Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil
 
 
 
 

Airbus : Impliquer les banques publiques et le systèmes de crédit jusqu’à la BCE et la BEI(1)

Airbus se trouve pris dans une « tenaille » par les marchés financiers : par les prélèvements du capital sur la valeur ajoutée et par la pression dans les gestions.

Par les prélèvements du capital  : par exemple, les actionnaires ponctionnent cette année la valeur ajoutée d’Airbus à hauteur de 2 milliards d’euros de dividendes qui viennent de leur être versés. Et cela n’est pas la première fois.

Mais en interne à l’entreprise, c’est toute la gestion qui est contaminée et souffre de la pression de la recherche de rentabilité, pression contre les coûts salariaux et pression pour l’intensification du travail avec la recherche à tout prix de la productivité apparente du travail maximale … au détriment de l’efficacité productive.

Sortir de la tenaille des marchés financiers…

Les moyens disponibles ne sont pas utilisés prioritairement pour les investissements, la recherche, les qualifications. Ce qui passe  avant tout c’est cette recherche  de rentabilité. L’ancien  PDG Noël Forgeard se félicitait il y a peu d’avoir économisé 1 milliard d’euros de R&D au profit de ces mêmes actionnaires.  !  Effectivement, Airbus souffre d’une insuffisance des dépenses de recherche – pour les nouveaux projets comme dans les composites – pour le développement – avec l’affaire des logiciels de câblage hétérogènes entre les différents sites – et pour les salaires, la formation, l’emploi.

On fait des économies de « bouts de chandelle » sur les salaires et les qualifications, on précarise  les équipes. À l’arrivée c’est toute l’entreprise et son efficacité qui sont fragilisées, avec les retards  engrangés sur les livraisons de l’A380 et la révision à la baisse du programme de développement  des appareils futurs.

On accrt le rendement du capital (Profit/capital), mais il n’est pas du tout sûr qu’on accroisse  son efficacité (Valeur ajoutée/capital matériel et financier), et bien sûr on pousse au maximum la productivité du travail (Valeur ajoutée/salarié). Et ce sont les salariés qui écoperaient avec le plan Power 8 !

Réduire les autres coûts que ceux du travail, comment ?

Quels coûts réduire, si ce n’est ceux des prélèvements des actionnaires et ceux des banques – y compris sur les sous-traitants –, les coûts du capital. Que paient les salariés d’Airbus et de ses sous-traitants, si ce n’est les non-dépenses en qualifications, recherche et formation ?

Le développement  de l’A350 nécessiterait,  nous dit-on, 10 milliards d’euros nouveaux.

– Si ce sont les marchés  financiers — des actionnaires  — qui les apportent, alors il faudra leur verser chaque année une dîme de 1 à 1,5 milliard d’euros. Car ils voudront leur 10 à 15 % de rendement !

– Si c’est un crédit bonifié, avec la puissance  publique, à taux zéro cela fait 1 à 1,5 milliard d’euros supplémentaires pour le développement des qualifications, des recherches, la sécurisation et le développement de l’emploi, bref tous les facteurs modernes de l’efficacité réelle.

Cela changerait  l’utilisation des profits des actionnaires. Leurs profits seraient, en effet, utilisés pour rembourser ces emprunts, et donc, pour investir vraiment, et pour investir efficacement.

Car il faut que cette « bonification » soit conditionnée au développement de l’emploi, des qualifications et des richesses réelles (la VA). Il doit être, en effet, hors de question que ce type de financement vienne, d’une façon ou d’une autre, en accompagnement  d’une logique financière qui développerait, comme aujourd’hui, le cancer de la précarité  et de la baisse des dépenses salariales et sociales.

Impliquer les banques publiques et le système de crédit jusqu’à la BCE et la BEI

Ce crédit bonifié (2) pourrait être réalisé de la façon suivante, qui converge avec les propositions  que nous a présentées F. Wurtz

• D’une part, la BEI (banque européenne  d’investissement) financerait les investissements nécessaires à taux zéro, en conditionnant cette bonification à l’amélioration des qualifications, au développement de l’emploi dans les pays de l’UE et à la création partagée de Valeur Ajoutée disponible dans l’Union Européenne, voire en coopération avec le Sud et l’Est.

• Afin de moins dépendre des marchés financiers pour lever les fonds, la BEI pourrait, d’autre part, impliquer un réseau de banques,  notamment  les banques  publiques existant dans les différents pays de l’Union Européenne On peut citer la Caisse des Dépôts (CDC) française ou les Banques publiques des Länder allemands, voire la Banque KfW.

• Enfin, La Banque Centrale Européenne, la BCE, s’engagerait à refinancer à taux préférentiel les crédits en question, ceci d’autant plus que les investissements  respecteraient les critères  ci-dessus (qualification, emploi, valeur ajoutée territoriale).

Actuellement la BCE fait tout le contraire : elle accompagne, incite et finance très largement les exportations de capitaux hors et intra Union Européenne (un solde net de 65 milliards en 2006 pour la France), soit sous forme de placements financiers (bons du Trésor US) soit de délocalisations et de rachats d’entreprises (fusions-acquisitions), bien évidemment contre l’emploi. On évoque souvent le modèle américain de flexibilité et de firme souple, mais il faut bien voir son autre versant : la recherche y est abondamment financée, et ceci par « nos » propres exportations de capitaux.

Une convergence pour exiger de pouvoir parler des investissements…

J’observe une convergence remarquable des interventions précédentes. Cette convergence n’est pas anodine. Elle n’allait pas non plus complètement de soi.

Quelle est-elle ?

D’un côté, les syndicalistes CGT de la filière aéronautique réclament des pouvoirs nouveaux des salariés dans la gestion pour faire reculer les critères de rentabilité et dénoncent les disponibilités financières de trésorerie (4 milliards), de l’autre, Reiner Hoffman et Peter Scherrer, responsables syndicaux européens de la métallurgie ou de la CES nous disent « on veut pouvoir parler des investissements », avoir des droits de décision dessus, ce qui est n’est pas le cas actuellement et ce qui est nouveau, Reiner Hoffman, de la CES, nous dit « il faut des investissements autres, des dépenses en ressources humaines » que « les institutions européennes devraient appuyer »,

« porteurs de formation, et de sécurité de l’emploi  ». Peter Scherrer insiste sur « l’implication des travailleurs à tous les niveaux » et pose la question « quels investissements ? ».

Le syndicaliste britannique a, quant à lui, souligné que, « plutôt que de venir sur le terrain de la répartition des emplois et des charges entre pays », le mouvement progressiste  et syndical devrait « se préoccuper beaucoup plus de la question des investissements ». M. Schui, député au Bundestag, insiste lui aussi sur le besoin de mobiliser les banques publiques, tandis qu’enfin le groupe GUE met en débat des propositions précises pour un financement nouveau.

et donc de nouveaux pouvoirs dans les gestions

Mais pour cela, il faut d’autres pouvoirs de décision. Ces pouvoirs s’appuieraient sur la possibilité de mobiliser du crédit.

Il faut aussi suivre ce qui est fait des crédits : comment sont réalisés les investissements : sont-ils effectivement porteurs d’une amélioration de l’emploi, des qualifications etc. ? Il faut donc, des pouvoirs jusque dans la gestion, à tous les niveaux.

Dans ce domaine les actionnaires  publics d’EADS peuvent innover et montrer la voie.

1. Le hors Europe

J’ai évoqué le besoin d’envisager des objectifs de production et de Valeur Ajoutée partagée  avec le Sud et l’Est, mais à condition que cela développe les conditions sociales et l’emploi ici et là-bas.

 

Je voudrais parler aussi de la monnaie. Je pense qu’il faut poser la question d’une autre monnaie de facturation que le dollar plutôt que de pousser à une manipulation du taux de change de l’euro, qui tend à nous fait entrer dans une logique de dumping social par « l’arme » monétaire.

On pourrait réfléchir à combiner deux choses : une facturation dans un panier de monnaie, où l’euro jouerait un rôle important, et une coopération  monétaire avec nos voisins proches (Est et Sud) du type serpent monétaire. Je sais que certains économistes, comme J. Sapir, posent, eux aussi, ce type de question.

2. L’actionnariat

L’actionnariat public (sous diverses formes) doit monter. Il doit affirmer ses pouvoirs de décisions, et agir dans la transparence. Mais ceci pour poursuivre d’autres buts que la rentabilisation du capital et le profit le plus élevé. Car les critères de rentabilité s’opposent à ce que nous recherchons. Sur ce point, nous avons peut-être un point de réflexion et de débat à poursuivre les uns et les autres.

Mais il y a aussi les actionnaires privés actuels. S’ils doivent laisser la place au public, on ne peut pas les laisser « partir » purement et simplement. Ils doivent être « responsabilisés ». D’autant que rendre Airbus 100 % public, cela peut coûter très cher. Le rachat aux actionnaires privés, si rachat il y a, ne peut se faire au prix du marché financier.

Ils ne doivent pas s’en tirer comme cela. Il faut réfléchir aux conditions de leur indemnisation. On peut aussi les impliquer dans les nouveaux investissements, implication qui pourrait se poursuivre sur la base du respect d’obligations de résultats en matière d’emploi et de Valeur Ajoutée produite dans les territoires.

Leur non-respect pourrait donner lieu à des pénalisations, tant sur leur rémunération que lorsqu’ils voudraient céder leurs capitaux.

3. Etablir dès à présent un rapport de forces sur « l’argent »

En conclusion, je voudrais insister sur le fait que l’on peut, dès à présent, mettre la pression sur le système de crédit européen et sur le SEBC (Système Européen de Banques Centrales).

Car cette piste peut être engagée immédiatement sans préalable, même si elle est porteuse, en réalité, de changements profonds et donc structurels qui peuvent venir ensuite, dans le mouvement.

Cela nécessite  de construire  le rapport  de forces sur ces questions, l’orienter vers ces questions, pour que la BEI, les banques publiques et les Banques centrales nationales (BCN), donc la BCE, qui gèrent l’argent des européens,  agissent immédiatement.

4. Un potentiel de convergence avec le mouvement social dans les Banques

On peut s’appuyer pour cela sur tout le réseau existant de banques publiques des différents pays européens,  avec un mouvement social fort en son sein. Ceci d’autant plus qu’il est menacé par la Commission Européenne qui souhaite le privatiser : les banques  publiques allemandes de Länder sont parmi les premières visées.

Deuxièmement, il existe un appui possible avec le Standing Committee, rassemblant  des syndicalistes  des banques centrales d’Europe, qui s’est prononcé dans un Mémorandum européen  pour une « responsabilité sociale des banques centrales », pour une politique monétaire « sélective » : les prêts « encourageant les investissements qui favorisent les créations d’emploi et l’élévation de la qualification des travailleurs » étant « octroyés à des taux inférieurs aux taux du marché » (3)

La liberté face aux marchés financiers est au cœur du projet social européen voulu par les peuples. Sa conquête, comme l’a montré l’économiste indien prix Nobel d’économie, Amartya SEN nécessite que les acteurs sociaux aient à leur disposition  des « ressources » véritables : ressources d’information mais aussi ressources financières.

Conquérir des droits sur ces ressources, voilà un projet qui peut être mobilisateur et moderne.

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.