Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil
 
 
 
 

La camisole Sarkozy-Merkel

Réalisé dans la fièvre de la crise exacerbée de la monnaie unique suite aux décisions du sommet de Bruxelles, début décembre 2011, le projet de nouveau traité européen est déjà dans les tiroirs comme l’a révélé l’Humanité. Très inspiré par les recommandations de la chancelière allemande qui bénéficie d’un appui plein et docile du président français, il est destiné à soumettre comme jamais la zone euro au diktat des marchés financiers. Quitte à placer les états sous haute surveillance pour leur imposer l’austérité quoi qu’il arrive avec, pour y parvenir, un autoritarisme délibéré torpillant démocratie et souveraineté populaire. Décryptage.

Le projet d’« accord international sur une union économique renforcée » que les gouvernements de l’UE sont en train de mettre au point porte la marque d’une très grave régression démocratique destinée à soumettre les peuples à des règles budgétaires et fiscales de fer dans l’unique but de « rassurer les marchés financiers ». Le document que lHumanité est parvenu à se procurer (voir son édition du 22 décembre 2011) constitue une esquisse aux contours déjà très précis d’un futur texte qui doit modifier les traités existants d’ici le mois de mars prochain. Dans le sens avancé au Conseil européen de décembre à Bruxelles, par la chancelière allemande, Angela Merkel, secondée par le président français, Nicolas Sarkozy.

Le biais de cet accord inter-gouvernemental est de renforcer toutes les contraintes, déjà existantes dans le traité de Lisbonne, pour en faire un corset qui réduise à des négociations à la marge toute velléité des députés nationaux et européens de peser sur les grandes orientations de leurs pays respectifs ou de l’UE. Nous revenons ici sur ce texte en en décryptant et analysant les points essentiels.

Nouveau couronnement des « pactes » existants

Le Titre I qui détermine « objet et portée » du projet d’accord annonce la couleur : les états membres de l’UE « conviennent de renforcer leur discipline budgétaire et leur coordination des politiques économiques et de gouvernance ».

Cet objectif est aussitôt mis en cohérence dans le Titre II avec « la loi de l’Union ». Ceci fait apparaître l’un des caractères clé de la démarche utilisée. Il s’agit de conforter « l’existant » des textes adoptés depuis Maastricht et couronnés par le traité de Lisbonne pour donner aux instances européennes (Commission, Cour européenne de justice) les moyens de disposer pleinement de toutes les prérogatives disciplinaires prévues par les textes. Comme le respect des critères de Maastricht, puis du pacte de stabilité, puis du pacte euro plus…« Les dispositions de l’accord, souligne l’article 2 du Titre 2, s’appliquent dans la mesure où elles sont compatibles avec les traités sur lesquels sont fondés l’Union et le droit de l’Union européenne. Elles ne doivent pas empiéter sur les compétences de l’UE à agir dans le domaine de l’Union économique ». Autrement dit : il ne s’agit pas de court-circuiter la commission de Bruxelles mais bien au contraire de lui donner tout le poids que lui confère le traité de Lisbonne, couronnement déjà d’une construction sous l’influence très serrée des diktats libéraux et des marchés financiers.

La démarche intergouvernementale dont se revendique le document et que Paris ne cesse d’invoquer, n’est pas seulement destinée à contourner l’obstacle du « no » britannique lors du sommet des 8 et 9 décembre à Bruxelles. Elle permet de mieux « vendre » une fuite en avant réellement centralisatrice et autoritaire. En d’autres termes, fédéraliste.

Des moyens nouveaux sont avancés dans le Titre III du projet de traité pour parachever la « discipline budgétaire ». Le premier alinéa du premier paragraphe de l’article 3 fixe comme objectif des budgets « équilibrés ou excédentaires ». Toutefois, compte tenu de l’inquiétude que fait grandir la récession touchant désormais une bonne partie de la zone euro, les rédacteurs du texte avancent la possibilité de « contracter temporairement des déficits [...] en cas de circonstances économiques exceptionnelles. » Mais à condition de continuer à être intraitable sur le « déficit structurel », les dépenses supplémentaires envisagées ne pouvant être que de type « conjoncturel » (comme le fut, par exemple en 2009, la prime à la casse pour soutenir l’industrie automobile).

La règle d’or, clé de voûte du projet

La mesure phare du document est introduite dans l’alinéa suivant : il s’agit d’instaurer une « règle d’or », obligeant chacun des états membres à s’engager sur une limitation de son déficit structurel à 0,5 % du PIB. Cette surenchère par rapport aux dogmes déjà redoutables de Maastricht (déficit limité à 3 % du PIB) doit constituer une norme inscrite dans le marbre de la constitution de chacun des états. Cette « règle d’or » doit être introduite, souligne le texte, « dans des dispositions nationales contraignantes de nature constitutionnelle ou équivalente ». Ainsi, alors que la Commission disposerait du pouvoir de faire appliquer les règles du pacte euro plus, les budgets seraient contrôlés par un organe non élu, la cour constitutionnelle nationale, qui pourra invalider tout « dépassement » (de 0,5 % du déficit structurel) voté par les députés en se référant à la loi fondamentale.

Le dispositif appelé « frein à dette » outre-Rhin, où il a déjà été validé par une grande coalition (CDU/SPD), devrait entrer en fonction en 2016. « Un mécanisme de correction » serait « déclenché automatiquement en cas d’écarts par rapport à la valeur de référence de 0,5 % du PIB (pour le déficit structurel) ou à la trajectoire d’ajustement vers elle ». Autrement dit : la délibération et la décision politiques s’effaceraient devant une correction automatique.

L’article 4 de ce Titre III consacré à la discipline budgétaire valide une disposition avancée dans le pacte euro plus, qui prévoit de réduire de 1/20e par an toute la partie de la dette publique qui dépasse la « valeur de référence » de 60 % du PIB. Pour un pays comme la France qui affiche aujourd’hui une dette publique correspondant à 87 % de son PIB, cela reviendrait à réduire cette dette de 1,35 % du PIB par an. Soit 19,11 milliards d’euros consacrés automatiquement chaque année à rembourser les créanciers.

Un coktail qui va accentuer la récession

La contrainte pour les « parties contractantes soumises à une procédure de déficit excessif » doit être renforcée.

En vertu de l’article 5 (Titre III) du projet de traité, les états en contravention devraient « mettre en place un programme » prévoyant une « description détaillée des réformes structurelles nécessaires pour assurer une correction efficace durable de leurs déficits excessifs ».

La commission, qui dispose déjà d’un arsenal de ce type, acquerrait un poids supplémentaire pour mener à bien son introspection et faire entrer en vigueur ses recommandations. Parmi celles-ci : la baisse des dépenses dans la Fonction publique assortie de suppressions massives d’emplois et (ou) d’une stagnation, voire d’un recul des rémunérations, des coupes dans les budgets et les transferts sociaux, des réformes des retraites conduisant à repousser toujours plus l’âge légal de départ et à rogner sur les pensions, ou encore une flexibilisation dans le cadre de réformes du marché du travail, dont le but est d’écraser les « coûts salariaux ». Autrement dit : un cocktail qui a déjà des effets explosifs puisqu’il pèse sur la consommation et contribue à réduire les débouchés intérieurs alimentant la spirale de la récession.

Dans l’article 6 (Titre III) la mise sous surveillance des pays est complétée par une « déclaration sur leur émission de dette nationale. » Les états devraient désormais faire un « rapport ex ante » concernant tout projet en la matière « à la Commission et au Conseil ».

Si l’un des états s’apprêtait à émettre trop de dettes, compte tenu des contraintes imposées par la « règle d’or », la commission ou l’un de ses pairs se verraient accorder le droit de le poursuivre. « Toute partie contractante qui estime », souligne le texte (art. 8),

« qu’une autre partie contractante a manqué » à se conformer aux règles « peut porter l’affaire devant la cour de justice de l’Union européenne ». Autrement dit : on peut imaginer l’Allemagne ou la Commission traînant demain un « pays partenaire » devant les tribunaux pour le contraindre en amont à se fondre dans le cadre imposé, aussi étroit et contreproductif soit-il.

Surveillance permanente et sanctions

Les sanctions prévues par le pacte de stabilité en cas de dépassement des critères de Maastricht sont réactivées par l’article 7 (Titre III). Brandie comme une menace mais jamais vraiment utilisée jusqu’alors, la procédure prendrait un caractère systématique et ne pourrait être invalidée que par une majorité qualifiée des états au sein du Conseil européen. L’état fautif serait mis dans l’obligation de verser un dépôt sans intérêt auprès de l’UE. Cette somme comprend un élément fixe égal à 0,2 % du PIB (soit 3,8 milliards d’euros pour un pays comme la France). Il y serait ajouté, selon une formule dont le langage eurocrate a le secret, « un élément variable égal à un dixième de la différence entre le déficit (exprimé en pourcentage du PIB de l’année au cours de laquelle il a été jugé excessif ) et la valeur de référence de 3 % ».

Abordée dans le Titre IV du projet de traité, la « convergence économique » prévoit une mise sous surveillance multilatérale des états avec les mêmes méthodes et les mêmes critères d’évaluations que les grands groupes privés. « En vue de meilleures pratiques de benchmarking », souligne l’article 11 du projet, les parties contractantes s’assurent que toutes les grandes réformes de politique économique qu’ils envisagent d’entreprendre seront discutées et coordonnées entre eux. » Cette mise sous surveillance d’un état par ses pairs au conseil européen revient ainsi à lui imposer de se conformer au mieux disant libéral. Omniprésente dans le traité de Lisbonne et tous les textes de référence de l’UE, cette boussole indiquerait systématiquement la direction du plus performant, du modèle en matière d’allégement des « charges » dans les gestions des affaires de l’état, de privatisation des services publics, de flexibilité de marché du travail.

Comme si sur ce point, par exemple, la référence obligatoire, la norme vers laquelle il fallait tendre à tout prix, devenait Hartz IV, la réforme du marché du travail honnie en Allemagne tant elle a précarisé une partie importante des salariés.

Les atteintes à la démocratie et à la souveraineté populaire sont d’une telle dimension qu’elles pourraient ne pas échapper aux regards les plus complaisants. Les auteurs du projet essayent donc vaille que vaille de donner des gages en expliquant que « les comités en charge de l’économie et des finances » au sein des parlements nationaux, comme la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale française, seraient invités avec la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, à « rencontrer les parties contractantes régulièrement, en particulier pour discuter de la conduite des politiques économiques et budgétaires ». Parodie de concertation d’autant qu’il est bien spécifié par ailleurs que les commissions parlementaires en question n’auront qu’une voix consultative en amont…

Adopté avec une majorité de 9 états

Le Titre V du projet prévoit d’intensifier les réunions des états membres de la zone euro qui devront avoir lieu au moins deux fois par an. Un président des conseils de la zone euro doit être désigné par ses pairs. Haut de la pyramide intergouvernementale, ces sommets seront en charge des affaires de l’euro, sans pouvoir influer toutefois en aucune manière sur la politique de la Banque centrale européenne (BCE) dont le statut d’indépendance et le rôle limité à la lutte anti-inflation, sont totalement reconduits.

Dans les dispositions générales et finales introduites dans le Titre VI, les rédacteurs de l’accord ont voulu d’évidence s’assurer que le nouveau texte soit ratifié dans les plus brefs délais. La détermination à agir rapidement pour mettre toute la zone euro au pas fait en effet partie du paquet qui est censé « rassurer les marchés ». D’où cet autre monument de volapük communautaire à l’article 2 (Titre VI) : « le présent accord entrera en vigueur le premier jour du mois suivant le dépôt du neuvième instrument de ratification par une partie contractante dont la monnaie est l’euro ».

Traduisez : l’accord d’une majorité de neuf états de la zone euro suffit. Le texte n’attendra pas d’être ratifié par tous les adhérents à la monnaie unique pour entrer en vigueur. Ceux qui ne l’ont pas fait ne seront concernés que lorsqu’ils l’auront eux-mêmes adopté.

Les gouvernements peuvent faire ratifier le traité soit par la voie parlementaire, soit par référendum. Mais on imagine la pression sur les éventuels états récalcitrants, confrontés à une potentielle majorité hostile au traité. La moindre hésitation d’un chef d’état sera considérée comme une perte de temps dommageable pour toute la zone et soulèvera aussitôt la réprobation de ses pairs. Le moindre signe d’un éventuel refus d’adhérer sera sanctionné par une dégradation de la note de l’état concerné par les agences de notation. Lequel verrait très vite exploser les taux d’intérêt de sa dette.

à l’alinéa 5 de l’article 14 de ce Titre VI, ultime paragraphe du document, une clause d’exemption sur mesure est prévue pour concilier juridiquement l’adoption de l’accord intergouvernemental avec le refus britannique de signer – sous couvert, on s’en souvient, de préserver les intérêts de la city – le texte négocié à Bruxelles les 8 et 9 décembre 2011. Il s’agit d’éviter d’essuyer un autre « no » britannique sur l’utilisation pleine et entière, prévue par l’accord, des institutions de l’UE, « propriété » de l’ensemble des pays membres. 

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.