Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Conjoncture mondiale : des difficultés nouvelles

On assiste à une persistance inédite des difficultés qui, dès le début, ont émaillé la reprise internationale amorcée au second semestre 2009. Mais, désormais, des difficultés nouvelles se profilent précocement dans le cycle conjoncturel actuel.

Dans son évaluation du 6 septembre, l’OCDE tire la sonnette d’alarme : « La production et les échanges mondiaux se sont ralentis au premier semestre et durant l’été, en raison de l’atonie de la demande dans la plupart des grandes économies, surtout dans la zone euro, et également de la faiblesse de l’activité dans les secteurs de haute technologie au niveau mondial. Les exportations de la Chine vers la zone euro sont très durement touchées. » (1)

Après avoir connu un premier trimestre 2012 une croissance annualisée en glissement trimestriel de 1,8 %, les pays du G7 la voit freiner à 1,9 % puis 0,3 % au second trimestre et au troisième trimestre 2012, respectivement. L’OCDE entrevoit un rebond modeste au quatrième trimestre pour le G7 avec une croissance de 1,1 % – essentiellement pour les États-Unis et le Canada alors que « dans la zone euro [...] la récession s’installe » (2).

Dans l’édition de juillet de ses « perspectives de l’économie mondiale » le FMI prévoyait que, cette année, le taux de croissance de l’économie mondiale ne serait serait finalement que de 3,5 %, soit 0,1 point de moins que prévu en avril, et de 3,9 % en 2013, soit un recul de 0,1 point sur avril (3).

Le 9 octobre, il a présenté des hypothèses à nouveau révisées à la baisse : 3,3 % en 2012 et 3,6 % en 2013 seulement (4). Il relève notamment qu’« Il y a aujourd’hui une chance sur dix que la croissance mondiale tombe au-dessous de 2 %, ce qui correspondrait à une récession dans les pays avancés et à une croissance faible dans les pays émergents et les pays en développement. »

Selon l’OMC, le commerce mondial ne devrait plus progresser que de 2,5 % cette année, soit en deçà des 3,7 % prévus jusqu’ici et loin des 5 % enregistrés en 2011. Pour 2013, le commerce mondial ne croîtrait plus que de 4,5 % contre 5,6 % initialement (5).

Il faut noter l’importance, dans ce contexte, de l’évolution des prix des matières premières. On constate une tension sensible sur les produits alimentaires (les marchés céréaliers, avec la sécheresse aux États-Unis, en Russie et en Ukraine), mais surtout un vif rebond des prix du pétrole : les cours du baril de brent, tombé à 90 dollars fin juin, a renoué avec le seuil de 115 dollars dès le milieu du mois d’août et, grosso modo, s’y maintient depuis, en écho aux tensions géopolitiques au Moyen-Orient, à la baisse de la production et au redressement de la demande américaine.

États-Unis : croissance modeste et emploi médiocre

L’économie américaine a rebondi un temps, puis s’est à nouveau aplatie. Au second trimestre 2012, la croissance du PIB n’aura finalement été que de 1,7 % en rythme annuel, contre 1,9 % au premier trimestre 2012. Dans l’absolu c’est une performance modeste, car les États-Unis ont besoin d’un point annuel de croissance réelle pour compenser leur expansion démographique.

Très soutenu au premier trimestre 2012, le rythme de créations d’emploi s’est considérablement modéré au second, passant de 225 000 en moyenne mensuelle à 66 000. L’espoir lié au rebond du début de l’année s’est beaucoup atténué.

Le taux de chômage (8,61 % en août contre 8,3 % en juillet) ne s’est replié qu’en raison d’un recul de 0,2 point, à 63,5 %, du taux d’activité, tombé au plus bas depuis trois décennies (6).

La création nette d’emploi est freinée par les pertes dans le secteur public, mais les entreprises, qui ont violemment ajusté leurs effectifs pendant la récession, embauchent peu au total.

Les profits se sont redressés au deuxième trimestre 2012 avec un rebond de 1,1 % en rythme trimestriel. En glissement annuel leur hausse ressort à 6,1 %.

En fait tout se passe comme si les entreprises avaient profité de la politique accommodante de la Réserve fédérale (FED), la Banque centrale des États-Unis, pour tenter d’assainir leur situation financière.

Depuis le début de 2009, les entreprises non financières non agricoles présentent un important excédent de financement dont le montant cumulé équivaut à 17 points de PIB (2 550 milliards de dollars) et sert massivement à des rachats d’actions, des investissements directs à l’étranger, à la spéculation (7).

Ainsi, trois ans après la fin officielle de la récession de 2008-2009, il manque toujours 5 millions d’emplois sur les 8 millions détruits au cours de cet épisode paroxystique.

Tout cela pèse, bien sûr, sur les ressources des salariés et de leurs familles.

Le revenu médian des ménages a chuté de 4,8 % entre juin 2009 et juin 2012, d’où le ralentissement des dépenses et le recul, depuis quatre mois, des ventes de détail.

C’est dans ces conditions que s’est finalement imposée la nécessité d’un nouveau soutien de l’activité, alors même que la dette publique continue de croître fortement, dépassant les 15 400 milliards d’euros et approchant les 100 % du PIB (8).

Ces résultats assez médiocres, qui, à l’évidence, vont peser très lourd pour la prochaine élection du président des États-Unis, ont été obtenus malgré une mobilisation sans précédent des moyens par Obama et Bernanke en faisant massivement créer de la monnaie par la FED et en maintenant ses taux directeurs près de zéro (9).

Deux préoccupations semblent désormais officiellement structurer la politique économique d’Obama en campagne électorale :

L’emploi et le marché du travail, alors même qu’il est très critiqué là-dessus ;

Le redressement des exportations industrielles avec, donc, l’enjeu du taux de change effectif du dollar et le dynamisme des débouchés, en Europe particulièrement.

1. L’emploi et le marché du travail

Le 13 septembre, le comité de politique monétaire (FOMC) de la FED a décidé d’un nouveau programme d’assouplissement quantitatif (QE3) sans fixer, cette fois, de date de fin et en liant expressément les rachats d’obligations non conventionnels au redressement de l’emploi. Il a précisé aussi que la Banque centrale ne relèvera pas ses taux d’intérêt avant la mi - 2015 au plus tôt, alors qu’il évoquait, jusqu’ici, la fin 2014.

Parallèlement, il a annoncé que la FED continuera jusqu’à la fin de l’année son programme « TWIST » d’échange d’obligations du Trésor dans le but de peser sur les taux d’intérêt à long terme.

Cette opération et le nouveau programme de rachat auront donc pour effet d’augmenter le portefeuille de titres à long terme détenu par la FED de 85 milliards de dollars par mois jusqu’à la fin de l’année, alors qu’elle a racheté, jusqu’ici, pour 2000 milliards de dollars « d’actifs pourris » et pour 2 300 milliards de dollars de titres de dette publique.

La mise en avant de la lutte contre le chômage comme cible d’un troisième programme d’assouplissement monétaire est très nouvelle certes, et peut, alors, suggérer que la crainte de l’inflation serait un peu moins prégnante, en liaison avec le contexte électoral.

Mais, en réalité, l’emploi demeure une résultante attendue d’un dispositif qui vise essentiellement à soutenir les marchés immobilier et obligataire et dont on pense qu’il fera revenir une croissance, au contenu inchangé, mais suffisamment forte pour qu’augmente significativement la création nette d’emplois.

Le communiqué du FOMC souligne d’ailleurs qu’il s’agit « d’exercer une pression à la baisse sur les taux d’intérêt à long terme, soutenir le marché des emprunts immobiliers et contribuer à détendre dans l’ensemble l’environnement financier ».

2. Dollar, industrie et commerce extérieur

Comme pour les deux précédents épisodes d’assouplissement quantitatif, ce troisième pourrait avoir pour effet d’affaiblir un peu le dollar face à l’euro ou, à tout le moins, de contenir son appréciation si la monnaie européenne connaît de nouvelles difficultés. Mais l’affaiblissement du dollar serait plus net face aux monnaies des pays émergents, en liaison avec des flux d’entrées de capitaux spéculatifs. Cela handicaperait leurs exportations de produits industriels, alors même que leur principal débouché, les pays du G7, sont en récession ou en croissance très insuffisante.

D’ailleurs, le Brésil a réagi très brutalement à l’annonce de la décision de la FED, reprochant aux États-Unis de mener depuis trois ans une « guerre des monnaies ».

Entre juin 2011 et juin 2012, la Banque centrale du Brésil a baissé 7 fois de suite son taux d’intérêt directeur pour contenir l’appréciation du Réal. Désormais, elle se dit prête à intervenir directement sur les marchés de change pour contenir la dépréciation du billet vert.

Les États-Unis entendent, en effet, s’appuyer sur de nouvelles glissades du dollar sur les marchés de change pour continuer de se reconstituer une capacité industrielle mise en cause des années durant par les délocalisations, vers la Chine notamment. Et ils comptent faire porter par leurs partenaires et rivaux commerciaux le fardeau d’un soutien du dollar aux limites d’un krach.

Désormais, en effet, les exportations de biens représentent 13,5 % du PIB des États-Unis, contre 9 % en 1995. Et l’emploi industriel tend à progresser à nouveau outre-Atlantique depuis janvier 2010, alors qu’il n’avait cessé de diminuer depuis avril 1998. Le mouvement demeure encore modeste, mais il est clairement repérable.

Il faut mesurer combien cet effort a été avantagé par un cours du dollar faible et des pressions sur la Chine poussant à une appréciation du yuan et à l’amorce d’un redéploiement de la croissance de ce pays vers sa demande intérieure.

Aujourd’hui, alors que les salaires augmentent en Chine, que grandissent les tensions financières et les risques d’inflation, on constate un certain mouvement de relocalisation industrielle aux États-Unis.

Ces dernières vont donc exercer une pression très forte sur le monde entier pour sauver leur croissance grâce, aussi, aux exportations.

Cela concerne aussi, de façon cruciale, l’Europe.

En effet, l’Union européenne absorbe environ un cinquième des exportations en provenance des États-Unis. Le très fort ralentissement de la croissance économique en zone euro, faisant suite aux plans d’austérité drastiques mis en œuvre depuis 2010, a un effet négatif important sur la tenue des exportations américaines.

Aussi Washington voudrait que les pays membres de la zone euro, tout en faisant en sorte de stabiliser la monnaie unique, prennent l’initiative d’un certain soutien de l’activité qui, par contre coup, soutiendrait leurs importations en provenance des États-Unis.

Dans cette phase du bras de fer mondial, ces derniers, il faut le souligner, disposent d’un nouvel atout, alors même que les prix du pétrole sont appelés à augmenter : l’avantage compétitif d’une source d’énergie bon marché disponible et abondante aux États-Unis mêmes, les gaz de schiste. Un avantage compétitif dont on sait qu’ il a été acquis au prix d’atteintes à l’environnement.

Japon : essoufflement des moteurs de l’activité

D’avril à juin 2012 la croissance n’a crû en rythme annuel que de 1,4 % contre 5,5 % au premier trimestre 2012. Deux moteurs essentiels de la croissance semblent s’essouffler :

  • L’effort de reconstruction enclenché fin 2011 dans les régions sinistrées par le tsunami ;
  • Les subventions considérables du gouvernement pour soutenir les achats d’automobiles peu consommatrices de carburant.

La crise de la zone euro, qui entraîne aussi une robustesse relative du yen par rapport au dollar, et le ralentissement en Chine, avec laquelle s’est engagée une crise diplomatique, pèsent désormais significativement sur les carnets de commandes des industriels nippons. Leurs exportations n’auraient crû que de 4,8 % en rythme annuel au deuxième trimestre 2012, contre 14,3 % au premier trimestre 2012. Ce faisant, le PIB est passé d’une croissance de 1,3 % au premier trimestre à 0,2 % au deuxième. Les dernières prévisions annoncent une récession technique pour le second semestre 2012 et une croissance de 0,6 % seulement en 2013, contre 2,2 % l’année précédente.

Le gouverneur de la Banque centrale a d’ailleurs annoncé que la reprise pourrait être retardée de six mois par le ralentissement mondial.

La Banque du Japon, dans la foulée de la FED, a de nouveaux assoupli la politique monétaire le 19 septembre dernier. Elle l’avait déjà fait en février et avril derniers, avant de marquer une pause, dans l’espoir que les exportations soient assez solides pour assurer la reprise. Pari perdu.

Il a été décidé que la Banque centrale multiplierait par deux, à 20 000 milliards de yens, ses achats de bons et obligations du Trésor nippon. En même temps, son taux de base reste fixé entre 0 % et 0,1 % depuis bientôt deux ans.

Deux aléas importants pèsent sur l’activité à venir du pays. C’est, d’abord, le mauvais état des finances publiques : le déficit budgétaire pourrait se creuser à hauteur de 0,5 point, pour se situer aux environs de 10,5 % du PIB. Si, pour l’heure, l’ampleur de l’excédent des paiements courants relativise le problème, le déséquilibre budgétaire est tel, cependant, qu’il rend peu crédible l’objectif d’excédent budgétaire primaire (10) fixé par le gouvernement. La dette publique japonaise (y compris les collectivités locales et les entreprises publiques) représentait plus de 215 % du PIB. Elle s’élève à plus de 962 000 milliards de yens, pas loin de la dette publique américaine en volume, alors que le PIB japonais est inférieur d’un peu moins de la moitié comparé au PIB américain.

La situation politique intérieure constitue le second aléa, puisqu’aucune des deux grandes formations politiques semble pouvoir obtenir la majorité au Parlement à elle seule.

Chine et émergents : croissance freinée et suraccumulation de capital

La croissance a ralenti dans plusieurs pays émergents :

  •  C’est vrai au Brésil où elle est tombée à 1,8 %, contre 2,7 % en 2011, et 7,6 % en 2010 ;
  • C’est vrai pour l’Inde : la croissance ne devrait être que de 6,7 % cette année, contre 8,4 % en 2011 et un rythme proche de 10 % au cours de la dernière décennie ;
  •  C’est vrai surtout en Chine : le FMI, en juillet, à révisé à la baisse ses prévisions pour ce pays. La croissance ne serait plus que de 8 %, contre 8,2 % attendus. Elle serait de 8,5 % en 2013, après 8,8 % en 2012. Or, elle avait été de 9,2 % en 2011 et de 10,3 % en 2012 ! Quoi qu’il en soit, le PIB chinois a crû de 7,4 % sur un an au troisième trimestre, soit moins que les 7,6 % constatés trois mois plus tôt. Cela représente la septième baisse trimestrielle consécutive.

Cependant, le Premier ministre chinois, Wen Jiabao, a estimé que la situation serait en voie de stabilisation et que l’objectif de 7,5 % fixé pour 2012 serait atteint. Il est vrai que le bureau national de statistiques a récemment indiqué que la production industrielle aurait crû de 9,2 % en septembre, contre 8,9 % en août. Les exportations auraient enregistré, le même mois, un fort rebond (+9,9 %) sur un an, contre une hausse de 2,7 % seulement en août. Enfin, c’est aussi une accélération qui aurait marqué les ventes au détail et, surtout, l’investissement qui commencerait à enregistrer l’impulsion apportée par les projets publics dans l’ouest du pays et dans les chemins de fer. Bref, l’économie chinoise pourrait être en voie de stabilisation.

Le ralentissement qu’elle connaît renvoie d’abord à l’affaiblissement des exportations, vers l’Europe en particulier. Mais il a des causes internes aussi. Les efforts pour tenter de redéployer la croissance vers la demande interne ont surtout profité à l’investissement matériel fortement soutenu par le crédit, tandis que la consommation demeure handicapée par l’inexistence d’un système de protection sociale, les difficultés d’accès au logement et, surtout, l’insuffisance rémanente de création d’emplois, le tout alimentant l’épargne. Pourtant, en même temps, la pénurie de main-d’œuvre qualifiée et d’infrastructures efficaces engendrent des goulots d’étranglement.

Cela a entraîné une surchauffe et le risque d’inflation incontrôlée, simultanément à une vive spéculation sur l’immobilier faisant écho à de fortes entrées de capitaux.

Désormais on assiste à un certain retrait des capitaux. L’investissement direct à l’étranger a reculé de 8,7 % en juillet dernier par rapport à juillet 2011. Il s’agit là du neuvième recul mensuel d’affilée.

Le FMI relève qu’à moyen terme « il existe des risques extrêmes d’un atterrissage brutal de la Chine où les dépenses d’investissement pourraient ralentir de manière plus prononcée étant donnés les excédents de capacités qui existent dans plusieurs secteurs ».

Au-delà de la Chine, tous les poids lourds de l’Asie orientale émergente piquent du nez, que ce soit la Corée du Sud, Hong Kong, Taïwan ou Singapour.

Au total, on se retrouve, donc, dans une situation bien différente de celle de la fin de 2009. À cette époque, les pays émergents d’Asie, Chine en tête, ont joué un rôle de locomotive de la reprise mondiale.

Désormais, ces pays émergents, soumis aux contradictions croissantes de leur type de développement extraverti, subissent le contrecoup des difficultés persistantes des économies développées, tandis que se profilent, en Chine particulièrement, les indices d’une suraccumulation de capital qui, de façon nouvelle, pourraient contribuer à l’éclatement d’un prochain épisode paroxystique de la crise systémique. Cela paraît d’autant plus probable que ce pays ne semble plus en mesure de pouvoir relancer l’économie aussi massivement qu’en 2009-2010, tant il craint le risque d’une inflation incontrôlable.

S’émanciper de la domination des marchés financiers et du dollar

L’explosion de 2008-2009 a laissé une énorme masse de dettes privées, alors même qu’a été relancé, comme jamais en temps de paix, l’endettement public dans les pays avancés. Le rapport entre le total des dettes des entreprises et des ménages au PIB augmente depuis 2008 dans les pays du G7. Le processus de désendettement des ménages après l’implosion des « bulles immobilières » s’avère beaucoup plus lent qu’à d’autres périodes, comme le souligne le BRI dans son dernier rapport annuel (11) qui alerte sur le caractère insoutenable de l’endettement privé aussi.

Dans ce contexte se profilent d’autant plus les risques d’instabilité financière majeure et permanente que la crise des dettes publiques dans les pays avancés, en Europe aujourd’hui et aux États-Unis demain, fait disparaître le statut d’émetteurs sans risque qu’ont eu jusqu’ici les États nationaux pour ancrer les marchés financiers.

Ils ne peuvent plus, comme avant, offrir un filet de sécurité au secteur bancaire et financier qui voit ainsi disparaître ce qui, depuis les années 1960, constitue l’ultime point d’ancrage censé permettre aux marchés financiers de fonctionner de façon « efficiente » en assortissant rendement et risque à partir de cet « actif sans risque » qu’est censé constituer l’obligation de référence émise par chaque État.

On assiste donc au niveau mondial à ce qui se présente comme une raréfaction des obligations d’État « sûres », alors même que jamais n’a été aussi exacerbé le besoin de sécurité des détenteurs d’actifs. D’où ces fuites massives vers la qualité (les obligations émises par les États considérés comme les plus solvables) qui soumettent le système mondial à de véritables tétanies.

Et les efforts d’assainissement budgétaire conduits pour tenter de stabiliser en freinant toujours plus la demande et, donc, la croissance réelle, tendent, en pratique, à accroître le poids des dettes publiques et privées, relativement aux richesses produites, ce qui en retour pèse sur les bilans bancaires et entraîne un freinage du crédit.

Ce qui est en cause, outre fondamentalement le type de croissance de la productivité, c’est le financement dominant par appel au marché financier.

L’enjeu est bien celui de faire reculer sa domination par l’avancée d’un nouveau type de financement alternatif, à partir d’une autre utilisation de la création monétaire des banques centrales et du crédit bancaire pour :

  • Une grande expansion des services publics, jusqu’aux biens et services publics communs à toute l’humanité ;
  • La sécurisation et la promotion de l’emploi, de la formation et du revenu de chacun et chacune avec les investissements matériels et de recherche nécessaires.

Cette perspective commence à sortir du domaine de la théorie, à cause de l’ampleur des antagonismes à l’œuvre et du fait de l’implication très accrue des banques centrales et du FMI de partout dans le monde.

Les banques centrales ont certes, pour l’heure, empêché le monde de sombrer dans une déflation catastrophique comme dans les années 1930, pourtant, fondamentalement, leurs interventions encouragent tous les facteurs de surendettement et de suraccumulation de capital.

À 18 000 milliards de dollars l’actif agrégé de l’ensemble des banques centrales représenterait, fin 2011, 30 % environ du PIB mondial, selon la BRI, soit deux fois plus qu’il y a 10 ans.

Et les taux directeurs réels (inflation déduite) qu’elles pratiquent restent clairement négatifs dans la plupart des économies avancées et cela, donc, de façon totalement indiscriminée, c’est-à-dire pour tout type d’opérations.

Cette inflation des bilans des banques centrales et des liquidités émises vise essentiellement à gagner du temps pour empêcher un collapsus généralisé, alors même qu’elle sert à entretenir et encourager toutes les opérations qui poussent vers une telle issue.

En luttant ainsi contre la déflation on ne fait qu’alimenter les facteurs de sa réalisation. La politique de bilan des banques centrales a brouillé la frontière entre politique monétaire et politique budgétaire (12). Du coup, c’est la notion même de leur « indépendance » qui tend à perdre son sens et à devenir aussi intolérable, d’autant plus que l’échelle même des interventions et des risques laisse penser qu’il sera difficile, pour ne pas dire impossible, de se passer de ces interventions, aussi « non conventionnelles » fussent-elles.

C’est dire le besoin de rupture en Europe, avec la politisation nécessaire de l’enjeu d’une mise en cause de l’indépendance de la BCE et de sa réorientation profonde, mais aussi, à l’échelle de la planète, avec la politisation de l’enjeu d’une réforme radicale du FMI et de son rapport aux banques centrales nationales avec l’avancée, à partir des DTS, vers l’institution d’une véritable monnaie commune mondiale, alternative au dollar. n

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(1) Padoan P.-C., « Quelles sont les perspectives économiques mondiales? Évaluation intermédiaire », OCDE, Paris, 6 septembre 2012.

(2) Ibid.

(3) FMI, « Perspectives de l’économie mondiale- Mise à jour », 16 juillet 2012.

(4) FMI, « Avant-propos et résumé analytique des Perspectives de l’économie mondiale », octobre 2012.

(5) P. Lamy, le Directeur général de l’OMC relève à ce propos que « Dans un monde de plus en plus interdépendant, les chocs économiques dans une région peuvent rapidement s’étendre à d’autres régions », OMC, PRESS/676, 21 septembre 2012.

(6) Les analystes de la direction des études économiques de BNP Paribas notent que la diminution du taux de chômage « de 9,8 % en mars 2010 à 8,1 % en août 2012, est en grande partie due au nombre croissant d’ Américains qui, découragés, quittent la population active [...]. L’emploi, rapporté à la population américaine totale, est au plus bas depuis 1983, à 58,3 % »,  Ecoperspectives, septembre-octobre 2012, p. 3.

(7) BNP Paribas, Ecoperspectives, juillet-août 2012.

(8) On sait que si, d'ici à la fin de l'année, un compromis n'est pas trouvé entre Démocrates et Républicains sur les finances publiques, des coupes automatiques de dépenses interviendraient provoquant un resserrement budgétaire de près de 4 % du PIB en 2013, ce qui provoquerait une récession.

(9) Les statistiques les plus récentes, avant que nous mettions sous presse, font annoncer par nombre de commentateurs que les États-unis pourraient bientôt sortir de ce qui n'aurait été, alors, qu 'un simple passage à vide. Et il est vrai que l'indice ISM manufacturier a rebondi à 51,5 en septembre, après trois mois scotché sous le seuil de 50. De même, il y a eu, le mois dernier, un recul du taux de chômage à 7,8 %, et cela de conserve, cette fois, avec un redressement du taux d'activité. Enfin, les ventes au détail se sont avérées un peu plus dynamiques. Mais, pour l'heure, on ne saurait en conclure que l'amélioration sera durable.

(10) Le solde primaire est la situation budgétaire d'un État endetté avant le paiement du service de sa dette.

(11) 82e rapport annuel de la Banque des règlements internationaux (BRI), juin 2012.

(12) BRI, 82e rapport, p. 54.

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