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Mieux vaudrait combattre la dictature des marchés financiers

Faut-il prôner la Séparation des banques de marché et des banques de dépôt ?

Publié dans L'Humanité du 13 février 2013 par Par Denis Durand, économiste, membre du conseil national du PCF.

Le projet de loi de « séparation et régulation des activités bancaires », même amendé à l’initiative parlementaire, ne changera que bien peu de choses au comportement des banques françaises. Chacun a pu noter que les mesures proposées sont bien moins sévères que celles qui ont été adoptées aux États-Unis (commission Volcker), en Grande-Bretagne (rapport Vickers) et même à la suite du rapport, encore plus timide, remis par l’ancien gouverneur de la Banque de Finlande, Erkki Liikanen, à la Commission européenne. Les dirigeants de la profession ne cachent pas leur soulagement. Mais il y a plus.

Le gouvernement, mais aussi ceux qui expriment des critiques contre le projet restent muets sur un sujet important, peut-être même le plus important en la matière. Quel est, en effet, le but annoncé de la réforme ? En principe, empêcher que la nation se trouve un jour placée devant le dilemme suivant : accepter que la faillite d’un groupe bancaire entraîne, de proche en proche, l’effondrement de tout le système financier, ou bien reconnaître que la collectivité ne peut pas se permettre d’en arriver là et qu’elle doit, par conséquent, mobiliser une masse d’argent public pour renflouer la banque en difficulté.

Mais quel est le canal de ce « risque systémique », comme l’appellent les financiers ? Il y a, bien sûr, les liens en capital entre banques. Par exemple, si une banque de dépôt a pour filiale une banque de marché et que celle-ci fait faillite, cela entraînera une perte pour la maison mère et, potentiellement, un risque pour les déposants. Mais ce n’est pas là le canal principal.

Supposons en effet que la loi soit durcie jusqu’à établir une séparation complète entre banques de dépôt et banques de marché. Ces dernières n’en continueraient pas moins leur néfaste activité et la prise de risques qui l’accompagne. Pour le faire, elles auront besoin… d’argent. En effet, un spéculateur ne se contente jamais de travailler avec les seuls fonds dont il dispose pour son propre compte. Il multiplie sa mise en empruntant à une ou plusieurs banques : c’est le principe de l’effet de levier qui est à la base, par exemple, des LBO. Les banques de marché ne pourront pas se procurer leurs ressources auprès de leurs déposants puisque, par définition, elles n’en auront pas. Il faudra donc qu’elles les empruntent sur le marché monétaire aux organismes qui disposent de liquidités, c’est-à-dire, en pratique… aux banques de dépôt. Mais si c’est le cas, le risque systémique resurgit : la faillite d’une banque de marché peut entraîner celle de tous ses créanciers…

Ce risque-là est bien réel : il a failli se matérialiser à plusieurs reprises, par exemple en 1974 (faillite de la banque Herstatt), en 1998 (chute du fonds spéculatif LTCM), et surtout en septembre 2008, à la chute de Lehman Brothers. Le prévenir ne relève pas, pour l’essentiel, du cadre législatif de l’activité des banques. La réglementation prudentielle y pourvoit partiellement, en particulier celle qui oblige les banques à maintenir une certaine liquidité de leur bilan. Il serait nécessaire de réformer cette réglementation puisque les normes dites de Bâle II n’ont fait que renforcer l’addiction des banques à la finance de marchés, et que celles de Bâle III, qui sont appelées à leur succéder, sont encore pires. Mais l’instrument principal, c’est l’action que la Banque centrale mène pour réguler l’alimentation en liquidités du marché monétaire, c’est-à-dire la politique monétaire.

Les principes qui devraient guider cette action sont bien connus : la Banque centrale devrait refuser de prêter de l’argent aux banques qui financent des opérations spéculatives (ou ne le faire qu’à des conditions dissuasives, à des taux d’intérêt très élevés). Elle devrait réserver l’usage de son pouvoir de création monétaire au refinancement des crédits, qui se traduisent par des créations d’emplois, par le renforcement de la formation des travailleurs, par la création de valeur ajoutée dans les territoires, associée à des économies de dépenses matérielles et financières. Dans un même mouvement, la politique monétaire contribuerait ainsi à la fois à dégonfler les marchés financiers et à stimuler la création de richesses. Une telle ambition ne peut réussir que si elle s’appuie sur de nouveaux pouvoirs des travailleurs et des citoyens sur l’argent.

Le gouvernement s’est bien gardé de placer le débat sur ce terrain. Déjà, la loi créant la Banque publique d’investissement s’était interdit toute allusion à des relations entre la nouvelle institution et la Banque de France alors que ces relations existent pourtant…

S’attaquer aux causes profondes de la crise exigera donc bien autre chose que la loi bancaire en cours de discussion. Comme l’écrit l’Humanifeste, adopté il y a quelques jours par le congrès du PCF : « La réorientation du crédit bancaire est une priorité stratégique pour mettre en cause le pouvoir des marchés financiers. Déjà, des luttes sociales et politiques se mènent pour traduire cette exigence dans des dispositifs institutionnels concrets comme la constitution d’un pôle financier public et le déploiement de fonds régionaux pour l’emploi et la formation. »

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  • Séparation banques de détail

    Séparation banques de détail et banques de financement (suite). Par Jean Dartigues, ancien Dirigeant syndical et retraité cadre de banque.

    L’article de Denis Durand, dans la rubrique « Tribunes & idées » du 13 février courant, appelle quelques remarques de fond, en quelque sorte, une aimable controverse. En effet, l’auteur argue, pour résumer et ne pas perdre de temps en circonvolutions, qu’il serait inopérant de procéder à une séparation radicale des entités bancaires, détail et finance, au motif que la partie séparée des opérations de financement, autrement-dit, la partie spéculative, continuant à spéculer sans frein, ni fin (et n’ayant plus les ressources des déposants) se verrait contrainte « d’emprunter sur le marché monétaire aux organismes qui disposent de liquidés, c'est-à-dire, en pratique…aux banques de dépôt. Mais si c’est le cas, ajoute-t-il, le risque systémique ressurgit : la faillite d’une banque de marché peut entraîner celle de tous ses créanciers ». Je prends le soin de la citation complète, pour ne pas déformer la pensée et le propos de D.D. Cet argument n’est pas mineur, car il est de ceux qui nous sont opposés avec le plus de force et de constance par le lobbying bancaire et ses soutiens. Cependant, il m’apparait infondé. Pourquoi ? Dans sa remarquable contribution, Gaël Giraud, économiste au CNRS, la réponse que Bercy lui fit et lors de sa deuxième contribution argumentée contre ladite réponse de Bercy, il démontre, à partir des données chiffrées de la Banque de France, que les départements commerciaux des banques françaises ne se financent que grâce aux liquidités des dépôts et ne vont, pour leur propre compte, pratiquement jamais sur le marché, contrairement à ce que veulent faire croire les banquiers à l’opinion publique, désinformée ; qu’ainsi, ce sont bien les dépôts de la clientèle privée et professionnelle, qui financent la spéculation de la partie « Affaire » des groupes bancaires et non l’inverse (voir les chiffres communiqués par la B.d.F rapportés par Giraud). Enfin, nous savons, que la banque de « crédit », en émettant du crédit, crée de la monnaie, elle est seule, avec les banques centrales, à détenir ce pouvoir, pas la banque d’affaire. Par conséquent, si le ratio crédit/dépôts est supérieur à 1, pour tous leurs départements commerciaux, ainsi que l’argumentent les banquiers, c’est bien parce qu’elles ont ce pouvoir d’émettre du crédit, sans obligatoirement d’avoir de dépôt. Elles peuvent accorder 10 de Crédit, pour 1 de F.P (règlementation de Bâle III) et zéro en dépôt. Entre parenthèse, heureusement que, même timides et insuffisantes les protections de Bâle II et III obligent les banquiers à sécuriser leurs Fonds Propres par des mesures de règlementations prudentielles et régulatrices, dont il faut se réjouir, contrairement à ce qui est écrit et contre lesquelles les banquiers ne cessent de vitupérer. Ces considérations générales étant faites, il faudrait nous expliquer pourquoi, dans le cas, que je considère souhaitable, d’une séparation juridique radicale, les banques de dépôt, qui, elles, n’auront pas besoin de recourir au marché pour se financer, devraient financer les besoins des banques d’affaire voisines, ou même cousines ? Car, je partage l’opinion de D. Durand sur ce point, elles devront trouver des financements. Mais, elles devront et pourront se financer sur les marchés, ou/ et, entre-elles. Quand aux banques de détail, si d’aucunes avaient besoin de financement, elles en trouveraient facilement, parce que leurs indices de risque, assis sur les dépôts, seraient quasiment nuls. C’est d’ailleurs pour cette raison, que tout le lobbying bancaire se dresse, vent debout, contre la séparation ? Car, en effet, c’est tout l’édifice spéculatif qui se trouverait mis en question, en étant privé de la manne des dépôts de la clientèle, pour se financer. Nous sommes donc bien, ainsi, dans une démarche de nature : « à combattre la dictature des marchés ». Sans évoquer, de surcroît, pour ne pas alourdir cette contribution, le « too big, to fail » (trop grosse pour faillir) qui, à défaut de séparation juridique, ne se trouve pas résolu, ni à l’abri d’un risque systémique nouveau, lequel ne manquera pas de se reproduire, sans cette mesure radicale, que le gouvernement n’a pas prises, s’inclinant devant la finance, qu’il prétendait vouloir combattre. Songeons, en frémissant, que le Total Bilan de BNPPARIBAS, par exemple (environ 2000 milliards d’€) est comparable au PIB français ! Avec un Hors Bilan (pour l’essentiel spéculatif/opérations sur l’étranger/Paradis fiscaux…) qui dépasse le Bilan. Une question plus « politique » m’interpelle, dans la démarche de l’article. En effet, si j’entends bien le propos, il faut mettre au pas la finance et « combattre la dictature des marchés », sous peine que toute autre mesure, la séparation, même juridique, ne servirait à rien. Certes, oui, mille fois oui, il faut la combattre, mais comment ? Vaste programme…Faudrait-il « attendre » d’avoir instauré le « socialisme » en France et dans le monde, pour s’attaquer au « Marché » ? Mais quel Socialisme ? Avec qui et comment ? Quand ? « Avec de nouveaux pouvoirs aux travailleurs, sans lesquels nous n’y parviendront pas », Tout à fait d’accord, mais alors ? En attendant, on fait quoi ? Je pense qu’il n’est pas souhaitable d’opposer le court au long terme, dans lequel « Nous serons tous morts ». N’est-il pas préférable de gagner des points d’appui, des mesures de régulation, allant dans le bons sens, même insuffisantes, mais qui tracent le chemin ? Car, je suis de ceux et celles qui pensent, que si le but éclaire le chemin, c’est le chemin qui l’identifie. Sinon, Kafka aurait raison, il y aurait un but, mais rien qui y conduit. Sinon en forçant le raisonnement, il faudrait quitter l’Assemblée Nationale, inutile de proposer des amendements, se retirer des Conseils Municipaux, de toutes les Collectivités et préparer la Révolution, que nous voulons, mais entre-nous. Oui, il faut une séparation radicale des entités bancaires d’affaire et de détail ; Ainsi que D. Durand le dit dans son article, même les américains et les anglais, plus pragmatiques et, surtout, ayant senti passer le vent du boulet très près, vont plus loin que le gouvernement français, dans l’isolation des risques. D’autant que ce que nous appelons, aujourd’hui : banque universelle, ne date que depuis la loi, dite « Loi bancaire » du 24/01/1984. L’importation de ces métiers nouveaux de la finance à côté des métiers du crédit et du risque bancaire, est récente à l’échelle historique ; elle a, peu à peu, au fil du temps, de sa gouvernance spéculative congénitale et des crises, décrédibilisée la banque traditionnelle et lui a fait perdre, à juste titre, la confiance de l’opinion et des clients. Il faut reconquérir ce que doit être une activité bancaire au service de l’économie, de sa clientèle privée et professionnelle, des Entreprises et du tissus de PME/PMI, dont la Loi a le pouvoir et le devoir de définir le périmètre de ses missions publiques. Pour ce faire la séparation juridique et radicale de ses activités nuisibles et utiles doit être sanctionnée ; elle était à portée de main, elle reste d’actualité, car d’autres voix s’élèvent à côté de la nôtre, pour sensibiliser l’opinion publique.

    Par Alain Morin, le 26 February 2013 à 16:42.

 

Mieux vaudrait combattre la dictature des marchés financiers

Par Denis Durand, le 14 February 2013

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