Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Un débat du financement de la Sécurité sociale : cotisation sociale versus fiscalité

La réforme du financement de la sécurité sociale figurait au menu de la première Grande conférence sociale initiée par le gouvernement. Fort heureusement, la tentative a pour l’instant échoué, la CGT ayant refusé le relèvement massif de la CSG et l’abaissement des cotisations patronales.

Néanmoins, à la veille de la seconde Conférence sociale, la question de la fiscalisation des cotisations patronales portée par le patronat et le gouvernement reste aujourd’hui toujours dans la ligne de mire. Car le glissement vers la fiscalité est loin d’être neutre. La nature du financement de la Sécurité sociale qualifie le choix de civilisation porté par la protection sociale dans son ensemble. Elle est un enjeu politique majeur, un nœud de la bataille de classe pour l’appropriation de la richesse produite dans l’entreprise.

La bataille pour le maintien de la cotisation sociale patronale dans le financement de la Sécurité sociale est donc une bataille… capitale.

Les 9 et 10 juillet derniers, le gouvernement lançait sa « grande conférence sociale », visant à faire valider un « nouveau compromis social historique » par « les partenaires sociaux ». La réforme du financement de la sécurité sociale, réforme de l’assurance maladie et réforme des retraites, figuraient au menu, aux côtés de la réforme du marché du travail et de l’emploi, ainsi que de la réforme dite de compétitivité-emploi.

Les deux dernières ont donné, dans l’ordre chronologique, la création d’un allégement fiscal de 20 milliards d’euros au titre de la compétitivité (le CI-E) et la transposition intégrale dans la loi du texte de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 (ANI) qui sécurise les licenciements plutôt que l’emploi.

Fort heureusement, la réforme du financement de la Sécurité sociale planifiée par le gouvernement Hollande-Ayrault a, pour l’instant, partiellement échoué, la CGT refusant le relèvement massif de la CSG initialement prévu.

Pourtant l’ambition gouvernementale était ferme. Dans un contexte de crise où les entreprises françaises seraient confrontées à une perte de compétitivité imputable selon elles à un coût du travail trop élevé, il s’agissait de réduire les charges sociales des entreprises. Ce qui induisait à la fois un transfert du financement de la protection sociale en général, et de la Sécurité sociale en particulier, des entreprises vers les ménages au nom des équilibres des comptes sociaux, ainsi qu’une baisse de la dépense publique sociale au nom des équilibres budgétaires de l’État. C’était tout l’esprit du rapport Gallois.

Si ce projet était arrivé à son terme, il aurait alors profondément modifié le visage de notre système de protection sociale en actant la fiscalisation massive du financement de la Sécurité sociale. Celle-ci représentant actuellement 37 % des sources de financement (2 % en 1990), elle aurait largement contribué à affaiblir encore plus la place de la cotisation sociale dans le financement de la Sécurité sociale.

Or ce glissement est loin d’être neutre, car la nature du financement de la Sécurité sociale est un enjeu politique majeur, en ce qu’elle qualifie le choix de civilisation porté par la protection sociale dans son ensemble.

Pour s’en convaincre, il suffit de revenir sur les raisons qui ont justifié le choix de la cotisation sociale par les fondateurs de la sécurité sociale : la cotisation sociale est un prélèvement sur la richesse produite par le travail dans l’entreprise. Ni affecté aux salaires, ni affecté aux profits, ce prélèvement est mutualisé pour répondre aux besoins sociaux des travailleurs résultant des aléas de la vie. Indépendant de l’État, il est géré par les travailleurs eux-mêmes, sources de la création des richesses. Déconnecté de tout rapport salarial marchand, ce prélèvement et son affectation ne répondent donc à aucune équivalence marchande. Il n’y a pas d’équivalence entre ce qui est versé et ce qui est reçu, chacun reçoit selon ses besoins et contribue selon ses moyens. Et il n’y a pas plus de lien entre celui qui verse et celui qui reçoit, c’est le principe de solidarité universelle intra- et inter-générationnelle.

Partie de la valeur ajoutée soustraite du profit pour une réponse à des besoins sociaux, la cotisation sociale ainsi définie fait donc du financement de la Sécurité sociale un terrain essentiel de la bataille de classes pour l’appropriation des richesses produites, qui accompagne celle pour les salaires mais sans se confondre avec elle. Assise sur les salaires versés dans l’entreprise qui lui servent de base de calcul, elle postule que ce financement s’inscrit dans une dynamique économique qui lui assure une croissance régulière, à partir de l’emploi et des salaires qui en sont les leviers. De sorte que la nature de la cotisation sociale, qui a justifié en 1946 le principe de conseils d’administration des caisses de Sécurité sociale principalement pilotés par les salariés, justifie encore aujourd’hui pleinement le droit d’intervention des salariés sur les choix et critères de gestion patronaux de l’entreprise, pour la défense et la promotion de l’emploi et des salaires au nom de l’intérêt collectif et général.

Pas étonnant donc que, dans ces conditions, le patronat ait fait de la remise en cause de la Sécurité sociale un de ses chevaux de bataille les plus importants et de la cotisation sociale sa cible privilégiée. Pas plus surprenant non plus qu’il ait encouragé les gouvernements cherchant à fiscaliser ce financement en transformant ce prélèvement sur la valeur ajoutée produite dans l’entreprise par un prélèvement sur les revenus du travail essentiellement (TVA-sociale de l’UMP, CSG du PS, CRDS du RPR, voire taxe écologique de EEVL).

Car c’est bien pour lui l’enjeu essentiel. Fiscaliser les ressources de la sécurité sociale permet un déplacement de la source du financement de la valeur ajoutée de l’entreprise vers les revenus d’activité, en particulier du travail, distribués par l’entreprise une fois le partage entre salaire et profit effectué. La fiscalisation réussit ainsi le tour de force de faire, à la fois, sortir de l’entreprise le financement de la Sécurité sociale tout en renforçant sa dépendance à son égard, puisque le niveau de prélèvement continuera d’être tributaire des arbitrages salariaux de l’entreprise, et d’accroître la part prélevée par les revenus financiers sur l’entreprise (dividendes et intérêts versés aux actionnaires et aux marchés financiers), et donc concomitamment le coût du capital supporté par l’entreprise. Cela bien sûr sans aucune amélioration significative des prestations sociales, à en juger par la dégradation de la prise en charge des assurés sociaux.

C’est le cas des exonérations de cotisations sociales patronales : 30 milliards d’euros pour l’essentiel compensés à la Sécurité sociale par des recettes fiscales. Bien que le dernier rapport du Conseil d’orientation pour l’emploi (avril 2013) essaie de montrer l›inverse sans y parvenir clairement (1), ces exonérations n’ont pas permis de développer l’emploi. Au contraire, elles ont généré des effets d’aubaine pour les entreprises et pesé lourd sur l’évolution des salaires et des qualifications dans l’entreprise (effets de trappe à bas salaire et d’inertie des qualifications). Ces exonérations ont contribué à peser sur la masse salariale versée par les entreprises et facilité le siphonnage des richesses produites par le financement des charges d’intérêt imposées par le système financier aux entreprises ou la rémunération des actionnaires. Depuis 1993, 290 milliards d’euros ont ainsi été soutirés de la richesse produite par le travail dans l’entreprise, et donc de la cotisation sociale, qui auront servi à alimenter le financement des dividendes et des intérêts exigés par le système financier aux entreprises.

C’est encore le cas de la CSG, fiscalité qui pèse exclusivement sur les revenus des ménages, mais qui en plus laisse intacts les prélèvements du capital sur la richesse produite.

Et dans cette bataille, le patronat trouve un allié de poids : l’État. Lorsque le 12 avril 2012, Marisol Touraine, alors candidate potentielle au poste de ministre de la Santé et de la Protection sociale, déclarait, après bien d’autres, que la question du financement de la Sécurité sociale se résoudrait autour de la CSG, notamment par un basculement massif des cotisations sociales vers la CSG (comme le proposait alors l’autre plate-forme commune Medef-UPA-CGPME-CFDT-CGC-CFTC : Approche de la compétitivité française, réflexion commune du 11 juin 2012), elle entérinait un renforcement de l’intervention directe de l’État ,tributaire de l’ordre réel du capital, dans l’architecture du financement de la sécurité sociale, afin de la subordonner à ses objectifs et contraintes budgétaires, et de l’enfermer dans le carcan d’une solidarité limitée à la recherche d’une cohésion sociale, au service des intérêts du capital. Ce qui constituerait une remise en cause appuyée des grands principes de 1946 !

Il y a donc un enjeu politique essentiel derrière la nature du financement de la Sécurité sociale. La cotisation sociale renvoie à une conception de la société mettant en valeur la maîtrise de la régulation économique et sociale par les travailleurs eux-mêmes, et donc à une civilisation où les travailleurs sont auteurs et acteurs de leur devenir. Tandis que la fiscalité, quelle que soit sa forme, renvoie à une régulation tributaire des impératifs du capital et maîtrisée par l’État, et donc par les rapports de forces et de classes dont il est le lieu, c’est-à-dire la civilisation occidentale libérale telle qu’elle est aujourd’hui.

Il va donc sans dire que la bataille qui s’annonce autour du financement de la sécurité sociale, qui prend actuellement forme dans les réformes des retraites et de l’assurance maladie qui auront lieu cette année, et qui se poursuivra à l’automne dans la réforme du financement de la Sécurité sociale, bataille que le patronat veut remporter de manière définitive en profitant du contexte économique, social et politique actuel, est une bataille… capitale. 

(1) Reprenant la philosophie d’une note du Trésor-Dares de janvier 2012, le rapport d’avril 2013 du COE tente de démontrer par un travail conséquent (270 pages) de synthèse des dispositifs d’aides aux entreprises en faveur de l’emploi et des études d’efficacité de ces dispositifs, la pertinence de ces aides en terme de création d’emplois. Et le résultat reste peu convaincant. En réalité, ce rapport a les mêmes travers que celui commis en 2006 sur le même sujet par le COE. Il constitue un préalable institutionnel à la refonte annoncée des aides publiques à l’économie dans le cadre des programmes nationaux de stabilité et de réformes. Il essaie dans un contexte de pression sur les dépenses de sécurité sociale et publiques sociales, de justifier le maintien des aides publiques directes à l’entreprise, notamment les allègements de cotisations sociales, et vise à en faire des droits acquis aux entreprises au nom du maintien dans l’emploi des non ou peu qualifiés. Pourtant la diversité des dispositifs, l’ampleur de leur masse financière (entre 1 % et 3,5 % de PIB selon le périmètre d’étude), et les résultats très contrastés et très partiels des différentes études sur leur efficacité en matière de création d’emplois et de dynamisme économique, devraient convier à une réelle mise à plat de ces mesures de soutien public à l’entreprise. Ce qui avait déjà été demandé en 2006, et qui n’est toujours pas réalisé.

 

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