Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Garantir et sécuriser les besoins nouveaux liés à la retraite

Le système de retraites est confronté à des problèmes démographiques réels, qui se feront jour particulièrement  à partir de 2005-2010, mais surtout aux insuffisances de création d’emplois qui minent les recettes.

L’objectif d’une réforme de progrès et d’efficacité du système des retraites est d’anticiper le financement des besoins sociaux des retraités tout en contribuant à un processus de sortie de la crise systémique en cours, notamment démographique et économique. Ceci impliquerait une créativité nouvelle, comme cela a été le cas en 1945-1946 avec la construction du système de Sécurité sociale en 1945-1946 qui a permis de sortir de la crise de l’entre-deux- guerres, mais il s’agirait d’une nouvelle construction répondant aux enjeux du XXIe siècle.

Pour répondre aux besoins sociaux, il faut faire preuve « d’audace sociale », non seulement au nom de la justice sociale, mais pour contribuer à l’efficacité économique

Les retraites sont systématiquement présentées comme une charge, un boulet pour la société et pour les entreprises. Pourtant, articulées à une politique familiale dynamique comme à une politique de formation (des jeunes, mais aussi d’une formation tout au long de la vie) et à une création d’emplois efficace, elles contribuent au contraire au développement économique et social.

 

Cependant, il importe de répondre à l’ampleur des besoins, qui vont incontestablement monter : 120 milliards d’euros (800 milliards de francs) à dégager d’ici 2040 pour faire face au besoin de financement de l’ensemble des régimes de retraites.

La question des retraites est donc celle-ci : quelles réformes de progrès et d’efficacité et avec quels financements ?

1. Des problèmes réels qui ne doivent être ni surestimés, ni sous-estimés

La réalité des problèmes démographiques

– La part relative des 60 ans et plus dans la population va monter, elle passera de 24 % dans la population totale aujourd’hui à 36 % en 2040 (+ 50 %) ;

– Le rapport  des 60 ans et plus / les 20-60 ans pourrait passer de 0,38 en 2000 à 0,73 en 2040 ;

– De même, le rapport  retraités  / cotisants  pourrait doubler. Dans ce cas, il passerait de 0,4 en 2000 à 0,8 en 2040, et il n’y aurait plus en 2040 que 1,1 ou 1,2 cotisant par retraité.

La part des prestations vieillesses dans le PIB passerait de 12,6 % en 2000 à plus de 16 % (soit environ 4 points de plus en 2040, voire à 18,6 % si l’on rétablissait la parité de pouvoir d’achat des retraités par rapport à celui des actifs.

Une telle augmentation, de 50 %, n’aurait d’ailleurs rien d’insupportable si on compare avec le doublement de ce rapport au PIB entre 1960 et 2000, donc également en 40 ans (6 % du PIB en 1960, 12 % en 2000).

D’autres facteurs peuvent influer, en premier lieu une politique démographique, permettant d’accroître la population active de demain. Ainsi le relèvement du taux de fécondité qui assurerait  une descendance finale de 2 enfants par femme (pratiquement le seuil de renouvellement des générations) ou encore le recours à une immigration plus forte.

La démographie n’intervient pas seule, les variables économiques peuvent modifier le nombre des cotisants

La cration d’emplois, le type de croissance et de progression de la productivité du travail, la dynamique des salaires sont au cœur du financement des retraites. Le taux d’activité et bien sûr le taux d’emploi jouent un rôle crucial. On peut ainsi augmenter le taux d’activité des femmes pour le rapprocher du taux d’activité des hommes.

On peut aussi accroître  le taux d’activité des travailleurs vieillissants, particulièrement bas en France, et contrecarrer les gestions d’entreprises qui organisent leur éviction.

Il faut impérativement agir sur le taux de chômage, mais ceci implique un nouveau type de politique économique et sociale, et des interventions des salariés à la racine pour changer en profondeur  et en rupture  avec les critères  capitalistes  de gestion des entreprises visant la rentabilité financière contre l’emploi et le développement des capacités humaines.

2. Les réformes libérales

La réforme Fillon et les réformes libérales dans les autres pays de l’Union européenne

Ces réformes se fondent sur le renoncement à maintenir des systèmes de retraite solidaires et la volonté de pousser la capitalisation. L’allongement de la durée de cotisation est en général l’instrument privilégié pour minorer le calcul de la pension à la liquidation et celui de l’indexation sur l’indice des prix l’instrument pour faire baisser relativement le revenu des retraités.

Concernant le France, il s’agirait d’abroger les dispositions de 1993 (Veil-Balladur) et de 2003 (Fillon) qui programment une baisse drastique  des pensions de retraite  et organisent le retour à une liaison entre vieillesse et revenu très bas que le système  de retraites  par répartition  avait pratiquement éradiqué. En d’autres termes, la montée de la pauvreté chez les retraités apparaît comme une conséquence inéluctable des réformes en cours.

3. Des propositions alternatives pour sortir des lois Fillon et Balladur et construire le système de retraites de demain

Des réformes sont indispensables pour contribuer à sortir de la crise démographique et économique qui prive le système de retraites des moyens de financement suffisants pour répondre  aux nouveaux besoins sociaux. À l’inverse, une réforme de progrès et d’efficacité participerait à une nouvelle régulation pour un développement  économique et social.

a) Répondre aux nouveaux besoins liés à la retraite

Répondre aux besoins liés à la démographie, mettre en place une nouvelle politique de la vieillesse

La part des 60 ans et plus va effectivement augmenter, mais l’accroissement de l’espérance de vie devrait être considéré comme un fait tout à fait positif.

Le système de retraites permet le remplacement des salariés âgés. Garantir les retraites est un objectif moderne et efficace qui contribue à un autre type de progression de la productivité du travail, surtout s’il est articulé à une politique familiale dynamique créant la force de travail de demain, à une politique de formation des jeunes et à une politique de création d’emplois.

Il s’agirait de créer les conditions pour que les retraités les plus jeunes puissent mieux intervenir dans la société à travers des formules de solidarité (la formation, la garde des enfants, etc.). Cela implique de promouvoir la prévention à tous les âges pour des dégradations  de la santé, ce qui passe aussi par l’amélioration des conditions de travail et de vie (santé au travail, risques environnementaux…).

L’enjeu revient aussi à se donner les moyens de financer le risque dépendance  pour les très âgés, en créant en même temps les nouveaux métiers, les nouveaux emplois qui exigent des formations adaptées, pour le maintien au domicile ou l’hébergement lorsque celui-ci est incontournable.

S’attaquer aux inégalités par rapport à la vieillesse

Il faut revaloriser le pouvoir d’achat des retraites  qui s’est dégradé depuis 1993 et qui se dégradera  de plus en plus avec la montée en charge des mesures de la réforme Veil- Balladur et de la réforme Fillon.

Des inégalités subsistent  en ce qui concerne  la mortalité prématurée  des adultes, celle-ci restant  particulièrement élevée chez les ouvriers de sexe masculin ; globalement, d’ailleurs les inégalités d’espérance  de vie restent  fortes selon les catégories socio-professionnelles.

Sur le point de la durée de cotisations, il faudrait revenir à 37,5 années dans le privé comme dans le secteur public. Les pensions les plus basses doivent être revalorisées et le taux de réversion des pensions élevé de 52 % à 62 %.

Une conception plus souple de l’âge de la retraite consiste d’abord à remettre en cause les couperets du chômage et de l’éviction précoce des travailleurs vieillissants.

La possibilité d’avancer l’âge de la retraite  avant d’avoir atteint 60 ans pour ceux qui ont commencé à travailler tôt et ont totalisé 40 années de cotisation, n’a été que partielle dans la loi Fillon. Cette mesure représenterait un coût de 27 milliards de francs (4 milliards d’euros). Son application doit viser en priorité ceux qui ont exercé des métiers pénibles.

Inversement, ceux qui ont commencé à travailler tard en raison d’études longues ou de difficultés d’insertion, ceux aussi qui ont repris une formation et entamé une autre carrière comme ceux qui ont connu des périodes de chômage prolongé, pourraient demander à partir plus tard. Des formules permettraient de concilier départ progressif à la retraite à mi-temps pour le travail, mi-temps pour la formation des jeunes et pour le temps libre qui déboucheraient sur le remplacement d’un salarié âgé par l’embauche d’un plus jeune.

Une articulation nouvelle entre politique de la vieillesse (sécurité dans la retraite) et sécurité d’emploi et de formation Il faut rompre avec l’éviction des travailleurs vieillissants : quand ils prennent leurs retraites, les deux tiers des salariés sont déjà sortis prématurément du monde du travail dès

55 ans (préretraites, dispenses de recherche d’emploi, retraite anticipée forcée, chômage…) ; ceci signifie des cotisations en moins pour le système de retraite et des prestations en plus pour le système de protection sociale. La France atteint ainsi le record du taux d’activité le plus bas des hommes après 55 ans, 37 % seulement. Il est envisageable de rapprocher ce taux de 50 % pour contribuer  à remonter le taux d’activité global ; dans le même temps, le taux d’activité des femmes et des jeunes doit aussi remonter.

Mais cela pose la question de la mise en chantier de la construction d’un nouveau système de sécurité d’emploi et de formation et de la sécurisation des retraites de demain par la création des moyens de financement nécessaires.

b) Une refonte et un développement du financement sont indispensables

Il faudra, d’ici 2040, dégager 6 points de PIB supplémentaires (au minimum) pour faire face aux nouveaux besoins, en maintenant et en développant le système par répartition.

Critique de la capitalisation, même « à petite dose » et même sous la forme du fonds de réserve public

Le gouvernement Jospin avait pris en 2000 l’initiative de la création d’un fonds de réserve public. Il prétendait abonder ce fonds d’ici 2020 à hauteur de 150 milliards d’euros, soit 10 points du PIB annuel aux prix d’aujourd’hui, soit aussi presque une année de prestations vieillesse, alors qu’on rechignait à dégager les 120 milliards d’euros pour faire face au besoin de financement des retraites  par répartition  d’ici 2040 !  Ceci engage le débat sur un Fonds de réserve public pour sauvegarder la répartition.

Le fonds de réserve créé en 2000 envisageait le « pillage » des excédents des autres Caisses de la Sécurité sociale. Il s’agissait bien d’un fonds de capitalisation dépendant des rendements des marchés financiers et abondé en partie par les recettes de la privatisation des entreprises publiques.

La répartition se fonde sur le versement immédiat des cotisations des actifs employés pour servir des prestations à ceux qui sont à la retraite. Elle fournit un moteur à la croissance économique car ces prestations permettent de soutenir la demande effective, donc l’incitation à investir pour les entreprises et l’emploi. Elle sert aussi à remplacer la force de travail et constitue un facteur de développement  de la productivité  du travail.

En revanche, la capitalisation,  qui joue sur le dogme de l’épargne individuelle, s’effectue au détriment de la demande effective, les fonds capitalisés sont retirés de la croissance réelle, de l’emploi et des besoins des retraités.  Ceux-ci se retrouvent contraints de s’engager dans des fonds de pension privés, dont les variantes sont nombreuses  (fonds d’entre- prise, de branches, ou plans d’épargne individuels). Gérés par les institutions  financières, banques,  compagnies d’assurance, ces fonds sont par nature dépendants de la rentabilité des marchés  financiers et soumis à leurs aléas (inflation, crises boursières…). La capitalisation est branchée  sur la croissance financière et non sur la croissance réelle et l’emploi. Elle nécessite  des réserves  financières considérables (trois fois plus que pour un système de retraite par répartition), donc des prélèvements plus lourds pour des prestations réduites.

Il est faux de penser que la capitalisation puisse fournir un complément à la répartition, car les fonds épargnés font défaut au système par répartition et ne peuvent se développer que contre les besoins de relance de la croissance réelle.

Pour faire face au financement du système de retraites par répartition, on peut agir sur un certain nombre de variables susceptibles de favoriser le nombre de cotisants et le montant des cotisations :

– les variables démographiques, pour relever le taux de fécondité, atteindre  le taux de renouvellement des générations  et accroître  les cotisants  de demain ;

– les variables économiques, un nouveau type de croissance de la production et de progression de la productivité du travail, la réduction  du taux de chômage, l’accroissement du taux d’activité, le rétablissement de la part des salaires dans la valeur ajoutée.

Une refonte du financement en prise sur le développement de l’emploi et sur un nouveau type de croissance,  à partir du développement des ressources humaines (formation, salaires, promotion des salariés) est indispensable. Il s’agit de remettre en cause la fuite en avant dans les exonérations de cotisations patronales couplée avec la montée des prélèvements sur les ménages. Les exonérations de cotisations patronales (25 mil- liards d’euros en 2007) tendent à tirer vers le bas l’ensemble des salaires et à déresponsabiliser les entreprises  en privant la Sécurité sociale de moyens de financement importants.

Il importe au contraire de développer le principe d’une articulation entre le financement de la protection  sociale et l’entreprise, lieu de création des richesses. Ceci implique d’accroître les taux et les masses des cotisations patronales en relevant la part des salaires dans les richesses créées.

Le débat sur un financement efficace de la retraite doit être mené.

On pourrait dégager de nouveaux financements à partir d’une réforme de l’assiette des cotisations patronales. En effet, la répartition actuelle des cotisations patronales liée au type de gestion des entreprises,  est telle que plus une entreprise embauche et accroît les salaires, plus elle paye de cotisations, alors qu’une entreprise qui licencie, comprime la part des salaires dans la valeur ajoutée et fuit dans les placements financiers, paye de moins en moins de cotisations. Ainsi, les entreprises  de main-d’œuvre (notamment  le BTP) ont une part de charges sociales dans la valeur ajoutée qui est plus du double de celle des institutions financières, des banques, des compagnies d’assurances.  Il s’agirait de corriger ces effets pervers de l’assiette actuelle liés aux gestions d’entreprises. L’objectif serait de brancher le financement de la protection sociale sur la croissance réelle, l’emploi, le développement des salaires et de la formation, afin de garantir des ressources suffi- santes pour faire face à la montée de besoins nouveaux.

Dans l’objectif d’accroître le taux et la masse des cotisations patronales, on pourrait moduler le taux de cotisation en fonction d’un rapport masse salariale/valeur ajoutée, de telle sorte que les entreprises  qui limitent les salaires et licencient soient assujetties  à des taux beaucoup  plus lourds. Inversement, les entreprises  qui développent  les emplois, les salaires, la formation, seraient assujetties à des taux relativement plus bas, le but étant justement d’inciter au développement de la croissance réelle, de l’emploi et des salaires, ce qui serait source de cotisations.

L’objectif serait aussi de dissuader la course aux licenciements et à la recherche  obsessionnelle  de profits financiers. On pourrait  alors instituer une contribution sur les revenus financiers des entreprises non financières, qui atteignent certaines années 80 milliards d’euros. Ces revenus échappent à toute contribution sociale et qui se nourrissent de la contraction des emplois et de la croissance réelle. Une contribution de ces revenus financiers au même taux de cotisation que les salaires apporterait près de 10 milliards d’euros en ressources au système de protection sociale. Pour les retraites entrent aussi en compte les cotisations des employeurs et des salariés aux régimes de retraite  complémentaires  obligatoires. Ce taux de cotisation  pesant  sur les salaires atteint  15 %. En appliquant  ce même taux aux revenus financiers des entreprises, cela représenterait environ 15 milliards d’euros. À cela pourrait s’ajouter une cotisation sur les revenus financiers nets des institutions financières que le rapport  sur les comptes de la Nation évalue à 40 milliards en 2004.

Alors qu’il est présenté seulement comme une charge, le financement des retraites est un facteur de développement économique et social. La sécurisation des retraites s’articule à la sécurisation par rapport à l’emploi et la formation et participe des chantiers de la construction d’un système de sécurité d’emploi et de formation. Mettre en place un tel système devrait s’appuyer sur des fonds régionaux pour l’emploi et la formation, avec un nouveau type de crédit, de telle sorte que les charges d’intérêt puissent être abaissées sélectivement pour les entreprises qui programment des investissements centrés en priorité sur les emplois, les salaires et la formation.

Pour donner à ce projet une dimension européenne,  il faut mener les luttes pour une Banque centrale européenne totalement refondue dans son fonctionnement et dans ses statuts, et dont les objectifs viseraient un nouveau type de crois- sance pour le développement de l’emploi et de la formation