Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Pôles de compétitivité : pour les actionnaires ou pour la coopération ?

En lançant la politique des pôles de compétitivité, le gouvernement Fillon-Sarkozy entend révolutionner la conception de la politique industrielle française : « à une action publique basée sur le double principe de redistribution et d’équité territoriale succède ainsi une approche élaborée, avant tout, autour des concepts de compétitivité et de concurrence avec la construction de territoires compétitifs, attractifs, et, de fait, mis en concurrence radicale dans l’accès aux financements publics » (1).

Ils ont été inaugurés en 2005 à partir de l’expérience des « clusters » à l’étranger.

Ceux-ci désignent l’organisation, en grappes industrielles, de zones combinant, sur un même territoire, des entreprises liées à un même secteur d’activité et des organismes publics et privés, valorisant ainsi les relations de proximité et la mise en réseau (2).

Cette démarche part d’un principe non affiché mais effectif : L’attraction et la fidélisation de capitaux privés, sur un territoire donné, dans des industries de la révolution informationnelle, nécessite une intervention publique capable de garantir l’accès de ces investisseurs à un niveau de rentabilité conforme aux exigences des marchés financiers, malgré les énormes avances nécessaires en recherche, qualifications, infrastructures et les risques à prendre en termes de résultats.

La politique industrielle efficace serait alors celle qui s’adresse à des sous-systèmes industriels spécifiques capables de concentrer capacités de recherche, capitalrisque, enseignement universitaire basé sur la formation continue, existence d’industries en aval et en amont.

Les pôles de compétitivité prennent appui sur de puissants besoins objectifs de rapprochement entre la recherche, l’enseignement-formation et la production dans les régions. Mais ils supposent aussi une agrégation autour d’une offre efficace de services à la personne de haute qualité en termes de santé, culture, accueil de la petite enfance, loisirs, logements, transports…

Les grands groupes, et les PME innovantes de leurs réseaux, jouent un rôle directeur dans ces secteurs où, à côté du financement de l’État et d’agences publiques, on voit monter le financement des collectivités territoriales alors qu’elles sont de plus en plus privées de recettes propres (3) ; ce qui les amène à emprunter auprès des banques, mais aussi sur le marché financier.

Il y a une attirance pour cette construction qui se place sur le terrain de la réponse à des besoins objectifs puissants de coopération entre la sphère de la production réelle de richesses et celle des services publics, sans parler de ce tout ce qui touche aux infrastructures.

Au terme de 5 ans, le bilan officiel fait état de plus de 700 projets aboutis et d’une croissance de brevets déposés même si sur 71 pôles, 39, seulement, auraient atteint les objectifs assignés (4).

Mais, au total, l’effet sur l’emploi de cette opération demeure insaisissable et particulièrement pour ce qui concerne l’emploi industriel qui était l’un des objectifs affichés par le gouvernement en 2005 (5).

De plus, il ne faut pas se contenter de chercher à mesurer l’impact régional des pôles de compétitivité. Il faudrait aussi prendre la mesure de ce que ce dispositif de concurrence accrue peut avoir comme impact sur l’emploi des arrière-pays des villes centres et sur celui des autres régions françaises. Il faudrait aussi pouvoir évaluer s’ils suscitent ou non une riposte concurrentielle d’autres pays organisés eux-mêmes en « clusters ». Tout cela sans parler des PME et des avantages que leur apportent ou non en termes d’accès aux qualifications, aux résultats des recherches et au financement, ces montages dont la gouvernance actuelle, dominée par de grands groupes mondialisés, tient en général écartés les syndicats, le mouvement associatif et, même, les élus territoriaux.

C’est dire l’enjeu de batailles pour que ces pôles de compétitivité deviennent des pôles de coopération avec des objectifs chiffrés et contrôlables d’emplois et de formation, notamment à l’intention des populations locales défavorisées. Cela implique un autre mode de gouvernance et une autre utilisation de l’argent ainsi mobilisé par le Fonds unique interministériel (FUI), les collectivités locales, l’institution financière publique OSEO, l’agence nationale de la recherche (2,94 millions d’euros entre 2006 et 2009) et y compris des fonds européens. 

 

  • 1) Bonnefous-Boucher M., Géry (de) C., Laviolette E. M. et J.M. Saussois : « La performance entrepreneuriale des pôles de compétitivité », Le blog du campus, CCIP, 11 juillet 2011.

  • 2) On se reportera notamment à :

  • Blanc C. : « Pour un écosystème de croissance », rapport au Premier ministre, mai 2004, 78 p. ;

  • Europea InterCluster : « Livre blanc sur les clusters européens de classe mondiale », Bruxelles, juillet 2010, 60 p.

  • 3) Avec, notamment, la disparition de la taxe professionnelle.

  • 4) Houel M. et Daunis M. : « Les pôles de compétitivité : bilan et perspectives d’une politique industrielle et d’aménagement du territoire », rapport d’information fait au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, n° 40 (2009-2010), Sénat, 14 octobre 2009.

  • 5) Le rapport Houel-Daunis précise : « L’ensemble des interlocuteurs du groupe de travail ont souligné qu’il était aujourd’hui impossible d’évaluer l’impact des pôles de compétitivité en termes d’emplois ».

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