du pacte budgétaire de Merkel et Sarkozy (le projet de traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance - TSCG) qu’il avait promise au cours de sa campagne présidentielle. « Dans un délai qui ne sera pas long », il s’engage à soumettre au Parlement français, pour ratification, « toutes les décisions » qui y ont été adoptées : « le pacte de croissance, la supervision bancaire si c’est nécessaire, la taxe sur les transactions financières et le pacte budgétaire », lequel n’aura pas même été amendé.  Certes, de petites choses ont été obtenues dans le bras de fer avec Merkel, sur d’autres sujets, mais au prix de contreparties politiques lourdes de dangers pour les peuples, pour le peuple français en particulier, lequel n’a pas voté « Hollande » le 6 mai dernier pour ça.

 

F. Hollande a donc accepté le pacte budgétaire signé par Merkel et Sarkozy, sans même chercher à le « renégocier ». Il comporte, on le sait, une « règle d’or » budgétaire qui implique, pour chaque État, de limiter le déficit public structurel (1) national à 0,5 % de son PIB, sous peine de coupes automatiques dans les dépenses et de sanctions drastiques, sous contrôle de la Cour de justice européenne. N’imposant pas une totale obligation d’introduire cette « règle d’or » dans la Constitution (2), F. Hollande entend faire adopter un texte de loi de programmation budgétaire qui pourrait être de « valeur organique » (3). Dans la hiérarchie des normes, il se situerait donc en dessous de la Constitution, mais au-dessus des lois ordinaires (4).

Le nouveau président français est donc satisfait du sommet de Bruxelles : « Nous avons bougé tous ensemble » a-t-il dit en conférence de presse, ajoutant que « la meilleure façon de faire bouger les autres, c’est de bouger soi-même ».

Pourtant, au même moment, la chancelière allemande, A. Merkel, déclarait, elle : « Nous restons entièrement dans le schéma actuel : prestation, contrepartie, conditionnalité et contrôle [...] nous sommes restés fidèles à notre philosophie » !

En réalité, des choses ont été obtenues par F. Hollande, de même que par MM. Rajoy (Espagne) et Monti (Italie). Mais ce sont de petites choses, qui ne font pas le poids et sont contradictoires avec les contreparties politiques, extrêmement graves pour la vie et l’avenir des peuples français et européens, qui ont été concédées à A. Merkel.

D’ailleurs, ce dix-neuvième sommet européen de crise s’est conclu, une fois de plus, dans l’euphorie des marchés boursiers, tirés par les valeurs bancaires… jusqu’au prochain ébranlement.

La BCE sanctuarisée pour relancer le marché financier

Alors qu’en est-il exactement ? Un compromis a été passé face à la crainte commune grandissante de voir s’aggraver la crise de la dette en zone euro avec l’explosion des taux d’intérêt payés par l’Espagne et l’Italie, crainte qui s’était déjà largement exprimée, une semaine avant, au sommet du G-20 de Los Cabos (Mexique) (5).

Les conclusions du Conseil européen de Bruxelles (6) partent d’un diagnostic très inquiet de la situation en Europe et, singulièrement, en zone euro en soulignant qu’elle « a un impact négatif en termes de chômage et est susceptible d’affecter la capacité de l’Europe à bénéficier d’une amélioration progressive des perspectives économiques mondiales ».

Aussi, s’est cherché un compromis entre, d’un côté, Merkel et, de l’autre, Rajoy et Monti appuyés par Hollande, largement profitable aux vues allemandes et aux marchés financiers.

En effet, il ressort, d’abord, le maintien, exigé par l’Allemagne, d’un sacro-saint préalable : le refus de toucher à l’indépendance de la BCE, aux priorités qui conditionnent la conduite de sa politique monétaire, à l’interdiction qui lui est faite, depuis le traité de Maastricht, de monétiser les dettes publiques et de soutenir, de quelque façon que ce soit, la dépense publique. Pourtant, bousculée par la crise de la dette, elle fut obligée, un temps, de racheter aux banques, sur les marchés secondaires, les titres de dette publique des États en difficulté dont elles voulaient se défaire.

Les velléités de Rajoy et Monti d’obtenir de la BCE qu’elle se ré-implique dans ce sens, aiguillonnées par la promesse de campagne de F. Hollande de « réorienter la BCE », se sont heurtées au mur du refus allemand et… au ralliement de F. Hollande.

Corollaire de cette sanctuarisation renouvelée de la BCE, les politiques d’austérité doivent continuer de demeurer la norme en Europe du sud, et le devenir en France, pour garder la confiance des marchés financiers sur lesquels il est convenu de continuer de s’endetter.

Les dirigeants européens se sont accordés in fine sur quatre volets.

Le premier concerne ce que F. Hollande a fait appeler le « Pacte pour la croissance et l’emploi ».

Le deuxième concerne des mesures de protection d’urgence, comportant une certaine dose de mutualisation des dettes, obtenues par l’Espagne et l’Italie.

Le troisième « associe » la BCE à un « mécanisme unique de supervision » des banques européennes.

Le quatrième volet, fermement défendu par A. Merkel, vise le moyen-long terme, avec l’engagement de la zone euro dans un processus intégrateur aux plans budgétaire, économique et bancaire, impliquant un contrôle de plus en plus intrusif de Bruxelles et de la Troïka dans la conduite des politiques économiques nationales, au détriment des besoins sociaux, de la démocratie parlementaire et de la souveraineté populaire.

Un pacte « pour la croissance et l’emploi »

Remisé en annexe des conclusions du Conseil européen, ce pacte n’aura bien évidemment pas la force juridique du pacte budgétaire en cours de ratification.

Il commence par une longue liste d’engagements préalables des États, comme « l’assainissement budgétaire ». Certes, on le promet désormais « différencié » et « axé sur la croissance ». Recommandation est faite, dans ce cadre, d’accorder une « attention particulière », tant aux investissements dans les secteurs d’avenir qu’« aux mesures destinées à garantir la viabilité des régimes de retraites ».

Il a été aussi convenu de « promouvoir la croissance et la compétitivité, notamment en s’attaquant aux déséquilibres profonds et en allant plus loin dans les réformes structurelles » avec, notamment, « l’ouverture de la concurrence dans le secteur des entreprises de réseau » (EDF, SNCF, Poste…).

Les politiques européennes sont censées désormais apporter une contribution à la croissance et à l’emploi. Cela concernerait d’abord « l’approfondissement du marché unique » avec, notamment, la déréglementation des services, la mise en place, dès 2015, d’un « marché unique numérique », ainsi que « l’achèvement complet du marché intérieur de l’énergie d’ici 2014 ».

Il faut noter, cependant, que l’une de ces préconisations appelle à « rétablir des conditions normales d’octroi de crédits à l’économie », ajoutant qu’il faut « achever d’urgence la restructuration du secteur bancaire ». Cela apparaît quelque peu sibyllin et velléitaire mais revient, cependant, à admettre qu’il y a en zone euro un grave problème sur le crédit et les pratiques bancaires.

Ce n’est qu’après ces préalables, aux accents néolibéraux, qu’ont été consignées différentes mesures que la Commission européenne a concoctées depuis des mois sans pouvoir les faire adopter, jusqu’à ce que F. Hollande s’en empare et, fort de son élection récente grâce, notamment, aux quatre millions de voix du Front de gauche, crée les conditions politiques de leur inscription à l’agenda européen.

  • Il s’agit, d’abord, de l’augmentation de 10 milliards d’euros du capital versé de la Banque européenne d’investissement (BEI), avec la perspective d’accroître sa capacité totale de prêts de 60 milliards d’euros afin, principalement, de financer de grands projets d’infrastructures.

Quelles seront les retombées concrètes pour l’emploi, la formation, les salaires et la croissance réelle en France et en Europe de cet engagement ? C’est à établir, et ce sera sans doute une bataille.

Car W. Hoyer, le président de la BEI suggère que, en l’état, ce serait faible : « Nous effectuons une analyse très poussée [...] de la rentabilité financière et économique des projets que nous finançons » (7).

  • Deuxième résolution : le lancement immédiat de « la phase pilote des obligations liées à des projets » (project bonds). Il s’agirait de « générer des investissements supplémentaires pouvant aller jusqu’à 4,5 milliards d’euros en faveur des projets pilotes portant sur des infrastructures essentielles dans les domaines des transports, de l’énergie et du haut débit ».

Les « project bonds » sont des obligations (titres de dette) émises sur le marché financier par des sociétés créées dans le but de construire et d’exploiter un ouvrage, mais bénéficiant d’un rehaussement de crédit (8) de la part de la Commission européenne et de la BEI.

Ainsi que le fait remarquer W. Hoyer, « les PPP (partenariats public-privé) seront au cœur de cette initiative » (9) ...comme pour l’hôpital de Corbeille (Essonne), en France !

  • Troisième résolution : l’utilisation, « le cas échéant », d’une partie de la dotation des fonds structurels européens accordés aux États membres et non utilisés jusqu’ici, à hauteur de 55 milliards d’euros. La non-utilisation de ces fonds tient aux exigences de rentabilité financière et à une faible accessibilité, en liaison avec des co-financements publics nationaux et régionaux qui se heurtent aux rationnements budgétaires mais aussi aux craintes de gâchis, à l’irresponsabilité sociale et territoriale des grandes entreprises et à la sélectivité anti-emploi du crédit bancaire, toutes choses qui réduisent les opportunités de leur usage.

Cela indique a contrario combien il est nécessaire de chercher à les utiliser pour répondre à des objectifs chiffrés et contrôlés d’emplois, de formations, de croissance de la masse salariale dans les bassins concernés, avec des critères « ad hoc », des pouvoirs d’intervention populaire, et en cherchant à responsabiliser les banques et les grandes entreprises.

Par ailleurs, constatant l’impossibilité de faire adopter par le Conseil « dans un délai raisonnable » la proposition relative à une taxe sur les transactions financières, ce pacte promet qu’une coopération renforcée devrait permettre de la faire mettre en œuvre par quelques États décidés, d’ici à décembre 2012.

De façon significative, le texte de ce pacte se termine en proclamant que « la stabilité financière est un préalable de la croissance » et en recommandant les conclusions du rapport intitulé « Vers une véritable union économique et monétaire » élaboré par M. Von Rompuy, le président du Conseil européen, à l’intention des États qui « veulent aller plus loin dans leurs efforts de coordination et d’intégration de leurs politiques financières, budgétaires et économiques dans le cadre de l’Union européenne ».

Au total, les mesures pour la croissance, fortement reprises par F. Hollande, porteraient sur 120 milliards d’euros, soit un peu moins de 1 % du PIB européen. Ce n’est certes pas négligeable, mais on est très loin des quelques mille milliards de dollars des plans de relance des États-Unis.

Par ailleurs, si ces mesures ont une portée symbolique, il est difficile de bien en évaluer l’impact pour la croissance réelle et l’emploi, d’autant plus que, en l’état et si on laisse faire, elles seraient fortement conditionnées par l’appel au marché financier, au lieu de solliciter la création monétaire de la BCE, et par l’exigence de rentabilité financière des multinationales qui écumeront le marché unique européen et mettront la main sur des grandes infrastructures de réseau calibrées à leur intention (10).

De plus, ces investissements marcheraient de paire avec le maintien, voire l’accentuation, des politiques d’austérité nationales, notamment dans les pays d’Europe du sud où la progression du débouché et des qualifications risque alors de s’avérer très insuffisante. C’est contradictoire.

C’est dire la nécessité de lutter, non seulement pour mettre fin à l’austérité à laquelle F. Hollande a dit, dans sa campagne présidentielle, qu’il ne fallait « pas se résigner », mais aussi pour imposer que les investissements réalisés dans le cadre de ce pacte, et au-delà, s’accompagnent d’objectifs chiffrés et contrôlables de créations d’emplois et de mises en formation dans nos régions, en liaison avec des objectifs de redressement productif.

Il ne saurait y avoir d’engagement européen de la France sans que cela se traduise par des résultats positifs mesurables pour la vie des salariés, des chômeurs, des retraités, des jeunes (11) !

Car, en l’état, les projets du pacte obtenu par F. Hollande déboucheraient sur de nouveaux gâchis matériels et financiers et contribueraient à accroître la sur-accumulation de capital au niveau mondial, jusqu’à un nouvel éclatement vers 2016-2017, beaucoup plus grave que celui de 2008-2009.

Mutualisation de dettes publiques par le marché financier

La Chancelière allemande a été contrainte, dans la négociation, de faire un pas en direction des demandes d’aide d’urgence de l’Espagne et de l’Italie, sans pouvoir exiger d’eux de passer un cran supplémentaire dans les politiques d’austérité.

C’est là une reconnaissance du besoin de ne plus en rajouter dans les politiques d’austérité et, en même temps, du besoin de soutiens mutuels entre pays de la zone euro, contre la ligne affichée jusqu’ici par Berlin.

MM. Rajoy et Monti ont habilement pu bénéficier, dans ce bras de fer avec Merkel, de l’appui de F. Hollande après avoir menacé de ne pas souscrire au « pacte pour la croissance et l’emploi ».

Les mesures décidées marquent les esprits. Elles ont fait rugir les médias outre-Rhin, protestant contre la « reculade » de la chancelière qui, affirment-ils, retombera sur le dos des contribuables allemands. Cependant, aucune de ces mesures nécessite de modifier les traités, ni de créer de nouveaux instruments.

Il a été décidé, en effet, que les États qui ont du mal à se financer sur les marchés pourront faire appel au Mécanisme européen de stabilité (MES), qui sera effectif début juillet et remplacera le Fonds européen de stabilité financière (FESF). Le MES pourra acheter directement des obligations de ces États, à l’émission sur les marchés primaires et, aussi, sur les marchés secondaires.

Pour y procéder, il devra lui-même émettre des titres de dette sur les marchés. Mais, ses titres étant plus sûrs que ceux émis par des États en difficulté, car disposant de la garantie de l’État allemand notamment, il pourra emprunter à des taux d’intérêt inférieurs et refinancer les États qui ont perdu la confiance des marchés.

Il ne s’agit pas là, bien sûr, d’un mécanisme instituant des « euro-obligations », comme le demande F. Hollande, c’est-à-dire d’une mise en commun des dettes souveraines de tous les États de la zone euro pour des émissions communes sur les marchés financiers, auxquelles s’oppose, pour l’heure, A. Merkel.

Cependant, c’est un pas vers une certaine mutualisation des dettes (12) mais adossée aux marchés financiers, ce qui accentuera leur domination étouffante sur les peuples.

Tout cela aurait dû conduire à engager la rupture avec l’appel au marché financier, au lieu de la fuite en avant au service de sa domination, avec un MES à propos duquel il semblerait que F. Hollande n’ait pas même repris l’idée, naguère avancée par Sarkozy, de lui faire délivrer une licence bancaire et, ainsi, de lui permettre d’être refinancé par la BCE, au lieu de s’endetter sur le marché.

Cependant, le fait est que, s’agissant de l’Espagne et de l’Italie, A. Merkel a fini par accepter de partir du principe qu’elles auraient déjà fait suffisamment la preuve de la capacité de leur gouvernement respectif à imposer, dans la durée, à leur peuple respectif les mesures d’austérité requises pour « assainir » les comptes publics. Il leur est donc, pour l’heure, demandé de tenir impérativement le même cap pour une période indéterminée.

Mais, cette règle, désormais actée, fait qu’elle s’appliquerait strictement dans le cas où un autre État se trouverait confronté à des difficultés de financement sur le marché, au point d’être obligé de faire appel à la « solidarité » de la zone euro, comme dit F. Hollande. Certains mauvais esprits en agitent déjà le risque pour la France… y compris pour y faire accepter un plongeon « préventif » dans l’austérité.

Ce progrès de la double reconnaissance qu’il faut un soutien mutuel au sein de la zone euro et que celle-ci ne peut plus continuer la course folle à l’austérité est ambivalent puisqu’il boucle, en l’état, sur l’appel redoublé au marché financier, via le MES, et sur le recul des souverainetés populaires.

Il peut a contrario servir de point d’appui pour exiger de rompre avec la « rigueur » et la fuite en avant dans l’endettement sur ce marché. Il s’agirait, au contraire, de solliciter la création monétaire de la BCE pour qu’elle monétise une partie des dettes souveraines et pour qu’elle finance par sa création monétaire un grand essor des services publics, via l’institution d’un « Fonds social, solidaire et écologique de développement européen », comme le proposent le PCF, le PGE et le Front de gauche.

Un mécanisme unique de surveillance bancaire

Les dirigeants de la zone euro se sont accordés aussi sur le principe d’une « supervision commune des banques ». Comme l’exigeait A. Merkel, la BCE sera placée au cœur de ce mécanisme.

L’institution de Francfort voit ainsi s’élargir le périmètre de ses immenses pouvoirs. Mais cela, loin de modifier ses missions fondamentales actuelles, va accroître, en réalité, la base de ses interventions pour les faire respecter, avec un contrôle accru sur les appareils nationaux de crédit.

Rien dans ce compromis ne vise à changer la sélectivité du refinancement des banques ordinaires par la BCE. L’option ainsi ouverte pour une union bancaire future ne prétend pas changer les critères du crédit, d’autant plus que, en l’état, les banques devront se conformer aux règles prudentielles de Bâle III et, donc, accroître significativement leurs fonds propres, par appel aux marchés d’actions (13) notamment, ainsi que la rentabilité de leurs engagements.

Déjà, la perspective de mettre en œuvre ces normes a accentué la contraction du crédit bancaire dans toute la zone euro, ce qui, conjointement à l’austérité budgétaire, a précipité la récession. C’est dire, aussi, si cette orientation est contradictoire avec la recommandation faite sur le crédit par le pacte pour la croissance, citée précédemment.

Une fois le « mécanisme de surveillance unique » des banques mis en place, le MES pourra re-capitaliser directement des établissements si cela s’avère nécessaire, comme l’a demandé le gouvernement espagnol, afin que l’opération ne pèse pas sur la dette des États concernés.

Ce dispositif, dit-on, va contribuer à rompre le cercle vicieux, aujourd’hui à l’œuvre, faisant boucler dettes publiques et engagements bancaires. Mais c’est pour substituer l’endettement du MES sur le marché financier à celui de chaque État auprès des banques et institutions non bancaires via ce marché… Bref, on mutualise, mais pour continuer la même fuite en avant au service des créanciers, avec la perspective de nouveaux emballements, après une détente temporaire sur les marchés. D’où le risque que la dotation inchangée du MES (800 milliards d’euros) ne suffise pas et que les contribuables des États qui en assurent la garantie, Allemagne et France en tête, soient sollicités.

Il faudrait, au contraire, se saisir des besoins de recapitalisation des banques pour aller vers la création de pôles financiers publics nationaux, incluant des nationalisations, que l’on mettrait en réseau au niveau européen pour développer, contre les marchés financiers et la spéculation, un nouveau crédit sélectif pour les investissements matériels et de recherche des entreprises. Celui-ci, comme le propose le PCF, verrait son taux d’intérêt d’autant plus abaissé que les investissements à financer programmeraient plus d’emplois, de formations et de progrès écologiques.

Et il s’agirait, alors, d’exiger que la BCE module le taux de son refinancement pour appuyer l’essor de ce nouveau crédit. Il s’agirait aussi que, dans chaque pays, comme au niveau de l’Union, le produit d’une taxe nationale sur les profits des banques, des assurances et des fonds de placements se conjugue au produit, réparti nationalement en fonction des besoins, de la taxe européenne sur les transactions financières pour sécuriser les systèmes bancaires, sous le contrôle non seulement des parlements mais aussi des salariés, des citoyens et des élus dans les régions et à l’appui de leurs propositions.

Au lieu de cela, le sommet de Bruxelles propose une « européanisation » des pratiques bancaires qu’il voudrait conformes, tout à la fois, aux exigences de rentabilité financières et aux priorités anti-inflationnistes de la BCE… en redoublant dans l’appel au marché financier, avec la perspective d’une union bancaire dominée par les banques allemandes qui ne cessent d’accumuler d’énormes créances sur la France et toute l’Europe du sud !

Dans ces conditions, il est loisible de s’interroger sur la façon dont pratiquera la future Banque publique d’investissement, promise par F. Hollande, qui entrera dans le périmètre de la supervision européenne de la BCE. Il faudra se préparer à exiger qu’elle impulse, contre les opérations du marché financier, de nouvelles pratiques de crédit, pour l’essor de l’emploi, de la formation, des filières industrielles et qu’elle accompagne, dans les régions, sous le contrôle et avec l’intervention des salariés, des citoyens et des élus, une expansion du secteur et des services publics, au lieu de faire jouer aux régions un rôle de béquille pour les capitaux financiers dominants.

Toujours plus d’intégrations et de contrôles supranationaux

Le pacte budgétaire (TSCG) exigé par l’Allemagne a donc été accepté sans aucune renégociation et cela, notamment, parce que F. Hollande, qui avait affirmé avec force pendant sa campagne électorale qu’il entendait ne plus s’enfermer dans l’axe franco-allemand pour se tourner aussi vers l’Europe du sud, a reculé sur cette intention.

Cela ouvre la voie à ce que la Commission européenne exerce un contrôle de plus en plus intrusif sur les politiques budgétaires des États membres, tandis que serait poussée, simultanément, une intégration économique de l’Europe voulue par les multinationales, en premier chef par celles à base allemande.

Ce texte vient redoubler un ensemble de dispositions, actées par Merkel et Sarkozy fin 2011, visant à accentuer la subordination des politiques nationales aux exigences de Bruxelles et de Berlin. Il s’agit du « Two pack » qui permet à la Commission européenne de contrôler davantage les choix budgétaires nationaux.

La Belgique a déjà joué le rôle de laboratoire pour tester l’efficacité de ce dispositif et le degré de tolérance populaire qu’il requiert. En décembre 2011, la Commission a exigé que cet État revoit son budget qu’elle n’estimait pas en ligne avec l’objectif convenu de déficit public. Si la Belgique avait refusé de le faire, elle risquait une amende pouvant aller jusqu’à 0,5 % de son PIB. Elle s’est exécutée.

Le « Two pack » entend aller encore plus loin, ouvrant la possibilité à la Commission européenne d’intervenir dans l’élaboration des politiques budgétaires, y compris dans les débats parlementaires nationaux sur les projets de loi de finances, avec le droit de recaler des amendements adoptés en session si elle les considèrent contradictoires avec la « règle d’or ».

Il était question que ce « Two pack » soit adopté début juillet 2012, permettant à la Commission d’intervenir dès le mois d’octobre suivant, c’est-à-dire au moment même du débat parlementaire sur les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2013 en France.

Interrogé sur ce texte, F. Hollande s’est contenté de noter qu’il ne serait pas appliqué avant 2014…

Quoi qu’il en soit, on mesure combien, sous injonction de Berlin, pourrait être accélérée dès 2013 la marche en avant vers une intégration européenne accrue, dépossédant les peuples de toute souveraineté sur l’utilisation des financements pour mieux conformer ces derniers aux besoins des grands groupes et aux exigences de reformatage de l’Europe du sud aux normes allemandes.

Cela transparaît déjà, en France, dans le cadrage retenu pour l’élaboration du projet de loi de finances 2013 qui entend ramener le déficit public à 3 % du PIB, puis 0 % en 2017, alors même que le gouvernement a été obligé de ramener sa prévision de croissance pour l’an prochain à 1-1,3 %, contre 1,75 % initialement retenu.

Pourtant F. Hollande, dans sa campagne, avait dit vouloir œuvrer au retour de la croissance, sa priorité ; il avait même annoncé que les objectifs de déficit public ne pourraient pas être tenus sans croissance. Mais alors, pourquoi les maintenir puisque la croissance ralentit ? Surtout, comment justifier un engagement européen de la France qui détériorerait les conditions de vie et d’avenir de l’immense majorité de notre peuple. Ce n’est pas pour cela qu’une majorité de Français a voté « Hollande » le 6 mai !

On mesure, donc, l’importance des luttes qui sont appelées à se développer visant à obtenir des résultats immédiats pour l’emploi, les salaires, la formation, le « redressement productif », pour la défense et la promotion de tous les services publics, y compris les services publics locaux si décisifs, sans attendre que soit obtenu un référendum, par ailleurs nécessaire, sur le pacte budgétaire.

C’est ainsi, en pratique, que l’on s’opposera, sans attendre, à ces choix européens en faisant avancer, par la lutte et l’avancée d’idées nouvelles, des décisions antagonistes avec le fond des accords du sommet de Bruxelles, pour ouvrir la voie à des choix conformes aux attentes populaires.

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(1) Le « solde structurel annuel des administrations publiques » (État, collectivités territoriales, sécurité sociale) signifie le solde corrigé des variations conjoncturelles, déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires (article 3-3-a du TSCG).

(2) L'article 3-2 du TSCG énonce que cette règle doit entrer en vigueur « au plus tard un an après l’entrée en vigueur » de ce traité « au moyen de dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelle, ou dont le plein respect et la stricte observance tout au long des processus budgétaires nationaux sont garantis de quelque autre façon ».

(3) Une loi organique est votée par le Parlement et sert à préciser ou compléter les dispositions de la Constitution.

(4) Il n'est pas certain que cela puisse se faire car, en pratique, une loi organique peut très bien défaire ce qu'a fait une autre loi organique. C'est pour cela que le gouvernement pourrait soumettre cette proposition au Conseil constitutionnel, lequel pourrait fort bien la recaler et préconiser d'en passer par un changement constitutionnel. Celui-ci apparaitrait, alors, comme résultant d'un arbitrage de droit s'imposant à la volonté politique du Président…

(5) Déjà au sommet du G-20 de Los Cabos (Mexique), les 18 et 19 juin, les dirigeants européens avaient pu prendre la mesure des inquiétudes mondiales suscitées par la situation de la zone euro. F. Hollande y avait bien vu l'intérêt que suscitait chez le président Obama sa demande de faire de la croissance la première priorité. L'hôte de la Maison blanche entendait se saisir de ce vent nouveau soufflant d'Europe une exigence de croissance, mais dans le respect des dogmes de la stabilité financière cependant, après des années de prédominance de la « rigueur » à l'allemande, espérant ainsi une relance consécutive des exportations américaines vers l'Union européenne pour tirer l'activité encore trop hésitante aux États-unis. La déclaration finale du G-20 de Los Cabos, qui a fini par inscrire la croissance en haut de son agenda, annonce déjà la feuille de route adoptée par les dirigeants européens dix jours plus tard à Bruxelles. En effet, dans le paragraphe intitulé « La crise de la dette dans la zone euro » on peut lire : « L'adoption du pacte budgétaire et sa mise en œuvre progressive, combinées aux politiques de soutien de la croissance, aux réformes structurelles et aux mesures de stabilité financière sont des étapes importantes vers une plus grande intégration budgétaire et économique qui conduisent à des coûts d’emprunt viables ».

(6) EUCO76/12.

(7) Interview au journal Les Échos du 28 juin 2012.

(8) Amélioration du degré de sécurité des titres émis.

(9) Les Échos du 28/06/2012.

(10) Pour s'en convaincre, il suffit de lire la tribune intitulée « Pour restaurer la compétitivité, l'Europe doit favoriser l'investissement privé » (Le Monde du 26/06) rédigée par F. Barnabé (PDG de Telecom Italia), H. de Castries (PDG d’Axa), et B. Löscher (PDG de Siemens).

(11) Puisque A. Montebourg, le ministre du redressement productif, a décidé de s'entourer de 22 commissaires dans les régions françaises, pourquoi ne pas organiser l'initiative populaire sur le terrain en créant 22 collectifs régionaux de veille, d'action et de propositions, à l'appui des luttes et des attentes sur l'emploi, la formation, les salaires, le renouveau de l'industrie, avec l'implication des services publics et du secteur bancaire, pour réaliser des objectifs chiffrés expansifs, contre le chômage, les bas salaires, l'austérité et la croissance molle ?

(12) L'Espagne a obtenu que le MES perde son statut de « créancier privilégié » ou « senior ». Celui-ci faisait que, en cas de défaut de paiement de l'un de ses débiteurs, le MES devait avoir la priorité sur les créanciers ordinaires pour se faire rembourser. Cela avait fini par faire hésiter les banques, sociétés d'assurances et fonds d'investissement de posséder de la dette publique espagnole de peur de passer après le MES, en cas de défaut. L'Espagne dut supporter, alors, des taux d'intérêt assassins supérieurs à 7 % précipitant son risque de défaut et celui de faire imploser toute la zone euro.

(13) Les banques européennes qui, selon une récente étude KPMG, auraient versé en dividendes, en 2011, l'équivalent de 41 % de leurs résultats de l'exercice 2010. Par ailleurs, elles auraient renforcé leurs fonds propres de 115 milliards d'euros depuis janvier 2012 pour se porter au niveau des normes prudentielles de Bâle III (Les Échos, 2 juillet 2012).

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