Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L’affaire Cahuzac : Quelle maîtrise de la Finance ?

L’affaire Cahuzac aura été un bien mauvais coup pour la démocratie. Elle aura renvoyée une image des plus négatives de la classe politique de notre pays notamment de ses plus hauts dignitaires à la tête de l’Etat. M. Cahuzac n’était-il pas le Ministre du budget ? Mais au-delà de questions d’éthique, de comportement personnel ou de morale, cette affaire soulève bien d’autres questions qui mettent en lumière les dérives d’une société, d’un système happés par la logique de l’argent roi.

L’affaire Cahuzac traduit une exacerbation du capitalisme financier et de ses effets domino sur toutes les institutions sociales et sociétales. Tout est précipité dans une sorte de chaos qui touche aux rouages même de la démocratie et de sa représentation politique. Une crise de système qui, de soumissions en renoncements, plonge l’ensemble des rapports sociaux dans un climat délétère.

Au cœur de ce processus de délabrement est la finance, est l’utilisation de l’argent pour faire toujours plus d’argent, est la mise de toutes les richesses, de tous les potentiels de création au service de la rentabilité.

C’est bien à la racine de ce mal, à ce véritable cancer financier qu’il faut s’attaquer et sans plus tarder. Cela suppose l’application de mesures à la fois radicales et crédibles qui ouvrent nécessairement sur une alternative politique porteuse d’un dépassement effectif du système d’exploitation et de dominations qu’incarne le capitalisme arrivé dans sa phase financière.

Publication des patrimoine des élus: de la poudre aux yeux

A cet égard, on ne peut manquer de souligner l’effet poudre aux yeux des mesures annoncées par le Président Hollande au lendemain du Conseil des Ministres ayant suivi les aveux du Ministre du Budget. Au motif de moraliser la vie politique, les solutions qu’il a proposées sont au mieux inadaptées au pire contreproductives. Publier le patrimoine des Ministres et des plus hauts responsables politiques, hormis satisfaire des instincts populistes, ne contribue qu’à jeter la suspicion sur tout le personnel politique, n’offrant aucune garantie de sa probité.

La mise en place d’une sorte de juridiction spéciale avec à sa tête un procureur dédié, entouré d’une brigade de policiers dits financiers, loin de proposer le développement de nouveaux procédés et la mobilisation effective de nouveaux moyens de lutte contre la fraude fiscale participent de choix qui sont à l’œuvre depuis plus de vingt ans maintenant. Des choix qui consistent à « judiciariser » le contrôle fiscal des entreprises et des contribuables les plus riches, en mettant l’accent sur la dimension pénale de quelques affaires, cela pour l’exemple et à grands renforts de communication, à l’instar de ce qui se passe aux Etats-Unis, mais qui ne permettent en rien de redonner une réelle efficacité à la lutte contre la fraude. Le Président de la République campe en effet sur une posture qui consiste au prétexte d’efficacité, à calquer l’exercice du contrôle fiscal en France sur celui des pays anglo-saxons alors qu’au cours des deux décennies écoulées de multiples rapports, dont le rapport Strainchamps, (1) ont plutôt démontré le contraire.

Une boite à outils efficace contre la fraude

Car vouloir lutter efficacement contre la fraude suppose surtout de disposer des outils de base pour cela. Il s’agit, d’une part, en amont des procédures de contrôle, de se doter des moyens d’accéder à la connaissance du tissu fiscal et aux informations sur la situation financière et fiscale des contribuables relevant de certaines catégories : les entreprises, notamment les plus grandes, et les contribuables fortunés. De l’autre, il faut pouvoir s’appuyer sur des textes législatifs et des modes d’investigations modernes et adaptés aux enjeux afin de pouvoir diligenter des contrôles adéquats et mettre en œuvre les procédures nécessaires.

Mais cela suppose que trois conditions soient  remplies. La première concerne le personnel des services du Ministère des Finances et de ses administrations, notamment de la DGFIP (2), dont les effectifs doivent être suffisants, c’est-à-dire renforcés, pour accomplir leurs missions de façon suivie, approfondie et méthodique. La seconde a trait à la formation professionnelle de ces personnels dont le niveau doit être quantitativement et qualitativement relevé. La troisième touche à la transparence qui doit entourer la gestion des dossiers des grandes entreprises et des contribuables les plus fortunés dont le basculement de la gestion dans des directions spécifiques n’a fait que distendre la liaison avec les services de base et donc couper les liens avec l’information de terrain et rendre encore plus opaques les procédures qui les concernent.

De cela le Président de la République n’a pas dit mot. Pourtant c’est le cœur du problème. Tant qu’on ne sortira pas les services du Ministère des Finances, particulièrement ses services fiscaux, de la misère en moyens humains et matériels dans laquelle ils se trouvent plongés depuis dix ans avec la perte de 30 000 (3) emplois sur 170 000, on ne pourra pas mener un véritable travail de lutte contre la fraude fiscale.  

Il faut en effet savoir qu’aujourd’hui, du fait des coupes opérées dans les crédits de fonctionnement de certaines directions, on ne sait pas si celles-ci seront en mesure d’accomplir leurs missions sur la totalité des douze mois de 2013. Certains services  sont d’ores et déjà contraints  de fermer leurs portes au public lorsqu’il y a quatre grévistes parmi le personnel.

L’évolution du Ministère des Finances depuis plus de vingt ans est particulièrement symbolique de la dérive financière de toute la société, ayant vu ses principaux objectifs évoluer selon les critères dictés par le dogme de libre circulation des marchandises et des biens, à la grande satisfaction de tous les affairistes.

Sans changer le fond de cette doctrine, afficher des intentions de moraliser la finance ou le comportement des élus et autres Ministres, déclarer avec fracas qu’on va faire disparaître les paradis fiscaux, ne sont que menaces sans lendemain qui ne durent pas plus que le temps d’une intervention télévisée tentant de rassurer un peuple de plus en plus méfiant. Ayant la destinée d’une feuille morte, c’est-à-dire n’ayant aucune prise sur le fond du problème, ces déclarations laissent béantes la voie à de nouvelles dérives, à de nouveaux scandales politico-financiers.

Paradis fiscaux : aller au delà de l'effet d'annonce

En marge de l’affaire Cahuzac, chacun aura pu noter la mise à l’index des paradis fiscaux.  Chacun pourra également noter qu’à intervalles réguliers, l’actualité braque ses feux sur ces écrins soyeux pour capitaux nomades. Sorte de fantasme du chevalier blanc de la lutte contre la fraude fiscale des temps modernes, les paradis fiscaux sont devenus le nouvel étendard du G20. Un étendard qui aussitôt brandi est aussitôt replié mais qui régulièrement occupe les discussions du groupe «finances» des 20 pays les plus riches de la planète et donne lieu à diverses déclarations. Toutes plus solennelles les unes que les autres, elles sont censées traduire la détermination de la lutte internationale contre la fraude fiscale et l’évasion des capitaux. Ainsi depuis 2009 en Grande Bretagne en passant par 2011 à Cannes jusqu’au 22 avril 2013 chaque fois des progrès significatifs sont annoncés. Cette année, un accord historique a selon les participants été ratifié sur l’échange automatique des données bancaires. Pour nuancer l’avancée réalisée il s’agit simplement de se rappeler que cet échange automatique existe déjà par exemple entre la Belgique et la France. Est-ce que cela a pour autant permis de limiter l’expatriation fiscale de groupes français en Belgique ? L’exemple du Groupe B. Arnault fournit la réponse. 

S’agissant de la lutte contre les paradis fiscaux, là encore sortons des effets d’annonce. Parlons concret. La question posée est : pourquoi existe-t-il des paradis fiscaux et comment s’y attaquer véritablement, sachant que parmi les plus prisés sont des places comme la City à Londres et des pays comme le Luxembourg ou la Belgique, membres de l’Union Européenne et pour deux d’entre eux, membres de l’Euro groupe ?

La réponse est à la fois plus prosaïque et plus complexe que ce qui ressort des discours officiels. Si les paradis fiscaux existent c’est d’une part pour héberger l’argent sale qui provient de tous les trafics (drogue, armes, prostitution). De l’autre ils sont la piste d’atterrissage des capitaux évadés de pays comme la France ou d’autres pays de l’Union Européenne ou de l’OCDE. Cette évasion de capitaux résulte quant à elle, essentiellement de la mise en œuvre, au niveau national, européen et mondial de politiques fiscales laxistes et permissives sur les entreprises et le capital.

Cet argent évadé a donc deux sources. D’une part il provient des prélèvements sur la valeur ajoutée créée par le travail humain. De l’autre il a pour origine la création monétaire des banques via le crédit. Un crédit qu’elles accordent aux entreprises et aux groupes qui souvent, au lieu de l’employer pour la création de richesses utiles, l’engloutissent dans la spéculation. Un crédit qu’elles développent aussi pour soutenir directement les marchés financiers.

Aux confins de toutes ces pratiques, les paradis fiscaux sont un des instruments des marchés. L’argent évadé des circuits productifs et bancaires en servant à blanchir l’argent sale provenant des trafics, trouve dans le même temps une belle opportunité pour se rentabiliser et toute cette masse financière ainsi rafraichie peut tranquillement réapparaître sur le circuit officiel.

Quel est donc le niveau le plus opportun, le mieux approprié pour agir sur l’utilisation de l’argent des entreprises et des banques ? Quelle est la nature des réponses à apporter pour lutter vraiment contre les paradis fiscaux ?

Il s’agit d’intervenir à l’origine du problème.

Il convient d’agir avant que l’évasion ne se produise, c’est-à-dire à la source de la production de l’argent.  On nous rebat sans cesse les oreilles avec l’imposition des salariés à la source mais jamais on ne parle d’intervenir à la source de la richesse créée par les entreprises et de l’argent généré par les banques pour en déterminer l’utilisation. Et pourtant c’est bien là qu’il faut prioritairement intervenir sinon, on est voué à en rester à des effets d’annonce, à ne pouvoir intervenir qu’en second rideau, à venir corriger des inégalités, des pratiques frauduleuses mais en aucun cas à en éradiquer l’origine. Faire le choix d’une véritable lutte contre l’évasion des capitaux et la fraude fiscale suppose trois niveaux de réponses :

Donner des droits nouveaux d’intervention dans les gestions des entreprises, des banques, des services publics et des administrations aux salariés et aux citoyens. Les salariés doivent pouvoir disposer à tout moment d’une visibilité totale de la situation financière, comptable et budgétaire de leur entreprise, de leur service public. Ils doivent pouvoir intervenir sur l’utilisation des bénéfices et l’orientation du crédit. Ils doivent disposer d’un droit d’alerte général et par exemple par le biais des comités d’entreprise, d’un droit de saisine de l’administration fiscale aux fins de demander la mise en œuvre de contrôles fiscaux.
Doter l’administration fiscale de moyens humains et matériels supplémentaires et accorder aux personnels un véritable pouvoir de contrôle et d’évaluation des outils d'analyses et d'investigations mis à leur disposition et des missions dont ils sont en charge.
Construire de façon concertée et coordonnée les bases d’une coopération fiscale européenne mutuellement avantageuse. Plutôt que de chercher à tirer vers le bas, à uniformiser et à fédéraliser, il s’agirait de prendre appui sur la diversité des situations sociale, économique et fiscale de chaque pays pour construire de vraies solidarités et une véritable convergence fiscale en Europe. A l’échelle du monde, l’extension et l’élaboration de conventions internationales d’un type nouveau, intégrant des critères de développement économique et social réel pourraient constituer les premières fondations d’une législation fiscale mondiale.

Sans embrasser l’ensemble de la problématique soulevée par les paradis fiscaux, ces premières propositions constitueraient un début de réponses sérieuses à leur expension. Elles représenteraient certainement un moyen efficace de dissuasion pour les capitaux sales qui auraient ainsi perdu leur produit de lessive.

L’exigence d’un nouveau cap face à la dérive financière actuelle impose des solutions à la fois urgentes et nouvelles. Il n’est pas possible de répondre aux défis actuels en se bornant à réinstaller, même en bon état de marche, les outils précédents et à reproduire les mêmes schémas. S’il est nécessaire de redonner les moyens de fonctionner aux services du Ministère des finances, il est tout aussi urgent de passer à une nouvelle étape de la démocratie avec des droits et des pouvoirs d’intervention pour tous les salariés et les citoyens afin de construire un niveau de maîtrise supérieur du développement de la société du local au mondial.  

(1)  Rapport Strainchamps publié le 6/12/2002 portant sur étude comparative de l’exercice du contrôle fiscal externe entre 10 pays de l’OCDE : Royaume-Uni, Irlande, Pays-Bas, Suède, Italie, Espagne, Etats-Unis, Canada, Japon et Allemagne.
(2) DGFIP : Direction Générale des Finances Publiques.
(3) 30 000 emplois supprimés pour l’ensemble des administrations du Ministère des Finances dont 25 000 pour la seule DGFIP.

 

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