Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Financement d’Airbus : Attention au piège !

Dans le débat sur Airbus monte, à juste titre, l’exigence d’une augmentation de la part du public dans le capital du groupe EADS. Mais cette exigence doit immédiatement s’accompagner de la nécessité  absolue d’une tout autre gestion du groupe et d’Airbus, de nouveaux financements émancipés du marché financier et de nouveaux pouvoirs.

Attention à la dérive qui consiste à donner à penser que la solution c’est simplement un EADS à capitaux 100 % publics !

Cette proposition est, pour le moment, tout à fait irréaliste car EADS est européen et les Allemands, nos principaux partenaires, sont absolument opposés à une telle perspective. Et surtout, elle ne garantit en rien une plus grande efficacité sociale des choix du groupe. Pire, elle peut nous faire tomber dans un piège politique, avec une délégation à l’État, à l’opposé d’une autre gestion et d’un contrôle par les travailleurs et les populations.

Malgré leurs différences, les propositions avancées par N. Sarkozy et S. Royal convergent vers l’idée que la « sortie de crise » pour Airbus dépend avant tout de sa « recapitalisation » : pour S. Royal cela doit marcher de pair avec un engagement public des Régions ; pour Sarkozy cela peut marcher de pair avec un engagement plus important de l’État. Mais, l’un comme l’autre, ne parlent à aucun moment de changer la gestion du groupe avec l’alternative sur ses buts, pour l’efficacité sociale ou pour la rentabilité financière. L’un et l’autre ne disent rien sur la question des pouvoirs.

Qui dit « recapitalisation », dit augmentation  des fonds propres, y compris par appel au marché en l’espèce, puisque EADS a un statut d’entreprise privée cotée sur le marché.

Et même si des agents publics (États ou régions) participent à la « recapitalisation », il faudrait, dans l’état actuel des choses, qu’ils payent l’émission de ces actions sur la base des prix du marché financier.

Au bout du compte, c’est le poids et la logique du marché financier qui se trouveraient ainsi renforcés. Ce risque est d’autant plus important que le débat est limité à la seule question d’une « recapitalisation », sans aucune remise en cause des choix, de la logique de gestion, de ses critères  et de ses pouvoirs.

De plus, la « recapitalisation » à laquelle participerait le « public » peut permettre au privé (Lagardère et Daimler-Chrysler) de se retirer  sans problème, après s’en être mis « plein les poches », et sans avoir à assumer  une quelconque  responsabilité sociale. En réalité, ainsi borné - ou en donnant à penser que la solution pour nous résiderait dans un capital 100 % public- le débat permet de passer  sous la table une triple exigence majeure :

- Le sens à donner à la participation publique dans EADS  : ni « partenaire dormant », ni béquille du capital privé, cette partici- pation doit imposer à la gestion du groupe une finalité d’intérêt général, d’efficacité sociale, permettant une promotion de toutes les capacités  humaines européennes avec les emplois qualifiés et la recherche ;

- Un pouvoir très accru des comités d’entreprise et de groupe, nationaux et européen, des institutions représentatives des sala- riés, depuis  les bassins  d’emplois, pour  changer  les gestions  d’EADS en y faisant prévaloir  des critères  d’efficacité sociale, opposés  à la rentabilité financière. Et cela avec de nouvelles coopérations très intimes entre bassins, entre sites et entre pays et tout le long des chaînes de sous-traitants ;

- De nouveaux financements permettant de faire reculer l’emprise des marchés financiers sur EADS et Airbus, pour sécuriser emplois, formations, recherches avec des investissements efficaces et impulsant une productivité fondée, non sur la baisse des coûts sala- riaux, mais sur la promotion des travailleurs

Ce troisième point est absolument crucial. C’est un enjeu politique et non une question technique ! Il est refoulé si on se laisse enfermer dans un simple débat sur la « recapitalisation », qu’elle soit ou non à dominante publique.

Il est d’autant plus important  que, dans l’immédiat, EADS n’a pas de problème de financement, mais un problème de calcul des coûts : Il dispose, fin 2005, de 13,9 milliards d’euros de capitaux propres consolidés pour des dettes de 3,5 milliards d’euros seule- ment. Et il affichait, au 30/09/2006 une trésorerie nette de 4,8 milliards d’euros disponibles (1).

Les problèmes de financement – qui concernent très précisément Airbus – sont à venir.

En effet, les coûts de recherche explosent : fin 2006, ce poste avait augmenté de 18 % à 1,7 milliards d’euros contre 1,43 milliards d’euros un an plus tôt. Et le programme A 350 XWB va coûter 10 milliards d’euros avec un pic de dépenses entre 2010 et 2013, années de récession mondiale sans doute et, donc, d’exacerbation de la concurrence avec Boeing. Or, le résultat de ces dépenses est aléa- toire. De plus, des retards et des problèmes sérieux sont rencontrés avec l’A 380, engendrant de pertes de commandes. Bref, la renta- bilité future d’Airbus tend à devenir elle-même plus aléatoire, face à un Boeing qui a baissé fortement  son seuil de rentabilité. Ces coûts, ces risques, ni les actionnaires privés, ni les banques, en l’état, n’entendent les assumer. De plus, EADS, entreprise cotée, doit offrir une rentabilité suffisante de ses fonds propres pour garder une bonne signature sur les marchés financiers mondia- lisés. Et il y a un bras de fer entre États au service des marchés, l’État français et l’État allemand notamment,  pour savoir lequel sera obligé de supporter la plus lourde charge des dévalorisations exigées par la rentabilité  financière.

C’est cette logique là, qui, dans l’affrontement concurrentiel avec Boeing, amène les dirigeants d’Airbus à vouloir couper dans les effectifs et céder des sites : les coûts financiers et les risques augmentant, ils cherchent à baisser massivement les coûts salariaux. Mais c’est cette logique là, précisément, qui conduit Airbus et l’aéronautique européenne dans le mur avec des risques bien plus grands encore pour le futur, avec les difficultés à assurer un développement hardi de l’utilisation des recherches, du fait d’une insuffisante promotion de tous les travailleurs. C’est avec elle qu’il faut rompre, pour une autre logique : baisser les coûts finan- ciers pour développer les capacités  humaines, avec, pour ce faire, une démocratisation des pouvoirs de gestion et un tout autre rôle des États, du public, de l’Union européenne.

Il faut absolument monter l’exigence politique forte de nouveaux financements et de nouveaux pouvoirs (voir l’article de Frédéric Boccara dans les pages précédentes).

(1) Toutes les données chiffrées sont extraites du Figaro du 7/03/2007.