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Aragon aujourd'hui - Discours d'ouverture par Pierre Laurent

Allocution de Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, à l'occasion du lancement du cycle "Aragon aujourd'hui" -  un mois d'initiatives organisées par le PCF dans son siège national, à l'occasion du 30ème anniversaire de la disparition de l'écrivain.

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Mesdames et messieurs,
Chers amis, chers camarades,

Je suis très heureux de vous recevoir au siège du Parti communiste français, siège conçu au début des années 1970 par l'un des architectes les plus novateurs du 20e siècle, Oscar Niemeyer.

Permettez-moi de commencer par lui adresser notre amitié et tous nos voeux de prompts rétablissements, et de souligner qu'il ne pouvait y avoir de lieu plus approprié pour accueillir la saison Aragon, la contribution du PCF au trentième anniversaire de la disparition d'un des génies de la littérature française, Louis Aragon.

Cette maison était celle d'Aragon comme elle se veut toujours celle de tous les communistes, de toutes les femmes et de tous les hommes de progrès et de justice et des combattants de la liberté.

Poète et écrivain (aujourd'hui parmi les plus étudiés de nos auteurs), traducteur, éditeur, journaliste et directeur d'un quotidien Ce Soir et des Lettres françaises... Aragon était aussi un militant politique (il avait adhéré au PCF en 1927 à l'âge de trente ans) et fut un dirigeant du PCF.

Pour autant, Aragon n'appartient pas au PCF, il n'a jamais appartenu à personne et son souvenir, et son oeuvre appartiennent à tous.

Dans son dernier numéro des Lettres françaises, sous le titre "La Valse des adieux", Aragon écrit en 1972 : « Je ne suis pas le personnage que vous prétendez m'imposer d'être ou d'avoir été » - c'eût donc été trahir Aragon que de tenter, d'une manière ou d'une autre, de dessiner un portrait unichrome ou uniforme de l'homme, de sa vie, de son œuvre.

La fidélité qui fut la sienne envers ses idéaux et son parti fut tout autre chose que la « discipline aveugle d'un bon petit soldat » dont ses adversaires lui ont toujours fait le mauvais procès.

Aveugle ? Discipliné ? Bon petit soldat ou caporal de Maurice Thorez ? Pardonnez-moi l'expression, quelles foutaises !

Rares sont les êtres qui avancent les yeux aussi grand ouverts sur leurs contemporains et leur siècle. Rares sont les êtres qui auront fait constamment de la novation et de l'anticipation leurs moteurs de création.
Discipliné ? Aragon avait connu la guerre : la « grande », la boucherie de 1914 et il connaissait le prix de cette « discipline » qui fait des êtres et des peuples des offrandes sacrifiées sur l'autel des puissants. Aragon fut aussi un résistant contre la folie dévastatrice nazie et fasciste.

Caporal ? Mais c'est du premier éditeur de Soljenitsyne en France, de celui qui a préfacé La Plaisanterie de Milan Kundera dont ces gens bon teint parlent sans savoir.

Aucun être, et Aragon moins que quiconque ! ne peut être réduit à un fossile à classer dans un casier.

Dirigeant du PCF, Aragon l'est devenu non par flagornerie mais parce qu'en matière de politique, il avait un constant désir d'agir et d'être utile, de contribuer à la mise en mouvement de forces qui avaient besoin d'être rassemblées, de se retrouver et d'agir ensemble pour que la société française bouge et change. Il n'était pas une autorité qui assénait sa vision des choses, mais une intelligence tirant parti de son expérience pour la mettre au service de la réflexion commune, de l'action individuelle et collective, et, ainsi, ensemble ouvrir les champs du possible.

On retient souvent son rôle dans la session du Comité central du PCF de mars 1966 qui adopta une résolution sur « les problèmes idéologiques et culturels », une résolution qui fait date et qu'on appelle communément la Résolution d'Argenteuil. Ce fut un travail collectif important. Aragon est lui-même l'auteur d'un passage particulier dont je veux vous donner lecture pour mettre en lumière la conception qui était la sienne de ses responsabilités au sein du PCF :

« Qu'est-ce qu'un créateur ? Qu'il s'agisse par exemple de la musique, de la poésie, du roman, du théâtre, du cinéma, de l'architecture, de la peinture ou de la sculpture, le créateur n'est pas un simple fabricant de produits desquels les éléments sont donnés, un arrangeur. Il y a dans toute œuvre d'art une part irréductible aux données et cette part, c'est l'homme même. Tel écrivain, tel artiste était seul capable de produire l'œuvre créée. Concevoir et créer, c'est ce qui distingue les possibilités de l'homme de celles de l'animal. La culture, c'est le trésor accumulé des créations humaines. Et la création artistique et littéraire est aussi précieuse que la création scientifique, dont elle ouvre parfois les voies. Une humanité débarrassée des contraintes et des entraves qu'impose le « calcul égoïste » doit pouvoir trouver ce trésor et s'en saisir dans sa totalité. »

Voilà l'homme et l'œuvre – dans leur totalité et dans leurs moindres détails, leurs moindres interstices et subtilités – que nous souhaitons mettre au jour au cours de ce mois d'événements « Aragon aujourd'hui ».

Aragon était écouté, il pouvait être contredit comme lui-même pouvait contredire dans le débat. Cela s'appelle la politique. Son autorité ne provenait pas d'un titre ou d'un oukaze mais de son intelligence, de sa sensibilité, de sa capacité incroyable à dire l'indicible, et pourtant l'essentiel, de ce qui nous fait humains, si humains.

« Je vous le dis, écrit Aragon en octobre 1972, je vous le dis à vous qui avez encore le temps de profiter de cette leçon de ma vie et de mes rêves. Je vous le dis, mêlant les rêves et la vie, pour mieux apprendre à les séparer ensuite. Parce que dans la vie, il y a certes un dangereux quotient de rêves, mais dans les rêves aussi il faut savoir lire sa vie, voir plus loin qu'elle. Voir plus loin que soi. »

Voilà tout le sens de ce mois que nous consacrons à Louis Aragon.

À travers lui, voir plus loin que nous. Offrir – en ces temps âpres, ces « temps interrogatifs comme on dit le présent ou le futur »1 disait -il en 1971 – offrir l'espace et le moment de voir plus loin que nous.

Cette démarche nous est parue nécessaire. Vitale même.

La société capitaliste en crise empêche de penser, de rêver, de se retrouver. Elle contraint à la peur, à la peur de la peur. Elle dissout le courage de se parler, de se contredire, de ne pas être d'accord mais de continuer à échanger. Elle contrarie en tout lieu, en tout moment, les possibilités dont l'humanité se dote de briser ses entraves et de partager tout ce qui peut, tout ce qui doit, l'être pour que chaque être, dans toutes les sociétés, vive toujours mieux dans la paix, l'harmonie et la dignité.

« Je tiens pour peu de chose la faculté de voir si elle n'est pas partagée », dira-t-il dans La Semaine Sainte (1958) et, en effet, Aragon était un être de partage.

Les aspérités, les passions, les déchirures, les fulgurances, ses contradictions comme ses constances, ses certitudes et ses doutes qui ont fait l'homme Aragon et les moindres lignes qui font son œuvre monumentale sont un trésor inépuisable.

Il a fallu une vie pour accoucher de cette œuvre en mouvement perpétuel, il nous en faudrait à chacun plusieurs pour nous en imprégner ; c'est le constat qui m'assaille chaque fois que j'ai le bonheur d'ouvrir un de ses livres. Je commence à lire et je ne peux plus m'arrêter. Je me reconnais et je découvre un autre, tout à la fois. Chaque fois, je suis frappé par cette inventivité perpétuellement renouvelée, par son acuité.

Le trentième anniversaire de son décès se devait donc d'être fidèle – non de façon réductrice à la mémoire d'Aragon, ce qu'il aurait lui même détesté et raillé ! mais fidèle à son esprit : « À vous de dire ce que je vois » s'écrit-il dans l'Épilogue des poètes.

Nous avons voulu mettre à l'honneur le débat, la création, la recherche, le « mélange des genres » et mettre à l'honneur des créateurs de notre temps.

Je veux particulièrement remercier le MacVal, sa directrice Alexia Favre, et le Département du Val-de-Marne, avec son président Christian Favier, d'avoir accepté notre invitation. Cet événement est une première du genre pour nous et je forme le voeu qu'il en appellera d'autres.

Les équipes du MacVal ont conçu, à partir des fonds de son exposition permanente, une exposition inédite que vous allez pouvoir admirer pendant un mois dans nos murs – la contemplation n'est pas un luxe et quelles que soient les émotions que susciteront ces créations, elles nous nourriront. Je veux redire combien je suis heureux d'accueillir en ces lieux ces artistes et leurs œuvres, et fier que le PCF se fasse l'hôte de leurs rencontres renouvelées avec le public. Tous les arts plastiques sont présents, y compris l'audio-visuel. C'est un honneur pour nous que cette exposition à Fabien. J'en profite pour remercier les militants bénévoles et employés du Siège qui se sont démenés pour rendre le mois Aragon possible. À partir du 5 décembre, cette exposition exceptionnelle entrera en résonance avec une deuxième exposition, « 56 rue de Varennes », la reconstitution de la chambre d'Aragon et d'Elsa dans leur appartement parisien, exposition conçue par la Maison Aragon et le photographe Brickage.

Je poursuis sur ma lancée et veux également remercier de manière appuyée nos partenaires et parties prenantes de la programmation de ce mois : Zebrock, la Maison d'Elsa Triolet et Aragon à St Arnoult-en-Yvelines (je salue Bernard Vasseur et la directrice artistique du musée qui le représente ce soir), les éditions Gallimard (je salue la présence d'Olivier Barbarant), Daniel Mesguich et les élèves du Conservatoire national d'art dramatique, Marc Peronne et Agnès Bihl qui nous enchantent ce soir. Les cartes blanches produites par Zebrock vont donner lieu à des créations originales : des représentants de la nouvelle scène française vont mettre en musique des textes d'Aragon qui ne l'ont jamais été jusqu'ici.

C'est un plaisir pour nous d'accueillir un tel foisonnement qui, ce faisant, ressemble tant à Aragon.

Je veux également remercier chaleureusement Jean Ristat, Roland Leroy, la Société des amis de Louis Aragon et Elsa Triolet, Jack – mon cher ami et camarade Jack Ralite, et toutes les personnalités parmi lesquelles Jean d'Ormesson et Pierre Juquin, qui ont accepté de participer à ces festivités.

Pendant un mois, débats et lectures, performances musicales et expositions, tous ces événements vont vivre et dialoguer dans nos murs. Nous voulons que tout cela déborde.

Parlant de son Henri Matisse, roman, Aragon dit : « Ce livre ne ressemble à rien qu'à son propre désordre. » « Un livre qui est comme il est », ajoute-t-il plus loin.

J'ai donc le plaisir d'ouvrir une saison inédite qui ne ressemble à rien qu'à son propre désordre.
Une invite à l'exploration sans fin d'Aragon, un homme qui fut comme il fut.

Merci.

 

Paris, le 14 novembre 2012

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