Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Le crédit d’impôt recherche, par quoi le remplacer ?

Le crédit d’impôt recherche (CIR) a été créé dans la loi de finances de 1983 (article 67), au titre de la recherche. Il figure depuis lors dans le budget du ministère en charge de la Recherche. Son montant n’a cessé de croître, avec un bond en 2010 : un milliard et demi d’euros en 2009, quatre milliards en 2010, cinq milliards aujourd’hui, plus que le budget du CNRS, salaires compris.

Le CIR, son volume et sa ventilation

Aucune institution de recherche n’a la charge de sa répartition, ni de son orientation, ni de son évaluation. En fait, le ministère de la Recherche se contente d’inscrire son montant dans son budget. Son administration revient à d’autres ministères, actuellement au ministère du Redressement productif et au ministère de l’Artisanat, du Commerce et du Tourisme. C’est une direction qui leur est commune, la DGCIS (direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services), qui le définit à l’intention des utilisateurs, en ces termes :

« Mesure fiscale créée en 1983, pérennisée et améliorée par la loi de finances 2004 et à nouveau modifiée par la loi de finances 2008, le crédit d’impôt Recherche a pour but de baisser  pour les entreprises le coût de leurs opérations de recherche-développement afin d’accroître leur compétitivité. Cette mesure figure à l’article quater B du code général des impôts. »

Pratiquement, depuis le 1er janvier 2008, le CIR consiste en un crédit d’impôt de 30 % des dépenses de RetD jusqu’à 100 millions d’euros (relevé à 40 % sous certaines conditions), et 5 % au-delà de ce montant. Il est donc calculé selon le volume déclaré des dépenses de RetD. Jusqu’en 2006, il était calculé différemment, selon l’accroissement déclaré des dépenses en RetD.

Peut-on évaluer l’impact du CIR ?

D’emblée, on voit que c’est une mesure dont l’application permet toutes les manœuvres et interdit un véritable contrôle. Elle a fait l’objet récemment de deux rapports au Sénat, l’un du 25 mai 2010 établi par Christian Gaudin (UMP), l’autre par Michel Berson (socialiste). Les deux sont favorables au maintien et à l’extension du CIR, mais  les titres mêmes de leurs rapports témoignent de leur embarras. Premier rapport : « Le CIR à l’heure du bilan de la réforme de 2008 : des débuts encourageants, un rapport coût-efficacité perfectible ». Second rapport : « CIR : supprimer l’effet d’aubaine pour les grandes entreprises, réorienter le dispositif vers les PME ». Le second rapport, dont on peut supposer que s’inspire le gouvernement aujourd’hui, donne sa caution au  CIR en ces termes :

« Le présent rapport parvient à la conclusion que la réforme de 2008 devrait augmenter le PIB structurel de 0.5 en environ une quinzaine d’années, soit en 2022 et serait alors autofinancée. »

Y a-t-il des études pour fonder une telle affirmation ? Oui, mais combien fragiles !  Selon le rapporteur, « la seule estimation disponible de l’impact sur le PIB de cette réforme est, paradoxalement, une étude de janvier 2009 de la direction générale du Trésor, n’engageant pas le gouvernement et explicitée en 2010 dans la revue économique de Science Po ; cette étude donne une fourchette de 0,3 à 0,6 point de PIB et serait donc autofinancée. »

Choisir un nombre dans la fourchette, à savoir 0,5, doit sembler au rapporteur parfaitement rigoureux.

D’autres études sont disponibles, aussi optimistes en apparence, et plus savantes. Je pense au rapport n° 2004-43 du CREST, le centre de recherches en économie et statistique de l’INSEE, dû à J. Mairesse et B. Mulkay « Une évaluation du crédit d’impôt recherche en France 1980-1997 ». Les auteurs prétendent établir qu’un relèvement de 10 % du CIR aboutirait à une augmentation de l’investissement en recherche de l’ordre de 2 à 3,5 fois le coût budgétaire de cette mesure. Ils ont fait de beaux calculs, mais sur quelle base ? Voici ce qu’ils en disent : « Un tel effet paraît cependant très élevé, et nos résultats devraient être confirmés par un approfondissement de l’étude, notamment sur la période récente, et si possible aussi sur la base du crédit d’impôt effectif [qui est une donnée confidentielle] et non seulement sur celle du crédit d’impôt simulé. »

Ainsi, il n’y a pas de source disponible pour une évaluation ou pour une projection, on remplace l’observation par une simulation. Le secret industriel s’oppose à tout travail sérieux dans ce domaine.

Oui et non. Il n’est pas sérieux de faire des prévisions chiffrées de cette façon, sur la base de simulations ou d’idées préconçues. Mais on peut très sérieusement faire le procès du système, au regard des résultats connus. Le rapport Gaudin cite la Cour des comptes qui parle d’ « effets d’aubaine inévitables ». Je renvoie au numéro de l’Humanité daté du 19 octobre 2012 pour l’évolution des effectifs dans l’industrie pharmaceutique en France, plus de 9 500 postes supprimés entre 2009 et 2012. Le cas de Sanofi, qui possédait d’excellents laboratoires de recherche est exemplaire :

8,8 milliards d’euros de bénéfices, dont 4,5 sont distribués aux actionnaires, et 900 nouvelles suppressions d’emplois d’ici à 2015 dans le plan d’économies nécessaires pour maintenir les bénéfices à ce niveau. Les laboratoires disparaissent, et les entreprises ont largement bénéficié du CIR.

Regardons la situation au niveau global. Le CIR selon ses initiateurs devait relever la part du PIB consacrée à la recherche par effet de levier : on donne un coup de pouce aux entreprises, elles investissent en recherche pour bénéficier du CIR, la part des entreprises dans l’effort national de recherche se trouve augmentée. Ici nous disposons de données publiques (Eurostat, rapport du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche), reproduites dans le récent rapport de l’Académie des  sciences sur les structures de la recherche. Cette part est de 62,8 % en France contre 70 % en Allemagne, 72,5 % aux états-Unis, 74,2 % en Suède et en Finlande, 78,4 % au Japon. Le CIR, originalité française, s’avère incapable de relever la participation de l’industrie à l’effort national de recherche.

Le rapport de l’Académie, l’industrie et le CIR

Sur la place de l’industrie dans l’effort national de recherche, le commentaire de l’Académie des sciences est pertinent : « La faiblesse de la recherche industrielle en France, comparée à celle des autres pays industriels, Allemagne, États-Unis ou Japon, n’est pas surprenante. L’activité industrielle en France étant en fort déclin depuis une vingtaine d’années, il en est de même pour la recherche industrielle. Les seules industries capables de financer des projets de recherche ambitieux sont celles qui présentent une forte dynamique de croissance. Il serait utopique d’imaginer qu’un tissu industriel en déclin puisse produire à lui seul une recherche de haut niveau capable de rivaliser avec les pays ayant réussi à développer leurs entreprises industrielles. De nombreux rachats de groupes industriels par des investisseurs ou industriels étrangers ont été suivis de l’expatriation de la propriété intellectuelle et de la fermeture des centres de recherche situés sur le territoire national. »

Mais, en ce qui concerne le CIR, la recommandation de l’Académie est timide, elle ne le remet pas en cause : « Le crédit d’impôt recherche (CIR) doit être ciblé de manière plus précise sur l’innovation et les jeunes entreprises innovantes afin d’éviter les effets d’aubaine pour les grands groupes ou une définition trop large de la notion de recherche qui conduit à une distribution diffuse du CIR ».
Ma proposition de suppression du CIR, présentée sans illusion, n’a pas été retenue.
L’Académie égratigne les innovations financières :
« Les dites “innovations financières” ne doivent pas être éligibles au CIR, elles ont fait suffisamment de dégâts au cours des dernières années ».

Mais elle ne parle pas des opérations financières de Sanofi et des autres grands groupes, qui sont en train de faire des dégâts majeurs, autrement que par l’allusion aux « effets d’aubaine ».

Avant de la développer, je résume ici ma proposition :
Le CIR doit disparaître et son montant devrait servir aux crédits d’opération de la recherche publique, actuellement insuffisants.
Les besoins de financement des entreprises innovantes doivent être couverts par le système bancaire et non par un aménagement de la fiscalité.

Voici maintenant quelques arguments en faveur de cette proposition.

A quoi sert le CIR dans le budget de la recherche ?

Le CIR est un corps étranger dans le budget de la Recherche.

Ce budget alimente des activités de recherche par l’intermédiaire de laboratoires, d’institutions, de programmes qui donnent lieu à des publications, des rapports, des actions sans cesse examinées et réexaminées. Au niveau même des équipes et des individus, la recherche est inséparable de l’examen critique de soi-même et des autres, la communication fait partie du métier, les échanges au niveau mondial sont une nécessité, l’évaluation des projets et des résultats est une constante. Cette évaluation, constitutive du métier, devient pesante quand on tente de la figer dans des règles mécaniques, au moyen par exemple d’un privilège abusif de la bibliométrie. Elle échappe aux règles juridiques, et ce n’est que par un fonctionnement correct de la vie scientifique que s’établissent de façon correcte les priorités, les réputations, les récompenses et les carrières ; c’est le fondement du jugement par les pairs. Ce que j’appelle fonctionnement correct est une pratique des échanges et des débats qui se traduit par une sorte de démocratie interne, où chacun parle et écoute ; ce n’est pas toujours le cas, mais les formes de cette démocratie interne méritent d’être étudiées. Elle est inséparable de la communication sans entrave, elle est donc bridée par tout ce qui s’apparente au secret.

Ce n’est pas ici le lieu de dresser un tableau des obstacles qui se sont précipités au cours des dernières années : les recrutements tardifs dans des postes stables, la précarité établie comme règle pour les jeunes chercheurs, la précarité dans les ressources des laboratoires, le projets contraints au court terme, la paperasse envahissante… Je me borne à un constat relevé dans le rapport de l’Académie : « L’augmentation inexorable, dans les établissements de recherche et les universités, de la masse salariale par rapport à la dotation de l’État. » Exemple, ce ratio MS/DE était au CNRS de 47 % en 1960, il est passé à 74 % en 1980, il est de 84 % en 2010.

Cela veut dire une richesse en hommes (terme générique, il faudrait aussi discuter la place des femmes) et une pauvreté en moyens. Pour compenser cette pauvreté la pratique des contrats extérieurs s’est répandue, avec souvent des restrictions à la liberté de communication et de publication des résultats. Supprimant leurs laboratoires propres, les groupes industriels trouvent la main d’œuvre intellectuelle nécessaire dans les établissements publics : pratique malsaine, incorrectement présentée comme l’ouverture au monde de la recherche publique.

Donc, du côté de la recherche publique, vocation bridée à la diffusion de toutes les connaissances, ressources humaines considérables malgré les obstacles dressés devant les jeunes, opérations limitées par la pauvreté des ressources régulières.

En regard, un CIR opaque, sans bilan, sans évaluation, accompagnant sans le redresser le déclin de la recherche industrielle. Ce cadeau fait à la recherche industrielle contribue d’ailleurs à l’alimentation des laboratoires publics en crédits d’opération, via les contrats des entreprises bénéficiaires du CIR. Ma proposition, radicale, est de conserver le montant du CIR pour le réaffecter intégralement aux crédits d’opération des laboratoires publics. Ce serait simple, juste et efficace. Naturellement, les bénéficiaires des effets d’aubaine n’y trouveraient pas leur compte. Plus important, les PME actives en recherche pourraient en pâtir s’il n’y avait d’autre façon de répondre à leurs besoins. C’est maintenant la chose à examiner. 

Par quoi remplacer le CIR dans les industries, l’agriculture et les services ?

La recherche a plusieurs fonctions dans le monde actuel et elle en aura de plus en plus à l’avenir.

Elle répond à un besoin fondamental, d’explorer le monde et l’humanité dans leur histoire, et elle s’est révélée porteuse d’avenir de manière souvent imprévue. Elle s’est répandue dans le monde entier, avec des inégalités qu’elle reflète et qu’elle aggrave, mais aussi, déjà, la promesse d’une communication universelle dans ses différentes branches ; cette communication universelle, qui nous met en contact presque instantané avec ce qui se fait de plus nouveau en matière de connaissance, est l’une des justifications de l’effort de recherche à mener dans chaque pays ; sans chercheurs actifs, le contact n’est pas établi.

Il y a d’autres justifications à l’heure actuelle, et il y en aura d’autres à l’avenir. La science est directement intégrée à la production et aux services. Le capitalisme se survit en exploitant aussi vite que possible toutes les ressources de profit que lui dévoile l’avancée des sciences ; c’est la fièvre de l’innovation. Le combat contre le capitalisme implique l’appropriation collective des savoirs et de leur production ; l’enjeu est à la fois lointain et très actuel.

Les millions d’acteurs de la recherche de par le monde se répartissent dans les universités, les centres de recherche, les laboratoires publics ou privés. La recherche-développement est essentielle dans les nouvelles technologies, et elle peut valablement inspirer des recherches fondamentales comme utiliser les connaissances acquises par la recherche fondamentale. Un lien fort s’impose entre les diverses formes de recherche, fondamentale, finalisée, appliquée, technique, de développement. La recherche s’impose au plus près de la production des biens et des services, en même temps qu’aux endroits les plus propices à la diffusion des connaissances. Il ne peut être question d’ignorer les besoins spécifiques des industries, de l’agriculture et des services en matière de recherche.

Les centres techniques industriels ont été une excellente forme de coopération entre industriels, et ils ont eu un rôle important dans leur branche (caoutchouc, papeterie, etc. ). Ils sont victimes aujourd’hui de l’insistance sur la compétitivité et la compétition, qui condamne la coopération comme forme essentielle de la recherche. L’avenir verra leur résurgence et leur extension.

On insiste aujourd’hui sur les entreprises innovantes, et c’est en effet un atout précieux pour le présent et pour l’avenir. Or de quoi ont besoin les entreprises innovantes ? La réponse est claire. C’est de facilités de crédit bancaire.

Actuellement, le crédit bancaire est voué aux intérêts financiers les plus puissants. Lorsqu’il va aux industriels, ce peut être avec des conséquences négatives pour la production, et positives seulement pour les actionnaires. Un exemple significatif : une fois de plus, il s’agit de Sanofi. En 2004, Sanofi avait obtenu pour son OPA sur Aventis la somme gigantesque de seize milliards d’euros de crédit à taux faible de la part d’un pool bancaire mené par la BNP. à l’époque, Sanofi promettait de se servir de cet argent pour développer la recherche ! La recherche a servi d’appât et, une fois l’argent obtenu, la recherche a été sacrifiée.

Quid des PME ? Les petites entreprises innovantes ont des projets. Ce qui leur manque est l’accès au crédit pour les réaliser.

C’est du moins la situation en France ; en Allemagne, les PME ont des relations stables avec les banques publiques et mutualistes. Pour corriger cette situation, il faut agir sur le système bancaire. On ne voit pas de possibilité de redressement productif si les banques ne sont pas contraintes à une réorientation vers les secteurs productifs. Cette contrainte est une exigence politique majeure, et l’État a la possibilité de l’exercer chaque fois que les banques, et c’est souvent, ont besoin de l’État. L’occasion manquée est naturellement le sauvetage des banques en 2008. Mais d’autres occasions doivent surgir, où devrait se manifester le fait que les banques de dépôt disposent de fonds considérables qui intéressent l’ensemble des citoyens. C’est une trahison de l’intérêt public que de jouer avec ces fonds pour des opérations financières, alors qu’ils pourraient être mobilisés pour répondre aux besoins réels de l’économie.

Économie et Politique connaît et répand des objectifs politiques qui vont dans ce sens : les fonds régionaux, un pôle financier public, et au-delà une transformation radicale de la BCE et du FMI. Une réorientation des crédits bancaires, même partielle, sur des critères rigoureux en matière économique et sociale (création de valeur ajoutée, formation, économies d’énergie et de matières premières), baisserait les charges financières qui pèsent sur les entreprises et permettrait des opérations nouvelles.

Le but de cet article, pour les lecteurs d’Économie et Politique, est de bien placer la recherche-développement parmi les secteurs dont un système bancaire rénové devrait assurer la vie et l’expansion. Prêter de l’argent à des PME pour des projets prometteurs ne va pas de soi ; cela nécessite une nouvelle culture de la part des prêteurs, mais c’est une voie par laquelle le système bancaire pourra manifester son utilité sociale.

Les exemptions fiscales sont une plaie sociale ; elles privent la collectivité des ressources de l’impôt et orientent les contributions des individus et des entreprises vers des activités difficiles à contrôler et parfois douteuses. Le CIR, par son ampleur et l’orientation dont il se réclame, mérite une attention particulière.

Le supprimer, réaffecter son montant aux crédits d’opération de la recherche publique, animer la recherche dans l’industrie, l’agriculture et les services en réorientant une partie du système bancaire vers le redressement productif dont elle est une composante importante, est-ce une idée tellement étrange ?

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Références

– Sur le montant du CIR, les rapports Gaudin et Berson et les propositions du PCF, voir
XYZ n° 9, septembre 2012 (http://esr.pcf.fr/sites/default/files/xyz_septembre_2012_0.pdf) p. 3-8, Une indécence fiscale, le CIR, par Olivier Gebuhrer

– Sur l’utilisation du CIR et le role de la DGCIS, voir
www.industrie.gouv.fr/cir/

– Sur le rapport Mairesse-Mulkay, voir
www.crest.fr/doctravail/document/2004-43.pdf

– Sur l’industrie pharmaceutique en France, voir
l’Humanité, 19 octobre 2012, p. 2-3.

– Sur le rapport de l’Académie des sciences sur les structures de la recherche (25 septembre 2012), voir
www.academie-sciences.fr/activite/rapport/rads0912.pdf

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