Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Comment répondre à l’attaque anti-SMIC ?

La Conférence sociale lancée par le gouvernement en juillet dernier prévoyait une table ronde : « Assurer des systèmes de rémunération justes et efficaces ». François Hollande candidat avait évoqué la croissance comme indicateur d’évolution du SMIC sans autre précision.
Au-delà du fait que, pour le moment, il n’y a aucune pertinence justifiant la prise en compte de ce critère, nous vérifions aujourd’hui que le débat sur des évolutions législatives des critères d’attribution du SMIC est largement ouvert. Alors qu’aucune organisation syndicale de salariés ne le demandait !

 

Les enjeux d’une modification des règles d’évolution du SMIC

Le SMIC est un salaire. Il présente par ailleurs des garanties interprofessionnelles.
Le salaire minimum est une construction historique. C’est à la fois un revenu minimum et un élément déterminant de la reconnaissance de la valeur de la force de travail. Il s’applique dans le privé et dans le public, y compris chez les fonctionnaires. Plus de 2,6 millions de salariés sont directement concernés par le SMIC.
Il reste le seul élément indexé permettant une évolution graduelle et régulière du salaire. On peut parler à propos du SMIC de norme sociale et de place centrale de celui-ci.
Le Code du travail prévoit l’interdiction d’indexer automatiquement les autres salaires sur le SMIC. Mais l’anomalie principale réside dans l’absence d’un vrai salaire minimum professionnel du salarié sans qualification au moins égal ou supérieur au SMIC dans les conventions collectives et la Fonction publique.
Rien n’interdit cependant dans les négociations du privé ou du public de revoir les grilles de qualification. Mais patronat et gouvernement s’efforcent depuis des décennies de contenir les grilles de salaires. Il s’en suit un tassement des grilles, des rapprochements, voire des chevauchements, de coefficients hiérarchiques interprétés par les salariés comme des non-reconnaissances de qualification.

Pour le patronat, et dans un même mouvement pour le gouvernement, contenir le SMIC c’est in fine contenir l’ensemble des grilles et la masse salariale. On comprend la tentative de réduire la portée des évolutions du SMIC afin de le confiner à un revenu minimum de subsistance quitte à le voir compléter par des compensations publiques.
Le groupe d’experts vient expliquer dans son dernier rapport (1) que l’élévation du SMIC n’est pas le remède adéquat pour lutter contre la pauvreté… Il préconise des « prestations liées au travail permettant de redistribuer des ressources de façon mieux ciblée sur les familles à bas revenus. [...] la prime pour l’emploi (PPE) et le revenu de solidarité active (RSA) sont des instruments efficaces pour lutter contre la pauvreté sans peser sur le coût du travail et l’emploi »…

Le groupe, toujours dans son dernier rapport, assène l’idée selon laquelle une hausse du SMIC se traduit « à moyen long terme [par une] baisse de l’emploi salarié » et que « son uniformité et son niveau contribuent aux difficultés rencontrées par les travailleurs, notamment les peu qualifiés et les jeunes, à entrer sur le marché du travail ».
Enfin, « l’évolution du SMIC et son niveau auraient des conséquences sur la compétitivité de l’économie française, la capacité des entreprises à créer des emplois et par suite sur le niveau du chômage structurel ».

Les mots clefs chers au patronat reviennent en boucle : compétitivité, coût du travail, flexibilité…

Un projet inséparable de propositions précises sur le SMIC et l’ensemble des salaires

Nul doute que des luttes seront nécessaires pour enrayer ce processus destructeur et faire des contre-propositions.
Un tel acharnement dans la bataille idéologique doit susciter en retour des réponses crédibles. C’est dans ce sens que le PCF propose un projet cohérent de Sécurité d’emploi et/ou de formation.
Pour cela au lieu de la compétitivité sous forme de baisse des coûts salariaux, donc de baisse des salaires ou de suppressions d’emplois, nous proposons d’agir en direction des autres coûts, ceux du capital, en particulier les dividendes et les charges financières des entreprises.

Cela implique d’inverser la logique actuelle par le contrôle des banques et par l’incitation des entreprises avec des critères précis permettant de changer les comportements profonds des entreprises afin qu’elles développent l’emploi, contribuent à sécuriser tous les moments de la vie, permettent l’évolution et la reconnaissance des qualifications acquises dans les salaires.
Les créations d’emplois passeraient par une meilleure réponse aux besoins et par le développement de services publics actuels ou nouveaux.
L’effet de levier peut se faire par l’intermédiaire d’un Pôle public financier permettant l’accès des entreprises à des crédits sur des critères et à des conditions favorables à la création d’emplois.
Cela passe aussi par de nouveaux droits des salariés et des citoyens dans les entreprises de telle sorte que le choix du profit soit remplacé par le développement cohérent au service de l’humain.

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(1) Salaire minimum interprofessionnel de croissance, 26-10-2012, Groupe dexperts.

 

Économie et Politique a rencontré et interrogé Paul Fourier,
membre de la Commission exécutive de la CGT
et en charge du dossier SMIC.

Nous publions ici une synthèse de ses réponses.

EcoPo : Quelle est la position de la CGT au sujet de l’annonce du gouvernement d’augmenter le SMIC de 0,3 % au 1er janvier prochain (1) ?

P. Fourier : Tout d’abord, il faut savoir que pour arriver à ce chiffrage, le gouvernement est parti de l’inflation de 2012 tout en reprenant en compte les 1,4 % accordés au 1er juillet 2012. De sorte que l’annonce de +0,3 % ne fait pas la maille, cette hausse ne répond pas aux besoins des travailleurs. Le SMIC net se situe actuellement à 154 € au-dessus du seuil de pauvreté. C’est pourquoi la CGT rappelle sa revendication pour le SMIC à 1 700 € bruts immédiatement. C’est économiquement cohérent. D’autant qu’une augmentation du SMIC c’est aussi de la consommation supplémentaire et de la croissance. Une faible augmentation est donc contre-productive. Un coup de pouce était nécessaire. Il est déplorable que le nouveau gouvernement élu n’utilise pas ce dispositif.

EcoPo : Le gouvernement Sarkozy a mis en place, via la loi de 2008, un groupe d’experts chargé d’émettre un rapport annuel visant à servir de base et de justification aux évolutions du SMIC. Ce groupe d’experts a rendu récemment son rapport, et ses conclusions poussent à la disparition du SMIC tel que nous le connaissons aujourd’hui. Quel est l’avis de la CGT sur ce groupe d’experts ?

P. Fourier : Notre avis est très clair. Nous avions dénoncé la mise en place de ce groupe d’expert par le gouvernement précédent, dans la mesure où il était conçu dans la bataille idéologique au service des appétits patronaux comme un instrument qui dépouillait la Commission nationale de la négociation collective de ses prérogatives. Nous continuons de le penser et nous souhaitons qu’il soit supprimé. Nous demandons que la CNNC (2) retrouve tout son rôle d’expertise et de recommandation en direction du gouvernement. Il est pour nous injustifiable qu’un groupe d’experts soit idéologiquement monolithique dans sa composition et, pire encore, que le gouvernement doive s’expliquer, se justifier s’il ne suit pas les recommandations et analyses du groupe d’experts.

EcoPo : Actuellement, les règles d’évolution du SMIC se définissent à partir de 4 paramètres :

1. Indexation sur l’indice des prix ;
2. Prise en compte de la moitié des gains de pouvoir d’achat du salaire horaire de base des ouvriers (SHBO) ;
3. à la discrétion du gouvernement ou « coup de pouce » ;
4. Le déclenchement est automatique en cours d’année si l’inflation dépasse 2 %.

Or le gouvernement vient d’annoncer par la voix de Michel Sapin une réforme de ces paramètres. Quelle est la position de la CGT sur cette question ?

P. Fourier : Avant tout, il faut signaler une méthode d’échange intéressante à la CNNC, qui aura permis des auditions d’économistes d’obédiences diverses et différentes de la position du groupe d’experts. C’est un changement dans la procédure de concertation sur les règles d’évolution du SMIC qui mérite d’être souligné.

Néanmoins, dans le cadre de cette réforme, la CGT souhaite faire évoluer les critères vers une meilleure prise en compte des besoins des salariés.

Sur le premier critère, la CGT souhaite la prise en compte d’une évolution des prix tenant mieux compte des dépenses des plus modestes. Sur le deuxième critère, prendre en compte le salaire des employés en plus du salaire ouvrier relève certes d’une logique de réalité, mais nous ne pouvons accepter que cette modification tende à faire chuter le niveau de la revalorisation annuelle. Quant au troisième critère, nous sommes, d’une part, pour le maintien du dispositif « coup de pouce » et, d’autre part, pour que le gouvernement s’en serve. Il existe en effet une inquiétude sur la proposition de vouloir lier le coup de pouce et la croissance avec le risque que dans le cas où le gouvernement déciderait un coup de pouce, la législation lui imposerait un « plafond » lié à la croissance.

Très concrètement, la position de la CGT sur ce dossier peut se résumer en quelques points :

1. SMIC à 1 700 € immédiatement ;
2. Indexer mieux le SMIC sur l’évolution réelle des dépenses des ménages ;
3. Déclenchement automatique en cours d’année de l’augmentation du SMIC si atteinte d’une inflation de 1 % – au lieu de 2 % actuellement ;
4. Maintien du coup de pouce.

Partant de ces positions, c’est au regard des propositions du gouvernement que la CGT envisagera des formes d’action. Je veux rappeler ici qu’aucune organisation de salariés n’avait demandé de revoir les règles du SMIC. L’urgence n’est pas dans une modification de la législation du SMIC mais dans le niveau de sa revalorisation en fonction des besoins actuels.

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(1) Pour mémoire : La revalorisation du SMIC au 1er juillet dernier était de 2 % (1,4 au titre de l’inflation et 0,6 % au titre du coup de pouce). Ce qui représentait un SMIC mensuel à 1 425,67 € au 1er juillet 2012. Cette revalorisation a été jugée insuffisante par plus de 80 % de la population. Avec une augmentation de 0,3 % le SMIC horaire est porté à 9,43 € et le SMIC mensuel à 1 430,22 € sur la base d’une durée légale de 35 heures.

(2) CNNC : Commission nationale de la négociation collective. Dix-huit représentants des salariés et dix-huit représentants des employeurs composent cette commission. Les sièges salariés se divisent en 6 mandatés au titre de la CGT, 4 pour la CFDT, 4 pour FO, 2 pour la CFTC et 2 pour la CGC. Les représentants patronaux se répartissent en 12 membres des professions autres qu’agricoles (9 membres du Medef et 2 de la CGPME), 2 membres des professions agricoles, 3 membres des employeurs artisans (UPA) et un membre des professions libérales (UNAPL).

 

 

Pour le moment les pistes annoncées par Michel Sapin à la CNNC pour réformer les règles sont les suivantes :

Élargissement du premier mécanisme d’indexation sur l’inflation pour une meilleure prise en compte des dépenses contraintes des ménages modestes (1er et 2e déciles des salaires) dans l’IPC (logement et énergie…).

Cette mesure est limitée même si la stricte application de l’IPC (indice des prix à la consommation) dans l’indexation n’est pas jugée satisfaisante. D’autres postes pourraient être pris en compte comme le logement, la santé, le transport… Toutefois cela présente aussi le risque de voir se multiplier des index flexibles différents utilisés selon les catégories, les niveaux de salaires, etc.

La référence au SHBO (Salaire horaire de base ouvrier) deviendrait SHBOE (Salaire de base ouvrier-employé).

L’argument avancé de cet aménagement est la structure d’emplois qui a changé depuis 1970 avec aujourd’hui autant d’employés que d’ouvriers. Mais comme le remarque la CGT, il y a risque de minimisation de cette indexation à cause des salaires employés en général inférieurs aux salaires ouvriers.

Le coup de pouce ou revalorisation discrétionnaire.

Celui-ci n’est pas supprimé mais il est sur la sellette. Le patronat et le groupe d’experts créé par Sarkozy feront tout pour en limiter la portée voire le supprimer.

Le ministre n’entend pas supprimer le groupe d’experts. Il sera renouvelé.

L’idée directrice reste un système de gouvernance dit « indépendant » réduisant la portée de la CNNC et tentant d’effacer la responsabilité politique du gouvernement dans des choix fondamentaux.

Si ces règles étaient retenues, elles entreraient en vigueur au 1er janvier 2014.

SMIC : brefs rappels…

 

...anciens

Le SMIC (salaire minimum interprofessionnel de croissance) existe depuis 1970 (loi du 2 janvier 1970). Il fait suite aux luttes de 1968 et prend le relais du SMIG (Salaire minimum national interprofessionnel garanti) dont l’origine remonte à une loi du 11 février 1950.

La bataille pour la reconnaissance d’un salaire minimum adapté aux besoins des travailleurs n’est pas nouvelle. Mais elle fut longue à atteindre son but. Si on trouve des traces d’un décret évoquant un « salaire normal » en 1899, son application ne s’est pas traduite dans les faits par l’émergence d’une norme salariale réglementée. Même les grèves de 1936 qui ont très nettement amélioré la situation salariale (accords de Matignon), n’ont pas réussi à imposer un « salaire minimum national interprofessionnel ». Il faut attendre le programme du CNR pour voir poser les jalons du lien salaires-besoins et s’établir pour la première fois une corrélation directe entre le niveau du salaire minimum et les besoins du salarié.

Tout au long de son histoire le salaire minimum a été au centre d’affrontements sociaux pour déterminer la reconnaissance de la force de travail qu’il s’agisse des abattements de zone, du salaire des femmes, des jeunes, de l’agriculture ou des transitions comme le passage des 39 heures aux 35 heures.

Les gouvernements ne manqueront pas d’enthousiasme pour décrire les évolutions législatives. Par exemple, Joseph Fontanet, ministre du Travail, dira à l’Assemblée nationale le 10 décembre 1969 : « Transformer complètement l’ancienne notion statique de protection d’un minimum de subsistance, assuré aux moins favorisés, pour y substituer la conception dynamique d’une participation effectivement garantie et régulièrement croissante aux fruits du progrès ».

Mais trop souvent la réalité viendra mettre des bémols dans ce type de discours.

...et plus récents

Le Medef dans ses 44 propositions, rendues publiques en 2004, proposait de confier la revalorisation du SMIC « à une commission indépendante, en fonction des gains de productivité réalisés par les salariés les moins qualifiés et des effets de cette revalorisation sur l’emploi ».

La formule fut à l’époque qualifiée par la CGT, non sans pertinence, « de tentative de mise à mort du SMIC ».

Il s’agissait, comme d’habitude, de frapper très fort afin qu’il en reste quelque chose… L’utilisation du relais des médias et le lobbying sont les armes favorites du patronat pour toujours plus déréglementer, flexibiliser et fortifier le taux de profit au détriment des conditions de vie des salariés dans un même mouvement qui englobe l’emploi, le temps de travail et les salaires.

C’est ainsi que le gouvernement Fillon a satisfait partiellement les vœux du Medef et, surtout, mis le doigt dans l’engrenage en publiant en 2008 une loi du 3 décembre en faveur des revenus du travail, contenant un article prévoyant « un groupe d’experts qui se prononce chaque année sur l’évolution du SMIC ».

Partant de cette nouvelle modalité, c’est le gouvernement qui doit s’expliquer devant la CNNC et « motiver par écrit ses différences d’analyse dans le cas où celles-ci s’écartent de celles établies par le groupe d’experts ».

Dans cette configuration le lobbying et les supports médiatiques favorables au patronat fonctionnent à plein régime comme chacun a pu le vérifier en décembre 2012.

Il faut dire aussi que la proposition, dans la campagne présidentielle, d’indexation du SMIC sur la croissance venait à point nommé pour permettre au groupe d’experts de faire l’écho.

Rapport Gallois pour la compétitivité ou groupe d’experts pour le SMIC, la méthode est maintenant rodée. « La conjoncture économique imposerait des choix drastiques et plus d’austérité »… le gouvernement « réaliste » en retiendra certaines d’entre-elles... voire toutes... !

 

 

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