Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Conférence sociale La CSG : enjeu du débat pour le financement de la protection sociale

à la faveur de l’audit de la Cour des comptes et des échanges de la Conférence sociale, la question de l’augmentation des recettes de l’État par la TVA et la CSG revient sur le devant de la scène, après avoir été l’objet d’un âpre débat lors de la mise en place de la TVA-sociale par le gouvernement Sarkozy-Fillon.
Si l’augmentation de la TVA en substitution des cotisations patronales pour le financement de la branche famille avait alors fait l’objet d’une opposition quasi consensuelle (seuls le patronat et la CGC y ayant été favorables). Actuellement, plusieurs organisations syndicales et politiques, ainsi que de nombreux responsables du gouvernement Ayrault, émettent l’hypothèse d’une hausse de la CSG aux motifs qu’elle serait plus juste car plus partagée avec les revenus du capital, et plus efficiente car avec une base taxable plus large. Ce n’est pas notre position.

CSG - TVA même combat

Pourtant la question posée par la CSG est de même nature que celle induite par la TVA.
L’une comme l’autre sont justifiées avec les mêmes arguments. Premièrement, les prestations de sécurité sociale sont désormais universelles, alors pourquoi ne pas les faire relever de la solidarité nationale – et donc de l’impôt – censée être plus juste ? Deuxièmement, assises sur les salaires, les cotisations sociales pèseraient sur le coût du travail et la compétitivité des entreprises, ce qui contribuerait à maintenir un taux de chômage élevé. La fiscalisation du financement de la sécurité sociale permettrait alors aux entreprises d’améliorer leur compétitivité et de lutter contre le chômage. Et l’une comme l’autre constituent une méthode de transfert des cotisations patronales sur l’impôt.

Des arguments qui ne tiennent pas plus aujourd’hui qu’hier, et qui justifient encore le vote par le PCF de la motion de censure déposée par la droite en 1991 lors de la création de la CSG par le gouvernement Rocard.

Les cotisations sociales, et plus généralement le coût du travail, ne pèsent pas sur la compétitivité des entreprises

Le rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale de juin 2010 qui traite de la comparaison France/Allemagne sur la période 2000-2008 le démontre clairement. « Le salaire brut annuel moyen des salariés de l’industrie et des services est largement plus élevé en Allemagne qu’en France (en 2008, 43 942 euros contre 32 826 euros, soit un différentiel de 34 %). L’écart se réduit mais reste substantiel au niveau du coût du travail annuel par salarié (52 458 euros contre 46 711 euros, soit 12 % de différence). Il est sensiblement plus faible, mais toujours positif, pour le revenu net après impôt (25 167 euros contre 23 694 euros, soit 6 %). Au final, le coin socialo-fiscal (c’est-à-dire la part des prélèvements sociaux et de l’impôt sur le revenu dans le coût du travail) est supérieur en Allemagne qu’en France. En rapportant le coût annuel du travail pour les seuls travailleurs à temps plein au nombre d’heures effectivement travaillées, le coût horaire du travail au niveau du salaire moyen demeure supérieur en Allemagne (24,6 euros contre 23,6 euros) ». Pourtant, sur la période, cela n’a pas empêché les entreprises françaises de perdre des marchés face à l’Allemagne et le solde de la balance commerciale de se dégrader progressivement. Ce recul des entreprises françaises démontre bien que la question du coût du travail, et donc des cotisations sociales patronales, n’est pas le cœur du différentiel de compétitivité entre l’Allemagne et la France.

Un constat validé d’une autre façon par la Cour des comptes dans son rapport de 2009, stipulant l’inefficacité des exonérations de cotisations sociale sur l’emploi et démontrant implicitement que la baisse du coût du travail n’est pas facteur de dynamique économique pour les entreprises. Et partagé aussi par le rapport 2012 de l’OIT sur l’emploi dans le monde intitulé « De meilleurs emplois pour une meilleure croissance » qui, à partir de ses propres travaux, constate sans ambages « qu’il n’y a pas de lien avéré entre la déréglementation de l’emploi et la compétitivité des entreprises ».

La CSG moteur de la fiscalisation du financement de la sécurité sociale

Pour contourner le mode de financement assis sur la cotisation sociale et travailler à la réduction de la part de la cotisation sociale dans le financement de la protection sociale, les partisans de la fiscalité ont opéré de façon très progressive. D’abord en élargissant l’assiette des cotisations sociales. Puis en créant de nouvelles taxes et impôts sur les produits directement affectés aux recettes de la sécurité sociale au nom de la solidarité. Pour enfin créer une contribution proportionnelle sur tous les revenus.

Un processus qui a contribué à la mise en place de la CSG sur la base d’un double argument développé dans la plupart des rapports officiels qui émaillent les années 1980 (1). Selon ces auteurs, il serait injuste et inefficace que des prestations sociales qui touchent tout le monde ne soient financées que par les salariés. Une cotisation proportionnelle au revenu assurerait un prélèvement plus équitable et serait d’un rendement plus efficient puisqu’il toucherait tous les ménages. D’autre part, il serait nécessaire de mettre en cohérence la nature du financement de la prestation et sa finalité, à savoir qu’à une logique de solidarité non professionnelle doit correspondre un financement non professionnel. Une vieille revendication patronale concernant les prestations familiales. La CSG apparaissant ainsi comme l’instrument qui permet à la fois de remplacer la cotisation sociale et de financer les prestations non contributives.

Or là encore, ces arguments ne tiennent pas.

L’argument de justice et d’universalité avancé pour justifier la fiscalisation est contradictoire avec les principes de la sécurité sociale. Alors que son principe général posait que chacun doit contribuer selon ses moyens et recevoir selon ses besoins, l’argument de la fiscalisation invoque un principe de justice et d’universalité pour imposer un effort, une participation de chacun au financement de la sécurité sociale, sans se soucier de sa capacité contributive. Une rupture de justice et d’universalité d’autant plus marquée que 90 % du financement de la CSG sont assurés par les revenus du travail. Les revenus financiers et du patrimoine des ménages n’y abondant qu’à hauteur de 10 %.

C’est, sur le fond, une remise en cause du principe de solidarité des travailleurs développé par les fondateurs de la sécurité sociale qui s’appuie sur une mutualisation de la richesse produite par les travailleurs. Au profit d’une solidarité nationale et donc d’État qui s’appuie sur une mutualisation des revenus d’activité, avec en filigrane l’idée que les entreprises doivent être dégagées des contraintes du financement de la protection sociale.

Quant à l’argument de non-contributivité des prestations, il a lui aussi démontré toute son ambiguïté. Fondé sur un arbitraire idéologique relatif aux prestations familiales (les prestations familiales ne relèvent pas de l’entreprise), il s’est très vite dilué dans une stratégie d’élargissement du champ de financement de la CSG à l’ensemble des prestations de la sécurité sociale pour abonder les recettes de la sécurité sociale sans augmenter le niveau des cotisations sociales (2).

Or c’est justement cet élargissement du champ de financement de la CSG de la famille, à la retraite puis à la maladie, qui a permis de déconnecter le lien entre financement et nature des prestations sociales. Dès lors qu’elles ne sont plus financées par des cotisations mais par la CSG, les prestations reçues ne peuvent plus en effet être considérées comme contributives. Ce qui réduit la part du financement socialisé de la sécurité sociale et renforce à chaque fois un peu plus la tendance à l’individualisation du financement de la protection sociale. Un mouvement qui construit progressivement le changement de nature des branches maladie et famille de la sécurité sociale, en les faisant basculer vers la solidarité nationale et un pilotage essentiellement étatisé, avec tous les risques en termes de budget et de rationnement de l’intervention sociale que cela comporte.

De sorte qu’au final, la CSG est devenue une forme nouvelle de prélèvement obligatoire en France. Portant sur les revenus du travail, de remplacement et du patrimoine, elle est proportionnelle, prélevée à la source par les URSAFF et touche aussi les revenus exonérés des ménages (contrairement aux impôts sur les revenus), avec un rendement puissant. Non contributive, elle n’ouvre pas droit à prestations, contrairement à la cotisation sociale, et est donc comptabilisée comme un impôt (3). Au point que beaucoup y voient d’ailleurs l’impôt de demain permettant, au-delà d’une réforme du financement de la sécurité sociale, les prémices d’une réforme fiscale d’ensemble. Même si aujourd’hui la CSG est un impôt affecté.

Une CSG sur les revenus financiers ?

On peut alors s’interroger sur l’opportunité des propositions circulant aujourd’hui dans le mouvement syndical qui militent en faveur d’un glissement de la CSG des ménages vers les entreprises (une CSG sur les revenus financiers des entreprises et des ménages). Car sans résoudre les problèmes soulevés par la CSG, l’institutionnalisation d’une CSG sur les revenus financiers en crée de nouveaux.

  • D’abord, parce qu’elle appuierait le mouvement de fiscalisation des recettes de la sécurité sociale, qui joue contre le financement par la cotisation sociale. Bien que mettant à contribution les entreprises, elle concourrait indirectement à l’amplification de la politique de « réduction des charges patronales » et de baisse du coût du travail. Ce qui renforcerait le principe d’une étatisation du financement de la sécurité sociale et délégitimerait d’autant la représentation syndicale dans les conseils d’administration des caisses de sécurité sociale. Renvoyant toujours plus loin le retour des élections dans les organismes sociaux.
  • Ensuite, parce qu’elle renforcerait implicitement le pouvoir du patronat, du capital et des actionnaires dans la gouvernance de la sécurité sociale, et en particulier sur l’utilisation de l’argent ainsi prélevé non sur la richesse produite par le travail dans l’entreprise, mais sur leur revenu, fût-il financier. Comment en effet croire que ce prélèvement ne sera pas l’occasion pour le capital d’exiger un droit de regard sur la façon dont cet argent est utilisé et vers quel type de prestation il doit être orienté ? On connaît l’appétit des marchés et investisseurs financiers pour cette manne que représente le budget de la sécurité sociale et leurs efforts pour le récupérer.
  • Mais plus grave encore, elle contribuerait aussi de manière contradictoire à pérenniser les logiques de financiarisation de l’activité économique, pourtant opposées au développement des capacités humaines et donc au développement de la cotisation sociale, et à l’origine des déséquilibres financiers des comptes de la Sécurité sociale. Elle ferait alors le lit de la concurrence entre les recettes de cotisation sociale et celles de la fiscalité, en fabriquant la légitimité de la financiarisation de l’économie, au lieu de la combattre, au nom de la protection sociale et d’une réponse aux besoins sociaux !
  • Enfin, et c’est pas le moindre des effets, cela agrandirait le chemin vers la refonte d’une fiscalité des entreprises organisant la fusion de l’ensemble des impôts qui les concernent, élargissant ainsi le chemin vers un prélèvement fiscal à la source. Une première étape de la fusion fiscale avant sa généralisation à la fiscalité des ménages qui ferait alors sauter la spécificité d’impôt affecté de la CSG avec, pour effet collatéral, la réduction à terme du financement de la sécurité sociale.

Si on mesure bien la volonté juste de faire contribuer les actifs financiers à la protection sociale derrière la proposition, ne serait-il pas plus simple d’imposer une cotisation sociale patronale sur les revenus financiers des entreprises et une cotisation sociale additionnelle sur les revenus financiers des ménages en leur appliquant les taux de cotisation sociale imputés au travail ?

Poser les fondamentaux

Sur le fond, ce débat sur la CSG et la fiscalisation montre bien que le choix de financement de notre système de sécurité sociale est au cœur du débat sur l’avenir de notre système de protection sociale. Que les caractéristiques de ce choix répondent à un choix de société.

Lorsqu’en 1945, sous l’impulsion du PCF, le gouvernement provisoire met en place la sécurité sociale et assoit son financement sur la cotisation sociale, il pose le principe d’une mutualisation d’une partie de la richesse produite dans l’entreprise par le travail et en calcule le montant à partir des salaires versés. En procédant ainsi, il affirme deux choses capitales :

  • Une partie de la valeur ajoutée produite par les salariés, sans être affectée aux salaires, devra être soustraite du profit des entreprises pour servir au financement de la réponse socialisée aux besoins sociaux, indépendamment de l’État et de la négociation collective.
  • Le niveau de cette appropriation sociale est fonction de l’emploi et de la masse salariale versée dans les entreprises, qui lui servent de base de calcul.

C’est-à-dire, d’abord, que le financement de la sécurité sociale est au cœur de la bataille de classe pour l’appropriation des richesses. Ensuite, que ce financement s’inscrit dans une dynamique économique qui lui assure une croissance régulière. Enfin, que l’emploi et le salaire sont le levier de ce financement. La cotisation sociale étant le cœur de tout le dispositif.

L’ambition était globale. Elle visait à sortir les travailleurs du pays des aléas de la perte de revenu autant qu’à répondre aux besoins de développement de la société française en assurant une réponse aux besoins sociaux à partir de la richesse produite dans les entreprises qui ne serait plus donnée au profit. Et cela par les travailleurs eux-mêmes.

Pas surprenant donc que le patronat ait fait de la remise en cause du financement socialisé de la sécurité sociale un cheval de bataille et de la suppression de la cotisation sociale sa cible.

Malheureusement, la crise systémique actuelle lui permet aujourd’hui d’enfoncer les digues et de gagner du terrain. L’argument des déséquilibres financiers des comptes de la sécurité sociale tourne à plein régime. La montée des licenciements, la baisse de la masse salariale dans la valeur ajoutée et la réduction de la dépense publique lui apporte toute l’eau nécessaire. Et c’est sur le biais de la fiscalisation des recettes de la Sécurité sociale qu’il entend s’appuyer.

Cette bataille contre la fiscalisation de la sécurité sociale et pour un financement dynamique à partir d’une réforme de progrès et d’efficacité des cotisations sociales est donc capitale pour l’avenir de notre système de protection sociale.

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(1) Livre blanc de la protection sociale conforté par le ixe plan, Rapport Louvot (1986), Rapport du Comité des sages (1987), avant-projet du rapport sur la sécurité sociale (CES), Y. Chotard (1988)...

(2) Petite chronologie :

– 1991, le gouvernement Rocard crée la CSG avec un prélèvement à 1 % sur les revenus du travail et de remplacement destiné au financement de la branche famille.

– 1993, le gouvernement Balladur augmente la CSG de 1,3 point pour financer les dépenses vieillesse.

– 1995, le gouvernement Juppé fait passer la CSG de 2,4 % à 3,4 % en élargissant son assiette au point de lui donner un rendement supérieur à celui de la cotisation sociale, et affecte ce financement à l’assurance maladie en contrepartie d’une baisse de cotisation sociale salariée.

– 1998, le gouvernement Jospin poursuit le basculement de la cotisation vers la CSG. Le taux de CSG passe de 3,4 % à 7,5 % sur les revenus d’activité, du capital et des jeux, et à 6,2 % sur les revenus de remplacement, tandis que les taux de cotisation maladie des assurés sont simultanément diminués de 4,75 points sur les revenus d’activité et de 2,8 points sur les revenus de remplacement. La CSG rapporte alors 336 milliards de francs en 1998 et devient ainsi le premier impôt direct.

– 2004, avec le plan Douste-Blazy pour l’assurance maladie, la CSG est une nouvelle fois augmentée, son assiette sur les revenus d’activité des salariés passe de 95 % à 97 %, et le taux appliqué aux retraités, chômeurs et bénéficiaires d’une pension d’invalidité augmente de 0,4 %, le situant désormais à 6,6 % de leurs revenus.

(3) Cf. Décision du Conseil constitutionnel du 28-02-1990 et arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 15-02-2000.

 

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