Le débat parlementaire sur la loi de Finances 2013 à peine clos, la controverse sur la réforme de la fiscalité a été relancée. La décision du Conseil constitutionnel de retoquer la proposition de taxation des très hauts revenus à 75 % avec l’emblématique cas Depardieu, a été ressassée à longueur d’antennes et de tribunes. Les divers chroniqueurs n’en finissaient pas d’hurler au loup contre une sorte de spoliation/confiscation qui aurait été organisée contre les plus riches de notre pays sous la houlette du gouvernement Ayrault et de F. Hollande.
Si l’on en reste à l’écume des choses c’est l’impression qu’on pouvait retirer de cet événement dont l’énorme battage médiatique n’est pas sans soulever un certain nombre de questions. Quel objectif à plus long terme pouvait donc être recherché ? Ne s’agissait-il pas de détourner l’attention d’évolutions visant une refonte radicale de la politique fiscale en France et en Europe, à partir de choix marqués du sceau de l’ultralibéralisme bien que ne voulant pas apparaître comme tel ? Dans un contexte où l’objectif est de ramener le déficit public à zéro en 2017, une véritable saignée dans les dépenses publiques (1) ainsi que de nouveaux prélèvements fiscaux et sociaux sur les ménages sont inévitables. Les services publics et sociaux déjà confrontés à d’énormes difficultés budgétaires vont très rapidement se trouver dans l’incapacité d’assurer leurs missions dans des conditions normales. Les ménages vont quant à eux connaître une nouvelle dégradation de leurs conditions de vie. L’enjeu principal de toute cette agitation médiatique pourrait donc bien se situer à ce niveau. Il s’agit de faire diversion pour que le peuple s’aperçoive le plus tard possible que le choc d’austérité conduit sous Sarkozy et poursuivi par Hollande est la vraie cause d’une croissance atone (croissance 0 % en 2012 et 0 % en 2013, voire une entrée en récession) et de l’abyssal déficit public qui minent toute la société.
Pour poursuivre sur la voie de l’austérité, des réformes structurelles sont nécessaires. Car plus personne ne va savoir faire vivre les services publics et assurer un semblant de missions publiques avec des recettes budgétaires en telle réduction. Plus personne ne sera en capacité d’assurer aux citoyens un même niveau de prestations sans qu’ils ne déboursent plus. Une restructuration radicale de la dépense publique et de son financement serait donc nécessaire. Il s’agit, d’une part, d’une restructuration qui consacrerait un recul massif des services publics avec le recours déguisé aux privatisations en faisant monter la notion de service d’intérêt général actée dans les traités européens. De l’autre, une transition fiscale vers des prélèvements de plus en plus matérialisés par des taxes (consommation et écologique) ainsi que par un impôt local élargi et alourdi.
Au cas d’espèce, l’affaire Depardieu aura servi de cache-sexe à des projets ou à de futures campagnes visant à conduire à un abandon consenti et partagé de toute idée de réforme progressiste de la fiscalité et de la sphère publique. N’est-ce pas M. Cahuzac lui-même qui a annoncé sur France 2 que « la réforme fiscale était finie » ? Mais il est vrai qu’il n’a pas précisé pour qui, ou il le pensait si fort que tout le monde aura compris que ce message s’adressait essentiellement aux hauts revenus qu’on laissera désormais tranquilles. Par contre n’est-ce pas le Premier ministre qui a annoncé fin 2012 la mise en chantier d’un projet de fiscalité écologique ? N’est-ce pas le gouvernement qui dernièrement vient d’annoncer une refonte de la taxe d’habitation dont le calcul intégrerait pour une part importante le revenu des ménages ? N’est-ce pas le projet de décentralisation qui parle d’une nouvelle fiscalité pour financer les régions ? Ne remet-on pas dans le débat la fiscalisation des prestations familiales ? Ne serait-ce donc pas de l’impôt que tout cela ? Ne serait-ce donc pas la poursuite de la réforme fiscale mais sous une autre forme, visant il est vrai non plus une catégorie de contribuables privilégiés mais la grande masse des contribuables, c’est-à-dire ceux qui disposent de revenus modestes et moyens et dont les médias ne s’empresseront pas de faire leur une ?
Si la décision du Conseil constitutionnel a donné un bien mauvais signal il est légitime de se demander à quoi d’autre pouvait-on s’attendre de la part de la droite majoritaire au sein de cette institution et à qui il a été donné le bâton pour se faire battre ? Si le cas Depardieu est un très mauvais exemple de civisme fiscal, sa surexposition médiatique par rapport à celui d’un B. Arnault n’est pas anodine. Car s’il existe une certaine similitude entre ces deux cas, le second a quand même quelques conditions aggravantes qui n’émeuvent visiblement personne. En effet B. Arnault, au-delà de son souhait d’expatrier sa fortune personnelle estimée à 20 milliards d’euros en Belgique, opération à laquelle il aurait temporairement renoncé, ce qui ne l’empêche cependant pas de continuer à demander la nationalité belge, a déjà contribué en tant que premier dirigeant de LVMH à transférer dans ce pays, une quinzaine de milliards d’euros d’actifs de son groupe par le biais de douze sociétés et d’une fondation, sociétés qui pour la plupart, revêtent la forme de simples boîtes aux lettres aux fins d’évasion fiscale. On vient par exemple d’apprendre que Pilinvest, la société belge à portefeuille établie à Bruxelles par Bernard Arnault, a déposé ses comptes annuels à la Banque nationale de Belgique. Ceux-ci font apparaître qu’au cours des années 2010 et 2011 cette société qui contrôle, selon la banque de données Graydon, 64,26 % du capital du groupe LVMH, a réalisé 85,7 millions d’euros de bénéfices, somme qui n’a donné lieu à aucun paiement d’impôts et cela en toute légalité. B. Arnault et son groupe bénéficient ainsi des largesses fiscales de la Belgique (2) et de celles offertes par le système des « intérêts notionnels »(3) instaurés en 2005 sous la pression de la Commission européenne.
La description de l’opération idéologique qui a entouré « l’affaire Depardieu » ne serait pas complète si on ne relevait pas que de nombreux citoyens, appartenant aux couches moyennes et modestes disent comprendre Gérard Depardieu. à ainsi été suscitée au plus profond de la société une sorte de syndrome de Stockholm fiscal. Les couches populaires soumises à une pression fiscale de plus en plus forte, résultant du cumul de l’impôt sur le revenu, d’une imposition massive sur la consommation et de l’alourdissement de la fiscalité locale, se sont ainsi retrouvées dans ce qu’exprimait Depardieu voire dans ce qu’on lui a fait dire. Elles ont cru reconnaître, certes à tort, une certaine similitude entre leurs difficiles conditions de vie et celles de personnes que la propagande présente en victimes du système alors qu’elles n’ont en rien à s’en plaindre, en profitant même dans la plupart des cas. Ce brouillage de pistes consiste à faire oublier que s’il est des contribuables à propos desquels on peut parler de pression fiscale limite, c’est bien de ceux relevant des couches sociales modestes et moyennes et non des multimillionnaires sur lesquels les médias s’apitoient.
Enfin on ne peut manquer d’observer que ce tintamarre participe d’une campagne idéologique féroce qui puise ses racines dans les dogmes ultralibéraux de l’Europe de la concurrence libre et non faussée dont un des principaux objectifs est de réduire au plus petit dénominateur commun le contrôle et la contribution à la dépense publique et sociale des hauts revenus, du capital et des entreprises. C’est pourquoi tout est bon pour faire accepter et partager par le plus grand nombre, et notamment par la masse des salariés et retraités qui ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts, l’idée que toute nouvelle hausse d’impôt, particulièrement sur les hauts revenus mais également sur les entreprises et le capital, est impossible. Cela participe d’une sorte d’attaque préventive contre toute velléité d’engager une véritable réforme de la fiscalité avec le double objectif d’une meilleure répartition de la richesse et de l’impulsion d’un nouveau type de croissance, en luttant contre les gâchis financiers et en favorisant les investissements utiles pour l’emploi, la formation, la recherche. C’est une autre facette de la thérapie du renoncement qui est à l’œuvre sur fond d’agitation de la crainte de voir s’expatrier tous nos riches.
Une sorte de pain béni pour le gouvernement qui bien que ne pouvant être suspecté d’appartenir à la gauche radicale trouve ainsi le moyen de se faire accrocher l’image d’un pouvoir marqué à gauche, soucieux de rétablir la justice fiscale et… sociale mais qui serait bien obligé de tenir compte de la réalité et, au final, de proposer d’autres solutions que de taxer les plus riches. Le débat qui monte en ce début d’année sur l’harmonisation fiscale européenne, comme le projet de loi proposant un troisième acte de la décentralisation ou le pacte de compétitivité, sous-tendent un certain nombre de solutions de rechange reprises à l’unisson des thèses libérales déclinées par les experts bruxellois et parisiens.
Le cas Depardieu aura finalement servi bien des intérêts. Place maintenant aux acteurs principaux. Le premier à entrer en scène a été Gilles Carrez, Président de la commission des finances à l’Assemblée nationale. Dans une interview en date du 11 décembre 2012 consacrée à l’exil fiscal il se fait le chantre de l’harmonisation fiscale européenne. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’y va pas par quatre chemins.
Pour lui, même s’il prend soin de préciser qu’il faut rester prudent : « la France pâtit d’un environnement fiscal plus clément à ses portes » notamment depuis les hausses d’impôts décidées en 2010-2011, et, depuis, par le gouvernement Ayrault. Pointant du doigt les différences de taux de notre fiscalité sur la fortune, les valeurs mobilières et les entreprises avec ceux appliqués en Allemagne et à plus forte raison dans les pays pratiquant le dumping fiscal, il en appelle à une harmonisation européenne. Mais il fait aussitôt remarquer « qu’il faut cependant bien être conscient que pour la France, cette harmonisation se fera nécessairement par le bas pour s’ajuster à la moyenne européenne ». Et d’ajouter : « Cela demandera un énorme effort d’adaptation de notre niveau de dépense publique qui reste l’un des plus élevés de l’Union européenne, à égalité avec le Danemark ». Difficile d’être plus clair.
On peut dès lors légitimement s’interroger sur le projet d’harmonisation qui pourrait par exemple concerner l’impôt sur les sociétés. Un important décalage existe en effet entre les pays de la nouvelle Europe, à l’Est, qui pratiquent des taux très bas variant de 10 % (Chypre, Bulgarie) à 21 % (Estonie, Hongrie), et les anciens États membres du Nord, du Sud et de l’Ouest dont les taux varient entre 23 % (Grèce) à 34 % (France et Belgique). On devine quel type de solutions pourrait être préconisé par la Commission européenne pour réduire au sein même de l’Union ce facteur de concurrence déloyale. Et ce ne sont pas les deux exceptions que constituent l’Irlande qui pratique un taux de 12,5 % seulement, et Malte qui au contraire pratique le taux le plus haut de l’UE, à 35 %, qui permettraient d’inverser la tendance. Il est d’ailleurs intéressant d’observer qu’une distorsion similaire existe en matière de taux de TVA (voir tableau en annexe) et que la mise en place d’une TVA intracommunautaire n’a absolument pas permis de résoudre. Il est vrai que le redevable de la TVA est le consommateur final, c’est-à-dire le citoyen moyen et que pour ce dernier, il n’est pas question de réduire le poids de l’impôt sur la consommation mais plutôt de l’augmenter.
Au cœur de cette problématique d’harmonisation est une question clé à laquelle il convient de répondre honnêtement. La fiscalité est-elle une des causes principales de l’exode fiscal ? Gilles Carrez lui-même reste très circonspect sur le sujet tant il est vrai que bien d’autres motifs interviennent dans la décision d’un citoyen ou d’une entreprise de s’expatrier. Les raisons professionnelles sont en effet très souvent déterminantes dans la décision d’un citoyen de s’expatrier. S’agissant des délocalisations d’entreprises, prévalent bien souvent d’autres critères : des questions d’environnement économique au titre desquels on peut citer les infrastructures, la qualification professionnelle et surtout des questions sociales au centre desquelles est le niveau des salaires. Par exemple dans un pays comme la Bulgarie le niveau en pourcentage des prélèvements sociaux est quasiment identique à celui de la France. Ce qui fait la différence est un niveau de rémunération entre 5 et 8 fois plus faible.
Toujours est-il que ces divers facteurs d’exil fiscal mis bout à bout participent à faire baisser les recettes fiscales et sociales en France mais aussi dans toute l’Europe. Il faut en effet être conscient du coût de l’évasion fiscale des entreprises et des particuliers pour un pays comme la France. Chiffré à environ 35 milliards d’euros par an dans un rapport du Sénat paru l’été dernier, chiffre largement contesté par ailleurs et qui devrait plutôt se rapprocher du double, l’évasion fiscale qui dans la plupart des cas est la conséquence de l’application de dispositifs d’optimisation fiscale permis par les textes législatifs eux-mêmes, nationaux et européens, est un véritable cancer pour les finances publiques. Au niveau européen, la Commission évoque le chiffre de mille milliards d’euros. C’est dire à quel point le phénomène s’est développé, et c’est dire aussi de quelle latitude – on pourrait même dire de quel laxisme – cette pratique bénéficie. Au cas d’espèce, la métaphore du pompier pyromane semble parfaitement applicable.
Ce serait tronquer le débat que de ne pas souligner la duplicité dont font preuve les tenants de l’idéologie libérale lorsqu’ils se transforment en chantres de l’harmonisation fiscale.
Comment en effet parler d’harmonisation fiscale en Europe quand des pays comme le Royaume-Uni, le Luxembourg, la Belgique, l’Irlande… font preuve d’une grande efficacité pour freiner toute évolution. En réalité, si l’évasion fiscale existe à l’intérieur même de l’Europe, c’est que l’Union, en voulant réguler par la concurrence, l’a décidé ainsi. Comment multiplier les effets d’annonce sur le besoin d’harmonisation des régimes fiscaux quand les pays européens s’empressent tous de créer et de développer des paradis fiscaux vers lesquels sont dirigés les capitaux accumulés grâce aux dispositifs d’optimisation et d’évasion fiscale ? Et avec Monaco et Andorre, la France n’est pas en reste !
C’est d’ailleurs une des raisons qui a conduit à ce que depuis 1957 (traité de Rome), les tentatives d’harmonisation aient toutes plus ou moins échoué ne concernant pourtant pour l’essentiel que la TVA. Et bien qu’il avait été reconnu que le manque d’harmonisation des régimes fiscaux ne participerait pas à faciliter la coordination des politiques économiques, cette carence n’a pas été considérée comme une entrave à la mise en place, en 1992, du grand marché intérieur.
Depuis, d’ailleurs, la situation n’a cessé de se dégrader en arrivant même à ce que les échanges d’informations fiscales soient très difficiles à mettre en œuvre sur le territoire de l’Union. En 2003 une directive a bien instauré un échange automatique en la matière, mais des pays comme le Luxembourg, la Belgique, l’Autriche ont bénéficié d’une période de transition. Et celle-ci semble parfois s’éterniser.
Ainsi on peut dire que les candidats à l’exil fiscal n’ont pas vraiment lieu d’être dissuadés. Ils ont même toutes latitudes pour utiliser les différentiels de fiscalité sans être inquiétés au nom de la liberté de circulation des hommes et des services au sein du Marché unique. Et si l’exil fiscal des particuliers parvient à défrayer la chronique, celui-ci n’est que peu de choses face à « l’optimisation » que pratiquent les entreprises et surtout les grands groupes qui s’établissent dans les pays à bas coût fiscal et dont le génie financier trouve sa quintessence dans la pratique des prix de transferts. Les filiales implantées dans les pays à fiscalité basse surfacturent leurs services à celles implantées dans les pays à fiscalité plus haute ; ce qui réduit d’autant la charge fiscale globale du groupe. C’est ainsi que Google Europe pourrait devoir un milliard d’euros d’impôts à la France.
À l’évidence il est aisé de discerner le double jeu de la pensée ultralibérale lorsqu’elle se transforme en thuriféraire de l’harmonisation fiscale européenne. Pour elle, l’harmonisation est surtout conçue comme un moyen d’offrir une plus grande liberté au capital, au profit, à la fortune et aux mouvements spéculatifs.
Pour autant, il ne faut pas ignorer les questions importantes que soulève la construction d’une harmonisation fiscale en Europe. Ce sujet touche en effet à des ressorts profonds de l’organisation politique et administrative des pays et plus globalement à leur vie démocratique. Elle est profondément liée au mode de développement économique et social que l’on veut en Europe et dans chacun des pays européens. Ainsi il n’est pas neutre que, dans le contexte d’aujourd’hui, la réflexion sur l’harmonisation fiscale porte prioritairement sur des impôts comme l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le capital ou la fortune.
Avant de brandir l’harmonisation fiscale comme un slogan, il devrait tout d’abord s’agir de commencer à définir l’objectif et le cadre général qu’on fixe à la fiscalité et plus globalement à la politique fiscale, au plan européen à partir de la réalité des pays qui composent l’Union et des besoins de leurs populations.
On ne peut également ignorer que la capacité d’un pays à décider de sa politique fiscale et à lever l’impôt représente un des fondements de sa souveraineté. Cette souveraineté qui est déjà particulièrement mise à mal par les dispositions découlant de l’entrée en application conjointe du TSCG et du MES prévoyant qu’un comité européen de sages puisse en quelque sorte donner l’imprimatur de la Commission de Bruxelles aux projets de budgets de chacun des États européens. En arrière-plan de cette évolution est l’avancée vers un fédéralisme fiscal, une des pierres angulaires du fédéralisme politique dont l’objectif est de parvenir à ce qu’une oligarchie assure la gouvernance de l’Europe et impose les dogmes du capitalisme mondialisé à l’ensemble des peuples européens.
Pourtant, si ce type d’harmonisation fiscale par le bas, selon les critères du capitalisme mondialisé, avait été pratiqué depuis la création de l’Union, il y a fort à parier que le niveau de l’aide apportée aux pays nouvellement entrants aurait été quasiment inexistante et que cela aurait d’une part calmé les ardeurs de plusieurs postulants et de l’autre réduit fortement le projet européen.
En outre, un événement devrait nous inciter à réfléchir sur le sens et la portée d’une politique d’harmonisation fiscale. Il s’est agi en France, en matière de fiscalité locale, de la mise en place d’une harmonisation de la taxe professionnelle par la création d’une taxe professionnelle unique (TPU) applicable au territoire des communautés de communes et des communautés d’agglomération. La raison invoquée était la lutte contre la concurrence fiscale entre les communes. Le résultat, une quinzaine d’années plus tard, est très instructif. Premièrement, l’harmonisation des taux s’est effectuée par le bas. Ce qui, au global, s’est traduit par une baisse de la recette de taxe professionnelle une fois cet impôt unifié. Deuxièmement, jamais la concurrence entre territoires n’a été aussi exacerbée car face à une création de richesses au point mort, les collectivités territoriales doivent faire des offres toutes plus attractives les unes que les autres (exonération fiscale par exemple de TP ou de TF, voire des deux ) pour convaincre les entreprises nouvelles de s’installer sur leur territoire, ou inciter certaines à s’y délocaliser. Troisièmement, la taxe professionnelle a fini par disparaître. C’est N. Sarkozy qui lui a porté le coup de grâce. Cet exemple national doit donner à réfléchir, à plus forte raison lorsqu’on sait que c’est sur ce type de modèle que pourrait être construite l’harmonisation fiscale européenne.
Enfin en s’efforçant de poursuivre l’observation de la situation nationale, on peut légitimement se demander quelle harmonisation de l’impôt sur les sociétés pourrait voir le jour au plan européen alors que le taux réel de cet impôt en France est déjà bien en deçà du taux affiché de 33,33 % et non uniforme. Le taux réel de notre impôt sur les sociétés n’est en effet que de 8 % pour les entreprises du CAC 40 alors qu’il est de 24 % pour les PME.
Face à une telle situation, combattre le dumping fiscal en Europe commence déjà par régler cette question au sein même de chacun des États, ce qui suppose d’engager des processus de refonte radicale de la fiscalité dans chaque pays en recherchant à bâtir un impôt juste et efficace et en travaillant dans le même mouvement à la construction d’une vraie coopération fiscale en Europe. Il est en effet insuffisant de se contenter de répéter à qui veut l’entendre qu’il faut harmoniser. Quand j’entends évasion fiscale, je sors mon harmonisation paraît pour le coup une vision assez réductrice d’une situation complexe qu’il convient de traiter dans toute sa diversité. Avant de parler ou d’envisager la mise en place d’une harmonisation fiscale européenne il s’agit de s’accorder sur la finalité de cette harmonisation, c’est-à-dire de définir l’objectif qu’un tel processus doit servir. Malheureusement cela ne semble pas être le souci majeur d’une majorité de laudateurs de l’harmonisation fiscale européenne, passés maîtres dans l’art du double langage et d’un discours posant de vraies fausses questions. S’élever contre les différences de niveau d’imposition entre les pays de l’Union européenne, c’est bien. Dire que c’est mauvais pour le développement économique est audible. Mais travailler sans cesse à réduire la fiscalité des entreprises, du capital et des plus riches en se référant toujours aux pratiques les plus laxistes et aux taux les plus bas participe d’une certaine malhonnêteté intellectuelle. Une posture qui vise par une concurrence faussée à soumettre les populations au dogme de la rentabilité et du fédéralisme européen. Il s’agit en effet de faire accepter aux ménages, dont la majorité dispose de revenus modestes et moyens, les cures d’austérité à répétition et l’augmentation de leur contribution sociale et fiscale. Des choix qui relèvent d’une logique mortifère pour les finances publiques et qui amputent toute possibilité de relance d’une nouvelle croissance à la fois saine et durable, fondée sur des critères sociaux et environnementaux.
En matière de fiscalité comme en d’autres domaines, la coopération entre États européens doit reposer sur des bases claires. L’objectif doit être de construire des coopérations mutuellement avantageuses et non d’aubaine, et placées sous le contrôle démocratique des populations. Vu son caractère universel et cela malgré de fortes disparités, la fiscalité est une matière qui peut se prêter assez aisément à la construction de vraies solidarités à condition qu’elles aient pour objectif le co-développement, la mutualisation et le partage des moyens et des résultats à l’opposé de constructions technocratiques imposées à tous en dehors de toute réalité sociale et économique locale. Travailler à construire une coopération fiscale efficace suppose d’établir une vraie coordination des politiques fiscales de chaque État dans le respect de chacun et sur la base d’une convergence d’intérêts librement définie.
Dès lors il semblerait que le principal problème ne soit pas forcément les différentiels d’imposition qui existent entre pays, mais la manière dont on traite la situation fiscale des contribuables, personnes physiques ou personnes morales, qui utilisent ces différentiels pour pratiquer l’exil fiscal au cœur même du territoire de l’Union européenne, aux fins de se dispenser ainsi de tout ou partie de leur impôt. Il faut en effet tenir compte du fait que la politique fiscale, c’est-à-dire la législation fiscale et le taux des impôts pratiqués dans chaque pays, traduit une histoire propre et reflète un niveau général de développement de ces pays. Leur imposer de façon abrupte des normes hors de leur capacité pourrait parfois contribuer à aggraver leurs difficultés au lieu de leur permettre de les résoudre. N’est-ce pas cela qui s’est produit avec la mise en place uniforme de l’euro dont on peut aujourd’hui mesurer les conséquences pour certains pays, par exemple la Grèce ?
Concrètement cette coopération pourrait s’incarner dans la construction d’un serpent fiscal européen. Son mécanisme serait basé sur la mise en place de taux d’imposition planchers en dessous desquels on ne pourrait descendre notamment pour les catégories d’impôts directs et progressifs et de taux plafonds au-dessus desquels on ne pourrait aller, particulièrement pour les impôts à taux proportionnels qui, dans la plupart des cas, taxent la consommation et dont le plus emblématique est la TVA.
En termes stratégiques, il semblerait utile de placer l’élaboration et le contrôle d’un tel mécanisme sous la responsabilité d’une commission de la coopération fiscale installée dans chaque État et au niveau européen. Le travail de ces commissions serait placé sous le contrôle des parlements nationaux et européens. Elles seraient composées de députés, de représentants des organisations syndicales de salariés et du patronat, de responsables d’organismes de consommateurs et de spécialistes de la fiscalité dont le nombre serait limité à deux. Cette commission aurait en outre la responsabilité d’administrer un dispositif complémentaire au serpent fiscal qui consisterait à établir et à faire respecter une convention solidaire entre tous les pays de l’Union. Cette convention préciserait que les contribuables (personne physique ou personne morale) dont il serait avéré que l’exil fiscal est essentiellement guidé par une volonté de défiscalisation se verraient taxer sur le territoire du pays de destination au même taux que dans le pays d’origine. La recette fiscale ainsi obtenue serait répartie entre ces deux pays respectivement à hauteur de un tiers et deux tiers du montant collecté.
De tels outils permettraient de lutter efficacement contre les paradis fiscaux, offrant les moyens de s’attaquer à la racine du mal. C’est-à-dire de réduire les possibilités d’évasion fiscale, la pratique de l’optimisation fiscale étant elle-même réduite par le fait que les contribuables ne disposeraient plus de la possibilité de jouer sans entrave sur les différentiels de taux et de législation entre pays de l’Union.
Lutter contre le dumping fiscal en Europe et se donner les moyens de coopérer vraiment pour dépasser cette pratique relèvent aujourd’hui d’une certaine priorité pour défendre le modèle social européen et permettre aux États de pouvoir taxer de nouveau des acteurs économiques nomades afin de les faire contribuer à leur juste mesure à la dépense commune. Mais au-delà ou peut-être en deçà de la coopération fiscale, il y a un domaine où le besoin de convergence est tout aussi essentiel, c’est le domaine social, c’est-à-dire le niveau des salaires et la situation de l’emploi. Car on pourra mettre en œuvre les meilleurs outils de coopération fiscale possibles, on pourra élaborer les meilleures législations et décider des plus justes taux, si la base des prélèvements qui est la richesse créée ne fait que se réduire, l’effet fiscal de telles dispositions demeurera assez limité.
Voir : Liste des taux de TVA appliqués dans les états membres (dans le fichier pdf)
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(1) Après cinq années de sarkozysme et la mise en place de la révision générale des politiques publiques (RGPP), 150 000 postes de fonctionnaires ont disparu dégageant 15 milliards d’euros « d’économies ». Le budget 2013 et la loi de programmation des finances publiques 2013-2017 amplifient cette régression proposant de réduire les dépenses publiques de 50 milliards d’euros. Somme à laquelle il faut ajouter les 20 milliards d’euros annuels du crédit d’impôt (pacte de compétitivité) et qui occasionnera 10 milliards d’euros d’économies supplémentaires en 2014 et 2015.
(2) La législation belge autorise notamment la déduction de 95 % du montant total des dividendes versés à une société holding par les sociétés dont elle détient des parts. Et les plus-values d’une telle entreprise sont également exemptes d’impôts.
(3) Le système des « intérêts notionnels ». Ce sont des intérêts déductibles… et fictifs. Ils ont été instaurés en 2005 sous la pression de la Commission européenne. Ils visent à établir une équité entre les sociétés qui se financent par l’emprunt, dont les intérêts sont déductibles, et celles qui se financent grâce à leurs actionnaires (fonds propres). Ce système aboutit à ce que plus une société est capitalisée, moins elle paie d’impôts. Cela a drainé de vastes mouvements de capitaux vers la Belgique.
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