Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Aéronautique et spatial : le chantage financier ?

L’aéronautique est en proie à des contradictions fortes entre financiarisation et développement industriel et social.

Alors que la crise systémique mondiale frappe durement les pays européens, certains considèrent l’industrie aéronautique à l’abri des turbulences.

Pourtant, les restructurations et organisations opèrent à plein régime dans le secteur, ouvrant le champ à une mainmise renforcée des marchés financiers à tous les niveaux industriels, et marquant un abandon des pouvoirs publics de l’outil.

Ces coups de semonce dans un ciel loin d’être serein appellent à une riposte politique et démocratique leur opposant la construction d’une filière aéronautique émancipée des marchés financiers.

Alors que le monde occidental est plongé dans une crise profonde, économique et sociale, l’une des plus graves de l’Histoire contemporaine, avec son cortège de fermetures d’entreprises, le chômage de masse qui touche toutes les catégories sociales, y compris les plus qualifiées. Alors que des pays entiers connaissent une véritable situation d’étranglement financier, exercée au nom de la soi-disant nécessité de « rétablir la confiance des marchés ». Alors que les dirigeants européens prennent prétexte des effets dévastateurs de leur politique pour imposer aux pays, aux peuples, aux États, des politiques d’austérité qui n’ont pas d’autres effets que de les plonger encore davantage dans la crise. Certains affirment que la filière aéronautique et spatiale serait à l’abri de la crise, une crise qui ne la concernerait pas.

Elle serait même l’exemple à suivre, car les dispositions patronales qui s’imposaient auraient été prises, dès le départ. De fait, certaines données semblent leur donner raison. Citons :

- Des carnets de commande pleins : 6 à 7 ans de production au rythme de production actuel pour les avions, moteurs et équipements de l’aviation civile (Airbus, Snecma…) ;

- Des niveaux de rentabilité financière en forte progression : un résultat net pour Safran qui passe de 497 K€ en 2011 à 1 025 K€ en 2012, et pour EADS, sur la même période, de 572 à 1 037 K€ ;

- Des niveaux de dividendes distribués aux actionnaires à faire rougir de jalousie la majorité des gestionnaires de portefeuilles.

Certes, des événements « regrettables » sont venus assombrir le paysage il y a quelques années : les retards sur le programme A380 provenant des chaînes de Hambourg, ou sur l’A400M (avion de transport de troupes) dus aux difficultés rencontrées par MTU (Allemagne) dans la maîtrise de systèmes électroniques embarqués sur moteur. Mais « pas de quoi fouetter un chat » selon la direction du groupe.

Mais alors, qu’est-ce qui motive les réorganisations et restructurations, les opérations d’acquisition-fusion qui s’effectuent de manière endémique dans la filière ? C’est là qu’interviennent les marchés financiers, la nouvelle « grande muette » des entreprises. Car la filière aéronautique et spatiale n’est pas un secteur comme les autres. Pour répondre aux besoins du transport aérien, au niveau quantitatif mais aussi qualitatif, y compris sous l’angle environnemental, elle a besoin de moyens financiers importants qui grèvent les comptes et freinent l’envolée des résultats comptables.

Les marchés financiers insatiables, interpellent les directions pour qu’elles prennent des dispositions qui élargissent leur marge de manœuvre et qui permettent d’accroître le versement de dividendes.

Ces marchés financiers rechignent à voir les États intervenir car ils veulent accroître leur pouvoir de régenter les choix stratégiques. Les cabinets de notation ont été créés pour légitimer leur pouvoir. Ils n’ont de cesse d’interpeller les dirigeants des grands groupes qui s’exécutent à condition « d’en croquer ». D’où les externalisations, les délocalisations, les fusions-acquisitions. On nous objectera que le bon sens invite à rapprocher les unités de production des zones géographiques où se développe le transport aérien (Sud-Est asiatique, Amérique latine, États-Unis). Certes, mais personne n’est dupe : il n’y a aucune directive qui interdit, à terme, aux nouveaux sites d’inonder les pays comme la France. Nous sommes bien dans une logique de « dumping social » et non de coopération et de co-développement.

C’est dans ce contexte que viennent de se produire 3 événements majeurs concernant la filière ayant à voir avec la tendance à la financiarisation des grands groupes et qui renvoient à une certaine conception de la construction de l’espace européen par les dirigeants libéraux de Bruxelles et Strasbourg :

1. La recomposition capitalistique de EADS.

2. L’achat d’Avio par General Electric.

3. La Conférence interministérielle de Naples.

La recomposition capitalistique de EADS

À la faveur de la volonté de Lagardère et de Daimler de sortir du capital de EADS, coup sur coup, deux positionnements sont affirmés haut et fort sur le sens à donner à la gouvernance du groupe :

- D’une part, le nouveau PDG allemand, successeur de Louis Gallois, déclare que « le Groupe EADS doit mener une ligne permettant un nouvel élan pour une valorisation boursière auprès des actionnaires » ;

- D’autre part, les dirigeants politiques allemand affirment : « l’État Allemand doit entrer dans le capital de EADS au même niveau que l’État français ».

Autrement dit, aucune ambiguïté à attendre : la revendication allemande correspond bien à la volonté de faire accroître les intérêts de la finance et des actionnaires privés dans l’orientation donnée à EADS, et accroître le poids des marchés financiers dans les prises de décision. Pour qui serait sceptique sur cette interprétation, un certain nombre de mesures et déclarations d’accompagnement sont révélatrices des motivations qui sous-tendent ces positions :

Tom Enders déclare : «Malgré la hausse d’environ 8% de la participation cumulée des gouvernements au capital du Groupe, leur influence sera cependant moindre. Le processus décisionnel suprême, c’est-à-dire au-dessus du Comité exécutif, incombera uniquement au Conseil d’administration et à l’Assemblée générale des actionnaires, comme dans n’importe quelle entreprise normale.»

On apprend, dans le même temps, que EADS va dépenser plus d’un milliard pour racheter ses propres actions afin d’augmenter leur valeur nominale. Une opération qui réjouira sans doute les actionnaires du groupe, mais qui va coûter cher à sa trésorerie et accroître son endettement. Cette somme, qui n’a rien à voir avec le développement des moyens nécessaire, pour le Groupe, aurait été bien plus utile pour développer de nouveaux produits, améliorer les conditions de travail et relâcher la pression sur les entreprises sous-traitantes.

Enfin on apprend par voie médiatique, c’est-à-dire en dehors de tout débat démocratique, qui n’aura donc eu lieu ni au Parlement ni dans le cadre des institutions représentatives du personnel, que le couple Hollande-Ayrault a accepté, même si les formes donnent à penser qu’il y a eu négociation, que l’État français mette 3 % de ses droits de vote en sommeil tout en conservant ses droits à rémunération. Ce dernier ajustement, d’ailleurs, ne change rien à l’affaire.

L’achat d’Avio par General Electric

Les dirigeants du groupe italien Avio qui compte environ 5 000 salariés, spécialisé dans les activités d’équipements aéronautiques et spatiales (Avio est impliqué dans le petit lanceur Vega et dans les boosters d’Ariane), viennent de conclure un accord avec la firme américaine General Electric qui en acquiert le capital.

Déjà, avec la cession par la firme Flat en 2003, le groupe Avio était sous la férule de Fonds dits « d’investissements », parmi lesquels le trop fameux fonds Carlyle, puis, en 2006, le fonds britannique Cinven.

Avio sort de cette séquence avec 27 millions d’euros en 2010. Un moment intéressée, la direction du groupe Safran semblait avoir décliné, sans doute pour des raisons de coût (les marchés financiers parlaient de 3 à 4 milliards d’euros). Compte tenu de l’importance stratégique d’une firme telle qu’Avio, et du fait qu’une telle décision ait été prise à un moment où l’Italie était quasiment privée d’exécutif, on peut largement parler de scandale. Tout au plus, c’est un Mario Monti représentant 10 % des Italiens qui a couvert cette décision.

La conférence interministérielle de Naples sur l’Europe spatiale

La conférence interministérielle de l’ESA qui se tenait à Naples les 19 et 20 novembre 2012, avait à définir les axes et contours de la politique spatiale pour la période qui s’ouvre. Un certain nombre de décisions importantes étaient attendues par les acteurs de l’industrie spatiale ainsi que par les usagers, institutionnels ou commerciaux. Si la conférence semble avoir pris une décision importante en engageant le lancement de Ariane 6 qui devrait remplacer, à juste titre, Soyouz sur la base de Kourou, le reste est moins alléchant. Passons sur la décision repoussée à la prochaine conférence de 2014 concernant la politique de gamme intégrant au côté d’Ariane 6 une version pouvant lancer 11 tonnes de charges. Les observateurs ont surtout noté 3 points :

- Aucun coup de semonce contre les lancements de satellites européens par des lanceurs extra-européens.

- Réduction des coûts de lancement. Initialement annoncés à 40 %, l’objectif pourrait être de la réduire à 15-20 %.

- Diminution drastique des financements publics.

De manière évidente, on se refuse à considérer le spatial et, en particulier, les lanceurs comme un élément stratégique pour le pays et l’Europe. On préfère considérer le lancement de satellites et les applications spatiales comme des parts de marché à conquérir, ce qui fait prendre un risque considérable pour l’avenir de l’Europe spatiale.

L’occurrence de ces trois événements et la nature des réponses qui sont apportées s’inscrivent tout à fait dans le contexte général rappelé au début. Dans leur ensemble, ils se situent aux antipodes d’une logique partant des besoins et aspirations des salariés, des usagers, de nombre d’acteurs impliqués sous une forme ou une autre dans la réalisation de la filière ou leur mise en œuvre ou simplement leur utilisation. Ils montrent une construction européenne qui privilégie la mise sous tutelle de l’ensemble du potentiel industriel, le refus de donner l’ampleur démocratique et citoyenne qui s’impose au débat sur ces questions, tant au niveau de chaque pays qu’au niveau européen.

De la mobilisation des moyens financiers jusqu’à la maîtrise des moyens sous l’angle des utilisateurs, les salariés, les populations méritent une toute autre approche : de la démocratie dans les entreprises de la filière, y compris, bien entendu, sur les questions stratégiques, des questions monétaires, des questions d’emploi et de statuts sociaux qui peuvent constituer plus qu’une vitrine, un véritable effet d’entraînement. Oui, il est nécessaire et possible de mettre un groupe comme EADS, et de fait tous les grands groupes de la filière, sur une trajectoire émancipée des marchés financiers. Il est nécessaire et possible, en particulier, de mettre en échec les stratégies de mise en opposition des salariés entre eux au niveau de la planète, et de faire prévaloir des logiques de coopération et de co-développement. C’est donc dans le sens d’une véritable appropriation sociale qu’il faut s’engager, qui pourrait d’autant mieux s’exercer que le poids du capital public se renforcera, non pas comme supplétif des marchés financiers, fussent-ils européens, mais comme garant d’une stratégie partant de l’intérêt collectif et répondant aux besoins individuels et sociaux.

Dans l’immédiat, il semble nécessaire et urgent que s’affirment trois exigences :

1. Le refus du projet de recomposition capitalistique de EADS par le gouvernement français ;

2. Le droit de veto exercé au niveau des parlements Français et européen contre l’achat de la firme Avio par General Electric ;

3. L’affirmation de la nature stratégique des lanceurs européens dans la gamme de charge allant de 2 à 11 tonnes, avec le souci de garantir un avenir pour toutes les avancées technologiques majeures issues des établissements de la filière.

Dans cette visée, il est plus qu’urgent d’engager un large mouvement de débats et de mobilisations, seule voie pour que le dernier mot ne soit pas celui des marchés financiers et de leurs commanditaires. 

 

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