Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Vers un replâtrage ou vers une refondation du FMI ?

Le rôle du Fonds Monétaire International  (FMI) a été profondément modifié depuis sa créa- tion par les accords de Bretton Woods en 1944. Constitué à partir des quotes-parts en or et en monnaie symbolique des Banques centrales des pays membres, il a d’abord visé à faciliter la solution des difficultés  des balances commerciales  et des paiements d’un pays, développé ou non, pour favoriser la croissance à travers les échanges internationaux. Il accordait pour cela des Droits de tirer des devises des autres pays et même de façon inconditionnelle à proportion  de la tranche en or déposée. Cela se situait dans le cadre du système monétaire international  or et devise (gold exchange standard), avec la montée du rôle du dollar. Cela a contribué  à la longue phase de croissance relativement soutenue d’après guerre.

1) Transformation du rôle du FMI jusqu’à sa crise multiforme actuelle

Face aux difficultés  généralisées de la croissance et de l’accélération de l’inflation, avec les débuts de la crise systémique au commencement  des années 1970, ont été mis en place des Droits de Tirage Spéciaux (DTS). Ce sont des droits de tirage de devises accordés sans correspondance  avec l’or versé, mais avec une utilisation inconditionnelle et sans obligation de remboursements pour 70 %, pour des pays développés ou sous développés, entraînant une véritable création monétaire mondiale. Cela a pu d’abord favoriser l’amplification du rôle du dollar, devenu une monnaie inconvertible en or à l’opposé de la situation antérieure.

Mais par la suite, les États-Unis se sont opposés au développement  des DTS afin de favoriser leur propre émission de dollar  comme une monnaie mondiale  de fait. Cela s’est accompagné d’ailleurs des emprunts en dollars du FMI. Cependant, une autre transformation fondamentale est intervenue. Elle a consisté en une sorte de spécialisation du FMI désormais en direction  des pays sous développés ayant un endettement considérable et donc des difficultés des balances de paiement. Il s’agissait de soutenir leurs créanciers, en faisant pression sur leur économie, leur budget et leur population avec un rôle qu’on a pu qualifier de « gendarme ».

Les programmes  dits « d’ajustement structurel », visant à assurer le remboursement des dettes et le paiement des intérêts, en faveur des établissements financiers des pays développés créanciers, ont opéré sur le dos des peuples, selon les règles dites du « consensus de Washington » (siège du FMI et de la Banque Mondiale). Cela concerne les « recettes » imposées contre l’« aide » du Fonds et ses encouragements  des autres prêteurs : l’austérité budgétaire contre les dépenses sociales et les subventions publiques, opposée aux déficits, les privatisations et la casse des services publics, la «libéralisation» de déréglementation et des ouvertures sans contrôle du commerce et des marchés de capitaux pour les investissements étrangers.

En règle générale, cela a conduit au freinage de la croissance et à des récessions, à la montée du chômage, avec des difficultés considérables pour les couches laborieuses, y compris les hausses intolérables imposées des produits de première nécessité. D’où la montée de la haine contre le FMI et même des émeutes comme au Maghreb ou en Amérique Latine. Mais les nombreux échecs à l’opposé des promesses de nouvelle croissance sont devenus patents dans plusieurs pays en développement, tout particulièrement lors des crises dites asiatiques de 1997-1998 ou de la crise argentine de 2001-2002. D’où la montée du discrédit et finalement les protestations démagogiques des dirigeants du FMI, prétendant se préoccuper d’avantage des implications  sociales des mesures avec des interventions  plus souples.

Aujourd’hui,  nous sommes en présence d’une crise multiple reconnue du FMI : crise dite d’efficacité, crise de rejet et d’illégitimité, crise de ressources, crise de représentativité de la direction. La crise d’efficacité concerne des résultats trop souvent catastrophiques des remèdes imposés pour les pays sous développés endettés, le FMI étant traité de « pompier pyromane». Mais la crise de rejet et d’illégitimité peut être plus dangereuse encore pour le Fonds.

Déjà, la Malaisie avait préféré se passer du Fonds, à la suite de la crise asiatique de 97-98 et s’en était bien portée. Mais depuis, face au discrédit  des recettes imposées et grâce à la remontée de prix des produits de base et pétroliers ainsi qu’à leur croissance industrielle, de grands pays en développement endettés ont remboursé par anticipation leurs dettes au Fonds comme le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, l’Indonésie, l’Algérie,  la Bulgarie. Cela va, dit-on, jusqu’à poser un problème existentiel au FMI.

La crise de ressources est devenue patente tandis que les encours  de ses prêts sont tombés à 9,1 milliards mesurés en unités  DTS au début  de 2007 contre  71,9 milliards en 2003. Les intérêts reçus ont donc considérablement baissé et un déficit est prévu de 105 millions de dollars en 2007. Il pourrait s’élever, sans changement,  à 365 millions de dollars en 2010. Aussi un rapport a été confié à une commission dirigée par Andrew Crockett, directeur de la Banque des règlements internationaux  (BRI), suggérant la vente de 400 tonnes d’or détenu par le FMI, soit 6,6 milliards de dollars, un investissement plus actif de ses réserves, et une facturation de son assistance technique, sans compter les menaces sur l’emploi (1). Or, renforçant le défi de rejet, sont avancés des projets de sortes de FMI régionaux, comme la Banque du Sud, qu’on veut mettre sur pied en Amérique Latine, à partir notamment du Venezuela, de l’Argentine, du Brésil, de la Bolivie, etc. Il s’agit de mutualiser les réserves en devises et de prêter à ceux qui seraient en difficultés, mais aussi pour des projets régionaux. On voudrait se passer du recours au FMI ou encore à la Banque Mondiale (pour les infrastructures), voire créer une monnaie commune. Par ailleurs, il y a eu aussi en 2000 un projet de système d’assistance asiatique contre les crises monétaires. Et il y a le potentiel représenté par la Banque Centrale Européenne et l’euro éventuellement contre la domination du dollar.

Enfin, il y a la crise de représentativité de la direction du FMI. La protestation  monte contre la domination des pays les plus riches à l’opposé des plus peuplés et des pays-sous développés en général. On met en avant le fait que la Belgique dispose de 2,02 % des droits de vote contre  1,38 % pour  le Brésil, ou la France et le Royaume-Uni  4,86 % chacun contre  3,66 % pour la Chine. Mais c’est surtout la domination des États-Unis qui fait problème, avec leur droit de veto sur toutes les décisions importantes, réclamant une majorité de 85 % alors qu’ils  ont 16,8 % des voix  du conseil  d’administration.

Par ailleurs, de créanciers, les États-Unis sont devenus de plus en plus et énormément débiteurs, avec leurs importations de capitaux par les entreprises et aussi par les Bons du Trésor en dollars, pour leurs dépenses publiques, détenus par les Banques Centrales, notamment asiatiques, non seulement le Japon mais de plus en plus la Chine et d’autres.  Cela contribue à un potentiel de mise en cause de la domination du dollar. Par exemple, la Chine pourrait se défaire d’une partie importante de ses dollars en faveur notamment  de l’euro.

2) Réformes de replâtrage au lieu d’avancées radicales vers une refondation

Face à la montée des contestations et de la crise multiforme du FMI, on a décidé de s’orienter vers des « réformes ». Mais il s’agit, en fait, de petites réformes de replâtrage de sa domination dans l’intérêt prédominant des marchés et des capitaux financiers, eux-mêmes liés à l’hégémonie hyper-libérale des États-Unis. Cela a concerné,  d’une part, l’affichage  d’une prise en compte du développement social, pour les pays du Sud et pour les pays pauvres. D’autre part, on a évoqué une augmentation du droit de vote et des quotes-parts des pays sous développés et émergents, mais telle qu’elle ne met pas en cause la domination des plus riches et des États-Unis. À tel point que certaines  ONG ont pu dénoncer la « farce » de ces réformes. C’est dans ce cadre qu’intervient  la récente nomination de Dominique  Strauss-Kahn à la direction du Fonds. Dans sa conférence de presse du 1er octobre 2007, il se présente comme le «candidat de la réforme». Cela inclut d’abord, selon lui, l’adaptation du Fonds pour la pertinence des interventions et pour sa légitimité, avec la représentation accrue des pays émergents, tout en mettant en avant le besoin d’une institution multinationale, face aux rejets allant jusqu’à de nouvelles institutions et à la crise existentielle.

Bien plus, DSK prétend revenir à la mission fondatrice du FMI : la promotion de la croissance et du plus haut niveau d’emploi dans le monde, en favorisant le commerce et la stabilité financière, à l’opposé de la politique d’utilisation du gros bâton. Toutefois, malgré cette reconnaissance en parole du dévoiement du FMI, les mesures évoquées sont, à la fois, conservatrices et de petite ampleur, tout en étant accompagnées d’une vaste démagogie. D’ailleurs, Dominique Strauss-Kahn a confirmé  son accord avec Nicolas Sarkozy sur l’orientation des réformes.

Conservatisme : affirmation qu’il n’est pas question de diminuer le quota des États-Unis, leurs droits de vote et leur pouvoir. Quant aux pays émergents, l’augmentation  de leurs quotas et voix et même la prise en compte évoquée du nombre de pays ou de membres de conseil d’administration en plus des voix visent, en fait, à les intégrer et non à remettre en cause la domination  des États-Unis et de leurs alliés.

Petite ampleur : face à l’insuffisance  des ressources, sont évoqués des ventes d’or éventuelles du Fonds et de meilleurs revenus des actifs, conformément au rapport de la commission Crockett, et surtout une réduction des dépenses. Ont été aussi indiquées de simples améliorations de la surveillance et des conseils. Enfin, le refus de prise en compte de la crise potentielle du dollar comme monnaie mondiale a été affiché.

Démagogie : C’est l’utilisation de la qualité de « socialiste » du nouveau directeur pour crédibiliser  la volonté d’aider les peuples. Mais cela a été accompagné de la revendication d’être « un socialiste de libre marché », tout en se réclamant d’une coopération avec le Programme des Nations Unies pour le développement (le PNUD) voire avec le Bureau International du Travail (BIT) et non seulement avec la Banque Mondiale.

En réalité, des transformations  radicales sont nécessaires. Et des avancées vers elles seraient devenues possibles de nos jours.

Il s’agit de supprimer la minorité de blocage des voix des ÉtatsUnis. Cela doit permettre  des transformations très profondes, même sans réduction de leurs quotes-parts avec par exemple l’abaissement à 75 % des voix pour les décisions majeures. Cela pourrait intervenir éventuellement  dès la prochaine crise mondiale d’éclatement de la suraccumulation financière, probablement autour de 2011.

Le rôle du dollar comme monnaie mondiale de fait pourrait être mis en cause par une entente entre la Banque Centrale Européenne, la Banque de Chine et la Banque du Sud d’Amérique Latine, en convertissant une grande partie des dollars en réserve au bénéfice de leurs monnaies respectives, voire en prévision de la création d’une monnaie mondiale vraiment commune.

Les pressions éventuelles pour accorder un échelonnement négocié de ce retrait des réserves en dollars et de leur conversion, au lieu de retraits unilatéraux avec brutalité, pourraient s’accompagner d’une acceptation par les États-Unis d’un

accord pour la suppression de leur minorité de blocage. Dans le même sens, peut intervenir une coopération entre la Banque Centrale Européenne et les Banques Centrales d’un grand nombre de pays émergents, comme les pays du dit BRIC : Brésil, Russie, Inde, Chine. Cela ferait grandir les forces et les pratiques pour une alternative au FMI actuel, en vue d’une autre organisation pleinement multilatérale au plan mondial pour le co-développement des peuples. D’ailleurs, la vente ordonnée de Bons du Trésor en dollar permettrait certains rachats de firmes multinationales. Cette opération a déjà un peu commencé, en fait, avec les Fonds dits Souverains, notamment de la part de la Chine.

L’annulation de la dette des pays pauvres est indispensable, mais cela ne suffira pas, car il s’agit de répondre à leurs besoins de financements nouveaux Il faut un soutien de l’emploi et des services publics.

C’est possible immédiatement, avec des attributions  de DTS, en dons affectés aux pays qui en ont besoin. Cette création monétaire de DTS, en soutenant la croissance réelle mondiale, ne serait pas particulièrement inflationniste.

L’élément le plus fondamental d’une refondation du FMI serait la création d’une monnaie commune mondiale.

C’est possible à partir des Droits de Tirage Spéciaux, qui en sont déjà un embryon, afin de s’émanciper de la domination du dollar. Cette monnaie commune permettrait une création monétaire mondiale en commun, pour des crédits longs à taux très bas ou même zéro, ou encore des dons (à la façon d’une sorte de plan Marshall), en fonction de l’importance des populations et des besoins de développement, pour un programme de co-développement mondial, de l’alimentation à l’éducation.

Cela pourrait s’effectuer éventuellement en liaison avec la création d’une nouvelle institution démocratique des Nations Unies pour la Sécurité et le développement économique et social mondial. Cela pourrait d’accompagner d’une refonte de la Banque Mondiale, de l’OMC, etc.

On pourrait viser plus particulièrement d’avancer en direction de deux buts sociaux nouveaux :

-– favoriser des progrès vers la sécurisation de l’emploi et de la formation partout, contre le chômage et la précarité ;

– favoriser des coopération intimes pour des Services publics et Biens communs de l’humanité : alimentation, eau, énergie, écologie, transport, santé, communication, recherche, culture.

Dès aujourd’hui, ces questions doivent pouvoir être posées face aux défis de la crise du FMI et de la nécessité de réformes, même si la réalisation graduelle d’objectifs de transformations radicales suppose des avancées politiques et culturelles considérables. Cela exige de nouveaux rassemblements politiques, nationaux et internationaux ainsi que des progrès culturels sur ces questions de l’alter-mondialisme et de toutes les forces sociales intéressées, depuis les organisations syndicales jusqu’aux mouvements féministes.

Cela demande sans doute des rapprochements culturels et politiques inter-zonaux, notamment entre l’Union Européenne et les pays en voie de développement et émergents pour avancer vers une autre civilisation  de partage de toute l’humanité. Mais déjà dans l’Union Européenne, les luttes pour une autre Banque Centrale Européenne, son contrôle démocratique et une promotion  du modèle social, en liaison avec de nouvelles coopérations mondiales, vont dans ce sens

(1) Faustin Kuedisala, « Fonds monétaire international : l’édifice brûle », Potentiel, 17/02/2007.