Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil
 
 
 
 

Chômage, emploi, changer vraiment !

Dans un contexte de ralentissement de la croissance, le taux de chômage atteint 10 % des actifs. Une hausse qui s’accompagne désormais d’une chute des créations d’emploi.

Alors que l’ampleur de cette catastrophe sociale appelle des mesures fortes et structurantes, on est frappé par la faiblesse de réaction du nouveau gouvernement, masqué derrière le paravent du redressement productif, empêtré dans les contradictions de sa politique d’austérité.

Les français en ont fait leur problème numéro 1 lors de la présidentielle et des législatives. à juste titre. La livraison de juin des dernières statistiques du chômage et de l’emploi par l’INSEE pour le premier trimestre 2012 confirme sa note de conjoncture d’octobre 2011 et les prévisions de l’OCDE de novembre 2011. Avec une hausse continue du nombre d’inscrits à Pôle emploi (+5,8 % sur un an), le taux de chômage en France (BIT) atteint désormais 10 % de la population active (graph. 1), en hausse de 0,3 % (après une hausse de 0,1 % au dernier trimestre 2011), jetant au chômage 86 000 personnes de plus en 3 mois.

Selon l’institution publique, en France métropolitaine, 2,746 millions de personnes étaient au chômage au 1er trimestre 2012. Un record qui dépasse le pic de 2009 consécutif à la crise financière, et pour lequel il faut remonter à 1999 pour trouver un équivalent. Néanmoins, en incluant l’ensemble des personnes recherchant un emploi à temps complet mais ayant travaillé au moins une heure durant la semaine de référence ou n’étant pas disponible immédiatement, c’est en réalité un total de 3,7 millions de personnes qui sont aujourd’hui au chômage et qui souhaiteraient travailler.

Un état de fait qui touche en proportion équivalente hommes et femmes : les deux représentent chacun 9,6 % du taux de chômage, mais avec des dynamiques inverses. Le taux de chômage des femmes diminuant de 0,2 % sur la période tandis que celui des hommes s’accroît de 1 %.

Reste qu’une fois encore, si c’est sur la tranche des 25-49 ans que le taux de chômage progresse le plus vite (+0,3 % pour un taux de chômage de 8,9 % de la population active de cette tranche d’âge), ce sont les jeunes et les seniors qui sont les plus impactés. Avec une hausse pour tous les deux de 0,2 % sur le trimestre, le taux de chômage des 15-24 ans atteint 22,5 % (son record de 1999) représentant 630 000 jeunes au chômage et le taux de chômage des 50 ans et plus grimpe à 6,6 % (là encore un record depuis 1999), soit 498 000 personnes. Une mécanique discriminatoire amplifiée aussi par l’allongement de la durée de chômage. Alors que selon l’Observatoire des inégalités (1), « les 2,6 millions de chômeurs recensés en 2010 étaient sans emploi depuis 13,3 mois en moyenne. 18,1 % d’entre eux étaient sans activité professionnelle depuis plus de deux années. » Les chômeurs de plus de 50 ans étaient au chômage en moyenne depuis 19,5 mois. 30 % d’entre eux depuis plus de deux ans. Pour le million de jeunes sans emploi, la moyenne d’ancienneté au chômage s’élevait à 9,5 mois et 11,5 % étaient dans cette situation depuis plus de deux ans.

 

Une évolution du chômage d’autant plus préoccupante qu’elle se double d’une inflexion très nette de l’évolution des emplois créés, qui, en l’état, ne devrait pas s’inverser durant le 1er semestre 2012 au moins.

Cette évolution haussière du taux de chômage s’accompagne en effet d’une évolution baissière du taux d’emploi (2) sur l’ensemble du territoire national au 1er trimestre 2012 (graph.2) prolongeant le mouvement amorcé en 2011 de réduction du nombre d’emplois créés dans l’économie (-40 % entre 2010 et 2011). Le taux d’emploi des 15-64 ans perd  ainsi 0,1 point sur le premier trimestre pour atteindre 63,8 % (59,3 % lorsque ce taux est calculé en équivalent temps plein).

Un mouvement de baisse très marqué pour les classes d’âge d’actifs de moins de 50 ans. Ainsi, depuis le premier trimestre 2007, le taux d’emploi des actifs de 15 à 24 ans à baissé de 1 point, 30,3 % au T1 2007 contre 29,3 % au T1 2012, et celui des 25-49 ans a chuté de 1,1 point passant sur la période de 82 % à 80,9 %.

Quant au taux d’emploi des plus de 50 ans, il subit les effets contradictoires de la réforme Sarkozy des retraites entrée en vigueur en juillet 2011. Puisque l’âge de la retraite a été repoussé de 60 à 62 ans, le nombre de personnes de plus de 50 ans en activité a augmenté. De sorte que le taux d’emploi des seniors a progressé vivement sur le 1er trimestre 2012 (de 42,7 % à 43,3 %). Mais sans que cela enraye la hausse du chômage de cette classe d’âge poussée vers la sortie par des entreprises en recherche de profitabilité.

Une évolution d’ensemble confirmée par la baisse des embauches de plus d’un mois comptabilisée par les statistiques de la sécurité sociale (3). Au premier trimestre 2012, pour le second trimestre consécutif, les embauches de plus d’un mois hors intérim reculent nettement : -4 % après -2,5 % au 4e trimestre 2011. Un ralentissement expliqué autant par la baisse conjointe des embauches en CDI (-5,2 %) que par celle des CDD de plus d’un mois (-2,9 %).

Plus problématique encore, ce repli des embauches de plus d’un mois sur le premier trimestre 2012 s’observe quelle que soit la taille des entreprises. Il est de -3,9 % dans les entreprises de moins de 20 salariés et de -4,1 % dans les entreprises de plus de 20 salariés. Et il se retrouve quel que soit le secteur d’activité et dans la majeure partie des régions françaises. Mais avec un repli très prononcé dans l’industrie (-9,8 %), qui poursuit sa chute des embauches initiée en décembre 2000 (-11,2 % sur l’année 2011), et dans le BTP (-6,5 %), et dans une moindre mesure dans le tertiaire (-2,8 %), bien que les secteurs des télécoms (-15,3 %), des activités informatiques (-12,9 %) et de l’immobilier (-9,9 %) soient très concernés.

Par ailleurs, on notera a contrario que les embauches en CDD de moins d’un mois se sont renforcées sur le trimestre (+2,1 %), en particulier dans les entreprises de plus de 20 salariés (+3 %). Ces embauches particulièrement précaires représentent les 2/3 des 5 184 000 déclarations d’embauche du premier trimestre 2012. Et si l’on devait ajouter les CDD de plus d’un mois, il ressort que la part des embauches précaires représente 84,4 % des embauches du premier trimestre 2012 ! Soit le fait qu’un peu plus de 4 sorties du chômage sur 5 sont dorénavant faites sur des emplois précaires.

Un état des lieux inquiétant dans un contexte de ralentissement notable de la croissance et de probable récession sur l’ensemble du 1er semestre 2011, qui révèle une situation délétère du tissu entrepreneurial français.

Les chiffres provisoires de créations nettes de l’emploi diffusées par l’INSEE en mai dernier avaient surpris. D’autant que celles-ci s’accompagnaient d’un ralentissement du nombre des plans de sauvegarde de l’emploi (seulement 217 sur le premier trimestre, soit -22 % par rapport au 1er trimestre 2011 dans une conjoncture plus dégradée). Mais une fois passé le souffle de l’élection présidentielle, le mouvement de désagrégation de l’appareil productif a repris de plus belle. En cohérence avec la dégradation des prévisions de croissance. Les plans sociaux « mis au congélateur » reviennent sur le devant de la scène. Et une vague de fermetures d’usines se dessine.

Alors que l’INSEE table désormais sur un minimum de 61 000 suppressions d’emplois pour le premier semestre 2012, on compte sur les 5 premiers mois de l’année une augmentation de 47 % du nombre de fermetures de sites industriels (+112) par rapport à 2011. 16 200 défaillances d’entreprises ont été enregistrées sur le seul premier trimestre 2012. Et la Coface envisage une hausse de 4 % de ces défaillances pour 2012, sur la base d’une croissance faible de l’économie à 0,3 %. Un niveau de défaillance supérieur à celui observé depuis 2009 où 900 usines de plus de 400 salariés avaient fermé.

Des prévisions qui font largement écho à la liste noire des 45 000 emplois de groupes identifiés sur la sellette déposée sur le bureau du gouvernement par la CGT au début du mois de juin. Et dont chacun s’accorde à penser qu’elle serait plutôt de l’ordre de 100 000 emplois en danger. Alors même que la machine à rupture conventionnelle marche déjà à plein régime, supplantant de fait les plans de sauvegarde de l’emploi (-20 % de PSE sur les 4 premiers mois de 2012 par rapport à ceux de 2011). Après 255 000 ruptures homologuées en 2010, 288 988 ruptures ont été enregistrées en 2011. Soit une hausse de 12,9 %. Un rythme frénétique qui se poursuit sur le premier semestre 2012 avec 24 000 ruptures conventionnelles validées en moyenne par mois. Ce sont les petites entreprises de moins de 50 salariés qui utilisent le plus fréquemment ce dispositif relevant d’une flexicurité à la française, avec les trois-quarts des ruptures conventionnelles dans ces PME au premier semestre 2011. Depuis son entrée en vigueur en août 2008, ce dispositif représente le troisième motif de rupture de contrats à durée indéterminée (CDI), avec 811 800 ruptures validées (données fin avril 2012). Soit plus que le nombre d’emplois industriels supprimés depuis 10 ans !

Face à l’ampleur de cette catastrophe sociale qui se déroule sous nos yeux, on s’étonne alors de la faiblesse de réaction du nouveau gouvernement.

Interpellé sur l’urgence de la situation début juin (4), le ministre du travail, M. Sapin, évoquait « la nécessité d’agir à deux grands niveaux » contre le chômage : « la croissance et les outils », tels que « le contrat de génération », les « emplois d’avenir » et la suppression de l’exonération sur les heures supplémentaires. Et sans attendre la conférence sociale des 9 et 10 juillet, il annonçait la mobilisation de tous les moyens disponibles pour financer davantage les « contrats aidés » sur le second semestre et des moyens supplémentaires pour Pôle emploi. Soit, ni plus ni moins que la panoplie actualisée des outils traditionnels de la politique publique de gestion sociale du chômage et de la précarité, accompagnée de la rituelle invocation magique du retour de la croissance (5).

Dans la continuité, les annonces du ministre du redressement productif, A. Montebourg, pour un « plan de reconquête industrielle » interrogent. Alors qu’une relance de l’industrie en France digne de ce nom impliquerait une lutte politique acharnée contre la captation de la valeur ajoutée industrielle par les marchés financiers combinée à une mobilisation sans précédent de moyens financiers nationaux et européens publics et privés en faveur d’investissements massifs dans l’appareil productif, dans la recherche et le développement, dans la formation et le développement des emplois qualifiés, et bien évidemment dans le développement des salaires, les mesures proposées, toutes institutionnelles, font l’effet d’un cautère sur une jambe de bois.

Certes, les contenus précis du plan ministériel de relance industrielle ne sont pas encore dévoilés. Mais on peut d’ores et déjà en définir les lignes directrices par la circulaire qui a sis les très médiatiques 22 « mini-Ciri régionaux ». Focalisés sur les entreprises de moins de 400 salariés (6), ces mini-Ciri installent dans chacune des 22 régions françaises un commissaire au redressement productif. Sous l’autorité du Préfet de région, en étroite relation avec le Président du conseil régional, et épaulé par « des collaborateurs ayant une solide connaissance du tissu économique » (sic !), ce commissaire aura deux missions principales :

– Animer une cellule régionale de veille et d’alerte précoce des difficultés des entreprises de la région.

– Soutenir les entreprises dans leurs difficultés, « de concert avec les mandataires de justice », pour proposer des solutions globales et pérennes pour les entreprises en difficulté de moins de 400 salariés, « en dialogue avec les actionnaires, les banques, les créanciers, leurs clients et fournisseurs, ainsi qu’avec la Banque de France. Ils formuleront des recommandations en matière de mobilisation de dispositifs publics de soutien aux entreprises, voire d’étalements fiscaux ».

En d’autres termes, et avec l’exclusion notable des salariés de la table de discussion, un dispositif qui institutionnalise sous l’autorité de l’État des structures qui existaient déjà bon an mal an sous des formes différentes, et qui aura pour objectif dans les faits de poursuivre, à ce jour sans moyens financiers nouveaux, la politique de gestion en aval des dégâts de la désindustrialisation et de la crise. Mais pas de l’enrayer.

Force est donc de constater que le dispositif passe à côté des difficultés véritables des PME.

Il ne répond pas aux difficultés qu’elles rencontrent pour satisfaire leurs besoins de financement courant, c’est-à-dire avant d’être en difficulté. Aucun instrument de régulation permettant un financement efficace des PME en amont de leurs rapports avec leurs créanciers n’est clairement envisagé. Aucune mesure portant sur une utilisation des Fonds régionaux pour l’emploi et la formation qui existent dans la plupart des régions n’est envisagée pour appuyer une vision proprement stratégique du développement régionalisé des PME et de l’emploi. Aucune direction n’est donnée quant à l’utilisation des fonds publics locaux pour une mobilisation socialement efficace du crédit en faveur des PME et de l’emploi local. Pourtant, 73 % des PME constatent un durcissement d’au moins une des conditions de financement par leur banque (7) et 31 % sont affectées par des difficultés de trésorerie ou de financement dans leur gestion courante, faisant à dire à 56 % d’entre elles qu’elles sont inquiètes pour leur activité en 2012.

Il ne répond pas non plus aux effets sur la capacité d’épargne des PME de la hausse des revenus financiers prélevés par leurs créanciers et actionnaires, ni aux rapports de domination existant entre les PME et leurs donneurs d’ordres, qui pèsent lourdement sur les résultats d’exploitation des PME, sur leurs capacités d’investissement et sur leurs salariés.

On ne peut donc que déplorer que les mesures portées aujourd’hui par la gauche au pouvoir ne prennent pas la pleine mesure de l’enjeu de la situation actuelle. Un aveuglement qui la conduit à opérer des décisions déconnectées de la réalité des besoins économiques et sociaux, figées dans l’austérité budgétaire et sociale. Comme celle, pitoyable, d’un coup de pouce au SMIC de 6,6 euros mensuel, une revalorisation « particulièrement mesurée, compte tenu de la situation économique difficile et de la fragilité des entreprises, notamment les plus petites » (8). Alors même que la chute du pouvoir d’achat dans les pays européens est au cœur de la récession européenne et du ralentissement de la croissance de l’économie mondiale. Ou encore celle, inconsciente, d’appuyer dans les faits (mais pas en parole - sic !) l’abandon du site de PSA Aulnay aux appétits des actionnaires et créanciers de l’entreprise, qui supprimera les 3 300 postes de travail du site pour dégager du cash au moindre coût financier pour des opérations de restructuration de la filière sur des productions low cost sans égratigner le siphonnage de la richesse par les marchés (588 millions d’euros de bénéfices en 2011). Alors même, là encore, que chacun s’accorde désormais à dire que sans renforcement en emplois et en capacités réelles de production de l’industrie nationale, il ne pourra y avoir de sortie solide pour la France vers une croissance durable.

Une situation qui renforce l’importance des propositions portées par le PCF et le programme du Front de gauche « l’Humain d’abord », avançant la nécessaire réforme du crédit à l’investissement à opérer par la constitution d’un pôle public financier et la mise en place d’une sécurité d’emploi et de formation pour éradiquer le chômage et ouvrir la voie à un dépassement du marché du travail.

----------------

(1) « La durée du chômage selon le sexe et l’âge », Observatoire de l’inégalité, article en ligne du 22 mai 2012.

(2) Le taux d'emploi d'une classe d'individus est calculé en rapportant le nombre d'individus de la classe ayant un emploi au nombre total d'individus dans la classe. Il peut être calculé sur l'ensemble de la population d'un pays, mais on se limite le plus souvent à la population en âge de travailler (généralement définie, en comparaison internationale, comme les personnes âgées de 15 à 64 ans), ou à une sous-catégorie de la population en âge de travailler (femmes de 25 à 29 ans par exemple).

(3) Note de conjoncture de l'ACOSS n°149 d'avril 2012.

(4) Les Échos, le 6 juin 2012.

(5) Un appel à la croissance sans précisions sur les contenus de cette croissance qui pose par ailleurs de lourdes questions, dans la mesure où chacun sait qu'elle est synonyme chez les libéraux en France et en Europe, et dans les traités européens, de réformes de structures visant à la fois à réduire le coût du travail et flexibiliser l’emploi au motif de compétitivité, et à réduire le niveau de la dépense publique afin de réduire les  déficits et la dette publics. Des réformes déjà engagées en Europe, qui sont à l’origine des dégâts sociaux qui font exploser le chômage et reculer l’emploi.

(6) Le Comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) ne s’occupe que des entreprises industrielles de plus de 400 salariés.

(7) Baromètre KPMG du 18 juin 2012 sur le financement et l’accès au crédit.

(8) Relevé de décisions du Conseil des ministres du 27 juin 2012, rubrique revalorisation du SMIC.

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.