Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Repenser et modifier durablement la production agricole en France

La mondialisation de la production agricole et du commerce des denrées alimentaires multiplie les risques de pénuries et les dégâts écologiques. Elle participe à l’accélération du réchauffement climatique qui rendra les récoltes de plus en plus aléatoires. Il est possible de sortir de cette spirale mortifère en promouvant une agriculture plus écologique. Il s’agit de faire travailler la nature de manière intelligente. Sortir de cette impasse suppose de travailler sur des concepts comme la « Règle verte » et la « Planification écologique », une voie esquissée par le Front de gauche lors de la campagne pour l’élection présidentielle en 2012.

Cette année 2013 est une année de grande incertitude concernant la sécurité alimentaire mondiale. Après un hiver long et rigoureux dans de nombreux pays de l’hémisphère nord exportateurs de céréales, des rendements globaux inférieurs aux moyennes de ces dernières années pourraient déboucher sur une situation tendue car les stocks de report de fin de campagne ne sont guère plus élevés qu’ils n’étaient lors de la spéculation qui provoqua les émeutes de la faim en 2007-2008. Faute de devises, l’Égypte, premier importateur mondial de blé, a laissé fondre son stock de sécurité à 81 jours de consommation au début de printemps au lieu de six mois habituellement.

Le G20 agricole de 2011 na servi à rien

En juin 2011, pourtant, un G20 mondial de l’agriculture s’était tenu à Paris sous la présidence du ministre français de l’Agriculture Bruno Le Maire. Il avait été décidé de mieux informer les États sur les stocks disponibles, mais sans aller jusqu’à constituer de stocks de sécurité, ce qui aurait impliqué de produire provisoirement plus que les capacités d’absorption du marché d’une année sur l’autre et de gérer cette différence dans la durée en contrevenant à la sacro-sainte loi du marché. En ne le faisant pas, la décision du G20 revenait à améliorer l’information des spéculateurs sur les périodes les plus favorables à la spéculation. Ce G20 agricole avait aussi décidé que les pays traditionnellement exportateurs seraient sommés de ne pas interrompre leurs exportations en cas d’accidents climatiques se traduisant par des baisses de rendements. Ce qui revenait à exiger de ces pays d’exporter le grain qu’ils n’auraient pas, sauf à affamer leur propre peuple et à faire flamber les prix sur leur marché intérieur. Ainsi, pour avoir exporté trop de blé durant l’automne 2012 sans tenir suffisamment compte de ses propres besoins, la Russie est contrainte d’en importer au prix fort dès le printemps 2013 dans l’attente de la nouvelle récolte !

Néanmoins, dans Jours de pouvoir (2) en janvier 2013, Bruno Le Maire écrivait à propos des conclusions de ce G20 agricole : « Nous avons décidé de ne plus accepter les réactions unilatérales lorsqu’un État producteur est confronté à une sécheresse, une inondation ou un problème particulier. Nous avons voulu mettre en place des dispositifs de coordination qui permettront de décider en commun les réactions adaptées en cas de chute brutale de la production dans un pays ou dans un autre ». L’énarque et ancien ministre n’a pas appris à l’ENA qu’il faut cultiver et récolter du blé en quantité suffisante avant de le mettre en vente.

D’une façon plus générale, la mondialisation de l’agriculture sous la double influence de la loi de l’offre et de la demande et de la théorie des avantages comparatifs ‒ conceptualisée par David Ricardo à une époque où la population mondiale atteignait à peine un milliard d’habitants ‒ crée aujourd’hui une situation explosive. Ajoutons que les dirigeants politiques des grands pays agricoles de la planète et les patrons et patronnes des organismes multilatéraux comme le FMI, l’OMC et même la FAO n’ont pas une vision lucide des conditions à réunir pour nourrir entre 7 et 9 milliards d’habitants dans un contexte marqué par le réchauffement climatique.

Comment expliquer, au-delà du parti pris en faveur du tout marché, cette carence de la réflexion sur la sécurité alimentaire dans un monde soumis aux aléas climatiques qui peuvent beaucoup varier d’une année sur l’autre ? Selon Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, « il existe encore un blocage mental de la part d’un grand nombre de dirigeants qui ont du mal à penser la modernisation de l’agriculture autrement que sur un mode mono-linéaire, comme s’il n’y avait qu’une trajectoire de progrès possible. En d’autres termes, selon eux, le seul progrès possible s’entend sur le mode d’une industrialisation toujours plus poussée » (3) de l’agriculture.

La dérégulation de la production laitière a des effets catastrophiques en France

Au-delà du cas particulier des céréales qui sont les denrées alimentaires les plus facilement stockables, la méconnaissance des spécificités de la production agricole sont visibles dans l’Union européenne avec l’abandon des quotas laitiers qui avaient été mis en place en 1984 pour réguler la production. En dépit des quelques difficultés rencontrées lors de leur mise en place dans notre pays, ils avaient eu le double avantage de maintenir un prix du lait correct durant un quart de siècle et de produire une bonne partie de ce lait dans les zones herbagères de montagne et de piémont inconvertibles en grandes cultures. Or, la sortie des quotas prévue pour 2015 produit déjà plusieurs conséquences fâcheuses en France. Le prix du lait est trop bas pour assurer une rémunération correcte des producteurs. Il encourage de ce fait l’abandon de la production laitière, notamment dans les zones herbagères difficiles où sont élaborés les meilleurs fromages !

Les laiteries poussent les producteurs à augmenter leurs volumes de lait par exploitation dans les zones de production intensive, là où les vaches mangent plus de grain que d’herbe, à savoir du maïs ensilé et du soja importé. Ce système fourrager augmente les pollutions et les émissions de gaz à effet de serre. Il favorise la mise en place de projets comme celui dit des 1 000 vaches finalement ramené à 500 en baie de Somme afin d’adjoindre une production énergétique issue de la méthanisation des effluents d’élevage, ce qui multiplie aussi les conséquences néfastes. Ainsi, on assiste en Allemagne au doublement de la production de maïs destiné à l’ensilage. La moitié de ce maïs ensilé va dans la panse des vaches et l’autre moitié est jetée dans le digesteur avec les effluents d’élevage afin de doubler la quantité de méthane qui sera transformée en électricité grâce à une meilleure fermentation.

En productions végétales comme en productions animales, la fuite en avant dans le productivisme devient de plus en plus coûteuse désormais et le sera de plus en plus avec l’augmentation du prix de l’énergie. Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’augmentation des rendements agricoles avait été rendue possible par la mécanisation croissante des travaux agricoles, par les apports d’engrais et de pesticides, par la sélection génétique des plantes comme des animaux. C’est de moins en moins le cas désormais et ce modèle agricole productiviste sera bientôt à bout de souffle. Car il est gourmand en carburants, en engrais, en produits de traitement, en machines agricoles coûteuses, en bâtiments d’élevage de plus en plus difficiles à amortir quand les prix agricoles se compriment.

La question qui est posée au monde paysan comme au monde politique chargé de conduire la politique agricole au niveau européen n’est pas de s’adapter encore et toujours au marché mondial et à son fonctionnement erratique. Il s’agit désormais de redéfinir un modèle agricole européen à la fois social, riche en emplois et respectueux de l’environnement. Il doit donc être économique, agronomique et écologique. Il est déjà acquis que ce modèle ne naîtra pas de la nouvelle réforme de la Politique agricole commune (PAC) qui doit être finalisée au cours de cette année 2013. Le « verdissement » préconisé par la Commission européenne est incompatible avec l’orientation libérale et la multiplication des accords commerciaux bilatéraux impulsés par la même Commission, sans même parler des divergences entre les pays membres de l’Union sur le contenu de la réforme.

Le projet franco-français de Stéphane Le Foll

Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, a lancé fin 2012 un débat sur le thème « Agricultures, produisons autrement ». Il doit se poursuivre jusqu’à la fin de cet été pour déboucher sur une loi-cadre avant la fin de l’année en cours. L’initiative est pertinente a priori. Nous atteignons désormais un moment de l’histoire de l’humanité où la mondialisation de l’agriculture peut déboucher sur des difficultés cumulées qui se traduiront simultanément par des flambées soudaines des prix alimentaires, la multiplication des famines dans un contexte de dégradation des terres arables, de raréfaction des ressources en eau et d’accélération du réchauffement climatique par la déforestation pour cultiver toujours plus de céréales.

Croire que le marché agricole mondialisé peut satisfaire la demande mondiale de produits alimentaires revient à commettre au moins trois erreurs : on oublie que la production alimentaire a été et restera essentiellement une production de proximité ; on occulte le fait que les progrès des rendements agricoles de la seconde moitié du xxe siècle ne seront pas possible au xxie ; on refuse de voir que l’utilisation massive des graines céréalières et des graines à huile pour nourrir les humains, les animaux d’élevage et maintenant les moteurs des véhicules en circulation se traduira par une augmentation exponentielle de la production de grain qui débouchera sur une destruction massive des écosystèmes en quelques décennies. Si tous les pays du monde décidaient, comme l’a fait l’Union européenne, de mettre dans les moteurs 10 % de carburants d’origine agricole d’ici 2020, il faudrait utiliser à cet effet 85 % des plantes sucrières, 45 % des graines à huile et 25 % des céréales sur la base de la production réalisée en 2008. Ce n’est pas tenable.

À l’opposé de ce no future, la France peut réinventer un modèle agricole à la fois productif et respectueux de l’environnement. Le ministre de l’Agriculture affirme vouloir « faire de l’agro-écologie une force pour la France ». Dans ce contexte le triptyque « règle verte », « planification écologique », et « souveraineté alimentaire » peut donner un cadre cohérent pour produire de manière durable. Au-delà des slogans qui ont le mérite de frapper juste, il convient, toutefois, de pousser le débat jusque dans les moindres détails pour promouvoir cette agro-écologie qui permettra de produire mieux en France. Ce qui veut dire produire autant de calories, voire nettement plus qu’aujourd’hui, en utilisant moins d’intrants chimiques et moins d’énergie par calorie produite.

Comment exploiter les ressources renouvelables ?

L’agriculture c’est de l’économie, de l’agronomie et de l’écologie. Quand elle n’est vue que sous l’angle économique pour être soumise à la concurrence mondialisée, on en perd de vue les bonnes pratiques agronomiques qui sont pourtant les conditions à réunir pour avoir une agriculture durable, donc écologique. Et il est tentant ici de rappeler cet avertissement du géographe américain Jared Diamond dans son livre Effondrement (4) : « On peut exploiter indéfiniment des ressources renouvelables pour autant qu’on les emploie à un niveau inférieur à celui de leur régénération, sous peine sinon de les épuiser comme l’or de la mine. Si toutefois on exploite les forêts, le poisson et la terre arable à des taux dépassant leur taux de renouvellement, eux aussi sont menacés d’extinction, tout comme l’or de la mine. »

Aujourd’hui, pour les poissons comme pour de nombreuses forêts et bien des terres arables, le niveau d’exploitation est supérieur à celui de la régénération. On peut même dire que les terres les plus fertiles sont les plus mal traitées alors que les moins productives sont laissées à l’abandon, y compris en France. Mais on sait aussi qu’il existe des techniques de travail du sol et des pratiques agronomiques qui permettent de sortir l’agriculture de cette course à la rémunération rapide des capitaux qui exploite les sols jusqu’à l’épuisement.

Le double défi posé aux agricultures du monde dans les prochaines décennies consiste à produire plus de calories qu’aujourd’hui tout en émettant globalement moins de gaz à effet de serre (GES). Pour parvenir à ce résultat, les méthodes de production doivent redevenir plus écologiques qu’aujourd’hui. Les denrées alimentaires devront moins voyager entre leur lieu de production et de consommation. La transformation industrielle des produits alimentaires devra être plus sobre. Aujourd’hui, le bilan carbone d’un kilo de frites précuites et surgelées achetées en grande surface est cinq fois plus élevé que celui d’un kilo de pommes de terre que l’on fait cuire chez soi à la vapeur après l’avoir acheté au marché.

Dans les pays développés nous devrons actionner de nombreux leviers pour réduire le bilan carbone de chaque calorie consommée par chaque humain. Il s’agira de réduire la consommation des produits de contre-saison promue par la grande distribution depuis plus d’un quart de siècle. Il s’agira aussi de réduire la proportion de protéines d’origine animale dans notre bol alimentaire, qu’il s’agisse de la viande, du poisson et des produits laitiers alors que les trois se cumulent souvent dans un même repas en restauration collective comme à domicile. Il s’agira enfin de modifier la nourriture des animaux d’élevage qui est devenue trop granivore, y compris et surtout pour les herbivores ruminants que sont les bovins, les ovins et les caprins.

Quatre modifications majeures dans la manière de produire des denrées alimentaires

Produire mieux et à moindre coût suppose de rompre avec la mise en concurrence de toutes les agricultures du monde pour exploiter de manière durablement productive chaque parcelle de terre agricole. Dans un pays comme la France cela suppose que l’on privilégie désormais des méthodes qui ont fait la démonstration de leur pertinence économique, agronomique et écologique. Il s’agit de la simplification du travail du sol, du développement de la culture des légumineuses qui réduiront les importations de soja, des cultures maraîchères et fruitières autour des grandes villes, de l’agro-foresterie avec la promotion de l’arbre nourricier en relançant la production de châtaignes, de noix et d’olives notamment.

Le non-labour et le travail simplifié des sols

Les résultats des expériences menées depuis une vingtaine d’années dans plusieurs pays agricoles démontrent que le non-labour et le travail simplifié des sols permettent de produire mieux et à moindre coût en améliorant considérablement l’état des sols. On ne retourne plus les champs au moment d’implanter une nouvelle culture. Le non-labour consiste à semer directement du blé, du maïs ou de l’orge en broyant au besoin le couvert végétal précédant l’implantation de la nouvelle culture tandis que le semoir dépose les graines sous un ou deux centimètres de terre. Ce faisant l’agriculteur économise du fioul tandis que la parcelle non-labourée ne libère que très peu de carbone.

Une fois les graines levées, elles vont progressivement profiter de la décomposition du précédent couvert végétal lequel va aussi favoriser l’activité des vers de terre qui vont travailler à sa décomposition et transformer ces végétaux en minéraux assimilables par la nouvelle culture. Parallèlement ces couverts végétaux en décomposition jouent un rôle d’éponge pour réduire le ruissellement de l’eau de pluie, laquelle pénètre plus facilement vers les racines des plantes grâce aux multiples galeries creusées par ces mêmes vers de terre qui se multiplient dans un sol non labouré.

Partout où ces expériences ont été menées, le sol s’est considérablement enrichi en matière organique et retrouve de ce fait une plus grande fertilité au bout de quelques années avec moins d’engrais chimiques, ce qui n’est pas le cas dans les parcelles labourées. Toutefois, en dépit de ses nombreux avantages agronomiques, écologiques et économiques, le non-labour ne progresse que très lentement en France. Le poids des habitudes influence le monde paysan et une parcelle non-labourée apparaît sale durant les semaines qui séparent la levée des graines de blé ou de maïs de la montée des tiges.

En France, le non-labour a progressé dans les régions de grandes cultures durant les années où les prix relativement bas des céréales conduisaient les producteurs à réduite leur consommation de carburants. Mais cette pratique ne progresse pas quand les céréales sont chères comme en 2012 et 2013. Le choix majoritaire est alors d’optimiser le rendement brut à l’hectare en considérant que le résultat financier sera ainsi assuré sans se compliquer la tâche.

La culture des légumineuses

Les légumineuses sont des plantes fourragères qui sont consommées entières par les animaux d’élevage quand il s’agit de trèfle ou de luzerne. Mais ce sont aussi des graines de soja, de pois, de féverole et de lupin qui entrent dans l’alimentation du bétail. Il existe enfin des légumineuses recommandées pour l’alimentation humaine, les plus connues étant les graines de haricots, de pois chiches et de lentilles. Consommées en tiges ou en graines, les légumineuses ont la particularité de capter l’azote de l’air et de le fixer sur leurs racines pour s’en nourrir. Cette particularité donne à ces plantes de belles perspectives pour les prochaines décennies du fait de la cherté croissante des engrais azotés dont la production exige une importante consommation de gaz naturel.

On peut même considérer que les prix relativement bas des énergies fossiles durant la seconde moitié du xxe siècle ont conduit les paysans du monde entier à sous-estimer la production d’herbe à base de légumineuses. Ils ont dès lors opté pour des systèmes simplifiés, économiques en main-d’œuvre. L’exemple le plus connu en France est l’association d’un aliment très énergétique et d’une graine riche en protéines. C’est la classique association du maïs fourrager récolté à un stade proche de la maturité, broyé et mis en silo sous bâche et associé à des tourteaux de soja importés pour nourrir les ruminants, à commencer par les vaches laitières. Ce système a pour principal avantage de réduire la charge de travail dans les fermes laitières et le double inconvénient d’avoir un prix de revient de plus en plus élevé tout en aggravant le bilan carbone de la production laitière. Il sera de moins en moins pertinent au fur et à mesure que nous avancerons dans le siècle en cours.

Dans une optique de réduction des coûts de production et de moindres rejets de gaz à effet de serre, la production d’herbe dans une saine association de graminées et de légumineuses sera de plus en plus performante désormais pour l’élevage des ruminants. Elle permettra de réduire la part du grain dans l’alimentation des herbivores et d’enrichir les sols par un engrais azoté capté naturellement par les légumineuses. Récolté en tige pour être séché en grange, un hectare de luzerne produit trop fois plus de protéines végétales qu’un hectare de soja dont les animaux ne consomment que la graine.

Créer de nouvelles ceintures vertes autour des villes

Les produits frais vendus en grande surface voyagent sur les distances de plus en plus longues. Aujourd’hui, une salade frisée produite au sud de l’Espagne va par exemple être transportée chez un expéditeur de la banlieue de Nantes où elle sera lavée et intégrée dans un assortiment de salade de quatrième gamme prête à l’emploi avec de la mâche du pays nantais, comme j’ai pu le constater récemment lors d’un voyage de presse. Chaque centrale d’achat de la grande distribution va ensuite grouper ses commandes qui seront expédiées par camions dans des bases régionales. Les colis seront ensuite livrés par d’autres camions dans des grandes surfaces concurrentes par chaque centrale d’achat.

Au-delà de la consommation d’énergie qui prend la forme d’un gaspillage permanent, le bilan carbone du sachet de salade de quatrième gamme est très élevé par rapport à la salade vendue par le maraîcher qui l’aura produite à la lisière d’une grande agglomération. Ainsi, en région Ile-de-France, le maraîchage et l’arboriculture ne sont plus que des activités marginales alors que plus de la moitié de la superficie de la région est composée de terres agricoles qui produisent surtout du blé, du colza et du maïs. Le même constat peut être fait autour des grandes agglomérations régionales.

Alors que l’accès au Marché d’intérêt national (MIN) de Rungis a lieu de nuit, développer une production arboricole de pommes et de poires ainsi que des cultures légumières serait plus pertinent que de ne produire que des céréales pour l’exportation. Se pose ici la question de l’accès au foncier pour développer les productions maraîchères et fruitières. On peut penser que la conversion partielle d’une ferme céréalière en maraîchage et en arboriculture serait la solution économique la plus pertinente. Mais je n’ai vu qu’un seul exemple de ce type en Ile-de-France ces dernières années. À défaut, il faudrait faciliter l’accès au foncier pour les jeunes qui sortent des lycées agricoles avec des formations en maraîchage.

Lagroforesterie : une solution du xxie siècle

Oubliée au cours du xxe siècle qui a vu triompher les cultures céréalières grâce aux progrès de la mécanisation dans la mise en culture et la récolte, l’arbre producteur de nourriture, d’énergie et de bois d’œuvre doit retrouver toute sa place dans les systèmes productifs agricoles du xxie siècle si nous voulons diversifier la production de nourriture et lutter contre le réchauffement climatique. Le châtaignier peut produire deux à trois tonnes de nourriture par an sur un hectare de terre pentue, acide et inadaptée à la production céréalière. Mais la consommation de châtaigne n’est que de 200 grammes par an et par Français alors que les méthodes modernes de conditionnement permettent de varier les mets à base de fruit du châtaignier qui se mange aussi en légume.

Notre consommation de noix ne dépasse pas 500 grammes par an et par personne alors que la France est le premier pays producteur de noix dans l’Union européenne. Nous importons 95 % de l’huile d’olive consommée en France alors que des terres qui conviendraient pour la plantation d’oliviers ont été laissées à l’abandon ces trente dernières années en Languedoc-Roussillon comme en région PACA. La pertinence du triptyque « règle verte, planification écologique et souveraineté alimentaire » apparaît ici aussi dès lors qu’il s’agit, dans une même démarche, de lancer des productions créatrices d’emplois, de participer au captage de maximum de carbone à travers des productions arboricoles, de réduire en même temps le recours aux produits importés comme l’huile de palme ou de soja.

Il convient enfin de noter que l’association de rangées d’arbres cultivés pour leurs fruits ou pour leur bois, voire les deux, ne diminue que faiblement les rendements céréaliers quand on pratique l’agro-foresterie. Par son enracinement profond jusqu’à la roche mère, l’arbre apporte de nouveaux nutriments à la couche superficielle du sol au profit des cultures céréalières comme le blé, qu’il protège aussi de l’échaudage en cas de forte chaleur au moment de l’épiaison.

D’une façon générale les solutions techniques existent aujourd’hui pour assurer la sécurité alimentaire des populations. Il ne manque finalement que la volonté politique. L’utilité du décideur politique proviendra de sa capacité à introduire de la régulation économique en rupture avec la dictature du tout marché, ce qui permettra de remplir durablement nos assiettes en gardant une planète vivable pour les générations futures. 

(1) Journaliste honoraire, Gérard Le Puill résume dans cet article les idées avancées dans son dernier livre Produire mieux pour manger tous publié en juin 2013 chez Pascal Galodé éditeurs.

(2) Jours de Pouvoir, le Seuil, 2013.

(3) Dans Vive l’agro-écologie française de Vincent Tardieu, éditions Belin, 2012.

(4) Effondrement, éditons Folio, 2006.

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