Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L'emploi :le grand vide

S’il est une caractéristique à retenir du projet socialiste, c’est qu’à force d’être rediscuté, à force de « synthèse » et de compromis entre tous les courants du PS, son contenu final après trois versions rendues publiques s’est appauvri au point d’accoucher d’une souris. Pour un projet présidentiel qui a l’ambition d’être l’outil d’un « nouveau départ » (p.3) pour la France, prenant acte « des impasses du libre échange sans limites » (p. 3) et ouvrant la voie à « un changement de civilisation » (p. 19), on reste sur sa faim.

En matière d’emploi et de lutte contre le chômage, dire que ce projet est indigent est un euphémisme. Plombés par un cadre général d’acceptation de la contrainte européenne et la soumission au principe indépassable de compétitivité-salariale des entreprises, les enjeux de l’emploi y sont traités à la marge. Alors que cette question est au cœur des préoccupations

Force est de constater que ce projet socialiste pour 2012 en faveur de l’emploi est bien en deçà des ambitions affichées auxquelles nous avaient habitués les caciques du PS.

Il était de tradition par exemple de chiffrer les objectifs en maProjet socitière de lutte contre le chômage. C’était le cas en 2002, où la question de l’emploi était avancée comme la plus importante, et où le projet d’alors promettait le retour au plein-emploi pour 2010. Un plein-emploi en phase avec un « taux de chômage naturel » de l’économie française estimé à 5 %, comme le posent les économistes libéraux.

Dans ce nouveau projet rien de cela. Tout objectif chiffré de baisse du chômage a disparu. A peine avancet-on un taux de chômage de la France supérieur à la moyenne européenne, qui laisserait d’ailleurs entendre qu’on se contenterait bien d’un retour à ce niveau.

Quant aux objectifs de création d’emplois ferme, ils n’existent pas. D’ailleurs, si on ne retient que ce qui est mis en avant dans le document (les 30 propositions et les points soulignés dans le texte), seulement cinq propositions identifiées sont annoncées pour créer ou maintenir les emplois dans le contexte de crise actuel et pour redynamiser les salaires des Français. Et 3 propositions sont mises en exergue dans le corps du texte.

Sur l’emploi

Proposition 4 : création de 300 000 emplois d’avenir sur 5 ans sur le modèle des emplois jeunes et financés par un redéploiement des fonds destinés actuellement aux heures supplémentaires.

Si aucune précision n’est apportée sur les caractéristiques de ces emplois particuliers, l’expérience des emplois jeunes auxquels ils font référence en dessine les limites. Destinés aux domaines social et environnemental, ces emplois d’avenir resteront des emplois précaires contribuant à la baisse des coûts salariaux et à l’insécurisation professionnelle. Ils n’offriront pas le rebond nécessaire à la dynamisation de la demande et de l’économie, autant par l’insuffisance de leur nombre (200 000 de moins que les emplois jeunes de 1998) que par le volume des fonds affectés (4,5 milliards d’euros par an, soit en moyenne 15 000 euros par an et par contrat d’avenir). En outre, ils sont assis sur des circuits de financement publics précaires la réduction des heures supplémentaires dans l’entreprise suite à la crise pourrait fragiliser la pérennité de leurs financements.

à l’opposé de cette mise en opposition, nos propositions pour les jeunes visent, non seulement, à instaurer un contrat de sécurisation avec deux volets (emploi et qualification), mais aussi à imposer aux entreprises un quota chiffré d’embauches de jeunes, défini à partir d’inventaires de besoins élaborés dans les conférences régionales et nationales de l’emploi et de la formation.

Ainsi que la prise en charge de ces jeunes par un service public de sécurisation, permettant un suivi de chaque jeune dès la sortie de sa scolarité et s’appuyant sur des moyens publics renforcés pour la formation et l’insertion dans l’emploi.

Proposition 5 : renchérissement du coût des licenciements collectifs pour les entreprises qui versent des dividendes ou rachètent leurs actions

Cette proposition, pas négative en soi en apparence, bien que très imprécise, reste un pis-aller des politiques de lutte contre les licenciements abusifs.

Tout d’abord parce qu’elle se cantonne à un nombre restreint d’entreprises (par leurs effectifs, 60 % d’entre elles restent en-deçà des seuils de déclenchement des licenciements collectifs). Ensuite, cette proposition fait l’impasse sur les évolutions du droit du licenciement qui a introduit le « licenciement de gré à gré » par la rupture conventionnelle du contrat de travail ; nouvelle modalité de rupture du contrat de travail qui constitue aujourd’hui la majorité des causes de rupture du contrat, masque dans les entreprises de taille moyenne des licenciements collectifs et rend de fait caduque la portée de la mesure. En outre, cette mesure de lutte contre les licenciements abusifs ne remet pas en cause les autres modalités de licenciement abusif (licenciement par anticipation des difficultés économiques par exemple), ni les règles de gestion et de comptabilité qui les permettent (règle du bénéfice mondial consolidé, comptabilité off shore…).

Enfin, et c’est là l’essentiel, faire payer plus les entreprises qui licencie abusivement, c’est admettre le principe de ces licenciements là où il faudrait l’interdire et encourager la déresponsabilisation des entreprises qui le pratiquent. Et c’est implicitement fermer la porte à toute alternative de gestion de l’emploi dans l’entreprise qui ne soit pas fondée sur la valorisation du capital par la baisse des coûts salariaux. En fin de compte, l’esprit même de cette mesure confirme la sanctuarisation des choix de gestion de l’entreprise à l’espace de son conseil d’administration. L’entreprise resterait ainsi une affaire privée. L’espace public n’étant là que pour gérer au mieux de son intérêt financier les dégâts collatéraux de ces choix de gestion.

Proposition 15 : conditionner les exonérations de cotisations patronales au respect de l’égalité hommes/femmes et au non recours abusif aux emplois précaires

Cette proposition est démagogique. Comment vérifier l’irrespect de l’égalité homme/femme dans l’entreprise lorsque le critère de rémunération et de mobilité interne n’est plus la qualification mais la compétence ? à quel niveau précis doit-on fixer l’abus d’emploi précaire dans l’entreprise, dans la branche d’activité et dans l’économie, et sur quels critères, lorsque le principe de compétitivité-salariale des entreprises n’est pas remis en cause ? Sans modifier les critères de gestion des entreprises, sans ouvrir de nouveaux droits d’intervention des salariés dans cette gestion, la mise en œuvre concrète du contrôle qui doit s’exercer en conséquence sur l’entreprise sera impraticable.

Elle est aussi perverse. La Cour des comptes elle-même (rapport 2009) a confirmé que les exonérations de cotisations patronales n’ont pas atteint leur objectif. Elles n’ont pas créé d’emplois, mais ont en revanche coûté très cher au contribuable. Et donc leur existence doit être remise en cause. Or, plutôt qu’à leur suppression, la proposition socialiste invente une justification éthique et sociale à leur pérennisation !

Sur les salaires

Proposition 16 : limiter les rémunérations abusives : rémunérations variables n’excédant pas la part fixe, écart maximum des rémunérations de 1 à 20 dans les entreprises à participation publique, pour les autres, création d’une conférence salariale annuelle tripartite pour fixer les normes de rémunération, présence des salariés dans les instances de décision des entreprises (conseil d’administration et de surveillance, comité de rémunération)

Surfant sur le mécontentement populaire face aux rémunérations des grands patrons, cette proposition de limitation de l’échelle des rémunérations dans l’entreprise est encore démagogique et perverse.

Démagogique, parce qu’une fois de plus elle ne donne pas les moyens de sa mise en œuvre concrète en refusant l’intervention directe des pouvoirs publics dans la gestion des entreprises ou des droits nouveaux d’intervention des salariés sur les choix de gestion. Ensuite, parce que la proposition de limitation de l’échelle des salaires distingue les entreprises entre elles (entreprises publiques et à participations publiques d’un côté, toutes les autres entreprises de l’autre) sans aucune raison, là où un principe d’application général et uniforme devrait être requis. Enfin, parce que la création d’une conférence salariale annuelle tripartite, qui pourrait être une bonne proposition de principe, serait en réalité l’outil d’un cadrage général de l’évolution des salaires en amont des négociations salariales de branche conditionné par la situation économique du pays, elle-même tributaire dans le texte socialiste des « contraintes réelles […] qui pèsent sur les finances publiques » (p. 12) et de « la bataille pour la valeur ajoutée [dans laquelle] la France est lestée d’un chômage massif, de déficits excessifs et d’un endettement explosif » (p. 10) et d’un handicap de compétitivité (p. 19) ; des contraintes imposées par la Commission européenne et les traités de Lisbonne et Maastricht, jamais remis en cause au fil des pages. Plus qu’un élément moteur de la dynamique économique, les salaires et leur évolution en resteraient une conséquence. Argument renforcé par l’appel à l’intégration des salariés dans les conseils d’administration, surveillance et rémunération des entreprises, des lieux où l’information n’est pas transparente, où la prise de décision collective est apparente et où les décisions se prennent à la majorité, qui ferait des représentants des salariés des pantins des choix de gestion des actionnaires en déplaçant le cœur de la bataille syndicale pour les salaires des luttes concrètes et du rapport des forces dans l’entreprise vers le calcul raisonné et optimal de la répartition de la masse salariale mise à disposition des travailleurs par les responsables de l’entreprise.

En ce sens la proposition socialiste est fondamentalement perverse. Car en donnant l’illusion d’un combat contre l’injustice, elle évacue des objectifs généraux du texte la nécessité d’une augmentation générale des salaires et de sa logique ; tous les enjeux, à la fois, de la lutte sur la répartition des richesses produites dans l’entreprise entre salaires et profits, et de l’exigence d’une remise en cause de la gestion et du financement des entreprises dominés par le capital financier.

Proposition 24 : imposition des revenus du capital, des bonus et stock-option au même niveau que ceux du travail

Là encore, cette proposition est travaillée de contradictions. Si on peut s’aligner sur l’idée que les revenus du capital soient imposés au même niveau que ceux du travail, appliquer la taxation sur les bonus et les stockoption est une façon de valider ce mode de rémunération de certains cadres d’entreprises qui démultiplie leurs revenus. Et ce alors même qu’il est dit dans la proposition précédente qu’il faut limiter les rémunérations abusives, en particulier par la réduction de la part variable de la rémunération au plafond de la part fixe du salaire.

Quelques extraits des propositions du projet final

Pour l’emploi : « recours aux tuteurs bénévoles pour accompagner les jeunes sans qualification » (p. 20) et « création d’un compte temps-formation pour chaque Français à partir de 2014 » (p. 26).

Si la première proposition est un énième numéro de claquettes à destination des jeunes les plus en difficultés et de leurs familles, symbolisant le mépris du PS à l’égard des milieux populaires à la limite de l’exclusion et leur abandon aux tenants du social-populisme (cf. dernière étude électorale de Terra-Nova), la seconde est porteuse de graves dangers pour l’ensemble des travailleurs.

Conçue initialement dans les rédactions antérieures du projet comme un volet d’une sécurité sociale professionnelle à mettre en œuvre, la proposition de compte temps-formation devient dans le document final un nouveau mode de traitement individualisé du chômage. Les salariés y sont encouragés à épargner leur temps-formation tout au long de leur vie pour répondre aux aléas de leur employabilité tout au long de leur parcours professionnel (p. 22) et en particulier durant la période précédent la retraite (p. 26), entérinant ainsi les réformes de la droite. Ainsi, plutôt que d’assurer à chaque travailleur les conditions d’un aller-retour permanent sécurisé et maîtrisé entre activité et formation valorisant sa créativité dans et hors de l’entreprise, chacun se verra contraint de combiner heures supplémentaires et renoncements aux RTT pour accumuler un maximum d’épargne-temps et sécuriser ses périodes de chômage et de vaches maigres. Cette proposition apparemment positive au départ est, en fait, l’incarnation d’un renoncement à la RTT et à la lutte contre le chômage de masse (dont le texte ne parle pas sauf pour dire qu’il existe), autant que d’une subordination à un principe renouvelé de flexicurité. Comme le demande le Medef.

Pour les salaires : « durant la législature, nous procéderons à un rattrapage du SMIC » (p. 20).

Dans la continuité des précédentes, cette proposition est symbolique de la soumission du projet aux impératifs de compétitivité-salariale des entreprises et de maîtrise de l’évolution des salaires de base conformément aux injonctions européennes.

Non seulement le PS ne propose pas d’augmenter le SMIC nominal comme le demandent les syndicats, mais il ne propose pas plus de rattraper dès 2012 la perte de pouvoir d’achat du SMIC depuis 10 ans. Ce rattrapage se fera dans la durée de la mandature, laissant les familles dans la difficulté. Pire, pour « soutenir le pouvoir d’achat », il se contente de « limiter les dépenses des ménages » (p. 20) en jouant essentiellement sur l’encadrement des loyers, en développant les énergies renouvelables et en instaurant des tarifs sociaux au gaz et à l’électricité !!!!

En fait, ce renoncement à la revalorisation du SMIC est aussi un renoncement à l’augmentation générale des salaires qu’il est susceptible d’induire. Le PS n’envisage pas d’exiger du capital une autre répartition des richesses produites dans l’entreprise, mais simplement de partager la misère entre travailleurs.

Au final, ce projet du PS fait l’effet d’un repas au Fouquet’s. On y entre avec l’appétit, on en sort avec la faim. On devait y trouver les bases d’un changement de civilisation, on constate un projet d’alternance politique.

Les fondements de la situation de l’emploi ne sont pas mis en cause. Les questions relatives au travail proprement dit, à son organisation dans l’entreprise et aux modalités d’une participation des travailleurs aux choix de développement de l’entreprise, à la forme du contrat de travail, à la rémunération des travailleurs, à leur qualification et à leur formation, et au final à l’articulation entre tous ces paramètres, ne sont pas traitées sur le fond.

Et pour cause, chaque proposition est formulée pour être compatible avec le projet Europe 2020 de la Commission européenne dont l’ambition se résume à augmenter le taux d’emploi dans chaque pays membre, ou compatible avec les injonctions du traité de Lisbonne et du Pacte pour l’Euro dont l’objectif est de limiter l’évolution de la masse salariale au taux d’accroissement de la productivité apparente du travail.

Alors que monte en Europe une véritable révolte contre les politiques d’austérité imposées par l’UE, la BCE, le FMI et les marchés financiers, l’espoir d’une autre civilisation aurait consisté, en matière d’emploi, en l’élaboration des conditions d’un dépassement du marché du travail par la constitution progressive d’un système de sécurité d’emploi ou de formation. Ce dernier visant à assurer à chacune et à chacun, soit un emploi soit une formation rémunérée, pour revenir par la suite à un meilleur emploi, avec une continuité de bons revenus et droits et avec des passages d’une activité professionnelle à une autre, des rotations emploi/formation, maîtrisées par les intéressés.

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