Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L’ergologie, outil pour une approche des transformations du travail et de son organisation

L’ergologie n’est pas une discipline en tant que telle mais plutôt une démarche caractérisée par sa finalité. Il s’agit de comprendre le travail pour le transformer. Le postulat sous-jacent à la démarche ergologique est que toute transformation du travail et de son organisation, toute amélioration des conditions de travail, ne peuvent venir que des acteurs du travail eux-mêmes, en collaboration avec les chercheurs et les experts du travail.

Transformer le travail implique donc, pour le chercheur, de commencer par reconnaître son humilité en tentant d’apprivoiser cet énigmatique objet du désir qu’est le travail. Il faut abandonner l’idée tentante mais dangereuse de recourir à des outils prêts à penser et des modèles standards pour cerner les situations de travail dans ce qu’elles peuvent avoir d’unique, de singulier.

La démarche ergologique prend vie dans un dispositif à trois pôles réunissant :

– le pôle des acteurs du travail, véritables forces de rappel de ce dispositif, ou savoirs investis ;

– le pôle pluridisciplinaire des experts des disciplines académiques qui s’intéressent au travail (psychologues, ergonomes, philosophes, sociologues, économistes, gestionnaires…) ;

– le pôle des valeurs qui conduit chaque intervenant, chercheur ou acteur du travail, à expliciter et à échanger sur les valeurs impliquées dans le travail et sa gestion.

La collaboration entre les travailleurs et les chercheurs s’inscrit dans le cadre de ce qu’Ivar Oddone (médecin, psychologue du travail) définissait comme une « communauté scientifique élargie », fondée sur l’égalité et la coopération entre eux.

La démarche ergologique est ainsi une démarche épistémologique puisqu’il s’agit de produire des connaissances sur l’activité humaine en réfléchissant sur leurs conditions de production et d’utilisation. Il s’agit également d’une démarche éthique fondée sur le respect qu’il convient d’accorder à ses pairs et à chaque travailleur. Le chercheur n’est jamais vierge de croyances, de valeurs et de jugements. Notre manière de travailler, d’exercer notre métier est toujours liée au sens que l’on donne à notre travail et notre histoire, à notre itinéraire personnel et professionnel. Expliciter ces valeurs, s’interroger sur leur sens, est, dès lors, un impératif catégorique pour le chercheur comme pour tous ceux qui entendent gérer le travail.

Le lien ombilical unissant la philosophie et l’ergologie émerge presque naturellement de cet éclairage sur l’usage des valeurs. C’est le philosophe Yves Schwartz qui, au fil de ses travaux d’histoire des sciences et des techniques, s’est intéressé aux questions du travail, au sein d’un collectif pluridisciplinaire et pluri-professionnel créé au début des années 1980(1) pour réfléchir sur l’approche et l’intervention possibles sur les mutations de travail avec des interlocuteurs issus de ce monde du travail. L’approche ergologique se caractérise par conséquent par cette double dimension épistémologique et éthique. Elle est l’héritière de la philosophie de la vie de Georges Canguilhem pour qui « vivre, c’est être porteur de ses propres normes », c’est tenter d’imposer sa marque à son milieu. La démarche ergologique est également l’héritière des travaux des ergonomes de langue française dont Alain Wisner, qui établit le caractère universel de l’écart entre la prescription et la réalité.

Durant ces 20 dernières années, réfléchissant sur le travail et sa richesse incommensurable avec ce collectif, Yves Schwartz a théorisé cette démarche pour l’étendre à l’activité humaine. Elle est enseignée au sein du master en ergologie qui a la particularité d’être à la fois un master professionnel et un master recherche.

Aujourd’hui, l’approche ergologique peut nous éclairer sur de nombreux débats de société autour de la valeur et du sens que nous donnons au travail : restructuration en entreprise, chômage, exclusion, flexibilité, globalisation de l’économie, souffrance au travail, prise en charge du handicap...

Les sujets des recherches menées au sein de l’institut ou en collaboration en sont la preuve : en mars 2013, des rencontres porteront sur les défis du management, un projet ANR est en cours de rédaction sur la thématique des discriminations au travail (Christine Lemaître), un projet a été mené en 2011 sur l’échange des « bonnes pratiques » au sein d’associations (Dominique Efros et Edouard Or-ban), plusieurs séminaires d’études sont régulièrement organisés en coopération avec plusieurs universités brésiliennes et l’université de Porto.

En septembre dernier, le 1er congrès de la Société internationale d’ergologie a réuni à Strasbourg près de 140 chercheurs et protagonistes du travail, issus de six pays différents. Une dizaine de thèses en cours sous la direction de Yves Schwartz, de Renato Di Ruzza et de Christine Lemaître concernent notamment l’autogestion, la question du handicap, l’économie sociale et solidaire ou encore l’élaboration des chartes éthiques dans les grandes entreprises.

Au-delà de l’approche scientifique, « l’engagement ergologique, serait de retisser les liens entre les résultats du travail et leur contenu en termes d’activité humaine ». 

(1) Il réunissait Bernard Vuillon sociologue, Jacques Duraffourg ergonome et Daniel Faïta linguiste.

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